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De l’Ethique 21 mars, 2009

Posté par hiram3330 dans : Bleu,Chaine d'union,Contribution , trackback

DE L’ ÉTHIQUE

 

 

Je ne sais qui disait qu’en France, la philosophie était toujours à la recherche d’une éthique.

Il marquait par là le caractère sinon utilitaire, du moins pragmatique d’un certain courant philosophique.

Et il est vrai que la philosophie n’est jamais très loin d’une quête de la sagesse.

Mais je crois qu’on dirait mieux en retournant le propos. En France, tout au moins, l’Éthique est toujours à la recherche d’une philosophie.

Autrement dit:il faut trouver un fondement à la morale, et une justification à la conduite. Fondement et justification que la connaissance scientifique ne paraît pas pouvoir apporter.

Quant à moi, et pour le faire court : Je ne crois pas qu’il y ait d’autre fondement et d’autre justification à nos comportements moraux que la nécessité  de vivre. L’illusion que nous sommes venus sur terre pour quelque chose de plus spécifique que la perpétuation de la vie me paraît, comme à d’autres, et parfois à d’éminents esprits une parfaite aberration.

Il est bien vrai que le fait de se demander comment on peut être responsable du mal et du désordre est susceptible de mettre en question et même de ruiner définitivement tout sens moral.

Que nous soyons source du Mal – comme du Bien – signifiant que nous sommes responsables sans savoir de quoi, ni pourquoi. .

Après tout, nous n’avons qu’une vie – même si elle se recommence à l’infini dans nos fils – et si, hélas, « nous mourons volés », encore faut-il que nous ne nous rendions pas complice du vol que l’on nous fait.

Car ce ‘ »On » nous le connaissons. Ce sont ceux qui croient à l’importance de leurs causes, à la nécessité de leur triomphe., à la vertu de leurs convictions. Et ceux-là qui se volent  eux-mêmes, finissent aussi par mourir. Mais s’il nous est donné d’ouvrir les yeux; comment accepterions-nous d’être complices !

Trêve d’amertume. Deux remarques sont à mettre en avant: Si nous somme entre les mains de Dieu, il fera selon ses volontés et la nôtre importera peu. Fatalisme, Foi ? Pessimisme ou Sagesse ?

Nous n’avons pas à nous tourmenter pour la façon dont les Choses tournent. Et si c’est Dieu qui veut en moi, ma volonté est assurée d’elle-même.

Mais les choses peuvent être vues autrement. La conquête de la personnalité, la libération par l’épreuve, l’assurance de soi sur soi par la maîtrise, fait de nous des Dieux face à Dieu.

Cela devient un rapport de forces.

Comment trancher ?  Est-ce que  l’ordre humain et l’ordre divin sont deux ordres distincts, ou bien est-ce que l’ordre divin et l’ordre humain sont confondus ?

Je peux, en effet, comme certains « spirituels » dire que la liberté de l’homme est la liberté de Dieu, ou qu’en l’homme Dieu est liberté, ou bien encore que !a liberté de Dieu se manifeste en l’homme, en la communauté, en l’espèce. Est-ce que la coïncidence est possible ? Est-ce que l’espèce et sa détermination, la communauté avec ses idéaux, est-ce que l’individu avec ses exigences, et ses singularités concourent aux mêmes buts sans .divergence, OU en raison de leurs divergences ?

Je peux très bien considérer que la liberté de Dieu se manifeste de telle sorte, que l’existence résulte de la multiplicité de ses manifestations.

Il n’y aurait plus rien de surprenant que les conflits ,soient sources des maux et du désordre. Mais il resterait incompréhensible alors, que les conflits de cette liberté mènent quelque part et suivent une  voie déterminée. .

Ou bien en effet la liberté est dans le monde, et nous ne saurons jamais où il va, ou bien le monde est dans les mains de Dieu et nous ne saurons non plus jamais où il va, mais du moins, nous pourrons essayer de le comprendre.

Sans pousser l’analyse jusqu’à ses extrêmes, cependant concevables, je ne cesse de m’interroger sur le désordre et sur le mal avec le sentiment de me heurter comme un phalène à la lampe brillante de la conscience de soi et de la connaissance du monde.

