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L’Atlantide de Platon 9 août, 2023
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireL’Atlantide de Platon
ArcanaAoût 8 |
– De la Mythologie moderne à l’Histoire antique —
La légende de l’Atlantide :
Cela fait presque 2 400 ans que l’histoire de l’Atlantide fascine et attire de nombreux érudits et passionnés, qui se penchent sur le sujet. La question centrale concerne la réalité ou la fiction de l’île légendaire, puis dans un second temps, se pose la question de sa localisation et de la datation de l’hypothétique civilisation perdue. Pour finir, viennent ensuite les questions sur sa nature, le cataclysme de sa disparition, ainsi que l’hypothétique héritage qu’elle aurait laissé ! L’auteur de cette histoire nous livre la description d’une île fabuleuse, d’une société utopique aux multiples richesses. Une civilisation bénie des dieux, mais qui sombre dans l’arrogance et devient belliqueuse, provoquant sa propre destruction, ayant provoqué la colère des dieux.
Avant de commencer toute recherche, la chose essentielle est de considérer qu’il existe (uniquement) deux sources primaires à cette légende, soit « le Timée et le Critias » du philosophe Platon, écrits au cours du 4e siècle av. J.-C. Dans un second temps, d’autres éléments seront rattachés à la légende littéraire de l’Atlantide, mais a posteriori, et nous analyserons les principaux. Enfin, je vous proposerai une théorie « que vous pourrez retrouver de façon complète dans mon ouvrage », concernant les mystères de l’Atlantide, en me basant sur le récit platonicien, l’histoire et la mythologie antique.
Au niveau des historiens et archéologues, le consensus actuel présente l’Atlantide comme un mythe complexe, élaboré par Platon, en tant qu’allégorie politique pour ses contemporains. Il existe une autre hypothèse largement discutée, qui ferait de la civilisation minoenne (-2000 à -1200) de l’île de Crète une inspiration à la légende de l’Atlantide de Platon. Cette deuxième proposition trouve sa source dans l’éruption du volcan de Santorin (-1628 et -1600) qui aurait servi de base à Platon pour illustrer la destruction de l’Atlantide. Néanmoins, notons que la civilisation minoenne ne fut pas détruite par l’éruption de Santorin, mais va perdurer plusieurs siècles.
Dans le monde de la recherche alternative, il existe pléthore d’hypothèses sur la nature et la localisation de l’île mystérieuse, de l’Antarctique à la mer Morte en passant par les Açores, les fonds marins de l’Atlantique ou même dans les étoiles, l’Atlantide se retrouve partout ! D’ailleurs, certains chercheurs lui prêtent une nature mondiale, il s’agirait alors d’une ancienne civilisation détruite par un cataclysme (type déluge) et dont les traces se retrouveraient dans les vestiges de plusieurs civilisations antiques. La date de l’Atlantide de 9 000 ans avant Solon, dans le texte, correspond sensiblement à la montée des eaux du Dryas récent (-18 000 à -8500). De fait, on présente l’Atlantide comme une civilisation planétaire en lui associant de nombreux sites archéologiques à travers le monde, malgré le fait que ces monuments soient de datation variable et de civilisations parfois bien identifiées.
Que faire avec tout cela ?
L’Atlantide, un mythe protéiforme :
L’île légendaire de Platon n’a pas attendu le 21e siècle pour fasciner, et voici ce que les chercheurs nous ont transmis au gré des siècles de recherche. Notez bien que toutes ces données sont postérieures à Platon. Cette liste de références est non exhaustive et a simplement pour but de présenter la chronologie de la recherche et son évolution progressive, aujourd’hui très éloignée de la présentation du philosophe antique.
Les contemporains de Platon n’ont pas tous adhéré à la réalité de l’Atlantide, notamment Aristote et Ératosthène, qui n’accordent aucune validité à la légende. Il s’agissait pour eux d’un conte philosophique présentant l’utopie d’une gloire passée et incitant à son retour, le tout en ciblant les Athéniens. Diodore de Sicile (1er siècle av. J.-C.) va tenter de compléter l’œuvre de Platon en proposant une représentation géographique de l’Atlantide, grâce aux descriptions du philosophe grec, et place cette hypothétique civilisation dans la Méditerranée occidentale, entre la Sicile et Gibraltar. Dans sa bibliothèque historique, il ajoute de nouvelles légendes, notamment celle de Myrina, une princesse Amazone qui combat les Atlantes. Strabon (-60 à 20) déclare que l’histoire ne doit pas être une simple fiction et doit reposer sur une base historique. Il ne valide pas pour autant l’intégralité et suggère simplement que certains éléments historiques ont pu l’inspirer.
