Francs-Maçons En Terres D’Islam 8 janvier, 2017
Posté par hiram3330 dans : Chaine d'union,Contribution , trackbackFrancs-Maçons En Terres D’Islam
Posted: 27 Aug 2013 10:00 PM PDT
L’Emir Abd el-Kader
Du Maroc À L’Iran, De La Turquie À L’Arabie Saoudite, Leur Histoire Est Ignorée, Leur Place Et Leur Influence Sont Largement Niées. Antoine Sfeir, Écrivain Et Rédacteur En Chef Des Cahiers De L’orient, Lève Le Voile, Il Évoque La Franc-Maçonnerie Dans Les Pays Musulmans — Ainsi Qu’en Israël
Vous avez décidé de consacrer le dernier numéro de la revue que vous dirigez, Les Cahiers de l’Orient, aux francs-maçons. Pourquoi ce choix ?
D’abord parce qu’il s’agit d’un véritable tabou. J’ai toujours entendu parler des francs-maçons au Moyen-Orient, mais, en l’absence de transparence, je n’ai jamais vraiment su quels étaient leur influence ni leur poids réel.
Alors, j’ai voulu en savoir davantage, d’autant plus que des signes de renouveau apparaissent çà et là. D’où l’idée d’y consacrer le dernier numéro des Cahiers de l’Orient.
Est-ce qu’on peut tenter de situer, sur un plan historique, la grande histoire de la maçonnerie au Moyen-Orient ?
Au Machrek l’Orient Arabe, c’est, incontestablement, à partir du XIXe siècle que l’on a vu poindre la « lumière » de la maçonnerie, les premières tentatives voyant le jour essentiellement au Liban.
Tout commence avec les entreprises de soierie françaises qui viennent, dans les vallées du Chouf et ailleurs, exploiter des usines de vers à soie et envoyer leur production à Lyon.
Parallèlement, sur le plan culturel, les Jésuites et les congrégations s’installent au Liban et dépendent de la province de Lyon. Les Lyonnais, ou des industriels originaires de la région lyonnaise sont très présents.
Et, paradoxalement, les premiers maçons qui viennent de France, puis leurs émules libanais, sont d’abord des élèves de ces congrégations religieuses, formés à l’excellence puis convertis à ce qui est alors perçu comme une religion du progrès, version émancipée de la foi chrétienne.
La maçonnerie au Liban va se développer à la fin du XIXe siècle, au moment où, dans l’Empire ottoman, commence à poindre la révolution des Jeunes Turcs de 1908, parce que se répand dès cette époque le rêve d’un grand royaume arabe qui sera activé par la promesse anglaise faite à Lawrence d’Arabie.
À ce moment-là, les maçons, réunis dans des comités d’indépendance, sont les artisans de l’indépendance des États-nations, sous l’influence, bien entendu, de différents intellectuels français.
Les deux comités les plus importants, du reste, se trouvent au Caire et à Paris, notamment pour l’indépendance du Liban et de la Syrie. On assiste à un vrai travail, parallèle d’ailleurs à la Renaissance arabe, un vrai renouveau culturel.
On peut dater les débuts de la franc-maçonnerie aux années 1850-1860. Au Liban et en Syrie.
Par la suite, le mouvement va faire tache d’huile. La Jordanie n’existe pas encore, mais la Palestine, elle, existe. Or, avec l’arrivée des Anglais dans la région, et selon une démarche similaire, l’établissement des protestants, vers 1830, va également aboutir à l’installation des maçons en Palestine.
Ce qui s’accélérera pendant la Première Guerre mondiale et le mandat britannique.
La franc-maçonnerie, pur produit de la colonisation ?
Il faut être plus subtil que cela. C’est une forte aspiration arabe à l’indépendance et au progrès qui rencontre une structure européenne efficace. Voilà pourquoi il se produit une floraison de loges maçonniques avec l’arrivée des Européens.
Un tremplin sera constitué par les événements survenus au Liban en 1860 : les massacres des chrétiens par les Druzes jouent un grand rôle dans la prise de conscience des élites.
Surtout lorsque les intellectuels mesureront la portée de l’intervention d’Abd El-Kader, exilé par les Français en Syrie, qui va sauver à lui seul plus de 10 000 chrétiens, à Damas.
Or Abd el-Kader est maçon. Depuis l’Algérie. Dans son silence forcé, à Damas, il va être un maçon assidu et lui donner un autre départ dans tout le Levant.
