La Franc-Maçonnerie que nous vivons est née d’un projet philosophique, mais quid des Francs-maçons ? La réponse vous l’avez.Le philosophe a toujours été un penseur.
Philosopher aujourd’hui, c’est réfléchir aux êtres, aux causes, aux valeurs, aux principes. Le philosophe pense et tente d’expliquer par un discours l’homme, la nature, la société et l’univers, d’où nous venons, ce que nous sommes et où nous allons.
La philosophie se caractérise dès lors par sa manifestation extérieure : le discours.
La Maçonnerie est une invitation permanente à philosopher.
Hervé Hasquin écrivait d’ailleurs que « la Franc-Maçonnerie est un laboratoire de pensée ».Il est vrai que la philosophie, et donc les philosophes, créent de l’intelligibilité et tentent de donner un sens aux êtres, à la pensée, à la vie.Cela ne métamorphose pas pour autant automatiquement les Maçons, fussent-ils de zélés laborantins, en philosophes au sens académique.
Il n’y a pas de discours maçonnique, pas plus que les Francs-Maçons auraient vocation à répandre un point de vue particulier conférant tel sens à l’existence ou à l’essence.
Pour ne citer qu’eux, Platon et Pythagore furent d’exceptionnels penseurs ; Bacon au Moyen-Âge et Machiavel à la Renaissance ont posé le problème de la place de l’homme dans la cité ; Copernic et Descartes ont distingué la philosophie de la science ; Kant, Leibniz et Spinoza ont posé les questions de la morale et de la liberté ; Hegel a imaginé une approche phénoménologique originale de l’histoire ; Nietzsche a planché à sa façon sur l’échappatoire aux servitudes de l’esprit, mais, sauf exception, les Francs-maçons n’ont rien inventé en cette qualité expresse au nom de la Franc-Maçonnerie.
Ils n’ont pas revendiqué la paternité d’une pensée particulière, d’un système original ou analyse de l’univers qui révolutionnerait ou bouleverserait l’humanité, même si certains l’auraient aimé, et même si leur influence ne peut être niée dans l’avancée des valeurs humaines de la société, que ce soit sous l’angle législatif ou associatif.
Les Francs-maçons réfléchissent. La pensée maçonnique est riche d’enseignement, profonde de sens, porteuse d’un état d’esprit et empreinte de perfectibilité humaine dans la fraternité.
Si la sagesse, à laquelle se réfère la Franc-Maçonnerie, est la « sophia » des Grecs, c’est à dire, l’exercice d’un art complexe et difficile à maîtriser, à un tel point que Platon préféra parler, non pas des sages mais des amis de la sagesse, alors, il n’est pas exclu que les F\M\ soient les amis de cette sagesse.
Comme on le sait, « philos » c’est l’ami, et « sophia », c’est la sagesse. L’ami de la sagesse est dès lors, étymologiquement en tous cas, « philosophe ».
Quel est le contenu de cette notion de sagesse que nous aimons ?
S’y plonger, même succinctement, convoque un voyage dans l’Histoire et la Tradition.
La notion de sagesse est fort ancienne. Dans sa traçabilité connue, elle remonte à l’Egypte, sans exclure une antériorité plus lointaine encore.
La philosophie comme nous l’entendons est née en Grèce antique, patrie de naissance de la philosophie naturelle qui céda le pas à la philosophie morale. Du « mythos » au « logos », de Thalès de Milet à Socrate, le discours sur la nature a évolué vers le discours donnant des raisons, des explications. Il n’empêche qu’entre entre les philosophes naturels ou moraux, toute maîtrise, même technique, était considérée comme une sagesse. Le médecin, le poète, le menuisier, le tailleur de pierre, le charpentier ou le musicien possédant leur science étaient des sages.
Dans ce cadre, entendez ces quelques mots éloquents de Platon au sujet de la musique :
« La musique donne une âme à l’univers, des ailes à l’esprit, l’envol à l’imagination, un charme à la tristesse, gaieté et vie à toutes choses. Elle suscite le Logos et participe à tout ce qui est beau, juste et bon. La musique est une philosophie. ».