Au fond, il faudrait reconnaître que le mal n’est rien, que la douleur n’a pas de sens, que le mal et le désordre ne sont que des manifestations éphémères d’une sensibilité dont les fins sont éternelles. Et c’est peut-être bien en effet le dernier mot.

La douleur, le mal et le désordre sont des aspects nécessaires de la liberté créatrice agissant au cœur de la nécessité.  . .

Je n’ai jamais cru à l’image puérile d’un Dieu paternel et bon. Je ne crois pas avec les dévots qu’il suffit d’avoir la foi pour que nos incertitudes s’évanouissent. Je crois plutôt que quand nos incertitudes s’évanouissent pour une raison au pour une autre nous pouvons alors prétendre avoir la Foi.

Mais il est vraisemblable que la pluralité des divinités explique bien mieux que le Dieu unique, la diversité des manifestations. 

Il est vrai, parfois, et c’est une affaire d’humeur au sens médical du terme, nous avons tendance à nous dire, qu’après tout, les choses ne vont  pas si mal.

Bien sottement, m’aveuglant sur les douleurs et les misères des autres, je me dis aussi que si  les hommes ne se mêlaient pas de tout organiser, il y aurait une vérité de la nature qui s’établirait et que l’équilibre que nous avons rompu se referait.

J’aurais presque envie alors, par paresse autant que par raison, de laisser faire, et d’attendre que tout s’arrange de soi-même. Confiant en la vertu de ce qui nous dépasse.

Que savons-nous, en effet, qui puisse justifier nos interventions dans l’ordre des choses ?

Qu’avons-nous pour justification en dehors de notre bonne volonté ? Que pouvons-nous avancer comme argument si nous ne savons pas en définitive où est le bien pour l’espèce, où est le bien pour l’individu, où est l’Ordre suprême ?

Il n’est pas aisé de demeurer indifférent au spectacle d’un enfant qui souffre, ou qui est corrompu par son milieu, corrompu, avili, écrasé par la misère et la méchanceté ou le vice, par la faiblesse ou la violence.

Comment accorder les émotions déchirantes qui naissent de la guerre, des ruines physiques et morales; des conflits de toute nature qui  bouleversent les existences enfantines, avec la foi en un ordre humain?

Bien sûr, il y a cet argument pitoyable : c’est la faute des pères ! Nous   recevons, chacun à notre tour, le châtiment que nous a mérite la folie de nos prédécesseurs..

Mais les enfants, ceux qui ont les dents  agacées et pire encore! Comment justifier qu’ils veuillent vivre en sachant qu’à leur tour ils seront la cause du Mal ?

Est-ce que les hommes se veulent mauvais et veulent perpétuer leurs douleurs ?

Il serait tentant de le croire. 

Mais il vient à l’idée aussi que le Mal est nécessaire à la Vie. Et cela c’est, la condamnation du Dieu bon. Car il est aussi un Dieu redoutable, et dont la droite frappe durement. Seulement, c’est le même, et il faut bien se résigner à prendre les choses comme elles sont. Procéder ou refuser la vie, voilà ce qui est le dilemme que le mal nous impose.

Dostoïevski a su exprimer cette condition tragique de l’humanité devant l’enfance. L’impuissance des meilleurs face à la souffrance injustifiée ; et c’est plus bouleversant que l’Évangile.  Car l’Evangile est très discret sur la souffrance des enfants. Il n’en parle guère. Pour Jésus, l’enfant est l’innocence et la pureté, l’ingénuité et la dignité, la grandeur vraie de l’homme, celle qui le sauve. Mais il n’est pas ce qu’il est pour Dostoïevski : la Victime.

C’est que pour Jésus, qui va mourir en croix, l’innocence est toujours sauvée et l’enfance, donc.

Est-ce donc là l’ordre divin ?

Il y a quelque chose d’injurieux dans la Rédemption du Christ, si elle n’implique pas la Rédemption des enfants. Et l’on ne comprend pas qu’il leur faille être baptisés, selon la religion catholique, pour être justifiés.

