Pour comprendre le chiisme 7 février, 2021
Posté par hiram3330 dans : Contribution,Recherches & Reflexions , trackbackPour comprendre le chiisme
Chiisme : Le Concept de » Wilayat al Faqih «
par Jean-Marc ARACTINGI
Le Concept de « Wilayat al Faqih » signifie que le pouvoir islamique aussi bien législatif et judiciaire qu’exécutif ne doit relever que du « Faqih » et uniquement de lui.
Qui est donc ce « Faqih » ?
Avant de répondre à cette question, il serait bon de rappeler :
1) Que l’Islam contrairement au Christianisme est aussi bien religieux que politique. En effet, la société arabe préislamique de la presqu’île arabique manquait totalement d’unité politique. La mission du Prophète Mohammed ne pouvait s’imposer et se développer qu’en créant les conditions qui pouvaient assurer son existence et son expansion. Alors que le Christianisme naquit au sein d’un grand empire, l’empire romain, qui était fortement administré et politisé.
2) Ainsi le Christianisme sépare la religion de la politique. Jésus lui-même a dit : « Rendez ce qui est à César à César, et ce qui est à Dieu à Dieu ».
2) Pour les Chiites duodécimains, les plus importants en nombre et en influence, et qui se trouvent principalement en Iran, en Irak et au Liban, l’Imâmat a passé de Ali à ses fils Hassan (m.669) et Husayn (m.680) puis à leurs descendants jusqu’au douzième Imam Muhammad al Mahdi (Gayba 874).
Pourquoi un tel concept ?
Dans un Hadith rapporté par les Chiites duodécimains, le Prophète aurait annoncé qu’il n’y aurait’ après Husayn que neuf Imâms : « Le neuvième sera le Qaym ; il remplira la terre de paix et de justice comme elle est remplie aujourd’hui de violence et de tyrannie. Il combattra pour reconduire la révélation au sens spirituel (Ta’wil), comme j’ai moi-même combattu pour la révélation du sens littéral ».
L’hagiographie chiite est riche en récits miraculeux sur l’existence du douzième Imâm.
Sa mère aurait été une princesse byzantine, descendante de Simon-Pierre, et reliant les deux cycles de succession spirituelle, celle de Jésus et celle du Prophète Mohammed.
Le douzième Imâm Mohammed al Mahdi est né le 30 Août 869 et disparût le jour même de la mort de son père le 24 Juillet 874. Sa disparition à l’âge de 4 ans ouvre ce qu’on appelle la période d’occultation.
Les Chiites croient qu’il est toujours en vie : Pendant l’occultation mineure (gaybat al Sogra) qui va jusqu’en 941, l’Imâm Mohammed al Mahdi continue à communiquer avec quatre « messagers ».
A la mort du dernier de ses messagers, la communauté n’a plus de chef visible absolu jusqu’à la fin des temps où le Mahdi attendu reviendra instaurer la Justice et la Vérité : c’est la grande occultation qui dure encore.
La tradition rapporte que dans son dernier message, l’Imâm « mettait en garde les croyants contre ceux qui prétendraient l’avoir vu matériellement avant les événements de la fin ».
Nous sommes dans le temps du douzième Imâm : son absence pose donc un problème d’autorité qui n’a jamais été résolu définitivement dans le Chiisme.
En effet, il est le véritable chef spirituel et politique de la communauté, en attendant la parousie, et en l’absence de toute communication directe avec Lui, puisque selon les termes de son dernier message, celui qui prétendrait avoir communiqué avec lui serait un imposteur.
Devant un tel problème la communauté chiite a du élaborer des solutions originales dont celui de « Wilayat al Faqih » par l’Ayatollah Khomeiny.
(On verra en conclusion que d’autres solutions, que celle de Wilayat al Faqih, existent).
Que signifie dans ce « Concept » le mot Wilayat ?
Le mot « Wilayat » signifie l’exercice de l’autorité du Faqih sur le peuple comme celle qu’exerce le père sur le fils. Le peuple est considéré en quelque sorte non majeur, manquant de maturité, incapable de diriger ses propres affaires sans sortir du droit chemin.
Cette autorité paternaliste est nécessitée par le fait que l’homme du peuple qui a, d’après la doctrine chiite, le libre choix entre le bien et le mal, doit être guidé puisque sa connaissance de la loi est limitée et fait qu’il est naturellement enclin à commettre de mauvaises actions.
