Réflexions sur le Prologue de Jean 28 mars, 2021
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaire31 octobre 2020
Réflexions sur le Prologue de Jean.
En loge, la Bible est placée sur le plateau du Vénérable, ouverte à la page du Prologue de Jean. L’équerre et le compas la recouvrent. Elle est le symbole d’une tradition immémoriale qui dicta nos règles de vie et notre morale collective.
La présence de la Bible est confirmée par les rituels les plus anciens. L’évangile de Jean est un livre capital de la spiritualité chrétienne. Le caractère ésotérique de ses écrits le distingue des évangiles dits synoptiques. Très tôt au sein de la première diaspora, les adeptes de Jean se voulaient les gardiens de la part cachée de la tradition par opposition aux tenants de l’Eglise de Pierre exotérique et dogmatique.
Si un certain nombre de loges maçonniques s’intitulent « Loges de St Jean », la raison est peut-être due à cette particularité. La F.M. se plaça sous le patronage des deux St Jean. Le baptiste est considéré comme le précurseur et l’initiateur, Jean l’évangéliste, lui, nous appelle à nous ouvrir aux mystères de la vie de l’Esprit.
PUBLICITÉ
Pour ma part, je remercie la franc-maçonnerie qui me l’a fait redécouvrir, car depuis de nombreuses années, Jean l’évangéliste est devenu mon « Maître ». Je prends donc le parti d’exprimer mon ressenti de franc-maçon-chrétien. Comme un viatique, ce prologue qui lui est attribué traduit l’essentiel de ma démarche maçonnique.
Par contre c’est une tâche délicate que d’aborder ces sujets devant des Sœurs et Frères de sensibilités hétérogènes.
Le Prologue – 1/18 – « Pro-logos » (avant le discours) ; c’est avant tout un hymne au LOGOS qui condense la pensée de Jean. Il emploie un langage poétique car il n’y a pas de mot qui sache exprimer de façon adéquate sa pensée. C’est un langage allusif qui indique quelques directions, quelques indices orientés pour qui a le désir de s’y aventurer. « La poésie n’est pas un jeu mais un moyen de haute connaissance » disait Henri Bosco.
Le cadre historique
En quelques versets (1/18), Jean nous plonge dans un espace-temps qui se contracte pour nous projeter dans la fulgurance d’une rencontre qui va changer le monde : nous sommes dans ces temps instables et anxiogènes où la culture vétérotestamentaire était battue en brèche par les occupations grecques puis romaines et les nombreuses invasions qui l’ont précédée.
De ce fait, au sein de ce peuple qui souffre et s’interroge, la résurgence de l’idée d’un sauveur que l’on pourrait dire « miraculeux », un Messie roi, « fils de David » qui viendrait libérer Israël du joug de l’occupant se fait de plus en plus prégnante. Mais le profil de cet envoyé de Dieu reste flou; en effet de qui parle-t-on ? D’un messie prêtre ? D’un messie chef des armées ?
L’évangile de Jean vient interrompre ce temps d’incertitude : il fallut l’apparition de Jésus/Yeshoua sur les bords du Jourdain pour que le rideau se lève dévoilant un paysage inattendu. En effet, comme le décrit Jean, il est au-delà des schémas habituels : ce n’est pas un messie davidique au sens où on l’entend, il fuit ceux qui veulent le faire roi et proclame devant Pilate que sa royauté est d’en haut… C’est évidemment incompréhensible pour qui l’entend.
Tel que je le perçois, Jean prend le prétexte de la rencontre de Jean Baptiste et de Jésus-Yeshoua qu’il décrit comme capitale, comme un basculement : nous sommes à la croisée des chemins, au point de jonction de la Première Alliance abrahamique, l’ancien monde et l’Avènement d’une Nouvelle Alliance qui porte en elle le concept d’Amour et de Vie éternelle et cette Nouvelle alliance, Jean va clairement l’identifier à une personne : Yeshoua, l’Unique de Dieu. Le Logos divin préexistant qui se manifeste au sein du monde.
Pour Jean, le message de Yechoua/Jésus, commence véritablement ce jour-là, au bord du Jourdain. Cette histoire s’inscrit dans l’histoire universelle… comme l’image d’un grouillement improbable et une Présence, une présence « discrète et irradiante ». Jean nous convie à nous approcher de ces textes avec audace, à les scruter, à nous ouvrir à l’appréhension des mystères, il nous fait entrer, en présence d’une « Altérité que ni l’intellect ni le cœur ne peut contenir ». Ces écrits sont, pour moi, comme une épiphanie…
Ceci traduit ma quête essentielle, et tout ce vers quoi je tends. Jean me donne à entrevoir tout un contenu qui n’est pas explicitement signifié. Il m’apprend à voir « au-delà » et avec une plus juste mesure… C’est, pour moi, la mise en état de regard avec cette Présence qui rencontre mon désir de sens et m’invite à une aventure… comme Yeshoua le dit simplement à Jean et son ami André qui lui demandaient : « Où demeures-tu », ils voulaient dire « Dis-nous ta vraie nature ». Il répond simplement : « Venez et voyez… ».
Avant d’étudier ce message transmis par Jean:
Qui était-il ce Jean, ce « disciple bien-aimé » auteur du quatrième évangile ?
Un personnage historique : Johannes – homme savant du clan Cohen ? ou Jean, fils de Zébédée, l’Apôtre, frère de Jacques ? Ou une figure symbolique, l’archétype du disciple idéal ?
A-t-il été écrit en grec ou en araméen ? Les conjectures abondent et qu’importe de ne pas savoir exactement qui il était, cela nous montre d’ailleurs le degré d’humilité et de retrait qui l’habitait.
Innombrables sont les figures de Jean. L’Église chrétienne a remplacé le culte romain de Janus par celui des deux saints Jean en plaçant leurs fêtes aux dates des solstices. Jean le Baptiste ouvre la porte estivale et annonce le cycle d’obscuration. Jean l’Évangéliste ouvre la porte hivernale et annonce le cycle d’illumination. L’évangéliste rapporte lui-même dans son évangile les paroles du Baptiste « Il faut que lui grandisse et que je décroisse ». Elles croisent ces belles paroles de François Cheng : « Vraie Lumière, celle qui jaillit de la Nuit » … « Vraie Nuit, celle d’où jaillit la Lumière ».
Ces fêtes sont restées présentes dans l’univers de la franc-maçonnerie, comme lente et sage respiration que rythment nos banquets d’ordre, notre fête solsticiale et les rites de notre année maçonnique. J’aime la figure sur les tableaux des loges des deux tangentes de part et d’autre du cercle avec son point de centre : le dernier des prophètes de l’ancienne alliance et le premier des témoins de la nouvelle alliance qui touchent au plus près la « figure » du Logos.
Pour de nombreux francs-maçons (je cite Hubert Greven Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France), je cite « Jean fut un prodigieux médium, son évangile est essentiellement ésotérique… L’ésotérisme des écrits de Jean fait comprendre au mieux, en le faisant murir, le fond commun et traditionnel de toutes les religions… C’est un bâtisseur du Temple dont il présente les dimensions à l’échelle universelle, participant au Cosmos. L’Homme est comme un dieu en devenir. Son message a pour but de dégager l’homme de son état strictement humain, de rendre effective la capacité qu’il possède d’accéder aux états supérieurs. » Jean est le patron des francs-maçons et des Templiers.
Il poursuit : « Peut-on considérer que l’évangile de Jean n’est que réflexions analogiques, intuition et actions symboliques, attribuées à des personnes… on peut considérer que ces personnes ont existé, nier leur réalité historique ou les regarder comme des archétypes comportementaux, selon son intime conviction personnelle, et selon l’adage : « tout est symbole ? L’important est de s’attacher au cheminement initiatique évoqué par les textes »
Quant à René Guénon il suggère : « L’idée principale… est que l’Être a de multiples états dont l’espèce humaine ne fait qu’en occuper un, mais que de l’un à l’autre de ces états on peut s’élever par des actes volontaires de son esprit, par son activité psychique et intellectuelle jusqu’à parvenir sur ce plan à l’identité suprême… Pour cela il faut une initiation et des rites initiatiques. Dans les états mystiques au contraire, il est enseigné depuis Abraham, que l’on ne peut obtenir une certaine élévation que par la grâce de Dieu qui répond à un désir… ce qu’il appelle le mysticisme passif… ».
Mais pour un grand nombre d’exégètes, Jean était avant tout un théologien sublime à la fois gnostique et mystique. Toute son intelligence et son amour disent la manifestation de l’Être ; il s’est élevé très haut dans la contemplation de cette manifestation… son emblème est l’aigle qui, seul, s’élève, porté par le vent de l’esprit jusqu’au zénith.
La lecture que nous pouvons faire de ce prologue sera donc polysémique, elle peut être vue sous un angle ésotérique, théologique ou mystique. « Notre cerveau est un « organe de tâtonnements, ce serait lui faire injure que de lui imposer des certitudes ».
Et « Jean le Baptiste » : Qui était Iohanân ?
Il a été dit que Jean Baptiste avait été un adepte des communautés esséniennes. C’est une hypothèse plausible. Cette secte juive de stricte observance prêchait l’ascétisme et la repentance, l’immersion quotidienne et même le célibat.