Qu’en est-il du reste du monde arabe ?
Il faut mettre l’Égypte à part, car, dans ce pays, on voit apparaître des maçons et des germes de maçonnerie universels dès l’expédition de Bonaparte.
Mais le développement se fera par étapes. La première phase sera, bien entendu, incarnée par les saint-simoniens, qui vont arriver, chez Ibrahim Pacha, pour enseigner le français aux officiers égyptiens, dans les casernes.
Parmi ces saint-simoniens, Ismaïl Urbain, qui sera aussi tenté par la maçonnerie, mais qui ne fera pas, d’après ce qu’on sait, acte d’initiation.
Le second départ, ce sera l’initiation d’Ismaïl Pacha, fils d’Ibrahim Pacha, khédive d’Égypte.
Il va être initié par les Français, notamment par le groupe de Ferdinand de Lesseps qui compte surtout des maçons constructeurs.
Et le Maghreb ?
Là, on peut parler davantage du poids de la colonisation. Nous avons d’ailleurs les contributions très détaillées des colons français à l’édification d’une maçonnerie locale.
Dès l’arrivée des Français, les loges vont se multiplier. Avant tout en Algérie, puis en Tunisie et au Maroc.
Cela prendra plus de temps au Maroc, en raison du caractère très construit de la société traditionnelle et de l’ancrage islamique, très fort.
Mais, tout de même, le futur roi Mohammed V, père de Hassan II, aura la réputation tenace d’être franc-maçon, même s’il n’a jamais été vraiment possible de le prouver.
L’Algérie semble toutefois être une terre d’élection…
Absolument. Et le fait demeure. Quand on retrouve aujourd’hui des « Arabes » musulmans dans les loges en France, ce sont à 90 % des Algériens.
La maçonnerie a toujours connu un vrai succès en Algérie. Et également en Tunisie.
En raison d’un engouement de la part des classes moyennes et du lien naturel entre la maçonnerie et l’éducation.
Pour les mêmes raisons, il y aura une vraie influence maçonnique en Turquie et en Iran.
Cela dit, la Turquie et l’Iran sont un peu à part.
Deux cas intéressants, en effet. Deux énormes morceaux. On se rend compte que, dès 1916, les constitutionnalistes en Iran sont avant tout des francs-maçons. Ils constituent la charpente, la pierre de touche du nouvel État iranien.
Ils se laisseront un peu dépasser par la nomination du chah, le père du dernier chah, mais resteront quand même très présents.
Ils le seront également aux côtés des zoroastriens, bien entendu, dans la classe moyenne, dans la haute bourgeoisie et dans la fonction publique. Ce sont de grands serviteurs de l’État iranien.
En Turquie, c’est entièrement différent. De tout temps, c’est-à-dire depuis les liens instaurés entre l’Empire ottoman et l’Occident, il a existé des échanges, grâce aux nombreux Ottomans qui poursuivaient leurs études ou allaient accomplir leur spécialité en Europe, notamment en Angleterre.
Dans un premier temps, il va y avoir une influence primordiale de la loge anglaise, donc le rite écossais ancien, mais, en même temps, on va assister, dès la IIIe République, à une implantation du Grand Orient français.
Cette mixité des cultures, ce syncrétisme est très propre à la Turquie. Au point qu’il y aura une sorte de va-et-vient entre les francs-maçons turcs et certains courants mystiques de l’Islam, et ce jusqu’à nos jours.
Il semble ainsi que, selon certaines rumeurs, beaucoup des islamistes prétendument modérés aujourd’hui au pouvoir en Turquie aient fait un passage par l’initiation…
Donc la Turquie est un pays où la maçonnerie est encore très forte…
Oui, ainsi qu’en Iran. Les maçons iraniens ont été pointés du doigt au moment de la révolution khomeiniste. Ils ont très mal supporté les dix ans qui ont suivi. Mais depuis le cessez-le-feu avec l’Irak, à la fin des années 1980, ils ont retrouvé une certaine visibilité.
Peut-on dire qu’au Moyen-Orient, d’une manière générale, les maçons jouent actuellement un rôle très important, par exemple dans des structures laïques comme le parti Baas, en Syrie ou en Irak ?
Oui, dans tout parti séculier, ils sont importants.
Si on veut dresser un tableau global, les maçons sont très bien implantés en Turquie, en Syrie, au Liban et en Israël. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs.