Quoiqu’il en soit, faiblesse, sentimentalité au sottise, l’obsession que constituent la souffrance, la douleur ou la misère physique et morale des enfants empêche de considérer avec sérénité l’ordre du monde.

Ce n’est pas son absurdité qui est le plus incompréhensible, mais sa constance : car comment justifier un ordre du Mal quand on lie le Mal au désordre ?

Si l’espérance humaine avait vraiment en charge  la création, il faudrait s’interroger sur sa responsabilité. Et sans doute, à voir la façon dont les prétentions de l’espèce se manifestent, faudrait-il la condamner et empêcher la reproduction ? ‘

C’est ce qui arrive d’ailleurs aux civilisations avancées, qui prennent conscience, soit de leur  impuissance soit de leur nocivité et qui s’éteignent par lucidité. Comment expliquer, en effet, que les peuples aisés et nourris s’épuisent tandis que les peuples misérables se multiplient. Sans doute ne pouvons-nous rien affirmer car pas plus que de l’accroissement démographique nous ne connaissons les raisons profondes de la dépopulation. Mais la question demeure posée.

Parfois, nous avons  tendance à considérer que cet ordre que nous croyons reconnaître n’est en définitive qu’une illusion: que nous vivons dans le chaos.

Un chaos dont nous coordonnons seulement les apparences, nous nous heurtons à l’évidence d’un univers qui n’a pas de sens pour nous. Et nous jugeons stupide et prétentieux de lui en attribuer un.

Seulement, nous ne pouvons nous supprimer, supprimer nos réactions, et notre jugement. Dés que nous avons l’impression de vivre dans le chaos notre  spontanéité agissante découvre une perspective selon laquelle un ordre possible se dessine. Et nous considérons le chaos comme un état provisoire, comme une Situation de crise dont l’issue ne peut manquer de nous apparaître, et dont la signification ne nous échappera pas toujours. Il n’y a qu’à considérer les efforts des économistes pour donner à la conjoncture dont, hélas, les troubles se succèdent, une signification rationnelle dont les démentis ne découragent ni la naïveté, ni la futilité, ni l’obstination. 

Et de ce fait, vivre c’est assimiler à soi et par conséquent ordonner autour du noyau le milieu et les êtres; c’est perpétuellement régénérer un ordre.

Vivre, c’est non seulement être en quête d’un ordre mais en créer un continuellement à partir de nous et même contre l’ordre qui n’est pas le nôtre. Il y a tout une symbolique du centre qui définit le pouvoir ordonnateur, singulier et universel.

Nous établissons les relations de dépendance, de succession, de continuité, de réciprocité, d’exclusions, d’opposition; de cohérence ou de divergence, de concentration ou de dispersion, de façon continue et spontanée, de façon volontaire et réfléchie, mais comme si c’était là notre fonction.

Notre comportement est une source de constant ordonnancement ou plutôt de régulation. Autour de nous comme centre, autour d’un centre collectivement reconnu, comme l’autel des sacrifices, autour d’un sommet ou d’une source, d’une croix ou d’une pierre, d’une étoile ou d’un gouffre, nous ordonnons les lieux, les êtres, les événements, les choses. C’est là notre vocation, c’est là l’œuvre de l’intelligence, dont nous ne savons pas ce qu’elle est, mais dont nous savons bien qu’elle se manifeste par la représentation des relations entre les choses et les êtres.

Un questionnement a inspiré certaines sagesses ; pouvons-nous nous interdire de comprendre ? Pouvons nous nous empêcher de chercher à comprendre ?

Pouvons nous conserver l’innocence ? Pas plus sans doute que nous résigner à n’avoir pas compris, pas plus qu’à nous satisfaire de notre ignorance, pas plus qu’à nous garder sans faute !

Nous forgeons mythes et rêves pour nous dissimuler nos échecs, mais cette réalité qui nous échappe ou qui se dresse devant nous comme un mur, nous ne l’ignorons pas et nous souffrons de ne pas la maîtriser.