Leur théologie était une gnose-dualiste et eschatologique, elle attendait et se préparait pour la fin des temps lors d’événements apocalyptiques décrits comme un gigantesque combat opposant les Fils de Lumière aux Fils de Ténèbres.
Deux Figures eschatologiques étaient donc attendues intensément par cette communauté : un Prophète qui devait annoncer la venue d’un Messie, et ce Messie à la fois sacerdotal et royal. « Mashia’h » en araméen, c’est celui qui a reçu l’onction (Samuel a consacré David). Mais en élargissant cette fonction à l’image du « Parakletos grec », c’est celui qui intercède, vient en aide ou console.
Jean le Baptiste semble s’inscrire dans cette mouvance. Il va se retirer dans le désert. Il prophétise et baptise. Il prêche le renoncement et la conversion, la redécouverte des fondamentaux de la religion… et devient Jean le Précurseur, une « figure » dans la vie religieuse et politique de ce pays, et les gens viennent à lui en grand nombre. Il est la voie qui crie : « Dans le désert déblayez, frayez les chemins du Seigneur ».
Appelé par Yeshoua « le plus grand parmi les fils de la femme », Fils de ce terreau qu’est notre humanité, il clôt le cycle des prophètes de la première Alliance. Il prêche la Téchouva… le retournement. Il est, pour nous francs-maçons, un initiateur. Cette figure est essentielle, elle nous incite au grand déblaiement de notre « moi », avant tout choix de vie pour cheminer vers la Lumière, car il s’agit bien là de traversée du désert, de dépouillement, d’abandon, de dé-sécurisation.
A ce vide nécessaire, comme la « table d’attente » en héraldique, répond, le « lâché prise », la vacuité totale d’esprit, d’âme et de corps qui nous est nécessaire pour accueillir l’Infini/ la conscience du « Soi », l’Axe de notre condition humaine.
En une longue suite de mutations Mort/résurrection/ Mort/résurrection, nous devons petit à petit nous détacher, mourir à nos attachements, accepter parfois de ne plus rien comprendre, comme notre père Abraham, mort à lui-même, devant son fils Isaac qu’il croyait devoir immoler. Longue et périlleuse est la route qui nous conduit à notre verticalisation.
Jean le baptiste est le Précurseur, témoin de la Lumière. Notre mission d’initiés est d’être nous-même des témoins de la Lumière.
Alors entrons dans le texte : nous avons parlé de Jean l’évangéliste, et nous avons évoqué sa rencontre avec Jésus / Yeschoua.
Verset 1 : Ce premier verset, on peut l’énoncer de différentes façons, issues de traducteurs, tous théologiens : « Au commencement était le verbe » , « Au commencement, le Logos, Le Logos est vers Dieu/Le Logos est Dieu », «Entête lui le Logos/ et le logos, lui pour Elohîms / et le logos, lui, Elohîms », « D’abord il y avait le Langage… », « Dans le principe, le verbe… » Enfin, « Au commencement était la Parole, la Parole était en compagnie de la Lumière, la Parole était la Lumière », cette dernière traduction de Hubert Greven pour qui « ces écrits sont essentiellement un message ésotérique qu’il faut décrypter ».
Nous pouvons en effet l’interpréter selon ce point de vue car « tout est symbole » et Jean, le poète, l’ami fidèle de Yeshoua, nous y invite, son évangile et particulièrement le prologue est, pour moi, un rougeoiement qui attend notre désir mêlé au souffle divin pour nous illuminer. Sa lecture nous demande de rester ouverts … « le vent, on ne sait d’où il vient, ni où il va… » comme une parole lancée, on ne sait pas où elle va aboutir.
Ce n’est donc pas à proprement parler de la « lecture comparée », mais plutôt une approche collégiale. C’est mon choix, mon interprétation en est une parmi d’autres. Il n’y a pas d’interprétation unique. Nous verrons que plus on approche et plus le sens se révèle infini en tant qu’il est inépuisable.
Ainsi Verset 1) : La première question qu’on ne peut éviter : « Au commencement… » Jean Yves Leloup (philosophe et théologien) nous invite à poser cette question fondamentale : « Au commencement de quoi ? et quel commencement ? Le commencement du monde, de cet espace-temps. Mais avant ce commencement ?… De rien, rien ne peut sortir ».
On se souvient du premier mot de la Genèse : Bereshit. André Chouraqui en bon exégète bibliste nous fait signe : avant le « beth » il y a « l’aleph », ce mystère qui est et qui nous dit qu’il y a quelque chose plutôt que rien.
Jean-Yves Leloup précise : « Il faut garder cette question ouverte car elle est fondamentale dans notre démarche de maçon : Connaître son origine, c’est connaître sa fin… ce pourquoi nous sommes faits. Elle me force à m’identifier : quel est le lieu d’où je viens ?… Car le commencement n’est pas à chercher hier, autrefois, mais ici et maintenant ». Qu’y a-t-il à l’origine de mes actes, à la source de mes pensées, de mes émotions, de mes sentiments ? A la source d’une pulsion, d’un cri, d’une angoisse ? ».
On rejoint la question de Jean et André : « Maître, d’où est-tu ?». On rejoint aussi, nous le verrons plus loin, l’analyse d’Annick de Souzenelle.
Si nous revenons au texte, en tout premier lieu, Jean nous invite à une réflexion : pour le premier verset, nous avons plusieurs traductions possibles.
Mais avant tout, première digression :
On parle là de Dieu, ou plutôt des noms des dieux, tous improbables …car comme le dit Sylvie Germain : « On a tous une certaine conception de Dieu, et selon le nom qu’on lui octroie, cela peut déterminer le sens d’une croyance ou d’un comportement ».
Il faut rappeler que, pour les croyants « Dieu n’existe pas, il n’est rien de ce qui existe, Il est Incréé… il n’appartient pas au règne des Etants… il n’est pas du monde. Il est « l’Incréé » d’où vient toute créature ».
Et les francs-maçons précisent que « Dieu n’a rien à voir avec les religieux, dieu est un nom qui s’applique à aucune chose en particulier, bien qu’il les concerne toutes singulièrement. Du fond de leur réalité finie, exprime leur commune appartenance à une totalité infinie. »
C’est ainsi que dans beaucoup d’ateliers il est nommé « Grand Architecte De L’Univers », (pour moi, c’est un vocable « technique ») c’est la « Sagesse divine ».
Au REP nous disons « Dieu » et parfois le « GADLU », les Juifs ne le prononcent pas, il est יהוה, ils l’appellent « Chaddaï » ou « Adonaï » ou « Eloïms ».
D’autres le nomment « l’Être », «la Lumière », « le Soi », « la Conscience ».
Les chrétiens disent « Yahvé » (c’est à mon avis une traduction hasardeuse), ou « Abbah /Père » comme l’appelle le Fils. D’autres enfin ne veulent pas nommer ce qu’ils rejettent comme irrecevable.
Quelques précisions : Quand Jean parle du « Père », c’est l’origine, le fondement…
Pour Hubert Greven, c’est le père spirituel, l’initiateur, le Maître.
Le Fils : « Être fils », c’est entretenir une relation d’intimité avec ce qui sans cesse nous fonde et nous « origine ». Pour Hubert Greven : « fils » c’est le disciple privilégié, l’Initié, le fils spirituel.
Et « l’Esprit » est la relation (pneuma / souffle) spirituelle. Relation de Présence-à-présence, présence du souffle humain au Souffle qui anime « tout ce qui vit et respire ».
Nous le voyons, autant de lectures et de sensibilités intéressantes. C’est la pluralité des lectures et leurs interprétations qui nous ouvrent à la connaissance de ce texte. Quant au LOGOS, j’ai retenu en premier lieu ce vocable pour la richesse d’interprétations qu’il offre :
« Logos », selon un helléniste italien, le professeur Morani, est un mot clé qui pourrait résumer à lui tout seul l’expérience culturelle des grecs anciens : « LOGOS signifie parole, pensée, rationalité, capacité de l’être humain de relier et développer ses propres pensées ». Il note que la signification originelle de Logos est le fait de parler, d’être en capacité de communiquer quelque chose de rationnel. Logos n’est pas simplement la parole, mais un mot qui exprime l’intelligibilité (intelligence, parole, verbe, information créatrice…).
Ainsi nous parlons du Logos qui est « Parole créatrice ». Pour les sémites, parole et évènement sont liés ; c’est la Parole (Dabar en hébreu) de Dieu qui crée. C’est le concept d’information : pour qu’une chose existe, elle a besoin d’être informée.
« Au commencement, à l’origine, » il y a donc cette Intelligence, cette « Parole créatrice » qui informe toutes choses, elle est « agir et réalisation ». Plus généralement la parole est « créatrice » au sens où elle donne du sens et crée de la relation.