Par la suite, durant la fin de l’Antiquité et le Moyen Âge, la légende de l’Atlantide tombe progressivement dans l’oubli avant d’être exhumée pendant la Renaissance, suite aux traductions des textes de Platon par Marsile Ficin (1433 à 1499). L’Atlantide devient une terre de légende, siège d’un antique royaume « utopique antédiluvien » que les humanistes de l’époque vont idéaliser comme un nouveau paradis perdu. C’est également à partir de là que la description de l’Atlantide se trouve associée au mythe du déluge, ce qui n’était pas spécifiquement le cas chez Platon, comme nous le verrons par la suite. Au 17e siècle, l’auteur Francis Bacon (1561 à 1626) va amplifier le mythe avec l’écriture de « La Nouvelle Atlantide », où il propose la vision d’une société utopique dirigée par des sages. L’engouement pour l’Atlantide n’était pas près de s’arrêter, et la découverte du Nouveau Monde allait offrir de nouvelles perspectives à la légende. De fait, des auteurs comme Bacon commencent à situer l’île à divers endroits de la planète, bien loin du champ de connaissance grec de l’Antiquité. De nombreuses cartes fantaisistes circulent, plaçant l’île perdue dans l’Atlantique. De la même façon, le mythe d’Hyperborée suit le même chemin d’évolution. Il ne faudra que quelques siècles pour qu’ils se rejoignent, fusionnent ou s’opposent, suivant les auteurs.
D’autres emplacements apparaîtront progressivement au gré des découvertes, notamment en Antarctique, à l’île de Pâques, etc.
Ce qui est important de prendre en compte à ce stade, c’est que chaque nouvelle terre devient une « Atlantide potentielle » et je vous fais le pari que lorsqu’une nouvelle planète sera identifiée dans un autre système solaire, je ne donne pas une semaine pour que quelqu’un émette l’hypothèse qu’il s’agisse de la « véritable Atlantide »…
Au début du 19e siècle, c’est Goethe qui va assimiler la légende de l’Atlantide avec la mythique Hyperborée. L’île perdue de Platon devient le berceau du romantisme germanique, image d’un passé glorieux qui va lourdement inspirer le mouvement « Völkisch » du XIXe siècle et plus tristement certains dignitaires nazis, comme Heinrich Himmler. Ce dernier va créer une organisation appelée l’Ahnenerbe qui avait notamment pour mission de retrouver la trace des anciens Germains et de l’Atlantide, au Tibet, en Islande, au Groenland, à Dogger Bank, etc.
À la fin du 19e siècle, plusieurs mythes concurrents vont se construire, comme le continent perdu de Mu par Augustus Le Plongeon et popularisé par James Churchward et ses hypothétiques tablettes Naacals. C’est aussi la légende de l’Agartha ou le monde souterrain qui va apparaître, mais dans un roman de Louis Jacolliot en 1873. Par la suite, ce récit de fiction sera repris comme une réalité par de nombreux auteurs, notamment René Guénon.
Aux portes du 20e siècle, l’Atlantide n’est plus qu’un mythe antédiluvien parmi d’autres. Parfois mis en concurrence, parfois fusionnant, aboutissant à de nombreuses hypothèses. La légende de Platon va s’ouvrir de nouvelles portes grâce aux mondes du New Âge. Sous la plume du médium Edgar Cayce, l’Atlantide devient une terre magique (évhémérisme) où aurait fleuri une brillante civilisation plus avancée spirituellement et technologiquement que la nôtre. Paul La Cour crée la société Atlantis quelques années avant la Seconde Guerre mondiale afin de percer le secret des Atlantes qu’il présente comme les détenteurs de la tradition primordiale chère à René Guénon.
Après la Seconde Guerre mondiale, les hypothèses sur l’Atlantide continuent de se multiplier, se marient et se divorcent alternativement des autres mythes antédiluviens. Mais le changement principal intervient avec l’apparition du néo-évhémérisme (Théorie des anciens astronautes) par plusieurs auteurs, notamment Robert Charroux ou Erich von Däniken. L’Atlantide se trouve maintenant dans les étoiles, c’est du moins le scénario de la série Stargate, dont le créateur du film d’origine, ainsi que de 10,000, Roland Emmerich, s’est basé sur le livre de Graham Hancock, L’empreinte des dieux, qui présente l’Atlantide comme une civilisation mondiale ayant donné naissance aux grandes civilisations antiques que nous connaissons (Sumer, Égypte, Inde, etc.).
Nous arrivons alors au cœur du problème. Ce n’est plus la réalité qui inspire la fiction, mais l’œuvre de fiction qui produit les nouvelles réflexions sur l’Atlantide, et nous sommes bien loin des textes de Platon. Aux portes du 21e siècle, l’Atlantide n’est plus une « civilisation perdue », mais un « label » que l’on impose à toute anomalie archéologique ou à tout fantasme idéologique afin de légitimer ses dires. L’Atlantide en Antarctique, en Chine, en Afrique subsaharienne, au Tibet, sur Sirius ou dans une autre dimension sont autant de propositions illégitimes au vu des simples données des deux textes d’origine (le Timée et le Critias), qui ne présentent aucune technologie extraterrestre ou même démesurément avancée par rapport aux connaissances de l’Antiquité grecque. Pas plus que de machines volantes, ni de portes des étoiles, ni de bombe nucléaire. Platon ne fait pas mention de connaissance mystique supérieure ni même de pouvoir psychique.