L’univers imaginaire que nous dessinons, faute de pouvoir nous mouvoir dans un univers réel ; faute de nous reconnaître en vérité et de trouver le sens qui nous donnerait accès aux vérités éternelles, cet univers imaginaire ne nous satisfait pas. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner des efforts tentés par les uns et par les autres pour intégrer le Mal dans l’ordre humain. Les Sémites et les hébreux s’y sont attachés. Mais d’une façon plus générale, toutes les cultures ont essayé de conjurer le Mal. Peut-être conviendrait-il en effet de comprendre que même la doctrine National-socialiste essayait de conjurer le Mal à sa manière , ce qui en dit long sur l’ambiguïté de cette ambition idéologique qui pousse. les hommes à construire leur Vérité.

Au fond, toutes les idéologies, toutes les mystiques toutes les rationalisations tournent autour de ce problème: comment écarter le Mal?

C’est cette obsession qui explique les pogroms, les génocides, les holocaustes. Les juifs ne sont pas les seules victimes. Nous en savons suffisamment pour ne pas nous laisser abuser. Ce n’est  pas un fait particulier et univoque, c’est une constante de la nature humaine. Et ce n’est pas par désir de faire le mal, mais par volonté de l’extirper de nous.

C’est ce qui rend le problème cruel et qui aveugle ceux qui prétendent le résoudre.

Ils disent, écartons celui-ci et celui-là, et nous serons purs. Mais le Mal est en nous, comme il est en Dieu. Tous ceux qui peuvent servir de boucs émissaires, d’exutoires en somme, ceux qui sont assez proches pour être tenus responsables et assez lointains pour nous donner l’impression qu’ils ne sont pas nous, voilà ceux que nous éliminons pour éliminer la source du mal.

Le pire des démons nous inspire la pureté. Et c’est précisément ce que ne comprennent pas les hommes de foi.

Tout ce qui paraît marqué du signe de l’étrangeté est rejeté, et l’intelligence étant le signe de l’étrangeté par excellence, est vouée au sacrifice. Car le mal doit être en l’autre puisque nous en souffrons or c’est le signe au contraire que le mal est dans l’Ordre. C’est ce que nous finissons par admettre quand nous formons la notion de faute, et de culpabilité à l’échelle de chacun de nous.

La démonstration en est relativement aisée, pour peu que nous considérions les notions de culpabilité et de châtiment. Ces deux notions en effet, sont liées. Mais leur lien est bivalent, ou plus exactement réciproque. Le châtiment détermine la culpabilité, comme la culpabilité appelle le châtiment.

Cette  relation peut paraître discutable. Elle est subordonnée à une conviction métaphysique, plus étroitement qu’à une idée de la justice, mais elle existe en fait.

Car, dans le châtiment ,  ce n ‘est pas la réparation du préjudice qui compte, c’est le rétablissement de l’Ordre. La réparation est accessoire et même dérisoire dans la mesure où la faute ne se situe pas au niveau des échanges considérés comme essentiels.

A l’heure actuelle, nous voyons bien, que les victimes ne sont pas ce qui incite les  polices ou les justices à exercer leur  ministère. C’est l’Ordre public troublé. Et au fond, tout ce qui ne trouble pas cet ordre est considéré comme marginal et sans grande importance.

Toute faute, toute erreur, tout manquement, ne valent pas en eux-mêmes ; mais dans l’ordre qui les enveloppe et les constate. C’est toujours du caractère sacré de l’ordre que partent les jugements sur les fautes. C’est à une rupture de l’ordre sacré que  les appareils judiciaires et policiers doivent faire face.

Il n’est que de  constater quel acharnement on met actuellement à dénoncer les bavures policières, et les bavures judiciaires. Dans des sens contraires d’ailleurs, mais significatifs. En effet, les bavures policières ne nuisent pas au travail, de la police,  mais à l’idée de l’Ordre public tel qu’il est conçu par certains. De même, les indulgences judiciaires ne nuisent pas à l’exercice de la justice qui pourrait très bien opérer la réparation des préjudices subis matériellement mais nuisent à l’ordre tel qu’il est conçu par d’autres.

Et qu’importe la mort d’un condamné, sinon au niveau métaphysique? La querelle est dérisoire si elle n’est pas située à son niveau.