Osons aller au-delà, « la Parole » engendre « l’écoute, le lien », elle donne vie à « la relation ». Dire (en 1) : « Au commencement : le Logos / Le logos est vers Dieu », c’est admettre et dire que ce qui est premier est de l’ordre de la « Relation » et qu’il y a « mouvement et orientation ». Et Jean ajoute que ce « Logos est Dieu », en nous disant cela, il nous informe que ce Logos contient tout Dieu. Et comme nous le dit Jean Grosjean : « Il contient la totalité de sa source. Il ne fait qu’un avec la lumière qu’il donne à contempler ». Il évoque là, en particulier « le mystère divin personnifié ». Je le cite : « Le Logos et le Théos sont distincts. Ils ne sont pas séparés. Ils ne sont pas confondus ou mélangés : ils sont Un… Entre l’aleph, l’inconnaissable et la création, il y a ce Logos ce « dialogue », qui pose la dualité et dans le même mouvement appelle et rend possible l’Unité… non l’unité indifférenciée ou fusionnelle, mais l’unité de relation. L’Unité n’est pas détruite par l’Altérité, l’Altérité n’est pas anéantie par l’Unité ».
Avec Jean, le regard plonge donc dans l’intime de l’Être. Nous entrons dans le mystère trinitaire.
Hubert Greven, lui parle de fusion : « La Parole était en compagnie de la Lumière, la Parole était la Lumière » Ceci revient à dire que la parole existe depuis l’origine du monde créé et accompagnait la Lumière. Tout a donc été fait par la Parole et par la Lumière… « la fusion de ces deux concepts implique un seul principe créateur qui est à la fois Parole et Lumière. » Ailleurs, il dit : La parole est dans la Lumière, et la Lumière se manifeste par la Parole, celle de la sagesse suprême, envoyée sur la terre pour y révéler les secrets de la volonté divine et c’est ce postulat, cette espérance qui fonde la quête du F.M. »
Annick de Souzenelle a une vision toute différente et passionnante que je tente de résumer : elle rejette le terme « au commencement » pour « Dans le Principe, le Verbe ». Cette traduction nous projette dans ce qu’Annick de Souzenelle appelle « le temps ontologique », qui n’est plus « le temps historique » composé du passé, présent et futur, c’est au contraire « l’instant » Hic et Nunc, qui nous relie au divin, c’est le « non temps » de l’éternité.
Dans le Principe est le Verbe qui nous habite, ici et maintenant : c’est le temps et le lieu de l’accompli et du non-accompli. Cet inaccompli qui verra son accomplissement au fur et à mesure des dimensions de conscience successives qui nous habitent et nous habiteront. C’est une réflexion fondamentale qui nous met, non pas au pied du mur, mais aux pieds de l’échelle de Jacob et des nombreux paliers qui nous attendent.
Puis Jean précise, il répète, et c’est un indice (en 2) : « Il est au commencement avec Dieu ». C’est la révélation que Jean nous livre : le dévoilement de l’Uni /Trinité de l’Être. Quand j’ai pris conscience de cela, ce fut, pour moi, libérateur, car cette unité n’a rien de statique. Tout est Mouvement / Relation et Vie...
Si l’on adopte cette révélation, il n’est plus question d’un Être solitaire et Omnipotent, mais d’une relation d’Amour. Pour Jean, l’Amour est avant tout le cœur et l’ADN de chaque chose. Il le dit plus loin (en 4) : « de tout être il est la vie… ». Lorsque rien n’existait à part l’Uni /Trinité de l’Être, il y avait donc l’Amour. Tout est contenu dans ce mot : mouvement/relation /vie.
Fidèle de Jean, j’ai donc cette intuition toute personnelle, que ma vie, ici et maintenant, est pétrie de cet Eternel qui me fait…. Il me constitue, il me structure. Il est « L’AMOUR qui tient toutes choses ensemble. Inouï et Irreprésentable ». Le Logos n’est plus un « objet de connaissance », « quelque chose à comprendre », mais le dévoilement d’une Présence qui s’offre à mon intuition, à ma liberté et m’introduit dans son mouvement « vers l’Infini / l’Altérité absolue et l’Inconnu d’où nous venons ».
(En verset 3) – « Tout existe par Lui – Sans Lui : rien ». Traduction au plus près : « Le tout, en Lui, sa genèse et rien n’a de genèse en dehors de lui ». Pour Jean-Yves Leloup : « Il importe de s’éprouver sans cesse en genèse, en voie de création. Nous ne sommes pas faits une fois pour toute. Le Logos est sans cesse à l’œuvre pour nous tenir hors du Néant ».
Et pour Jean Grosjean, je cite : « L’univers est tramé, tout le temps, par le mouvement même de la parole. Et comme on ne sait jamais où va aboutir une phrase, on ne sait pas non plus où va l’histoire du monde… » question !!
(En verset 4) – « De tout être, Il est la vie. La vie est la lumière des hommes. »
(En verset 5) - « La lumière luit dans les ténèbres, les ténèbres ne peuvent l’atteindre ».
Jean proclame que Logos est la vie de nos vies. Il contient l’univers et tous les univers possibles… tout être vivant est « demeure de l’infini/Réel ».
La lumière est par elle-même invisible, invisible au cœur même de tout ce qu’elle donne à voir ; cette Lumière incréée qui habite dans les profondeurs de l’être n’est pas accessible à l’esprit « sec », elle est d’une autre nature.
Cette gnose, ce Souffle, nous donne à voir le Logos dans tous les êtres. C’est faire l’expérience de la Transfiguration, c’est le symbole du mont Thabor. Nous devons donc tenter de percevoir le Logos qui anime toutes choses : si nous l’oublions, le monde devient profane à nos yeux, « profané », vidé de la présence qui l’habite, vidé de sa Lumière.
Pour Hubert Greven : « De même que le soleil illumine la route, de même la lumière (c’est-à-dire illumination) est ce qui éclaire le chemin divin : c’est le principe même de l’initiation. La lumière est symbole de vie aux ténèbres de la captivité (le profane prisonnier de ses passions) s’opposant à la lumière de la libération et du savoir. »
« La vie de l’Esprit fait sortir l’homme des ténèbres. La lumière de l’Esprit va lui permettre de s’ouvrir pour avoir la vision d’une autre réalité. C’est la source et le fondement de la Connaissance qui est symbole de ce qui éclaire la vie intérieure, de ce qui oriente. La véritable Lumière, c’est la Parole, l’ultime réalité qui est en « tout homme venant dans ce monde ». C’est un message qui demeure éternellement en accomplissement. »
(En verset 6) – « Paraît un homme, envoyé de Dieu – Iohanan est son nom ».
(En verset 7) – « Il vient comme Témoin pour rendre témoignage à la Lumière afin que tous y adhèrent »
(En verset 8) – « Il n’est pas la Lumière mais témoin de la lumière ».
Jean le Baptiseur est l’archétype de l’envoyé, l’apôtre, « l’Ad Verbum ». Il porte la Lumière et sa présence est pure capacité de l’Autre.
Jean le baptiste est nommé, il est l’envoyé de Dieu : être appelé par notre nom, est fondamental, au sens strict du terme. Quand Socrate nous dit : « Connais-toi toi-même », il nous invite à une introspection, soit, mais se « connaître soi-même », c’est se connaître comme individu, quand le soi est pris comme objet de connaissance ou d’investigation, on s’aperçoit qu’en vérité, on ne sait rien de soi, l’essentiel nous échappe. Mais si cette connaissance est vécue en une lente maturation, en toute humilité, par une attention toute intérieure à chacune de nos pensées, de nos silences, comme notre initiation doit être vécue et continue de l’être, on devient de plus en plus conscient de son souffle, de son axe et de ce qui nous entoure, conscient du Soi qui nous crée et constitue à chaque instant.
Car notre nom usuel n’est que nom substitué ; cette exigence d’identité demeure notre démarche fondamentale : rejoindre le tréfonds de nous-même pour nous placer dans l’axe du Très-Haut.
Exigence constante, comme l’est l’exigence de la transmission qui rejaillit à chaque étape de notre existence de Maître Maçon. A l’instar de Jean le Baptiste, notre mission d’initiés n’est-elle pas d’être nous-même des témoins de la Lumière pour que nos Frères humains soient eux-mêmes illuminés.
(En verset 9) – « Le Logos est Lumière véritable qui éclaire tout homme. »
(En verset 10) – « Il est dans le monde, le monde existe par lui, le monde ne le connaît pas. »
(En verset 11) – « Il vient chez les siens, les siens ne le reçoivent pas. »
Traduction de Hubert Greven : « La Parole était lumière, la vraie, celle à laquelle il appartient d’éclairer tout homme ; elle fit à ce moment son entrée dans le monde. »
Toute parole de vérité, quelle que soit son origine, est inspirée de l’Esprit.
Jean le baptiseur disait : « Il y a au milieu de vous quelqu’un que vous ne connaissez pas ».
Le monde est l’histoire des hommes, c’est ce que l’homme fait de l’Univers pour le meilleur et pour le pire, en harmonie avec le Logos qui l’anime ou au contraire contre Lui. Et Jean comprend qu’il n’y a pas de place pour l’Éternel dans notre temps, pas de place pour l’infini dans notre finitude.
Annick de Souzenelle nous le dit : « Le monde est comme dans un état « d’ignorance » (de non vision) qui n’est pas manque de savoir, mais oubli de l’Être, l’ignorance du Soi, à côté de ce qu’on est et de ce pour quoi on est fait vraiment, histoire purement horizontale, oublieuse de notre verticalité, de notre ouverture à la transcendance ». « Le monde extérieur est fait de compensations. Nous sommes dans l’archaïsme. Nous pratiquons un humanisme à l’horizontal avec les valeurs de l’exil. Adam se croit devenir Dieu, il se croit accompli. Il a perdu conscience de son être intérieur. Nous n’avons que notre identité biologique. » Il s’agit alors de retrouver notre dimension ontologique : « Être dans le monde, sans être du monde ».