En Israël aussi ?
Dès l’établissement du premier kibboutz, en 1910, c’est l’introduction, en Palestine, de la franc-maçonnerie, qui existait, notamment dans les grandes villes, grâce aux Anglais, comme on l’a dit, et aux protestants, mais très peu dans les campagnes.
Dès l’arrivée des juifs en Palestine, jusqu’à la création d’Israël, en 1948, la maçonnerie s’implante solidement grâce aux vecteurs de pénétration des kibboutzim et des moshavim.
À partir de la proclamation de l’État d’Israël, le milieu travailliste et laïque des grands leaders, des pères fondateurs, va entretenir des liens étroits avec la maçonnerie.
Seulement travailliste ?
À présent, on compte beaucoup de maçons de l’autre côté, parmi la droite laïque, mais on n’en trouve pas au point de départ, en 1948. Cela viendra plus tard, essentiellement du fait des Azkhénazes d’ailleurs. Les Séfarades restent encore très méfiants…
Et les pays du golfe Persique ?
Au Yémen dans et toute la péninsule arabique, la maçonnerie est très faible et pratiquement inexistante, sauf parmi les expatriés, qu’ils soient Arabes ou étrangers.
Quels sont les domaines de prédilection de la maçonnerie orientale ?
Exactement les mêmes centres d’intérêt qu’en Europe. Les mêmes thèmes. Mais on ne parle pas de « laïcité » ; on parle de « sécularisation ».
Les sujets clefs sont l’éducation, la réforme de l’État et, parfois, un grand thème de société tel celui de la femme, l’interruption volontaire de grossesse, la contraception, le planning familial.
Le champ de la réflexion reste quand même nettement plus restreint qu’en Occident. Ce ne sont pas les mêmes moyens qui sont utilisés. Beaucoup de médecins travaillent entre eux. Dans ce qu’ils nomment les fraternelles.
Le planning familial a été introduit grâce au travail des maçons, notamment en Égypte, par l’intermédiaire des Nations unies… Travail de très longue haleine, commencé sous Nasser.
Mais quand, en 1971, 1972, 1973, on a commencé à vouloir être vraiment efficace, on s’est rendu compte qu’il fallait également former les intéressées, et notamment les femmes paysannes.
Un véritable travail sur le terrain a été accompli, à la fois par l’Unicef et par les maçons locaux…
Donc la femme est un objectif important…
Très. Même si très peu de femmes peuvent imaginer entrer en maçonnerie dans l’Orient actuel. Malgré certaines avancées, la femme reste surtout un sujet d’intérêt pour les maçons masculins.
Politiquement, les francs-maçons ont-ils une spécificité ?
On les retrouve essentiellement à gauche. Parce que, dans tout l’Orient, c’est la gauche qui essaie encore de faire bouger les choses, alors que la droite, elle, non seulement détient le pouvoir, mais aussi a fait de telles concessions aux islamistes qu’elle ne peut plus maintenant accueillir les francs-maçons.
Les francs-maçons ne peuvent pas accepter, par exemple, le fait que Sadate ait pu autant céder aux islamistes, sur la question de l’excision des femmes ainsi que sur celle de la charia ou, pour être plus précis, l’inspiration de la Constitution égyptienne à travers la charia. Du reste, Sadate est un homme qui nous a tous fascinés par son recueillement à Jérusalem, mais on s’est peu penchés sur son bilan intérieur…
Il ne faut pas oublier que, du jour au lendemain, il a fait passer son pays entre les mains des États-Unis, alors que l’Égypte était autonome ou autosuffisante sur le plan céréalier : 85 % du blé égyptien proviennent du surplus américain. En conséquence, les maçons ne peuvent pas se sentir à l’aise dans le parti au pouvoir en Égypte.
Plus généralement, il y a un engagement, chez tous les maçons orientaux quels qu’ils soient, dans la lutte pour la démocratisation. C’est une constante qui prend beaucoup plus de poids aujourd’hui où l’on assiste à une telle rupture de représentativité.
Est-ce qu’il y a des professions où ils sont plus présents ?
Oui, les professions libérales : médecins, avocats, magistrats, enseignants. On les retrouve également dans la haute fonction publique, surtout chez les magistrats. En ce qui concerne les enseignants, il faut savoir que l’école publique n’est pas très considérée en Orient.