La personne coupable, comme la personne lésée comptent peu au regard de l’ordre et cet ordre, qui n’est que l’idée qu’on s’en fait, concerne tout le monde comme les moyens de le rétablir .

L’expiation collective est en passe de se substituer au châtiment personnel. Elle répond mieux, en définitive à la poursuite du rétablissement de l’Ordre que ne peut le faire la poursuite spécifique du seul coupable. La situation provoquée par le manquement n’est pas du domaine des individus, mais de l’ensemble communautaire. C’est  pourquoi la question, en fait, est religieuse.

Mais quelle que soit l’attitude adaptée, le Mal est une réalité.

Il existe dans les cercles individualistes, comme dans les cercles collectivistes.

La faute, le péché, la dissidence, quel que soit le nom qu’on donne à la rupture de l’Ordre, exigent une réparation. Mais elle est ponctuelle ou globale selon les cas. Seulement, la conscience collective ou personnelle de la faute, son expiation ou son châtiment n’en éliminent pas pour autant, sa réalité.

La question demeure donc ouverte. Y aurait-il, comme certains le pensent  un Ordre second ? ou plutôt l’ordre du Monde serait-il double ?.

Tout cela a naturellement été débattu. Les histoires religieuses en témoignent avec trop d’abondance.

Toute une figuration y correspond. Celle de l’opposition entre le divin et le démoniaque, qui peuvent se confondre parfois celle du Diable et du Bon Dieu, se faisant une guerre éternelle, et d’une manière générale, l’esprit manichéen qui inspire bien des conduites.

Le dualisme des natures, essayant de rendre compte de l’opposition entre l’Ordre du Bien et celui du Mal est en effet la solution immédiate. Mais elle n’explique rien en fait, car le Bien et le Mal sont interchangeables et leur coexistence, leur identité contradictoire, leur consubstantialité, si je puis me permettre le mot en témoignent. Le Mal n’est pas de nature différente du Bien. L’un et l’autre se manifestent au niveau du jugement dans une relation d’existence qui est toujours limitée: l’un et l’autre sont incarnés dans l’action et s’accordent aux modalités de la manifestation.

Ainsi, c’est encore une façon de nier Dieu que de distinguer dans les faits, le Dieu du Bien et le démon du Mal. La scène de la tentation, dans l’Evangile doit être comprise, me semble-t-il, en fonction de cette observation : Jésus se comporte comme si le Diable n’existait pas et comme si nier son pouvoir c’était nier son existence, comme si ne pas être sensible à ses propositions, c’était le nier lui-même. Et il est vrai que la bonne façon d’écarter le démon c’est de faire comme s’il n’existait pas tandis que l’écouter et suivre ses offres c’est lui donner une réalité envahissante.

Si bien qu’il faudrait considérer peut-être que le démon est en nous. Qu’il est un élément indissociable de notre nature. .  . .

C’est en ce sens alors qu’il faudrait comprendre semble-t-il cette autre tentative d’intégration du mal, qui consiste à le considérer soit comme un avertissement, soit comme un moyen de nous corriger et de nous orienter vers les voies du salut.

Il n’est pas alors de distinction à faire entre le mal physique et le mal moral. Car la douleur témoigne à la fois de notre existence, et de l’erreur que nous avons commise. Le mal intervient chaque fois que l’ordre vrai a été méconnu comme facteur de rétablissement.

Seulement, quand nous souffrons  ou que nous commettons le mal, nous sommes loin de croire qu’il en est ainsi.

Le Mal nous apparaît seulement quand il est trop considérable pour être supporté ou quand nous sommes trop faibles pour en subir l’épreuve morale. Il nous est alors l’image de l’injustice de Dieu.

Il est la contradiction vécue entre notre sagesse et la Volonté divine, ou comme une démonstration de l’absurdité de la vie, selon les a priori de la foi.

La question que nous nous posons alors, c’est celle de la compatibilité de l’ordre humain et de la vérité du Monde.

Quel spectacle donnons-nous de la cruauté à la misère acceptée, de la violence destructrice à la jouissance ruineuse.