Le LOGOS s’incarne toujours aussi difficilement. L’homme n’est jamais « forcé » de croire ou d’accepter l’amour qui le constitue et qui lui offre une absolue liberté… C’est certainement un concept des plus difficiles à accepter, difficile à y adhérer.
(En verset 12) – « A tous ceux qui le reçoivent, à ceux qui croient en son Nom, Il donne d’être Enfants de Dieu ».
(En verset 13) – « Engendrés ni du sang, ni de la chair, ni d’un vouloir d’homme mais de Dieu ».
De verset en verset, Jean nous conduits à nous ouvrir à cet exhaussement, ceux qui se font « capacité », le Logos les investit « Shema Israël… ». L’Ecoute conduit à la « fiance ». Croire en son Nom, c’est adhérer au dynamisme de vie, d’intelligence et d’Amour qu’il signifie, c’est devenir « enfant de Dieu » et ceux-là entrent dans une nouvelle dimension. Ils sont « d’ailleurs », ils sont « nés d’en haut, ainsi nait l’homme nouveau ! ».
Et comme le suggère Hubert Greven : « Lorsqu’il reçoit la lumière, l’Apprenti, mort aux séductions du monde phénoménal et des « demeures » profanes, entre dans la demeure initiatique, dans la voie de la Connaissance. De profane (hors de Temple), il devient initié (celui qui commence). Pénétrant dans le sanctuaire, il voit se dévoiler les mystères sacrés, s’ouvrir les seuils jadis interdits, éblouissants de lumière ». Nous sommes à la recherche de la Parole perdue, c’est une aventure (intérieure) spirituelle initiatique. La quête de perfectionnement ».
(En verset 14) – « Le Logos a pris chair. Il a fait sa demeure parmi nous ». Le logos a fait sa genèse dans la chair (humanité corps et âme). « Et nous avons contemplé sa gloire, la gloire de l’Unique du Père, plein de grâce et de vérité. »
Le Logos nous a rejoints dans notre « histoire » en venant nous dire Dieu dans une « vie humaine ». L’Eternel est entré dans le temps. La matière est ici sanctifiée comme demeure du Logos/ Dieu.
Ce corps humain fragile abrite la Présence Divine et l’information qu’elle contient. Comme le dit Jean Grosjean, le poète : « Il a dressé sa tente de nomade parmi nous. Il campe, il est de passage, le temps de dire et de manifester aux hommes l’Amour dont ils sont aimés dès l’Origine. Depuis Abraham l’installation n’est pas notre nature, nous sommes des passants, nous sommes tissés de temps, notre vie est un mouvement imprévisible, le mouvement même du langage qui est venu en personne partager nos déplacements incertains ».
(En verset 15) – « Iohanan lui rend témoignage. Il crie : Voici celui dont j’ai dit : lui qui vient derrière moi est passé devant moi, parce qu’avant moi, Il était ».
Nous connaissons bien cet appel en Franc-Maçonnerie : « Il faut que je décroisse pour que lui grandisse ». Qui a des oreilles, entende !
(En verset 16) – « De sa Plénitude, nous avons tout reçu, et grâce sur grâce ».
(En verset 17) – « La Thora nous a été donnée par Moshé. La Grâce et la Vérité nous sont venues par Ieschoua, le Messie. »
On peut avancer cette explication : la grâce de la création en genèse, puis la grâce de la Thora par Moïse, enfin la grâce de la filiation.
Jésus incarne la Thora, l’éclaire du dedans en la vivant comme une expression de l’Amour. Il nous révèle que nos actes n’ont de valeur que par la liberté et l’amour qu’on y introduit. C’est ce qui leur donne leur « poids » de gloire.
Leloup : (En verset 18) – « Nul n’a jamais vu Dieu. Le Fils unique qui demeure au sein du Père, Lui, nous le fait connaître ». On ne connaît Dieu que par son Logos. Personne n’a jamais vu Dieu. Le propre de Dieu est d’être inconnaissable. Le Logos est son Unique, ce Fils est le seul à connaître sa source. Cet Unique est entièrement dans le secret du Père puisqu’il en est l’expression parfaite.
Ieshoua ne dit pas : « J’ai la vérité », mais « Je suis la vérité ». Par-là, Jean affirme que Jésus est Vérité de Dieu et Vérité de l’homme, sans confusion, sans séparation. Il nous invite à changer de regard, à voir toutes choses enveloppées d’Invisible. Il nous montre que la moindre virgule d’humanité contient en secret le Nom Divin, fait à la fois d’intériorité et d’extériorité. Il nous oriente avec Lui sur le chemin de l’existence vers « le Père ».
Voilà, avec Jean, je vous ai dit mon angle de lecture. Je suis sur le chemin… un chemin initiatique que je découvre à chaque instant. Tout l’évangile de Jean dira que l’œuvre du Logos dans le monde sera de rendre à l’homme Son Esprit (pneuma), son BON sens, tourné vers le Père/Origine et le restituer dans sa dimension de Fils. Ce sera en soi une invitation au retour dans cette intimité, qui est participation à la vie Trinitaire, à la vie intérieure de Dieu.
« Présence de l’infini dans les corps et le souffle fragile que nous sommes ».
« Que demandez-vous, mon frère ? La Lumière ! »
M.°.L.°. - R.°.L.°. « Le Chardon Ecossais » à l’O.°. de Besançon.
Auteurs cités :
Hubert GREVEN – Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France.
ORDO AB CHAO : Réflexions dur l’enseignement de St Jean.
Allocations faites en qualité de Ministre d’Etat, Grand Orateur du Suprême Conseil de France à l’occasion de la St Jean d’hiver de décembre 1989.
Jean-Yves LELOUP : Ecrivain, psychologue et philosophe, théologien orthodoxe. Fondateur de l’Institut pour la rencontre et l’étude des civilisations et du Collège international des thérapeutes. Il a donné des traductions et des interprétations innovantes de l’évangile, des Épitres et de l’apocalypse de Jean, ainsi que des évangiles considérés comme apocryphes (Philippe, Marie, Thomas).
André CHOURAQUI : (1917 en Algérie /+ 2007 à Jérusalem) Ecrivain, penseur, homme politique, traducteur et commentateur de la Bible, (hébraïque et évangiles).
Jean GROJEAN (1912 / +2006) Ecrivain, poète, philosophe et exégète . Traducteur et commentateur de la Bible, de l’évangile et de l’Apocalypse de Jean et du Coran.
Ami de Malraux, Jean Grosjean participa à l’aventure NRF (éditions et revue) en tant que lecteur et éditeur, aux côtés de Claude Gallimard, Raymond Queneau et J.M.G. Le Clézio notamment.
Annick de SOUZENELLE : née le 4 Novembre 1922. Infirmière anesthésiste pendant 15 ans, elle a suivi une formation Jungienne de psychothérapeute puis fait des études de théologie chrétienne orthodoxe et d’Hébreu biblique. Depuis 40 ans elle est écrivain et conférencière. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages de spiritualité. Sa recherche s’inspire de la spiritualité cabaliste. Citons « Le symbolisme du corps humain ».
SOURCE : https://ecossaisdesaintjean.over-blog.com/
Protégé : Le silence – 2°- 27 mars, 2021
Posté par hiram3330 dans : Bleu,Chaine d'union,Contribution , Saisissez votre mot de passe pour accéder aux commentaires.Protégé : Un cri – 1°- 26 mars, 2021
Posté par hiram3330 dans : Bleu,Chaine d'union,Contribution , Saisissez votre mot de passe pour accéder aux commentaires.Protégé : « Vous ne prendrez pas les mots pour des idées et vous vous efforcerez toujours de découvrir l’idée sous le symbole. » – 4°- 25 mars, 2021
Posté par hiram3330 dans : Chaine d'union,Contribution,Perfection.... , Saisissez votre mot de passe pour accéder aux commentaires.Protégé : LE PETIT PRINCE – 1°- 24 mars, 2021
Posté par hiram3330 dans : Bleu,Chaine d'union,Contribution , Saisissez votre mot de passe pour accéder aux commentaires.Protégé : Les Secrets du Grade de Maître – 3°- 23 mars, 2021
Posté par hiram3330 dans : Bleu,Chaine d'union,Contribution , Saisissez votre mot de passe pour accéder aux commentaires.Protégé : « Voyages et découverte(s) » – 2°- 22 mars, 2021
Posté par hiram3330 dans : Bleu,Chaine d'union,Contribution , Saisissez votre mot de passe pour accéder aux commentaires.GNOSE du 18ème siècle 21 mars, 2021
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireGNOSE du 18ème siècle
Sous le titre La Tradition secrète des mystiques est publié ici le texte majeur de Fénelon sur le quiétisme, resté inédit de son vivant et aujourd’hui encore quasi inconnu.
Emouvant par sa spontanéité et son enthousiasme, ce texte dont le manuscrit est intitulé Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie dit tout le bonheur de Fénelon de trouver dans ce vénérable Père grec canonisé par l’Eglise (150-215) un frère dans l’expérience mystique.