Quelque chose a changé en Grèce. Il ne suffisait plus de posséder un art pour être sage, il fallait aussi être capable d’entendre le Logos, le Verbe dont il sera question dans l’Ancien Testament, le Verbe de l’Evangile de Jean, d’y conformer sa conduite et de parler selon la Vérité.
Sagesse, Vérité, Verbe, ce sont des mots connus des Francs-maçons.
Le sens de la sagesse est passé, notamment avec Platon, de l’exercice d’un art, à un tentative d’être conforme à la notion de divin, à une recherche de cette Connaissance attribuée à la divinité. L’idée d’une sagesse parfaite transcendante était née. Encore fallait-il distinguer le savoir de la connaissance. La sagesse ne se conçoit pas sans la connaissance, et cette connaissance, c’est plus que le simple savoir qui n’en est que le tremplin.
Pour d’aucuns, l’idée que la Connaissance est un attribut divin, est restée bien ancrée dans les esprits. Elle postule l’entendement du sacré et sa pénétration, alors que le savoir, aussi noble soit-il, est réducteur. Il n’implique que l’accumulation d’informations livresques ou autres de nature à accroître la bibliothèque de notre encéphale.
Le savoir permet de cheminer vers la connaissance, et la connaissance est divine. Pour le percevoir, il suffit de se remémorer la petite histoire du péché originel. La pomme croquée à la grande colère de l’Eternel, qui prononça de lourdes condamnations, fut volée sur un arbre dont les fruits lui étaient strictement réservés.
Il ne s’agissait pas de n’importe quel arbre, mais de l’arbre du Savoir, arbre produisant ces fruits susceptibles de placer l’humain sur le chemin de la Connaissance qui en quelque sorte le rapprocherait de l’Eternel.
Expurgée de toute connotation religieuse polluante, cette parabole plante le décor qui n’était pas neuf.
Pour Platon déjà, avant l’Ancien Testament, le philosophe qui souhaite conquérir un tel bien, dont l’atteinte est rare et difficile, bref, le philosophe qui souhaite devenir sage, se crée une parenté avec le divin.
L’idée d’une sagesse transcendantale recelait la notion d’élévation de l’esprit humain, mais manquait de concret.
Le Moyen-Âge vit naître l’idée que la quête de la sagesse postulait un modèle, qui eut pu être Dieu, mais qui en ce cas eût été inatteignable par nature, de sorte que l’on dû trouver une personne de référence, un intermédiaire plus accessible aux amis de la sagesse, et ce fut tout naturellement que le choix se porta sur… un courtier en assurance paradisiaque, à savoir le Christ, alias Jésus. Certes critiquable sous d’autres aspects, Jésus présentait un profil riche par le don qu’il fit de lui à l’humanité. Il incarnait cette sagesse, et pas n’importe laquelle, la Sagesse du Père. Cela n’alla pas sans poser aux théologiens quelques menues difficultés puisque dans le christianisme médiéval, cette même Sagesse était incarnée par Marie, Mère de la Sagesse. Tel était le casse-tête dont il fallait s’affranchir. L’on s’ingénia donc à résoudre l’épineux souci en admettant que la « sophia » était l’élément féminin présent dans le Principe divin, beaucoup plus vaste.
Selon les écrits bibliques ( Proverbes 8-22 ; 8-23), la Sagesse, partie intégrante de la matrice, préexistait d’ailleurs à la création. Le concept était limpide, résolvait la contradiction et plongeait ses racines dans un passé presque immémorial. Dans le même ordre d’idées, les Francs-maçons savent que c’est à la Sagesse que s’unit le Grand Architecte de l’Univers pour réaliser ce qui est ; elle en est l’épouse.
Le concept est égyptien ; pour les anciens égyptiens, la Sagesse était une partie du Principe divin lorsqu’il créa le monde. Cette sagesse féminine n’a dès lors rien de neuf. Isis l’incarnait par rapport à Osiris, et Balkis, la reine de Saba ( Livre des Rois, X, 1-13 & 10-9 / Coran, sourate XXVIII, 15-45), l’incarnait par rapport à ses amants, le Roi Salomon et un certain Hiram de Tyr. Il apparaît donc qu’à travers le temps, la Sagesse a bien une relation étroite avec la perfection, ou plutôt, le perfectionnement, et, de façon plus profonde, avec l’Univers, à travers le savoir et la Création.