Le label Atlantide s’impose partout, à Yonaguni, à Teotihuacan, à Carnac, à l’île de Pâques et bien d’autres. Il ne s’agit pas pour nous de nier la complexité de l’histoire des civilisations, bien au contraire, il s’agit de leur redonner de la précision et une chronologie en se basant sur les sources et les données archéologiques. Or, la légende de Platon nous présente simplement une civilisation de la haute Antiquité, qu’elle soit réelle ou imaginaire, avec des rites, des descriptions, une localisation « précise en réalité » et une suite d’événements qu’il nous semble possible de décoder. Il ne s’agit pas d’invalidé la possibilité d’un événement type déluge, d’une civilisation bien établie avant la période classiquement admise, ou même de nier qu’il ait pu exister (et c’est même probable) des civilisations non encore découvertes ou du moins identifiées. Mais ces questions ont-elles un rapport avec l’Atlantide ?
Qui est Platon, l’inventeur de l’Atlantide :
Nous allons fermer la porte de la mythologie moderne pour ouvrir celle de l’histoire antique, et la première étape consiste à reprendre la recherche à sa base, à savoir les deux textes du philosophe Platon. C’est lui qui utilise le terme « Atlantide » pour la première fois, mais avant d’analyser « le Timée et le Critias », il nous faut apprendre à connaître l’auteur, ses motivations et objectifs, ainsi que les connaissances géographiques et historiques de son époque. Platon est né en 428 av. J.-C. dans la cité d’Athènes, pendant la période classique. Il a vécu la grande époque de la démocratie athénienne, mais également la période de troubles qui a suivi la guerre du Péloponnèse (431 à 404 av. J.-C.).
Sur le plan historique, à l’époque classique, la civilisation grecque est déjà répandue sur le pourtour méditerranéen, en Sicile, en Italie, en Afrique, en Espagne, en France et bien sûr dans les Balkans et l’Asie mineure. Outre la civilisation grecque, c’est l’âge d’or de la civilisation carthaginoise en Méditerranée occidentale, le déclin des Étrusques et la naissance de Rome en Italie, et l’expansion de la culture celtique en Gaule, tous en contact commercial avec les comptoirs grecs.
La cité d’Athènes, qui a vu naître Platon, vient de subir une lourde défaite contre Sparte, et ses désirs d’hégémonie s’effondrent, du moins sur le plan militaire. La ville a du mal à se redresser et plusieurs gouvernements se succèdent, provoquant une large instabilité dans la vie sociale et les mœurs des Athéniens qui rêvent de leurs gloires passées, ce que les philosophes tels que Platon se chargeront d’illustrer.
Sur le plan des idées, de grands philosophes ont précédé Platon et l’ont inspiré, tels que Pythagore, Parménide, Héraclite, mais aussi et surtout Socrate, qui fut son maître. La jeunesse du philosophe semble le diriger vers une vie politique, et il participe un certain temps à la vie de la cité, notamment lors du règne des Trente Tyrans (404 av. J.-C.). Révolté par la violence du gouvernement, il quitte la vie politique pour se consacrer à ses études de philosophie. Platon aurait voyagé en Égypte (bien que cela reste de l’ordre de l’hypothèse, car le témoignage de Plutarque est daté du 1er siècle de notre ère) et séjourné chez les prêtres d’Héliopolis. Par la suite, il se rend à Tarente en Italie, où il perfectionne sa pensée métaphysique et ses critiques politiques. Il passe également par Syracuse en Sicile, un élément qui nous semble déterminant pour notre sujet. Il est important de noter que les influences de Platon se retrouvent chez de nombreux philosophes d’Ionie (Asie Mineure). De fait, que Platon se soit réellement rendu en Égypte ou non n’a que peu d’importance, sachant que les philosophes ioniens des 6e et 5e siècles avaient, de leur côté, de nombreux liens avec la terre des Pharaons, mais aussi la Mésopotamie.
De retour dans sa ville natale, Platon fonde l’Académie en -387, sur le modèle des écoles pythagoriciennes, ce qui atteste une nouvelle fois de son lien avec l’Ionie et la pensée mystique du philosophe. Vingt ans plus tard, Platon laisse la direction de son académie et prend une nouvelle fois la route de la Sicile. Platon enseigne toujours la philosophie, mais ses idées lui posent quelques problèmes avec les autorités, ce qui était déjà le cas dans la ville d’Athènes et ce qui pourrait expliquer son départ.
Le philosophe se retrouve en cellule pendant un an, pour avoir proposé sa vision politique au Tyran de Syracuse (Denys le Jeune, 397 à 343 av. J.-C.), sans succès. À sa libération, il rentre dans la ville d’Athènes, mais reprendra une dernière fois la route de Syracuse en 360 av. J.-C., où il composera les œuvres « le Timée et le Critias ». Platon meurt dans la ville d’Athènes vers 348 av. J.-C.