Conservé aux Archives de Saint-Sulpice, le manuscrit de ce texte est signalé comme œuvre de Fénelon dès le 18E s.
Accompagné d’une longue introduction du bossuétiste le jésuite Paul Dudon, il a été publié pour la première fois en 1930 dans la savante collection des Études de Théologie Historique.
Il nous a semblé pour cette première édition destinée au grand public que le titre original ne correspondait nullement au contenu de l’œuvre et surtout risquait d’induire gravement en erreur le lecteur d’aujourd’hui sur l’intention de son auteur.
Car le mot « gnostique » a pris de nos jours un sens technique étroit, qui désigne précisément des sectaires qui vivaient aux premiers siècles.
D’où le choix que nous avons fait du titre La Tradition secrète des mystiques, inspiré à la fois du titre du chapitre 16 (« La gnose est fondée sur une tradition secrète ») et du titre de la réfutation de Bossuet (La Tradition des nouveaux mystiques).
Eté 1694 : Fénelon a quarante-trois ans, il est précepteur du Dauphin et protégé de Bossuet. Mais depuis six ans, il a fait la connaissance de Madame Guyon, qui a bouleversé sa vie en l’introduisant dans la vie mystique. Le groupe dont elle assume la direction spirituelle comprend des Grands de la Cour et des filles de Saint-Cyr.
On les qualifie de « quiétistes ».
Madame de Maintenon et Bossuet vont remettre de l’ordre :
Madame Guyon est soumise à un contrôle concernant ses opinions et ses mœurs.
Fénelon et Madame Guyon passent l’été à chercher dans les écrits reconnus par l’église la confirmation de leur expérience personnelle, dans l’espoir de « faire taire tous ceux qui osent parler sans expérience d’un don de Dieu ».
Ils collationnent des milliers de pages, qui conduiront aux Justifications signées par Madame Guyon et, pour Fénelon, au Gnostique de Clément d’Alexandrie.
Fénelon veut démontrer que les « nouveaux mystiques » s’inscrivent dans une très ancienne et authentique tradition chrétienne qui part des Pères grecs et va jusqu’aux nouveaux mystiques en passant par Tauler, Jean de la Croix et François de Sales.
Pour cela il remonte le plus loin possible dans le temps et retrouve une tradition apostolique reliée par filiation à Jésus-Christ. Sous la plume de Clément d’Alexandrie il retrouve tous les thèmes chers à Madame Guyon, dont le pivot est le pur amour.
Le gnosticisme a débuté dès l’origine.
Un grand nombre des Pères de l’Église ont pensé que le gnosticisme a été fondé par Simon Magnus, le magicien Samaritain, qui s’est converti au christianisme (Actes 8.9-24).
Quelques experts contemporains pensent que le gnosticisme a débuté peu de siècles avant le christianisme et ensuite l’a envahi de l’extérieur à travers la conversion au christianisme de gnostiques juifs et païens.
L’Esprit
Lors de sa rencontre avec la samaritaine Jésus déclare
L’heure vient et nous y sommes où les vrais adorateurs adoreront le père en Esprit et en vérité (Jn 4,23)
Le père vous donnera l’esprit de vérité 13,17
L’esprit saint vous enseignera tout 13,26
L’esprit est le maître de la connaissance.
La TRIQUETRA
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireLa TRIQUETRA
Un symbole multi facettes, beaucoup d’explications selon lesquelles elle peut être assimilée à plusieurs croyances … Il est des formes géométriques qui passent complètement inaperçues, mais qui recèlent en elles une richesse insoupçonnée, comme c’est le cas avec la triquetra (ou nœud de la Trinité).
C’est peut-être d’ailleurs pour cela, qu’elle a pu traverser le Temps jusqu’à nous ! La triquetra (du latin « tri » = trois et « quetrus » = pourvu de coins) est un symbole constitué de 3 amandes, parfois accompagnées d’un cercle intérieur.
Bien que ses origines soient inconnues, il a été trouvé sur des sites du patrimoine indien vieux de plus de 5 000 ans. Il a également été trouvé sur des pierres taillées dans le nord de l’Europe datant du VIIIème siècle et sur des pièces de monnaie germaniques anciennes. Le légendaire Livre de Kells , qui remonterait au début du IXe siècle, porte également le symbole de la Triquetra parmi ses autres illustrations décoratives.
C’est l’un des symboles les plus connus de la culture celtique. L’église celtique chrétienne l’utilisait pour représenter la Sainte Trinité, mais d’autres cultures utilisaient aussi le symbole et chacune y attachait un sens propre. Les triquetras sont très fréquemment accompagnées d’un cercle qui traverse les trois boucles, mettant l’emphase sur l’unité des trois éléments.
Le cercle est synonyme de protection, car un cercle ne peut être brisé. Il affirme aussi cette unité spirituelle que génère naturellement le 3, et que l’on retrouve partout comme la mère, le père et l’enfant; les 3 couleurs primaires; le plus, le moins et le neutre…
Côté géométrie, la version profane de la Triquetra est celle de 3 Vesica Piscis qui s’entrecroisent. Mais il existe d’autres versions beaucoup plus élaborées, qui mettent en évidence que ce symbole universel est beaucoup plus riche que l’on croit ! La Triquetra non profane a aussi comme caractéristique d’être élaborée à partir d’une quadrature entre un cercle et un carré. Cette figure emblématique de la Géométrie Sacrée représente la rencontre harmonieuse entre l’Esprit (le cercle) et la Matière (le carré). Une base comme celle-ci rajoute encore un peu plus au rayonnement de cette Triquetra ! Enfin, cette image montre la présence d’un Triangle Divin sur chacun des 3 axes. Un Triangle Divin se distingue par la présence du Nombre d’Or. Une autre façon de représenter le principe ternaire et de renforcer le potentiel de cette Triquetra !
Comme vous le voyez, cette figure emblématique de la culture celte est riche d’enseignements
La Franc-maçonnerie, entre cité céleste et cité terrestre : divisions et équilibrages internes au sujet du théisme, de la religion et des questions sociétales
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaire- 3 Barat, Michel, La Conversion du regard, Paris, Albin Michel, 1992, p. 48.
Michel Barat3 (ancien Grand Maître de la grande Loge de France)
1Nulle organisation ne témoigne mieux que la Franc-maçonnerie, peut-être, des aspirations religieuses de l’homme moderne, mais également du paradoxal mouvement d’écartèlement et de recouvrement entre Dieu et le siècle qui marque aujourd’hui la société occidentale, comme nous allons le montrer dans cette étude.
2Nous mettrons ainsi en évidence la dimension religieuse de cette société initiatique, qui ne saurait pourtant être considérée elle-même comme une religion : d’abord parce que la quête spirituelle qu’elle propose et le sacré dont elle entoure ses rites ne renvoient pas à un culte, dans la mesure où elle se veut a-dogmatique ; ensuite parce que la question de la croyance en un Être Suprême et de l’évocation du Grand Architecte de l’Univers au sein des loges ne cesse de diviser les différentes obédiences.
3Puis nous soulignerons l’engagement sociopolitique de nombreux francs-maçons, désireux de faire évoluer les lois de la République et de défendre les principes de la laïcité, en accord avec la devise maçonnique qui exhorte les initiés à travailler « au progrès de l’humanité ». Or c’est bien dans cette tentative d’équilibrage entre la construction de la cité céleste et l’édification de la cité terrestre, constitutive d’une philosophie résolument médiatrice, que réside l’originalité – mais aussi la complexité – de la démarche maçonnique.
La dimension religieuse de la Franc-maçonnerie : fonction reliante et présence du sacré
4La Franc-maçonnerie, qui se présente comme une société « secrète » ou « discrète », une association « philosophique et philanthropique », ne peut être considérée comme une religion, dans la mesure où elle est ne professe pas de dogme et ne pratique pas de culte. Loin d’inculquer des vérités révélées, elle propose une mise sur la voie (« initium »), un enseignement (au sens originel de « montrer le signe ») via un système de symboles que chaque adepte doit s’efforcer d’interpréter personnellement par un incessant travail herméneutique, et plus profondément une démarche initiatique ancrée dans un rituel.
- 4 La Franc-maçonnerie est « une véritable ecclesia dans le sens d’union fraternelle, la seule religi (…)
- 5 Bolle de Bal, Marcel, La Franc-maçonnerie, porte du devenir. Un Laboratoire de reliances, Paris, D (…)
5Cependant, la Franc-maçonnerie a affirmé une véritable dimension religieuse dès sa création, en 1717, suite à la fusion de quatre loges londoniennes et à la formation de la Grande Loge Unie d’Angleterre : d’abord en faisant référence à Dieu, et plus tard au Grand Architecte de l’Univers (dont on retrouve le symbole dans les temples maçonniques, à travers le « Delta lumineux » doté de « l’œil qui voit tout »), ensuite en privilégiant la construction d’un lien social, à travers la fameuse « fraternité » maçonnique4. Elle est donc bien ce « laboratoire de reliances » que décrit le sociologue et franc-maçon belge Marcel Bolle de Bal5, s’efforçant de tisser une médiation tant verticale qu’horizontale, en accord avec l’étymologie du mot « religion », issu du latin « religare », signifiant « relier ».