Savoir, perfectionner sa connaissance, et par-là, s’approcher du Divin, de l’Absolu universel, du Grand Architecte de l’Univers, voilà un mouvement qui ne paraît pas étranger à la démarche maçonnique, aux objectifs des Francs-maçons sur le chemin initiatique.
Le « Livre de la Sagesse », attribué au Roi Salomon, bien connu des Francs-maçons ( voir Ancien Testament – 6/12 – 15), énonce à propos de cette sagesse :
« le commencement de la sagesse, c’est le désir d’être instruit par elle. Vouloir être instruit, c’est l’aimer. L’aimer, c’est garder ses lois. Observer ses lois c’est être assuré de l’incorruptibilité, et l’incorruptibilité rend proche de Dieu. Ainsi le désir de la Sagesse élève jusqu’à la royauté » ( 6/16-20 ).
Il s’agirait donc de s’élever vers la royauté, un Art Royal qu’est invité à pratiquer tout Franc-maçon !
Ce cheminement vers la Sagesse, les hommes l’ont toujours vu comme une élévation.
Le Principe Divin auquel elle appartiendrait serait donc céleste, ce qui est fort fâcheux car nul n’ignore que les hommes ne peuvent atteindre les cieux ; ils ne sont pas des oiseaux et il faudrait donc qu’ils le deviennent.
Serait-ce l’une des raisons pour lesquelles l’oiseau n’est pas absent des Hauts grades Maçonniques ? C’est un autre sujet.
Dans le « Livre d’Hénoch », il est dit que :
« la Sagesse est sortie pour habiter parmi les enfants des hommes, et elle n’a pas trouvé d’habitation ; la Sagesse est donc revenue de son séjour et s’est fixée parmi les Anges ».
La signification de ce texte serait-elle que la vraie sagesse n’est pas du monde des hommes ici-bas ?
Au XVIII ième siècle, sous la houlette d’un certain Isaac Newton, scientifique mais aussi passionné de sorcellerie, la Royal Society de Londres a ciselé une économie du cosmos ne brisant pas la notion ancienne de sagesse.
L’ordre divin fut remplacé par la providence divine dans la liberté de conscience, et la sagesse demeura un objectif d’élévation de l’homme.
Cela étant, si la sagesse est l’un des piliers de la Franc-Maçonnerie, les Francs-maçons modernes en chemin embrassent la sagesse pour elle-même et jamais nullement par souci de devenir divins.
Si l’homme est le centre de l’univers, la connaissance de ce dernier lui est intérieure, et c’est donc en l’homme que se trouve la divinité.
La Franc-Maçonnerie porte en elle le questionnement, pas les réponses.
Elle relie les personnes de bonne volonté soucieuses de développer leur pensée dans la fraternité à travers des rites indicibles de passage.
Le Franc-Maçon se remet en question, tente de s’améliorer et d’être contagieux, de rayonner dans la société profane les valeurs véhiculées par la Loge, mais s’il est invité à mieux se connaître, sa vie de Maçon ne nécessite pas son élévation dans le savoir ou la connaissance, et il en va de même de son cheminement, lequel ne donne que des clés. Encore faut-il ouvrir les portes, et pas enfoncer des portes ouvertes, inutiles et sclérosantes.
S’il veut cheminer vers la Sagesse, tout Franc-maçon ne sera pas nécessairement philosophe, peut-être un homme de discours, mais en tous cas un homme désireux de connaître l’Universel dans sa diversité, d’approcher de la Perfection, et un éternel cherchant qui n’a pas de théorie à dispenser, pas de dogme à imposer.
Si les Francs-maçons ne sont pas des philosophes, ils devraient néanmoins être reconnus comme comptant parmi les meilleurs amis de la Sagesse.
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