Le plus connu des philosophes antiques a écrit de nombreux textes, mais seuls deux parlent de l’Atlantide. Un troisième texte, l’Hermocrate, devait terminer la série et raconter la guerre entre les Athéniens et les Atlantes, mais Platon n’aura pas le temps de l’écrire ou bien le texte sera perdu. Ce qu’il faut retenir de Platon, dans le cadre du sujet qui nous intéresse, c’est qu’il n’était pas historien. Un génie sans aucun doute, mais également un homme habité par les passions de son temps, un philosophe politicien qui transmet par ses écrits des concepts sociaux et moraux. Une bonne part des travaux de Platon concerne en effet la métaphysique, l’immortalité de l’âme et bien d’autres sujets passionnants, mais sans rapport avec l’histoire de l’île mythique.
Platon est le premier à écrire le mot « Atlantide ». De nombreux auteurs antiques suivront, mais toujours dans une tentative d’interprétation des textes de Platon.
Le mot « Atlante », en revanche, se retrouve précédemment. Il a été employé par Hérodote (480 à 425 av. J.-C.) pour parler des habitants de l’Atlas, un peuple semi-légendaire qu’il n’avait jamais vu, mais qui se trouvait aux confins du monde connu :
« Les habitants du pays disent que c’est une colonne du ciel. Ils ont pris de cette montagne le nom d’Atlantes »
– Hérodote, l’enquête Livre 4 —
Dans la bouche d’Hérodote, les Atlantes sont un peuple légendaire à l’image des Hyperboréens. Il ne parle à aucun moment des peuples berbères d’Afrique du Nord qu’il nomme « Libyens » de façon générique. De la même façon, l’océan « Atlantique » a pris ce nom en référence au pays des Atlantes d’Hérodote :
« Cette mer est une mer par elle-même, et n’a aucune communication avec l’autre ; car toute la mer où naviguent les Grecs, celle qui est au-delà des colonnes d’Hercule, qu’on appelle mer Atlantique. »
– Hérodote, l’enquête Livre 1 —
Platon est donc l’auteur du terme « Atlantide », qui pourrait se traduire par le pays des Atlantes, en référence au récit d’Hérodote, un peuple et un pays légendaires se trouvant aux confins du monde connu, sans plus de précision à ce stade.
À l’époque de l’écriture « du Timée et du Critias », Platon se trouve en Sicile et la Méditerranée occidentale est sous la domination quasi exclusive de Carthage sous la forme d’une thalassocratie. Une inspiration possible pour les descriptions de l’Atlantide ?
Pour finir le portrait de Platon, ce dernier était parfaitement au courant des connaissances historiques et géographiques du monde grec de son époque, comme nous l’avons vu, il connaît les travaux d’Hérodote (480 à 425 av. J.-C.) et ceux d’Hécatée de Milet (550 à 475 av. J.-C.). Il connaît l’existence des peuples de l’occident et de l’orient via ces auteurs (voir carte du monde d’Hérodote), mais connaît également les mythes fondateurs de la civilisation grecque, notamment celui du déluge de Deucalion qui fut raconté par Pindare (518 à 438 av. J.-C.):
« Je dirai donc qu’à cette époque, un déluge engloutit la terre sous la profondeur de ses ondes ; mais que bientôt les flots, refoulés au loin, rentrèrent dans les abîmes creusés par la puissante main de Zeus. »
– Pindare, Olympiques IX —
Or, un premier constat, Platon n’associe pas le mythe du déluge de Deucalion avec la submersion de l’Atlantide, ni même avec le déluge d’Oxygès ! Sans plus de précision, il pourrait s’agir de deux événements ou mythes distincts. De nos jours, le rattachement du mythe du déluge n’est d’ailleurs associé à la seule Atlantide, mais à la plupart des cités mythiques.
Alors maintenant, avant d’ouvrir les textes de Platon, faisons le point sur la situation historique qui précède l’écriture « du Timée et du Critias », mais sans oublier que nous devons la regarder avec les yeux de Platon et non pas les nôtres, avec nos connaissances historiques du 21e siècle.
Au 5e siècle av. J.-C. : les Grecs ont remporté les guerres médiques contre la Perse (490 à 479 av. J.-C.), la colonisation grecque s’est étendue sur les pourtours de la mer Noire, l’Asie Mineure et la Méditerranée occidentale, notamment les Phocéens qui ont bâti Massalia (Marseille) vers l’an 600 av. J.-C. ou encore les Corinthiens qui ont fondé Syracuse au 8e siècle av. J.-C.
Les Grecs sont en contact commercial et parfois en conflit avec les Étrusques d’Italie du Nord (que les Grecs nomment les Tyrrhéniens, Étrusques étant le mot latin) et les Carthaginois qui dominent l’Afrique du Nord, l’Italie, la Sardaigne, le sud de l’Espagne et une partie de la Sicile, mais surtout, ils contrôlent le détroit de Gibraltar que les Grecs nomment les colonnes d’Héraclès (chez Pindare et Hérodote), colonne d’Hercule chez les Romains et autrefois appelées les colonnes d’Atlas du temps d’Hésiode (8e siècle av. J.-C.).