- 6 Meslin, Michel, « Religion, sacré et mythe », Actes du colloque de Paris, Centre Ravel, 24-26 octr (…)
6Michel Meslin, en effet, relevant le changement de sens que le mot religion a connu au IVe siècle, sous Constantin et sous Lactance (et qui, après avoir longtemps désigné un ensemble de traditions et de croyances propres à une société humaine, finit par indiquer la vénération que les hommes portent à un Être suprême), souligne fort justement à ce propos : « on aurait tort, je pense, de voir dans ces deux sources étymologiques « une duplicité originaire de la religion » comme l’affirme Jacques Derrida. Je dirais volontiers qu’il s’agit d’un complément de sens : une religion fonde des liens entre des hommes et des femmes qui partagent une même croyance et, en même temps, elle est un lien vertical entre ces humains et le(s) dieu(x) qu’ils vénèrent ».6
- 7 Debray, Régis, Vie et mort de l’image. Une histoire du regard en Occident, Paris, Gallimard, 1989, (…)
- 8 Durand, Gilbert, L’Imagination symbolique, Paris, PUF, 1964, pp. 12-18.
7Plus largement, ce désir de reliance verticale / horizontale, qui se double d’une volonté de conciliation entre le transcendant et l’immanent, le céleste et le terrestre, s’exprime à travers le système symbolique qui soutient toute la démarche maçonnique. Or, la médiation horizontale à laquelle procède la pensée symbolique est évoquée par l’étymologie même du mot « symbole », qui provient du grec « sumbolon », lui-même lié au verbe « sumballein » signifiant « réunir, rassembler ». De fait, le symbole désignait initialement une pièce de terre cuite brisée en deux, et destinée à être réunie ultérieurement par des amis, des familles ou leurs descendants lors de retrouvailles. L’aspect social et communicationnel y est clairement manifeste, le symbole étant un signe de reconnaissance, une concrétisation matérielle des rapports de confiance établis, et visant à réparer une séparation. Aussi Régis Debray rapproche-t-il les notions de symbolisation et de fraternisation : « symbolique et fraternel sont synonymes : on ne fraternise pas sans quelque chose à partager, on ne symbolise pas sans unir ce qui était étranger. L’antonyme exact du symbole, en grec, c’est le diable : celui qui sépare. Dia-bolique est tout ce qui divise, sym-bolique est tout ce qui rapproche »7. Parallèlement, le symbole tisse une médiation verticale, réunissant l’idéel et le matériel, puisqu’il est « le message immanent d’une transcendance », ou encore une « reconduction du sensible, du figuré au signifié, mais en plus il est par la nature même du signifié inaccessible, épiphanie, c’est-à-dire apparition, par et dans le signifiant, de l’indicible », ainsi que le souligne Gilbert Durand8.
- 9 Ferré, Jean, La Franc-maçonnerie et le sacré, Paris, Dervy, 2004.
- 10 Etienne, Bruno, L’Initiation, Paris, Dervy, 2002.
8Enfin, la Franc-maçonnerie se rapproche de la religion par les rapports intrinsèques qu’elle entretient avec le sacré9. Les adeptes travaillent dans un espace-temps distinct de celui du monde profane, « de midi à minuit », dans une enceinte réservée à cet effet, appelée « temple ». Comme la plupart des institutions religieuses, d’ailleurs, l’institution maçonnique a élaboré son propre calendrier, qui fonctionne avec 4000 ans d’avance par rapport au calendrier chrétien : ainsi l’année civile 2011 correspond-elle, pour les francs maçons, à l’année maçonnique 6011. Elle possède ses propres mythes (le mythe d’Hiram, notamment), et fonctionne selon des rituels particuliers (Rite Écossais Ancien et Accepté, Rite Écossais Rectifié, Rite Émulation…). Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que le processus initiatique dans lequel s’engage tout franc-maçon est censé aboutir à une « métanoia » ou conversion totale de l’être, comme le note Bruno Etienne10, démarche proche de ceux qui s’engagent en religion.
- 11 Agulhon, Maurice, Pénitents et francs-maçons dans l’ancienne Provence. Essai sur la sociabilité mé (…)
- 12 Cambacérès et Joseph de Maistre, par exemple, possédaient une double affiliation, étant tout à la (…)
9Les recherches menées par l’historien Maurice Agulhon11 peuvent nous éclairer sur la complexité des relations que les loges maçonniques entretiennent vis-à-vis de la sphère religieuse. La loge, en effet, possède un caractère mixte, dans la mesure où elle offre une sacralité qui ne se confond pas toutefois avec celle qu’offre la religion. Agulhon a montré les points communs qui existent, dans la région provençale du XVIIIe siècle, entre les confréries religieuses et les confréries associationnistes, au rang desquelles figure la Franc-maçonnerie : un même esprit d’entraide spirituelle et de fraternité anime ces deux types de structures, au point que nombre de membres de la première catégorie (les notables surtout12) vont déserter progressivement leur institution d’accueil pour intégrer les secondes vers la fin de l’Ancien Régime. Si ce passage des associations religieuses aux associations maçonniques a pu se faire aussi facilement, c’est précisément parce qu’il existe des éléments de continuité entre elles, autant que des éléments de divergence. Agulhon voit dans les loges maçonniques un mouvement de déchristianisation qui conserve néanmoins un sentiment religieux.
La question théiste au cœur des dissensions internes et les rapports conflictuels de la Franc-maçonnerie avec l’Eglise
10En plein siècle des Lumières donc, tandis que nombre de philosophes combattent une foi jugée obscurantiste afin de placer la raison prétendue toute-puissante et éclairante au centre d’un mouvement d’émancipation humaine, la Franc-maçonnerie met la religiosité au cœur de son fonctionnement. A l’issue de leur initiation, les néophytes prêtent serment de garder le silence sur les secrets de leur communauté d’accueil en jurant sur les trois Grandes lumières de la Franc-maçonnerie, qui ne sont autre que l’équerre, le compas et le Volume de la loi sacrée, c’est-à-dire la Bible. James Anderson et Jean Théophile Désaguliers introduisent d’ailleurs la notion de « religion naturelle » dans les célèbres Constitutions, parues en 1723 et qui constituent la charte fondatrice de la Franc-maçonnerie puisqu’elles en fixent l’histoire officielle, les principes et modes de fonctionnement.
- 13 Négrier, Patrick, L’éclectisme maçonnique, Bagnolet, éditions Ivoire-Clair, 2003.
- 14 Dachez, Roger, Histoire de la Franc-maçonnerie Française, PUF, collection « Que sais-je ? », 2003.
- 15 En France la Grande Loge Nationale Française est l’une des représentantes de la branche traditionn (…)
11Mais très vite, cette religiosité va être l’objet de vives dissensions au sein de la jeune institution. Dès le milieu du XVIIIe siècle, une querelle oppose les obédiences, notamment à propos de la place qu’il convient d’accorder à la croyance en Dieu et en l’immortalité de l’âme au sein des loges. Certaines d’entre elles sont résolument théistes, d’autres sont simplement déistes, ces deux types d’obédiences formant une branche que l’on pourrait qualifier de traditionnelle. D’autres encore, qui reçoivent la désapprobation de la branche traditionnelle, constituent un courant libéral en acceptant d’initier des agnostiques et des athées13. Cette querelle se transforme en un véritable schisme en 1877 (lorsque le Grand Orient de France, de mouvance libérale, supprime l’obligation pour ses membres de croire en Dieu, puis les références rituelles faites au Grand Architecte de l’Univers14, et se trouve alors ostracisée par la plupart des obédiences anglo-saxonnes d’inspiration traditionnelle), et se poursuit aujourd’hui.15
- 16 On trouvera une publication des différentes versions des Constitutions d’Anderson dans l’ouvrage d (…)
12Ainsi, si la Grande Loge Unie d’Angleterre affirme que les francs-maçons placés sous sa juridiction « doivent croire en un Être Suprême », dans le troisième de ses huit principes de base, remaniés en 1989, les obédiences qui se réfèrent aux Constitutions d’Anderson, adoptent une position plus tolérante, en accord avec le texte du pasteur presbytérien qui déclare : « Bien que dans les temps anciens les maçons étaient tenus dans chaque pays de pratiquer la religion de ce pays, quelle qu’elle fût, il est maintenant considéré plus expédient de seulement les astreindre à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord, c’est-à-dire à être hommes de bien et loyaux, ou homme d’honneur et de probité, quelles que soient les dénominations ou confessions qui aident à les distinguer »16. Enfin, une obédience comme le Grand Orient de France stipule dans l’article premier de sa Constitution de 1877 que la Franc-maçonnerie « a pour principes la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine. Elle n’exclut personne pour ses croyances ».
- 17 Boutin, Pierre, La Franc-maçonnerie, l’Eglise et la modernité : les enjeux institutionnels du conf (…)
- 18 Cité par Beaurepaire, Pierre-Yves, « Le temple maçonnique », Socio-anthropologie, n° 17-18, 2006.