Est-ce bien là notre oeuvre, et somme-nous, avec toutes nos intentions  les responsables de tant d’horreurs ?

Ce doute angoissant, cette interrogation troublante à qui les adresser alors, qu’à nous-mêmes ? L’univers en effet ne répond jamais.

Certains croient que Dieu leur a parlé ! Soit ! c’est une hypothèse mais ce n’est peut-être qu’une illusion. De toute façon, ce n’est une réponse que pour celui qui croit, que pour ceux qui le croient..

Et si nous ne croyons pas, sommes-nous dispensés pour autant, de nous répondre ?

Il ne faut pas traiter légèrement ceux qui croient avoir entendu, pas plus d’ailleurs que ceux qui se refusent à répondre.

Qui décide de ces choses, qui tranche pour d’autres, qui est autorisé à donner un sens à la réponse ou à l’absence de réponse ?

Qui peut répondre si Dieu ne répond pas. Et qui peut répondre si Dieu a répondu. Et si ni Dieu, ni homme ne répondaient. Du moins, si pour certains, il n’y avait pas de réponse parce qu’il n’y a personne pour répondre ?  C’est par cette voie que se dessine l’admirable respect qui nous est nécessaire pour accepter l’homme tel qu’il se manifeste.

Je suis infiniment attentif à toutes les croyances; et plus encore aux procédés plus ou moins raisonnables par lesquels les hommes et les femmes trompent leur angoisse. Tant mieux si certains s’en tirent aisément. Mais pourquoi juger les autres de haut.

C’est ainsi que je n’ai jamais pu condamner totalement les superstitions. Je sais bien de quel mépris elles sont l’objet. Mais ceux là même qui les condamnent en bloc n’ont-ils pas quelque faiblesses secrètes à cacher ? Sans compter la lamentable collection de préjugés que nous tenons pour raisonnables et dont nous embarrassons notre jugement.

Je dis parfois familièrement que nous avons chacun besoin d’une canne pour nous tenir debout. Et qu’il est pour le moins incorrect d’ôter cette canne à qui en a besoin sans savoir comment celui qui s’en sert pourrait s’en passer.

Sur un ton plus noble, je dirai de la même façon :seul l’homme fort se tient debout tout seul. Mais je ne suis pas sûr d’avoir rencontré beaucoup d’hommes forts, même parmi ceux qui prétendaient l’être.

La plupart des hommes, tous à la vérité, vivent dans un Univers mythique. Les formes et d’abord les mots qui désignent cet univers sont d’emprunt. Nous recevons le récit du monde avant d’en faire lentement et très partiellement la reconnaissance.

Il serait parfaitement sot, à mon sens, et même dangereux, de reprocher à une dévote ses pratiques, ou à un doux maniaque ses obsessions. On ne se défait pas aisément du sentiment tragique de la vie.

Il nous faut, pour accepter notre condition, ou une grande innocence, ou une grande bêtise, ou une grande humilité. Mais, ce n’est pas si facile à obtenir de Soi. .

Je vais plus loin : y a-t-il jamais eu un homme sans préjugé ? Mais le préjugé est la condition même de la connaissance, comme l’erreur l’est de la recherche du vrai.

Dans le fond, le drame du mal, c’est que la mort  nous prend et ne donne pas de réponse. C’est que l’énigme se referme sur le silence éternel.

Que nous prenions le parti de l’ignorer, de la nier, ou de ne la tenir que pour provisoire, la mort demeure, face à l’éternité, la seule équivalence.

Elle demeure, quoi que nous fassions, la seule réponse à la Vie, et au mal que la vie porte en elle.

Quand bien même elle serait le point final, serait-elle mieux intelligible pour celui qui souffre ?

Pourquoi souffrir pour en venir à elle ?

Une mort qui termine tout donne au mal sa vraie dimension. Le mal n’a de raison d’être que par rapport à la vie. C’est pourquoi, ceux qui croient à la vertu de l’espèce, et à sa continuité refusent de distinguer l’Ordre de Dieu de l’Ordre humain. Ils conçoivent le mal dans la perspective de la survie de l’espèce, comme témoignage de la volonté de Dieu.