C’est ainsi que nous allons nous concentrer sur la Méditerranée occidentale, où rappelons-le, Platon a passé de nombreuses années. Atlantide faisant directement référence à l’océan Atlantique, c’est en occident qu’il faut chercher.
Les Grecs de Syracuse vont combattre à plusieurs reprises les Carthaginois, à la bataille d’Himmère en 480 av. J.-C. et les Étrusques à la bataille de Cumes en 474 av. J.-C. Ils remportent de brillantes victoires, mais de nouveaux conflits ont lieu avec Carthage entre 410 et 340 av. J.-C. (Deuxième guerre gréco-punique). N’allons pas plus loin dans la chronologie historique, car c’est dans ce terreau que Platon a écrit la légende de l’Atlantide.
L’Atlantide du Timée et du Critias :
Ouvrons les textes afin d’analyser certains des points clés de cette énigme, cela nous permettra de les confronter aux données historiques et géographiques. La taille modeste de cet article ne nous permettra pas d’explorer l’intégralité des textes de Platon, nous tenterons néanmoins de donner les éléments essentiels qui faciliteront la lecture des autres. Concentrons-nous sur les questions fondamentales de l’Atlantide de Platon : les sources de la légende, les dates et la chronologie, la localisation des Atlantes, la guerre avec Athènes et la destruction de l’Atlantide.
La source et la date : Dans ses textes, Platon nous dit que la légende de l’Atlantide est authentique et que le récit lui vient de Solon (640 à 558 av. J.-C.) via Critias (460 à 403 av. J.-C.), ce qui, vous en conviendrez, nécessite au moins un autre intermédiaire entre les deux.
Solon aurait rapporté le récit depuis l’Égypte, grâce aux prêtres d’Héliopolis, et les événements se seraient déroulés 9 000 ans avant Solon :
« Avant tout, rappelons-nous qu’en somme il s’est écoulé neuf mille ans depuis la guerre qui, d’après les révélations des prêtres égyptiens, éclata entre les peuples qui habitaient au-dehors par-delà les colonnes d’Héraclès et tous ceux qui habitaient en deçà. »
– Critias —
Il est important de noter que les anciens Grecs n’avaient pas une grande connaissance des civilisations qui les ont précédés, notamment en ce qui concerne la civilisation mycénienne. Celle-ci a régné en Grèce de 1600 à 1200 av. J.-C., possédait une écriture appelée le linéaire B et a laissé de nombreux vestiges. Les auteurs grecs ne connaissaient les Mycéniens que sous l’aspect légendaire de la race des héros, que l’on retrouve dans la mythologie fondatrice (Thésée, Persée, Héraclès, la guerre de Troie, etc.).
La datation de 9000 ans avant Solon est donc très fragile pour un peuple qui n’a pas d’estimation sur ses ancêtres directs. Il est à noter que l’exagération des dates et des nombres était un trait courant dans la culture grecque de l’époque, notamment chez Hérodote qui présentait de nombreuses extravagances dans ses récits (du moins largement exagérées par rapport à la réalité archéologique, notamment sur le chantier de Gizeh ou les hauteurs des murailles de Babylone, où il multipliait la réalité par dix).
La date proposée ne repose sur rien de concret et me semble être un piège qui engendre de nombreux biais méthodologiques, car pour dater, il faut avoir des repères temporels, même pour les grands philosophes que furent Solon et Platon.
Le récit nous parle ensuite d’un conflit entre les Athéniens et les Atlantes, entre ceux qui vivent des deux côtés de Gibraltar (colonne d’Hercule), comme le suggère la citation précédente, à laquelle nous pouvons ajouter celle-ci :
« Nous gardons ici par écrit beaucoup de grandes actions de votre cité (Athènes) qui provoquent l’admiration, mais il en est une qui les dépasse toutes en grandeur et en héroïsme. En effet, les monuments écrits disent que votre cité détruisit jadis une immense puissance (l’Atlantide) qui marchait insolemment sur l’Europe et l’Asie tout entières, venant d’un autre monde situé dans l’océan Atlantique. »
— Timée —
Athènes n’existait pas en 9000 av. J.-C., tout comme l’ancien empire égyptien d’ailleurs. Selon les connaissances actuelles de l’archéologie, la sédentarisation était à ses balbutiements en Anatolie, avec des sites tels que Göbekli Tepe et Çatalhöyük. Nous nous trouvons ici dans un processus philosophique visant à valoriser la cité d’Athènes.
La plupart des historiens considèrent que la guerre entre les Athéniens et les Atlantes illustre de manière allégorique le conflit avec les Perses lors des guerres médiques du début du 5e siècle av. J.-C. Cela peut sembler simpliste, mais nous y reviendrons par la suite, lors de nos propositions.
Bien qu’il soit indéniable que les textes du Timée et du Critias aient une visée avant tout politique ou utopique envers les Athéniens, cela ne signifie pas que la légende de l’Atlantide ne repose sur rien d’historique. Il est courant de transmettre des concepts philosophiques en s’appuyant sur des éléments réels, même si ces derniers peuvent être largement altérés, modifiés et exagérés. Nous tenterons d’explorer les diverses inspirations possibles utilisées par Platon et sur lesquelles il s’appuie pour créer la légende de l’Atlantide.