- 19 Porset, Charles, et Révauger, Cécile, Franc-maçonnerie et religions dans l’Europe des Lumières, Pa (…)
13Si les rapports de la Franc-maçonnerie avec la religion sont sources de dissensions internes, la problématique se révèle encore plus complexe si l’on considère les relations qu’entretiennent l’institution maçonnique et l’Église. A partir de 1738, et pendant près de deux siècles, en effet, l’Église condamna la Franc-maçonnerie, allant jusqu’à interdire à ses prêtres l’initiation maçonnique17. Ainsi l’évêque de Marseille, Mgr de Belzunce, grande figure de l’épiscopat français, condamna-t-il sans appel les conventicules maçonniques dans un mandement de 1742, où il fustigea ces « assemblées où sont indifféremment reçus gens de toute nation, de toute religion et de tout État »18. Selon Charles Porset et Cécile Révauger, cette attitude de l’Église catholique serait due à sa crainte d’être concurrencée par une association faisant référence à une religion naturelle, libérée des dogmes, et proche, dans son esprit, de l’idéologie protestante19.
- 20 Vindé, François, L’Affaire des fiches. 1900-1904 : chronique d’un scandale, Paris, éditions Univer (…)
- 21 Chevallier, Pierre, Histoire de la Franc-maçonnerie française, tome 3, « La Maçonnerie, Église de (…)
14La Franc-maçonnerie libérale, à son tour, combattit le cléricalisme dans des pays comme la France à partir des XIXe et XXe siècles, comme le prouve l’affaire des fiches qui éclata avec le général André et la complicité du Grand Orient de France, sous le gouvernement Combes, et visait à éradiquer les tendances conservatrices de l’armée20. Cet attachement au républicanisme fit dire à l’historien et maçonnologue Pierre Chevallier que la Franc-maçonnerie devint « l’Eglise invisible de la République »21. En 1905, enfin, de nombreuses obédiences participèrent à réaliser la séparation de l’Église et de l’État.
Un fort engagement social et politique : les francs-maçons dans la cité terrestre
- 22 Gayot, Gérard, La Franc-maçonnerie française. Textes et pratiques (XVIIIe-XIXe siècles), Paris, Ga (…)
15Si la question religieuse a préoccupé les francs-maçons dès les débuts de la Franc-maçonnerie, les questions sociales ont aussi été l’objet d’une attention majeure à partir du XVIIIe siècle. Bien avant la Révolution française, l’institution maçonnique affirma le principe d’égalité entre les hommes (représenté symboliquement par cet outil rituel qu’est le « niveau »), ce qui ne manqua d’ailleurs pas de faire scandale sous l’Ancien régime, foncièrement inégalitaire, ainsi que le fait remarquer l’historien Gérard Gayot en s’appuyant sur des témoignages d’époque22. Nombre d’aristocrates, en effet, voyaient d’un mauvais œil ces ateliers où de grands seigneurs abandonnaient le privilège de leur rang en fraternisant avec des roturiers. Cet intérêt pour les problématiques sociopolitiques s’est mué en un véritable engagement dans le siècle, même si cela est surtout vrai pour la Franc-maçonnerie libérale et irrégulière, la Franc-maçonnerie anglo-saxonne, traditionnelle et régulière, restant davantage tournée vers les thématiques spirituelles.
16En France, l’attachement des francs-maçons – majoritairement libéraux à l’exclusion de ceux qui œuvrent au sein de la GLNF – aux lois de la République est attesté depuis très longtemps, et nombre d’entre eux se sont illustrés dans ce sens : Lazare Carnot et Jules Ferry, fervents défenseurs de la laïcité et partisans d’une éducation égalitaire, accessible à tous, Victor Schoelcher, qui réalisa l’abolition de l’esclavage, ou encore Félix Faure, Camille Pelletan, Léon Gambetta, Alexandre Millerand, Guy Mollet, Gaston Doumergue, Paul Ramadier… Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, on compte également des noms aussi célèbres que Winston Churchill, George Washington, Franklin Roosevelt, Théodore Roosevelt et Harry Truman. Au XXe siècle, en France, les francs-maçons ont œuvré dans le sens de la laïcité, défendu le projet de loi sur la contraception, participé à faire voter la loi Veil autorisant l’avortement ou encore la loi abolissant la peine de mort, aux côtés de Robert Badinter. Plus récemment, ils ont contribué au retrait du très controversé fichier Edvige, et tentent de faire progresser la législation autour de l’euthanasie et de la bioéthique, notamment.
- 23 Nom donné à des associations inter-obédientielles, qui regroupent des francs-maçons exerçant une m (…)
- 24 Henri Caillavet a élaboré des projets de loi sur l’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse), le (…)
- 25 Martin, Luis P., (dir.), Les Francs-maçons dans la cité. Les cultures politiques de la Franc-maçon (…)
- 26 Coignard, Sophie, Un Etat dans l’Etat. Le contre-pouvoir maçonnique, Paris, Albin Michel, 2009.
17L’exemple de la « fraternelle »23 parlementaire, créée en 1947 sous l’impulsion de l’ancien sénateur et député – initié au Grand Orient de France – Henri Caillavet, durant le mandat de Paul Ramadier, est à cet égard significatif24. Les élus du Sénat et de l’Assemblée Nationale, appartenant à diverses obédiences maçonniques, s’y retrouvent pour débattre des dossiers en cours et de diverses questions de société en s’efforçant de dépasser les clivages des partis. Tout cela atteste de la tradition d’engagement dans la cité qui est celle des francs-maçons depuis les origines25, tout du moins en France et en Belgique. Une tradition qui, associée à la fraternité et à l’esprit d’entraide maçonniques, peut d’ailleurs être source de dérives en tous genres26 (comme le prouvent les scandales politico-financiers qui secouèrent la région PACA vers la fin des années 1990, et que le Procureur de la République au Tribunal de Grande instance de Nice, Eric de Montgolfier, s’efforça de combattre), lesquelles font le bonheur des grands hebdomadaires et de leurs marronniers. D’où le préjugé, largement répandu, selon lequel la Franc-maçonnerie se réduirait à n’être qu’un réseau affairiste destiné à servir les intérêts personnels de quelques individus cupides.
Une tentative d’équilibrage : vers la réalisation utopienne des « noces chimiques du ciel et de la terre »…
- 27 Jean Verdun a mis en évidence cette bipolarité de la démarche maçonnique, allant jusqu’à intituler (…)
18Pour autant, cet engagement politique et social est censé être complémentaire avec le développement spirituel des initiés. La progression des adeptes dans leur quête intérieure, en effet, doit idéalement les amener à transformer leur comportement au sein de la société. Car si le travail de l’initié prend naissance dans l’enceinte sacrée, où s’élabore la réflexion et où se cherche la sagesse, il se prolonge et s’actualise naturellement dans le monde profane, comme en atteste ce passage du Rite Écossais Ancien et Accepté, invitant chaque franc-maçon à « poursuivre au-dehors l’œuvre commencée dans le Temple ». Inversement, l’amélioration de la vie matérielle doit favoriser l’épanouissement personnel des adeptes.27
- 28 Plantagenet, Edouard, Causeries initiatiques pour le travail en chambre de compagnons, Paris, Derv (…)
- 29 Mollier, Pierre, La Chevalerie maçonnique : Franc-maçonnerie, imaginaire chevaleresque et légende (…)
- 30 Vierne, Simone, Les Mythes de la Franc-maçonnerie, Paris, Véga, 2008, pp. 122-123.
19Considérations temporelles et spirituelles sont donc dialectiquement imbriquées, pour la plupart des obédiences francophones, et témoignent de l’influence profonde et durable que la tradition alchimique, qui s’efforçait de réconcilier l’esprit et la matière en opérant les « noces chimiques du ciel et de la terre » par un phénomène de transmutation, possède sur les francs-maçons. Le système ternaire des « frères trois points » (triangle, trois pas de l’Apprenti, trois colonnes baptisées « Sagesse », « Force » et « Beauté », trois Grande Lumières de la Franc-maçonnerie…), n’est d’ailleurs pas sans rappeler les principes de base des alchimistes, qui prétendaient réunir le Soufre igné et le Mercure aqueux via un troisième terme, le Sel. L’analyse que l’initié Edouard Plantagenet effectue au sujet de la conversion maçonnique est nettement imprégnée de cette pratique alchimique, puisqu’il précise que « cette tâche s’accomplit en « spiritualisant la matière » au premier degré de l’Initiation, en « matérialisant l’esprit » au second et, enfin, en unifiant la matière et l’esprit au troisième »28. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la symbolique maçonnique des hauts grades s’inspire également des traditions templière et chevaleresque29, les moines-soldats et membres de ces ordres étant animés par des motivations tant profanes que spirituelles30.
- 31 Mannheim, Karl, Idéologie et Utopie, Paris, Marcel Rivière, 1956.