Je ne parle pas de la Turquie et de l’Iran, mais du reste des pays arabes, où l’enseignement privé est tenu pour beaucoup plus prestigieux. En toute logique, on compte de nombreux francs-maçons dans l’enseignement privé.
On en rencontre aussi énormément parmi les milieux d’affaires. Beaucoup de businessmen, qui ont utilisé dans le passé la maçonnerie comme des réseaux, sont maintenant militants au sein des obédiences acceptées.
Est-ce que les francs-maçons ont joué un rôle, par exemple, dans le dialogue israélo-arabe ?
Ils ont essayé, certainement. À travers un tissu associatif : Identité et dialogue, par exemple, pour le Maroc.
En Tunisie aussi, un peu. Au Levant, ils ont été obligés de s’adapter, j’allais dire, à l’hypocrisie ambiante : on parlait avec les Israéliens, mais dehors, dans le secret et la clandestinité.
On ne communiquait pas à l’intérieur du système national. Pas dans les pays, pas dans le cadre classique. À l’extérieur, en visite à Paris, ou à Londres. À Paris, par exemple, on se retrouvait, on échangeait, il y avait même des réunions entre loges, entre obédiences… mais, pas officiellement, pas institutionnellement.
Grâce à cette discrétion, des travaux importants ont été accomplis dans les loges. Ces travaux-là — ces planches, comme ils disent — ont été passés à qui de droit et ont fait leur chemin. C’est incontestable dans des domaines comme l’éducation. Un exemple : à un moment donné, il y a eu des négociations très dures entre la Syrie et le Liban concernant la mise à niveau de l’éducation entre les deux pays.
Un travail de fourmi a été mené, à tous les échelons de l’institution, pour que l’éducation libanaise ne pâtisse pas de cette mise à niveau.
Il faut expliquer que le cœur de l’État, en Syrie, est noyauté par les Alaouites et que l’on compte parmi ces derniers beaucoup de maçons.
On a souvent dit que Hafez El-Assad en faisait partie.
Y a-t-il beaucoup de noms aussi célèbres chez les maçons ?
On cite généralement Assad, mais aussi Moussa Prince, qui était un grand avocat libanais représentant un pôle du débat intellectuel au Liban, avant et durant la guerre. Il fut surtout l’inspirateur de Camille Chamoun, président de la République entre 1952 et 1958, puis l’un des dirigeants incontestés des partis chrétiens libanais.
Moussa Prince était certainement l’un des meilleurs représentants du Grand Orient. Son décès a laissé un vide immense. Il faut aussi parler de la famille sunnite Sohl. Sami Sohl, l’un des pères de l’indépendance, et Premier ministre de Camille Chamoun, était un maçon.
Il y a eu également d’autres dirigeants musulmans, comme certains anciens Premiers ministres, toujours vivants, qui ont accepté, par exemple, de soutenir le fameux traité Libano-Israélien de 1983, qu’Amine Gemayel n’a pas ratifié.
On cite également beaucoup l’entourage d’Assad, tel Mustapha Tlass. Difficile à vérifier.
Les musulmans ne revendiquent plus leur appartenance, comme Abd El-Kader a pu le faire. Désormais, ils ont peur. N’oublions pas, quand même, qu’il existe des pays où il suffit qu’un citoyen soit montré du doigt par un islamiste influent pour qu’il passe aussitôt en justice.
Est-ce qu’il existe des lois contre les maçons dans les pays arabes ?
Oui, dans toute la péninsule arabique, puisque les maçons y sont considérés comme des mécréants.
Le Yémen est en train de changer, parce que c’est un régime marxiste. Mais, en Arabie saoudite et dans les Émirats, il y a une véritable suspicion. Au Maroc, actuellement, on ne peut pas dire non plus que les maçons aient le vent en poupe.
En revanche, au Levant, il y a une sorte de regain, de même qu’en Jordanie, où, sans se déclarer publiquement, les maçons n’hésitent plus à tenir la dragée haute aux islamistes, notamment dans des débats, qu’ils soient politiques, parlementaires, médiatiques ou intellectuels.
Peut-on tenter d’avancer quelques chiffres ?
C’est très difficile. Autant peut-on avancer une fourchette pour Israël, aux alentours de 10 000, l’Iran et la Turquie, autant il est impossible d’évoquer sérieusement une donnée chiffrée pour les autres pays.