Pour conclure sur les sources et les datations, si le récit provient réellement d’Égypte, cela suggère que l’événement était connu de leur histoire ou du moins qu’il les a impactés. De plus, il nous faut chercher un conflit d’importance qui s’est déroulé en Méditerranée et qui s’est suffisamment éloigné dans le temps pour que les Grecs n’en gardent qu’un souvenir mythologique, soit avant la période archaïque, approximativement la période de l’introduction de l’écriture en Grèce (avant 900 av. J.-C.). Cela nous donne une fourchette temporelle assez large, entre -9000 et -900, mais nous pourrons la préciser davantage par la suite.
Le nom et la localisation : il a été donné par Platon en référence aux Atlantes d’Hérodote, mais le récit précise que ce n’est pas le véritable nom (qui devrait être en égyptien si l’on suit le texte). La première observation concernant le nom est que Platon souhaite nous donner une notion géographique. En d’autres termes, le récit du peuple légendaire se situe dans la région de l’océan Atlantique, ou du moins à la frontière occidentale du monde connu. Les récits placent l’Atlantide des deux côtés des colonnes d’Hercule (Gibraltar, comme nous l’avons vu précédemment dans les sources antiques de l’époque). Les Atlantes étendraient leur domination sur plusieurs territoires :
Or dans cette île Atlantide, des rois avaient formé une grande et admirable puissance, qui étendait sa domination sur l’île entière et sur beaucoup d’autres îles et quelques parties du continent. En outre, en deçà du détroit, de notre côté, « intérieur de la Méditerranée » ils étaient maîtres de la Libye jusqu’à l’Égypte, et de l’Europe jusqu’à la Tyrrhénie.
– Timée —
Ils régnaient sur beaucoup d’autres îles de l’Océan et, comme je l’ai déjà dit, ils étendaient en outre leur empire, de ce côté-ci, à l’intérieur du détroit, jusqu’à l’Égypte et à la Tyrrhénie.
– Critias —
Platon ne peut pas être plus clair : si l’Atlantide existe, et quel que soit son véritable nom, elle se situe aux portes de l’Atlantique et sur certains territoires de la Méditerranée et de la mer Tyrrhénienne. De plus, l’Atlantide correspond en tous points à une thalassocratie, un empire maritime. Ainsi, l’Atlantide ne se limite pas à un territoire unique, mais à une vaste zone d’influence.
Les terres méditerranéennes peuvent facilement faire référence aux îles de la mer Tyrrhénienne (Corse, Sardaigne, Sicile), aux îles Baléares, ainsi qu’au territoire d’Afrique du Nord et d’Espagne, notamment la cité disparue, mais bien réelle, de Tartessos. Plus difficile est l’interprétation de l’auteur concernant l’île principale qui se trouve dans l’Atlantique. Que veut-il dire exactement ?
D’ailleurs, quelles sont les connaissances des Grecs ou même des Égyptiens sur l’Atlantique ? Pour les Égyptiens, elles sont quasiment inexistantes. La navigation des anciens Égyptiens se limitait aux côtes orientales de la Méditerranée et de la mer Rouge. Leur connaissance des territoires au-delà de Gibraltar provient uniquement des navigateurs phéniciens et carthaginois qui, entre le 10e et le 5e siècle av. J.-C., contrôlaient Gibraltar et les voies maritimes vers l’Atlantique.
Quant aux Grecs, de meilleurs navigateurs que les Égyptiens notamment grâce à l’influence phénicienne, ils découvrent l’aventure atlantique dans la mythologie dès le 8e siècle av. J.-C., ce qui atteste d’une certaine connaissance, même limitée, du sujet. Au moment où Platon écrit, au 4e siècle av. J.-C., les navigateurs carthaginois sont les maîtres incontestés de Gibraltar, et les Grecs ont donc une connaissance modeste des terres au-delà. Les seuls éléments dont ils disposent proviennent des échanges avec les commerçants carthaginois, qui, d’ailleurs, sont bien informés des côtes atlantiques. Le commerce des Phéniciens et des Carthaginois avec les îles britanniques, notamment pour l’étain, est attesté grâce au voyage d’Himilcon au 5e siècle av. J.-C.
Il faut donc être prudent avec les éléments du texte de Platon. Quand il parle de l’île de l’Atlantide, s’agit-il réellement d’une île ou plutôt des terres espagnoles, portugaises ou éventuellement marocaines qui se trouvent dans les territoires inconnus de l’Atlantique ? Platon s’est probablement inspiré des connaissances maritimes des habitants de Syracuse, qui étaient en contact permanent avec les marins de Carthage, la seule puissance atlantique à cette époque. Il est d’ailleurs frappant de constater des similitudes entre les descriptions architecturales de l’Atlantide et le grand port de Carthage en Tunisie.
