A savoir avant de dialoguer avec les « croyants » de tous ordres 5 mars, 2023
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , trackbackA savoir avant de dialoguer avec les « croyants » de tous ordres
Notre société se caractérise par des communautés affichant leurs croyances (de tous ordres) de manière non négociable, rendant tout dialogue impossible. Mais regardons de plus près.
Soyons honnêtes, si on avait la solution toute cuite, ça se saurait déjà. Plus modestement, l’objet de ce billet est de montrer quelques pistes.
Gérald Bronner exposait quelques premiers éléments dans son « déchéance de rationalité » . Il y relatait sa participation à l’initiative gouvernementale en faveur d’une déradicalisation de jeunes islamistes. Il indiquait que la prise de front des croyances affichées n’aboutissait qu’à des durcissements de positions.
Nos réseaux sociaux fourmillent de railleries à l’encontre de ceux qui prennent des positions complotistes ou anti-sciences, dont les lectures littérales des anciens textes religieux. Les rigolards mettent en avant que le respect est dû aux personnes, mais que toutes les idées peuvent être librement critiquées. Là encore, aucun résultat positif, hormis le bref plaisir du défoulement des auteurs des railleries, convaincus qu’ils sont d’être dans le « bon camp », celui du modernisme, de la science et de l’universalisme.
De tout cela on déduit que les « croyances » ont la peau bien dure.
On se dit que c’est sans doute parce qu’elles sont constitutives de l’identité des personnes concernées. Les croyances peuvent être vues comme le ciment qui relie les narratifs sur lesquels les personnes se construisent. Erodez ce ciment, et l’édifice de l’identité peut s’effondrer, d’où la défense acharnée qui les caractérise.
Delphine Horvilleur, dans son « Il n’y a pas de Ajar », enjoint à tous les humains de ne pas mettre tous leurs œufs identitaires dans un seul panier, à l’instar de Gary/Ajar. Ce message passera-t-il ?
En attendant, que faire ? Ménager les susceptibilités ne fonctionne pas non plus : la pureté n’ayant jamais de fin, vous reculerez sans cesse jusqu’à ce que la culture des susceptibles ne vous aie entièrement envahis.
C’est là que se place l’ouvrage du neuroscientifique Sébastian Dieguez « Croiver, ou pourquoi la croyance n’est pas ce qu’on croit ». Le livre relate que depuis bien longtemps les philosophes, sociologues, littéraires, et autres psychologues, ont repéré que sous le vocable de croyance se cachent des choses bien disparates. Et pourtant, c’est simple au départ : croire, c’est tenir pour vrai.
Au départ : croire, c’est tenir pour vrai.
Dans le cas de base d’une croyance, une affirmation est tenue pour vraie ; ex : « il me reste de quoi manger au frigo » . L’ensemble des croyances forme une espèce de carte du monde permettant de choisir les bonnes actions à effectuer. Si un élément d’information nouveau se présente, indiquant qu’une croyance est fausse, notre cerveau corrige automatiquement la donnée dans notre mémoire, et la croyance corrigée peut instantanément participer à nouveau au processus décisionnel. On dit que la croyance est sensible à la preuve . Autre caractéristique : la croyance que nous décrivons n’est pas porteuse de nos valeurs, et la corriger n’entraîne aucune révision déchirante de notre philosophie de vie. La personne est sincère et détendue avant comme après la correction.
Reportons nous maintenant sur une personne complotiste. Elle se met à clamer haut et fort des affirmations à contre-courant du flux des informations disponibles à tous et diffusées par les médias classiques. Lorsque des éléments de preuve même solides sont avancés à l’encontre de ces thèses, leur validité est rejetée sous des prétextes assez faibles . Inversement, ces personnes donnent l’impression d’avoir adopté des théories « prêtes à penser » récupérées sur un « marché de rationalisations » comme on en trouve sur tous les sites complotistes sur internet. Ces croyances-là sont des entités entièrement différentes des croyances évoquées plus haut, d’où le besoin de leur attribuer un nom différent : pourquoi pas croivance, ou crédence ?
Le caractère vrai ou faux de la croivance semble peu préoccuper l’individu.
Si la séparation sémantique croyance/croivance n’a pas encore été faite après tant d’années de sciences humaines, c’est parce que la croivance essaie de se faire passer pour une croyance. Et pourquoi donc ? Parce qu’en fait ce qui importe n’est pas le contenu de la croivance, mais le signal qu’elle lance à une communauté, par ses postures très visibles et ses affirmations volontiers outrancières. On est donc devant des engagements ou des professions de foi.
Toute tentative de changer la position du croivant, basée sur la véracité des affirmations, est vouée à l’échec et ne crée que des renforcements de la posture. Cela signifie que la mascarade « je crois sincèrement et très fort cette théorie » a réussi à duper…l’interlocuteur ou soi-même. Tout se passe comme si la croivance se défendait elle-même. Pour cela, elle consommera beaucoup d’énergie en réaffirmations et ritualisations, pour se blinder contre les attaques, y compris celles venant de la raison de l’individu porteur lui-même.
Devant la fréquence énorme de ce genre de comportements, on se dit que presque toute la société tourne autour de ces croivances, leur défense, les regroupements communautaires associés. Aurions-nous un besoin génétique de croiver, au-delà des bénéfices anxiolytiques que les sciences humaines ont trouvé aux religions ? Ou tout ne serait que simagrées afin d’échapper à la solitude en se faisant admettre dans un groupe puis agissant pour mériter d’y rester ?
En tous cas, devant un cas de croyance bruyamment manifestée, posons-nous la question des fonctions de ces affirmations : ne serait-ce pas avant tout un signal d’appartenance (ou d’opposition dans le cas des complotistes) ?
Et face à des attitudes bruyamment prosélytes et ne respectant pas nos critères de véracité et valeurs maçonniques, arrêtons de les railler car cela leur fournit des arguments pour une posture victimaire, elle-même justifiant leur agressivité.
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