L’Ayatollah Khomeiny disait : « Il n’y a aucune différence entre la désignation du tuteur d’un mineur et celle du tuteur de tout un peuple, en ce qui concerne la fonction et le rang ». Et d’ajouter : « J’ai déjà cité l’Imam Rezâ, dans lequel l’idée que le peuple a besoin d’un tuteur, d’un gardien, d’un homme sûr ».
Qui est donc ce « Faqih » et qu’elles sont ses caractéristiques ?
Le Faqih c’est le « Vénérable »
Le seul fait d’étudier la Loi Divine et de se consacrer à sa propagation élève le faqih au dessus des communs des mortels. C’est le « âlem » (savant..), celui qui a étudié le Coran, les traditions (Hadith), la théologie, les principes (Ousul) et leur application (Furû’), le droit religieux (Fiqh) et toutes les autres disciplines en rapport avec la religion. Il connaît tout ou presque et à ce titre on lui doit le respect.
Le faqih doit être juste (âdel), probe et équitable dans ses jugements. Il est la « sommité ».
Mais aucun faqih ne peut avoir le pas sur les autres, ni désigner ou démettre un autre faqih. La hiérarchie n’existe pas entre eux.
Cette règle pratique définissant les rapports entre faqihs complémentée par la reconnaissance populaire de la « Vénérabilité » du faqih et la pratique de la « dissimulation », permettent au chiisme sa cohésion autour de ses principes de base et donnent à l’ensemble des faqihs une consistance de « corps dominant ».
Le Faqih c’est le « Mujtahid »
Le « Mujtahid » c’est celui qui pratique l’ »Ijtihad ». L’Ijtihad c’est l’étude critique, la discussion indépendante des « racines » de la Révélation Coranique. C’est l’effort créateur d’élaboration doctrinale.
Alors que chez les Sunnites l’ère de l’Ijtihad est révolue et que depuis le 13e siècle, 4 écoles se partagent la direction de l’orthodoxie islamique, et qui sont reconnues et acceptées comme canoniques, l’Ecole Hanafite, l’Ecole Malikite, l’Ecole Shafi’ite et l’Ecole Hanbalite ; les Chiites, quant à eux, ont toujours recours au principe de l’Ijtihad pour faire face aux problèmes nouveaux.
Bien que, ce principe, il faut le rappeler, ne se développa dans le Chiisme qu’assez tardivement.
En effet, au temps des Douze Imâms, et jusqu’à la grande occultation, le besoin du recours à l’Ijtihad ne s’était point fait sentir puisque les Imâms, chacun dans son temps, et de par le statut spécial dont ils jouissaient, étaient considérés comme sources des traditions islamiques : en fait, les Imâms eux-mêmes étaient les « Mujtahid » de leur temps.
L’Ijtihad chez les Chiites : Historique
Ce n’est qu’au début de la grande occultation que l’ouverture de la « porte » de l’Ijtihad va avoir lieu.
Cette période coïncide avec la domination indirecte des Buyides (Chiites Iraniens) sur le Califat Abbasside (945).
Le vide politique et religieux laissé par la rupture totale des relations du Mahdi avec sa communauté, était ainsi comblé par la prédominance des Buyides sur le plan politique.
C’est le temps où le principe fondamental de l’Imamât est élaboré avec des grands théologiens.
C’est l’âge d’or de la littérature duodécimaine.
Le second essor de l’Ijtihad se situe dans les dernières années du califat Abbasside et le début de l’invasion Mongole qui profita énormément aux Chiites duodécimains (Vers 1250).
Cette période de pré renaissance est caractérisée par la critique acerbe du Sunnisme par un Chiisme désormais dégagé de l’obligation de ménager un Califat effondré.
Mais la véritable renaissance chiite se situe au début du 16e siècle avec la dynastie chiite des Safavides qui régna sur l’Iran et sur une partie de l’Irak.
Les Mujtahids jouissaient d’une véritable vénération. Le pouvoir temporel des Safavides avait besoin du pouvoir spirituel représenté par les Faqihs.
Dans la période qui va des Safavides aux Qâdjârs (1736-1779) l’Ecole Akhbârî qui rejetait le recours au « Aql » et à l’ »Ijma’a » prédomina l’Iran. Elle rejetait l’Ijtihad.