L’individualisme n’accepte pas la raison du Mal, il n’en conçoit que l’offense. Si nous sommes pour nous-mêmes, alors le Mal n’a pas de justification.

Mais, en a-t-il une autre pour l’espèce ? N’est-elle pas une parmi d’autres ? C’est donc le Mal sur la terre, le Mal dans la vie, qu’il faut considérer ! Et ce Mal, est-il autre chose qu’une relation d’Ordre absolu ? L’existence est-elle autre chose que l’accommodement rendu nécessaire ? Donc, la réaction, donc, la réponse au Mal. Le Mal est alors la condition même de l’existence, la rupture, la douleur, sources de développement et de progrès.

Mais nous y mettons notre petite morale transitoire d’humains, alors que la vie est sa propre loi morale.

Nous succombons, dans cette direction, à la tentation de chercher le secret de la Nature, et nous conservons, parce que nous sommes aveuglés par la passion, l’espoir de la découvrir.

Et ce que nous attendons de nos interrogations méthodiques, c’est la vérité profonde, l’absolu qui nous éclairerait enfin sur le mécanisme du monde, sur la machinerie de la vie. .

Mais, ne nous y trompons pas . C’est toujours un acte de foi. Si nous prêtons à l’Univers des intentions et un sens, si nous avons la tentation de croire qu’il est en nous de les déterminer et de les comprendre, voire de les modifier, c’est à la suite d’une adhésion profonde à ce sentiment orgueilleux et peut être vain que nous sommes les maîtres en ce monde.

Notre action est sans doute efficace. Les preuves ne nous manquent pas. Mais, quelle portée notre action a-t-elle dans l’ensemble de l’Univers ? Et cette efficacité qui est la nôtre, est-elle indéfinie? Implique-t-elle que nous ayons découvert l’Ordre Vrai et Universel ? Peut-être ne sommes nous que les artisans d’un ordre localisé et fragmentaire.

Nous avançons, c’est évident, d’hypothèse en hypothèse. Nos chaînes d’explications et nos processus démonstratifs s’étendent relativement à des domaines limités. La connaissance est largement fragmentaire, ne serait-ce que parce que chacun des mieux instruits n’en possède que des éléments.

L’ordre des phénomènes biologiques ; celui des relations mécaniques, celui des champs magnétiques, peuvent-ils, du  moins en l’état de ce que nous savons actuellement, être interprétés de la même façon et être en quelque sorte, confondus ? Peut-on passer de l’un à l’autre, traiter un être vivant comme un moteur et réciproquement ? .

La recherche d’un champ utilitaire c’est-à-dire d’un ensemble où chacun des ordres prendrait place selon un ordre plus général est un objectif de la science en marche.

Je devine bien ce que la découverte d’une telle unité de formulation pourrait signifier si elle était obtenue. Elle impliquerait pour le moins l’existence d’un rapport constant entre notre sensibilité et les tensions de l’Univers.

A partir de ce rapport constant, on pourrait formuler la fonction de l’humanité et peut-être lui découvrir un sens, si ce n’est une nécessité. Seulement, qu’en pourrait-on  déduire, quant à notre conduite, quant à notre avenir, quant à notre liberté ? Que pourrait faire l’homme s’il était un effet absolu au lieu d’être une cause relative ?

Éliminerait-on de ce fait les questions que nous  posent l’existence de la douleur et celle du mal, douleur que nos drogues, certes, savent soulager, mais à quel risques; mal dont nos efforts vertueux n’arrivent pas à réduire l’action corrosive.

On réussirait sans doute à éliminer l’une, la douleur, et à détourner l’attention de l’autre, et peut-être même à vider de son sens la notion même de mal.

Déjà d’ailleurs, certaines attitudes névrotiques, ou certaines pratiques hallucinogènes, voire mystiques, dérivent l’impact momentané du mal. Sur le plan social, la formidable pression de l’opinion s’exerce également dans le sens d’une occultation de l’objectivité du Mal. Ce qui est voulu par la collectivité n’étant jamais le mal, à la limite, même si individuellement il n’en est pas de même. Mais l’élimination du mal c’est l’élimination du Bien, tant moral que physique. Et toute l’économie du salut se trouverait ruinée. C’est-à-dire ruinerait, en définitive, la foi en notre liberté.