Depuis cinq ans, il y a une véritable renaissance de la maçonnerie au Liban, et en Syrie, assez étonnamment d’ailleurs mais pas paradoxalement, parce que ce pays reste quand même aux mains d’un régime très séculier.
Comment expliquez-vous ce regain ?
Les loges locales ont acquis une forme d’autonomie nouvelle. Elles sont devenues autocéphales. Par exemple, on sait, d’une façon certaine, que l’ancien patron de la chambre de commerce et d’industrie de Syrie, un sunnite de Damas décédé il y a deux ans, était l’un des grands maîtres de la maçonnerie.
Mais, à la limite, il en a presque usé comme d’un moyen de se créer des relations d’affaires. On suppose que son fils, qui a repris le flambeau, est aussi franc-maçon.
Quant au Maghreb, on pense que les maçons y sont plus nombreux chez les Kabyles que dans le Constantinois. Ils sont également assez nombreux dans l’Algérois. Mais, pour en savoir davantage, il faudrait ouvrir les cartons consacrés à l’Algérie qu’on a découverts au Grand Orient, lesquels ne sont pas encore exploités.
Et l’Égypte ?
C’est redevenu un pays important. Sous Nasser, beaucoup de petits ou grands entrepreneurs sont partis s’établir au Canada, en Angleterre et quelques-un aux États-Unis.
Sous Sadate, ils sont en majeure partie revenus. Aujourd’hui, il y a en Égypte des entreprises énormes, de taille internationale. Oaskom, par exemple, qui occupe une position de force dans la téléphonie mobile, du Moyen-Orient à l’Afrique. Ces groupes internationaux ont ramené avec eux des cadres qui ont fait des études supérieures et qui sont concernés par la maçonnerie.
Si la maçonnerie locale était une sorte d’Église autocéphale, avec ce sang neuf, on constate un renouveau dans la bourgeoisie égyptienne, cette nouvelle classe moyenne qui fait la force de l’Égypte, même si le pays est en cessation de paiement. Un nombre élevé de maçons commencent depuis un certain temps à s’organiser.
Et ils essaient de tenir la dragée haute aux islamistes. Car le grand danger, partout, reste l’islamisme, beaucoup plus que l’État. On connaît, hélas ! la rengaine des fondamentalistes musulmans contre l’ennemi judéo-maçonnique.
Compte tenu du besoin criant de modernité dans le monde arabe, iriez-vous jusqu’à dire que les maçons ont plus de poids dans le monde arabe qu’ils n’en ont en Europe ?
C’est à peu de chose près exact. Dans le cadre d’une citoyenneté communautaire, ils aident à transcender, ne serait-ce que dans un premier temps, les clivages anciens de la société.
Quelle ne fut pas ma surprise de voir en 2000, au Liban, des maçons musulmans être les premiers à dénoncer la « maladie de l’Islam » ! On se plaignait, après les attentats du 11 septembre 2001, que les intellectuels musulmans n’aient pas dénoncé la fièvre islamiste.
Je n’ai constaté cette dénonciation ni en Europe ni en Occident, en général, sauf au Proche-Orient, dans les loges maçonniques. En Syrie, par exemple, il existe actuellement un véritable mouvement de réforme qui dit clairement que l’Islam doit s’arrêter à 622 et doit rester confiné aux relations de l’homme avec son créateur.
Ce mouvement-là, qui commence à avoir du succès, puisque le livre Nouvelle Lecture du Coran a été vendu à près de 300 000 exemplaires, est dû au Professeur Mohammed Chahrour ou à des gens comme Ziad Hafez, qui cherche à tracer un pont entre l’Orient et les États Unis.
Les deux sont certainement influencés par des idées maçonniques, et d’autres intellectuels avec eux.
Est-ce que ce mouvement de réforme va aboutir à l’aggiornamento tant désiré ?
L’avenir nous le dira.
— Le dernier numéro des Cahiers de l’Orient, fondés en 1985 par Antoine Sfeir, écrivain et rédacteur en chef, est intitulé L’Équerre et le Croissant, enquête sur la franc-maçonnerie en terres d’islam. Revue trimestrielle d’études et de réflexion sur le monde arabe et musulman, les Cahiers de l’Orient se veulent très attachés à la Francophonie, qui constitue, selon leur charte rédactionnelle, « l’un des derniers lieux privilégiés de la liberté ».
Propos recueillis par Christian Makarian, le 29/05/2003
Antoine Sfeir
Source : le blog oraney http://oraney.blogspot.fr/
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