En opposition s’était développé l’Ecole Osûli qui elle défendait le droit des ulémas à l’Ijtihad. C’est Mohammed Baquar BAHBAHANI (m.1803) qui réfuta définitivement l’Ecole Akhbârî et réhabilita le principe de l’Ijtihad dans le Chiisme jusqu’à nos jours.
C’est au sein de l’Ecole Osûli que se développa la thèse selon laquelle, en l’absence de l’Imam, tout Chiite ne pouvant pratiquer lui-même l’Ijtihad, se doit de choisir un « modèle à imiter » (Marja’a al Taqlid).
Il doit suivre les règles de la Charia ( Furu’al-din), la pratique des dévotions (Ibâdat) et les solutions juridiques de la vie quotidienne selon l’avis du Mujtahed (Faqih) qu’il considère le plus juste et le plus savant (Alem) . Le Mujtahed étant reconnu comme tel par un consensus (Ijma’).
De la nécessité de la « Wilayat al Faqih »
Le raisonnement de l’Ayatollah Khomeiny est très simple :
Le Prophète Mohammed a non seulement communiqué à l’humanité le message divin mais il a aussi jeté les fondements du gouvernement islamique, véritable garant de l’application de la Loi.
L’Islam est à la fois temporel et spirituel.
Après le Prophète Mohammed ce sont les douze Imâms qui auraient dû avoir la lourde charge de ce gouvernement.
Avec la Grande Occultation du Mahdi, c’est faire injure à Dieu et à l’Islam que d’accepter que la Loi ne soit plus appliquée sur terre.
Le droit et le devoir d’exercer le gouvernement islamique incombent donc au Faqih seul pendant la grande occultation.
Le Faqih est donc en quelque sorte le vice Imam, et de ce fait investi de tous les pouvoirs de l’Imam.
Il faut remarquer que quand l’Ayatollah Khomeiny précise que lorsqu’on dit après l’occultation le Faqih héritera du gouvernement du Prophète et des Imams, cela ne signifie pas que le rang des Faqih sera aussi élevé que celui du Prophète ou des Imams, il s’agit uniquement de fonction et non de rang.
L’Ayatollah Khomeiny résume les caractéristiques du pouvoir du Faqih en ces mots :
« Seul le Faqih juste est en mesure d’appliquer les lois, d’établir les principes islamiques, d’administrer les peines et les châtiments, de veiller aux frontières et à l’intégrité territoriale de la communauté musulmane, bref d’être le magistrat suprême du gouvernement, comme le Prophète, il peut établir les principes islamiques et appliquer les lois ».
Il apparaît donc que le Faqih se doit d’exercer tous les pouvoirs sans exception : le pouvoir législatif, le pouvoir juridique, le pouvoir militaire..
Les autres solutions
A part la Wilayat al Faqih, solution originale comme nous venons de le voir, du problème de la vacance de pouvoir chiite pendant la période d’occultation, on peut succinctement citer deux autres solutions proposées :
1) La marginalisation politique du Faqih qui consiste à séparer les affaires spirituelles du pouvoir temporel. Elle revient à restreindre le champ d’action du Faqih aux affaires « purement » religieuses.
Pour les défenseurs de cette solution, seul le pouvoir de l’Imam est parfait, et que durant la période d’occultation tout pouvoir est nécessairement imparfait.
Ils appellent donc le Faqih et le peuple à observer une attitude de résignation raisonnée vis-à-vis des pouvoirs établis à condition qu’ils ne soient pas « trop mauvais » et de désintéressement politique en attendant le règne de la justice universelle avec la réapparition du Mahdi.
Cette solution a servi non pas pour légitimer le pouvoir impérial des Pahlavi mais du moins, pour le faire reconnaître de facto par le Faqih et le peuple.
2) La seconde solution consiste à reconnaître au Faqih ses droits politiques et religieux sans pour autant admettre la nécessité de sa souveraineté absolue sur le pouvoir.
Cette solution a été adoptée pendant la période du règne des Safavides.
Source: – Jean-Marc ARACTINGI et Christian LOCHON : Secrets initiatiques en Islam et rituels maçonniques; l’Harmattan, 2008
- Le pouvoir islamique aujourd’hui et demain (mémoire)
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