- 32 Le désir d’ordre, en effet, est une constante des organisations utopiennes. En outre, on retrouve (…)
- 33 A ce sujet, voir Beaurepaire, Pierre-Yves, La République universelle des francs-maçons. De Newton (…)
20On peut même percevoir dans la voie maçonnique une ambition utopienne, visant à réaliser la cité céleste sur terre, dans la mesure où elle entreprend de parfaire la condition humaine. Le caractère « protestataire » que Karl Mannheim identifie comme étant au fondement de l’utopie31 (à l’inverse de l’idéologie qu’il décrit comme un outil de conservation du pouvoir aux mains des classes dominantes), en effet, est bien présent dans l’institution maçonnique, qui s’efforce de changer la nature des choses. Il s’exprime notamment à travers l’initiation, qui prétend faire du profane un « nouvel homme » qui renaît après avoir connu une mort symbolique, ou encore à travers la devise maçonnique Ordo ab chao, qui entreprend de faire advenir l’ordre à partir du désordre32. Enfin, on peut aussi en trouver la trace dans le désir de dépasser les clivages idéologiques, religieux et politiques, et d’unir les hommes autour de valeurs communes. La Franc-maçonnerie, en effet, éprise d’universalisme, entend bien offrir à ceux qui se considèrent « citoyens du monde » une institution cosmopolite33, un langage symbolique anté-babélien, capable de transcender les particularismes nationaux. Elle est ce « centre de l’Union » évoqué par les Constitutions d’Anderson, qui permet de réunir par une » véritable amitié, des personnes qui eussent dû rester perpétuellement séparées »…
21Une obédience comme l’Ordre Maçonnique Mixte International le Droit Humain, qui rassemble plus de 27 000 membres de par le monde, tente explicitement de concilier approches symboliques et spirituelles d’une part, approches sociales d’autre part, en faisant « plancher » annuellement ses adeptes sur des questions relevant de ces deux thématiques. Très attachée à la laïcité, elle est également tournée vers des considérations proches de celles que les religions développent, certains de ses adeptes s’engageant dans une démarche méliorative que l’on pourrait qualifier de sotériologique.
- 34 Tel est le cas, par exemple, à la loge Nostra Delta, sise à Salon de Provence.
- 35 Pozarnik, Alain, A la lumière de l’acacia. Du profane à la maîtrise, Paris, Dervy, 2000, p. 35.
22Cette tentative d’équilibrage entre deux postures que les philosophes des Lumières tendaient à considérer comme antinomiques (tradition et modernité, symbolisme et conceptualisme, foi et raison, ésotérisme et exotérisme…), traduit une volonté de ré-enchanter un monde désenchanté – selon l’analyse weberienne – par l’affaiblissement des idéologies transcendantes et des référents métaphysiques, sans toutefois sacrifier aux idées de progrès et de liberté que la société moderne a mises en exergue. Dans certains ateliers du Droit humain34, l’ouverture et la fermeture des travaux par le Vénérable Maître se fait d’ailleurs selon la mention significative suivante : « Au Progrès de l’Humanité et / ou à la Gloire du Grand Architecte de l’univers »… Si la franc-maçonnerie est un idéal, elle se veut donc un idéal incarné. Alain Pozarnik, ancien Grand Maître de la Grande Loge de France, affirme ainsi qu’ « il y a deux plans, deux niveaux de vie, l’homme peut choisir l’un ou l’autre, le matériel ou le spirituel, l’initié s’équilibre entre les deux, il vit à la fois le ciel et la terre »35.
Notes
1 Roy, Jean-Philippe, « Théisme, déisme, adogmatisme, la Franc-maçonnerie. Une troisième voie pour sortir du clivage autonomie/hétéronomie ? », in La Pensée et les Hommes, n° 66, 2007.
2 Maffesoli, Michel, Eloge de la raison sensible, Paris, Grasset, 1996.
3 Barat, Michel, La Conversion du regard, Paris, Albin Michel, 1992, p. 48.
4 La Franc-maçonnerie est « une véritable ecclesia dans le sens d’union fraternelle, la seule religion dans le monde, si nous considérons le terme comme dérivé de « religare », puisqu’elle unit tous les hommes qui lui appartiennent comme des « frères », sans égard à leur race ni à leur foi » (Plantagenet, Edouard, Causeries initiatiques pour le travail en chambre du milieu, Paris, Dervy, 2001, p. 72).
5 Bolle de Bal, Marcel, La Franc-maçonnerie, porte du devenir. Un Laboratoire de reliances, Paris, Detrad, aVs, 1998.
6 Meslin, Michel, « Religion, sacré et mythe », Actes du colloque de Paris, Centre Ravel, 24-26 octrobre 2005 : les conditions d’un enseignement du fait religieux dans l’école française, publiés par l’ARELC, Bulletin de liaison, n° 20, 2007.
7 Debray, Régis, Vie et mort de l’image. Une histoire du regard en Occident, Paris, Gallimard, 1989, p. 82.
8 Durand, Gilbert, L’Imagination symbolique, Paris, PUF, 1964, pp. 12-18.
9 Ferré, Jean, La Franc-maçonnerie et le sacré, Paris, Dervy, 2004.
10 Etienne, Bruno, L’Initiation, Paris, Dervy, 2002.
11 Agulhon, Maurice, Pénitents et francs-maçons dans l’ancienne Provence. Essai sur la sociabilité méridionale, Paris, Fayard, 1968.
12 Cambacérès et Joseph de Maistre, par exemple, possédaient une double affiliation, étant tout à la fois pénitents et francs-maçons.
13 Négrier, Patrick, L’éclectisme maçonnique, Bagnolet, éditions Ivoire-Clair, 2003.
14 Dachez, Roger, Histoire de la Franc-maçonnerie Française, PUF, collection « Que sais-je ? », 2003.
15 En France la Grande Loge Nationale Française est l’une des représentantes de la branche traditionnelle, tandis que le Grand Orient de France incarne la mouvance la plus libérale.
16 On trouvera une publication des différentes versions des Constitutions d’Anderson dans l’ouvrage de Ferré, Jean, Histoire de la Franc-maçonnerie par les textes (1248-1782), Paris, éditions du Rocher, 2001.
17 Boutin, Pierre, La Franc-maçonnerie, l’Eglise et la modernité : les enjeux institutionnels du conflit, Paris, Desclée de Brouwer, 1998.
18 Cité par Beaurepaire, Pierre-Yves, « Le temple maçonnique », Socio-anthropologie, n° 17-18, 2006.
19 Porset, Charles, et Révauger, Cécile, Franc-maçonnerie et religions dans l’Europe des Lumières, Paris, Honoré Champion, 2006.
20 Vindé, François, L’Affaire des fiches. 1900-1904 : chronique d’un scandale, Paris, éditions Universitaires, 1989.
21 Chevallier, Pierre, Histoire de la Franc-maçonnerie française, tome 3, « La Maçonnerie, Église de la République : 1877-1944 », Paris, Fayard, 1975.
22 Gayot, Gérard, La Franc-maçonnerie française. Textes et pratiques (XVIIIe-XIXe siècles), Paris, Gallimard, 1991 (p. 125, pp. 153-177).
23 Nom donné à des associations inter-obédientielles, qui regroupent des francs-maçons exerçant une même profession.
24 Henri Caillavet a élaboré des projets de loi sur l’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse), le divorce par consentement mutuel, l’acharnement thérapeutique, les greffes d’organe ou encore la transsexualité, et participé à la création de la CNIL.
25 Martin, Luis P., (dir.), Les Francs-maçons dans la cité. Les cultures politiques de la Franc-maçonnerie en Europe, XIXe – XXe siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000.
26 Coignard, Sophie, Un Etat dans l’Etat. Le contre-pouvoir maçonnique, Paris, Albin Michel, 2009.
27 Jean Verdun a mis en évidence cette bipolarité de la démarche maçonnique, allant jusqu’à intituler un chapitre de son ouvrage La Réalité maçonnique « La Franc-maçonnerie, corps spirituel et corps social ».
28 Plantagenet, Edouard, Causeries initiatiques pour le travail en chambre de compagnons, Paris, Dervy, 1992.
29 Mollier, Pierre, La Chevalerie maçonnique : Franc-maçonnerie, imaginaire chevaleresque et légende templière au siècle des Lumières, Paris, Dervy, 2005.
30 Vierne, Simone, Les Mythes de la Franc-maçonnerie, Paris, Véga, 2008, pp. 122-123.
31 Mannheim, Karl, Idéologie et Utopie, Paris, Marcel Rivière, 1956.
32 Le désir d’ordre, en effet, est une constante des organisations utopiennes. En outre, on retrouve encore une fois l’influence de l’alchimie dans la devise maçonnique Ordo ab chao. Les alchimistes, en effet, possédaient une devise assez semblable (Solve et Coagula, qui signifiait que la materia prima dissoute se transformait ensuite en une substance ennoblie et solidifiée), et affirmaient donner naissance à l’Œuvre au Blanc à partir de l’Œuvre au Noir.
33 A ce sujet, voir Beaurepaire, Pierre-Yves, La République universelle des francs-maçons. De Newton à Metternich, Rennes, Ouest-France, 1999.
34 Tel est le cas, par exemple, à la loge Nostra Delta, sise à Salon de Provence.
35 Pozarnik, Alain, A la lumière de l’acacia. Du profane à la maîtrise, Paris, Dervy, 2000, p. 35.
References
Electronic reference
Céline Bryon-Portet, « La Franc-maçonnerie, entre cité céleste et cité terrestre : divisions et équilibrages internes au sujet du théisme, de la religion et des questions sociétales », Amnis [Online], 11 | 2012, Online since 10 September 2012, connection on 10 November 2019. URL : http://journals.openedition.org/amnis/1676 ; DOI : 10.4000/amnis.1676
Copyright
Amnis est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 4.0 International.