Certains avanceront que l’île principale de l’Atlantide se trouvait en pleine mer atlantique, et que les Açores n’en seraient qu’un vestige. Bien que cela ne puisse être affirmé comme inexact, il convient de souligner que la preuve est loin d’être établie. Nous sommes certains que les Carthaginois ont réussi à atteindre les Açores, mais tout le reste n’est que supposition sans preuve archéologique.
« De cette île on pouvait alors passer dans les autres îles et de celles-ci gagner tout le continent qui s’étend en face d’elles et borde cette véritable mer. Car tout ce qui est en deçà du détroit dont nous parlons ressemble à un port dont l’entrée est étroite, tandis que ce qui est au-delà forme une véritable mer et que la terre qui l’entoure a vraiment tous les titres pour être appelée continent. »
– Timée —
Certains ont voulu voir l’Amérique dans l’Atlantide, mais cela soulève deux problèmes : les capacités de navigation et la datation des événements. À l’époque de Platon, les Grecs, ainsi que les Carthaginois et les Étrusques, utilisaient des trières, des navires performants mais principalement adaptés à la navigation côtière et non à la haute mer de l’Atlantique. Si l’on remonte quelques siècles plus tôt, les biremes phéniciennes sont moins performantes que les navires précédemment mentionnés, et le problème s’accentue si l’on remonte encore plus loin dans le temps.
Certains pourraient argumenter que l’Atlantide disposait d’une technologie bien supérieure à celle des Grecs ou des Carthaginois à l’époque de Platon. En réponse, j’attends des preuves archéologiques de navigations datables ainsi que des éléments dans les textes de Platon (Timée et Critias) attestant de l’existence de cette technologie dans la légende originelle de l’Atlantide. Nous ne pouvons donc pas rejeter logiquement la possibilité de navigation dans la zone géographique de l’Atlantide de Platon, qui s’étend du détroit de Gibraltar jusqu’à la mer Tyrrhénienne.
Quant au véritable nom de l’Atlantide, qui est né de l’invention de Platon, nous n’avons aucune certitude à ce sujet. En ce qui concerne la localisation, il est plus simple de constater que l’empire maritime qui domine le détroit de Gibraltar et les îles de la mer Tyrrhénienne, qui possède une civilisation puissante et prospère, finira par être vaincu par les Grecs après une terrible bataille. La civilisation punique répond parfaitement à tous ces critères géographiques, architecturaux et descriptifs, et la bataille d’Himère pourrait même être une analogie, car elle marque le moment où les Carthaginois sont repoussés de la mer Tyrrhénienne par les Syracusains (qui, bien qu’ils ne soient pas des Athéniens, sont néanmoins des Grecs). De plus, Platon écrit sur place à cette époque. Il ne nous manque plus que la destruction de l’Atlantide, et l’histoire serait une analogie parfaite, car Carthage était alors à son apogée et sa destruction n’interviendra que 200 ans plus tard.
Cependant, il est peu probable que l’Atlantide soit en réalité Carthage, car les deux étaient contemporains de Platon. En revanche, il semble que Carthage ait pu servir aisément de modèle sur plusieurs points, notamment en ce qui concerne les possessions territoriales et les descriptions en tant que modèle pour l’Atlantide.
La guerre de l’Atlantide : Quand et qui ? Dans le récit, Athènes rassemble une coalition sous son commandement pour affronter les Atlantes, mais quand cela se produit-il ? Athènes n’existe que depuis le 10e siècle av. J.-C. et n’était pas une cité importante avant le 7e siècle av. J.-C. L’illustration ressemble beaucoup à la grande coalition grecque contre les Perses lors de la bataille de Salamine (480 av. J.-C.). Si l’on pousse plus loin, cela ressemble également à la bataille d’Himère (480 av. J.-C.) déjà mentionnée. Ces événements auraient pu servir de modèle à Platon pour construire sa fable historique en changeant les noms, selon de nombreux historiens. Cependant, il existe une autre possibilité, plus ancienne, qui se déroule dans les temps anciens, l’âge des héros selon le point de vue d’un Grec de l’époque classique.
Aux 13e et 12e siècles av. J.-C., l’invasion des Peuples de la Mer a frappé les peuples de la Méditerranée orientale, entraînant la destruction de l’empire des Hittites, de la civilisation minoenne de Crète, de la civilisation mycénienne de Grèce continentale, et affaiblissant durablement l’empire égyptien. On appelle cette période l’effondrement de l’âge du bronze, et les origines et les causes de l’invasion font l’objet de nombreux débats au sein de la communauté scientifique, qu’il serait malheureusement trop long d’aborder dans cet article. Je vous renvoie donc au chapitre dédié à ce sujet dans mon livre, où je soutiens que les Peuples de la Mer étaient originaires de la mer Tyrrhénienne, des Baléares et des côtes espagnoles.