L’innocence enfantine, l’âge d’or des sociétés totalitaires, représentent assez bien ce que l’absence de souffrance et de Mal amènerait dans nos conditions d’existence.

Est-ce que la vie vaut d’être vécue, sans risque ?

Est ce que le danger permanent, la douleur., l’erreur la faute ne sont pas des facteurs de progrès ? N’y a t il pas dans l’échec un élément régénérateur ? Poser ces questions c’est donner la réponse : la valeur est liée au risque. Et la valeur est l’essence de la vie même. Elle est le fruit du jugement , la fille de la liberté .

Éliminer l’inquiétude, l’incertitude, éliminer le doute, la peur, et la douleur, c’est réduire l’humanité à l’immobilisme, c’est replonger l’esprit dans le néant. 

Certains distinguent le caractère individuel de la douleur, avec les injustices que cet individualisme implique et la servitude même du conditionnement de l’espèce.

Ils considèrent que l’état d’innocence, l’état totalitaire de la société mythique, celle de l’âge d’or, se trouvent dégradés par l’aventure individuelle, et que l’avènement de l’individualité est la cause première de l’apparition du Mal.

Ils constatent que la  « désobéissance » est l’origine de tout le Mal. Et que la liberté est l’offense suprême.

C’est donc à l’espèce que le sacrifice est voué. C’est à elle que la douleur restitue ce qui lui est dû. La douleur est compensation, régénération, et, finalement, rétablissement de la pureté originelle.

Quand nous disons que la douleur et le mal sont à l’origine du perfectionnement et du progrès, ces partisans de l’Ordre immobile ne le contestent pas, mais ils le comprennent non  pas comme une avance radicalement originale vers autre chose, mais comme un retour à l’état originel.

Seulement, que signifient ces notions de perfection et de progrès là où le jugement individuel n’est plus significatif ?

N’avons-nous pas le sentiment qu’il n’y a pas, qu’il ne peut y avoir, de conscience collective progressive, mais que seule la conscience individuelle peut appeler le changement ?

Sans doute, une collectivité peut se  modifier sous la pression des comportements individuels, mais elle se croit toujours fidèle à elle-même. C’est ce qui justifie d’ailleurs le concept de classe. Chaque classe, quand elle triomphe, affirme son universalité. C’est même le signe de son triomphe que cette affirmation.

Et le prolétariat n’y manque pas qui définit l’avenir comme une société sans classe puisqu’il verra son propre avènement.

Il faudrait se demander si les souffrances collectives ont un sens. Et nous constaterions sans doute que le sens de la souffrance collective ne se manifeste que chez les individus qui prennent en charge cette souffrance.

C’est la conscience individuelle qui forme la vérité collective. Et nous avons hélas trop d’exemples des inutilités monstrueuses du mal.

La conscience collective est oublieuse comme d’ailleurs la conscience individuelle à partir d’un certain degré de souffrance.

La douleur n’est rédemptrice, si elle l’est jamais, que dans la mesure où elle est limitée, et dominée. La douleur morale, comme la douleur physique, poussées aux extrêmes, provoquent vraisemblablement autant de ruines. qu’elles amorcent de guérisons.

D’ailleurs, trop de douleur tue la douleur. L’oubli couvre l’insupportable et se conjugue avec la honte pour occulter l’inavouable. Il n’y a rien à attendre des holocaustes, ni des tortures, pour le salut des hommes.

C’est peut-être cela, aussi bien, que Jésus enseigne, par la croix ? Cette vérité que la mort dans la souffrance n’est rien pour l’homme s’il n’a pas la force de revivre au-delà.  Et il ne s’agit pas d’une image. Tous les jours nous croisons des hommes qui vivent au-delà de leur mort, au-delà de leur croix. Ils ont oublié et la nature les aide. L’évanouissement d’ailleurs est une défense. Les mères savent renaître avec leurs enfants. Alors, Jésus en croix est-ce la loi de ce monde, ou la délivrance ?

Jean Mourgues

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