Lors de ces événements, Athènes n’existait pas, mais les Mycéniens si. Il s’agit de la fameuse période héroïque et mythologique des Grecs, et donc des ancêtres des Athéniens, Spartiates et autres Thébains. Platon place Athènes dans une perspective nationaliste, mais derrière ce voile, il parle probablement par analogie des ancêtres grecs de l’âge mythologique. Il est important de comprendre que la légende de l’Atlantide n’est pas une fin en soi pour Platon, mais une histoire destinée à ouvrir une réflexion intellectuelle. D’ailleurs, l’Atlantide n’occupe qu’une petite place dans les textes.
La destruction de l’Atlantide : S’il est bien une question épineuse, c’est celle-ci, et je doute que la longueur de cet article permette d’explorer l’intégralité du sujet.
Alors le dieu des dieux, Zeus, qui règne suivant les lois et qui peut discerner ces sortes de choses, s’apercevant du malheureux état d’une race qui avait été vertueuse, résolut de les châtier pour les rendre plus modérés et plus sages.
– Critias —
« Mais dans le temps qui suivit, il y eut des tremblements de terre et des inondations extraordinaires, et, dans l’espace d’un seul jour et d’une seule nuit néfaste, tout ce que vous aviez de combattant fut englouti d’un seul coup dans la terre, et l’île Atlantide, s’étant abîmée dans la mer, disparut de même. Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, cette mer-là est impraticable et inexplorable, la navigation étant gênée par les bas-fonds vaseux que l’île a formés en s’affaissant. »
– Timée —
« C’est cette guerre qu’il me faut maintenant raconter en détail. En deçà, c’est notre ville, dit-on, qui eut le commandement et soutint toute la guerre ; au-delà, ce furent les rois de l’île Atlantide, île qui, nous l’avons dit, était autrefois plus grande que la Libye et l’Asie, mais qui, aujourd’hui, engloutie par des tremblements de terre, n’a laissé qu’un limon infranchissable, qui barre le passage à ceux qui cinglent d’ici vers la grande mer. »
– Critias —
L’association avec le mythe du déluge est une facilité, et pourtant bien hasardeuse. Platon, ayant connaissance du mythe de Deucalion, le mentionne séparément et de manière distincte du cataclysme de l’Atlantide. La connexion avec la montée des eaux du Dryas récent (-18 000 à -8500) est également évoquée. Cependant, il est important de rappeler que la montée des eaux du Dryas s’est produite sur une très longue période et n’a pas été un événement violent. L’hypothèse d’un cataclysme localisé, tel qu’un tsunami, une éruption volcanique ou un tremblement de terre, est envisageable, notamment dans la région du parc de Doñana en Andalousie, à proximité de l’antique cité de Tartessos.
Il est à noter que dans le récit de Platon, la flotte grecque « tout ce que vous aviez de combattant fut englouti » disparaît également avec l’engloutissement de l’Atlantide, ce qui nous conduit facilement vers l’idée philosophique du paradis perdu. On peut aussi faire le lien avec la gloire d’Athènes avant la guerre du Péloponnèse, qu’elle a perdue à cause de son arrogance. Alors, Athènes et l’Atlantide sont-elles différentes ? Platon joue avec ses auditeurs dans une habile fable philosophique, mais s’agit-il seulement d’une fable ?
Conclusion :
À ce stade de notre enquête, les motivations de Platon sont claires : il s’adresse à ses contemporains, véhicule l’idée d’une gloire ancienne et met en garde contre le risque de décadence d’un peuple glorieux pouvant sombrer dans l’arrogance (Atlantide/Athènes), mais aussi la possibilité de renaissance de ce même peuple, tel qu’à son âge d’or passé.
Nous pourrions aisément conclure que l’Atlantide est uniquement un conte philosophique, mais c’est toute la subtilité de l’œuvre de Platon. Plusieurs histoires se superposent et s’entremêlent, mélangeant histoire et mythe, et la difficulté réside dans leur séparation.
Au vu des différents éléments abordés, on peut distinguer plusieurs éléments historiques que Platon utilise pour créer le mythe :
- Le souvenir et le traumatisme des guerres médiques contre les Perses, la victoire finale des Grecs lors des batailles de Salamine et de Platées, mais aussi les terribles pertes subies. Cela symbolise également l’union des Grecs contre l’empire arrogant des Achéménides (assimilés aux Atlantes dans le texte).
- Carthage, la plus puissante thalassocratie de l’époque, qui règne de manière insolente sur les mers, tant l’Atlantique que la Méditerranée occidentale, les îles Tyrrhéniennes, l’Espagne, etc. Carthage offre la localisation et la description architecturale de l’Atlantide utilisées par Platon.
- L’invasion des peuples de la mer, qui fut probablement une source d’inspiration en raison du traumatisme profond qu’elle a engendré. Cette invasion marque l’effondrement de l’âge du bronze récent (1200 av. J.-C.), et dans le récit de Platon, la datation de 9000 ans avant Solon permet un saut dans un passé mythique, en dehors des périodes connues des Grecs (avant l’an 900). Ainsi, le récit se place dans l’âge des héros mythologiques, tels qu’Héraclès ou Persée. C’est une façon de dire que l’Atlantide est très ancienne, mais surtout qu’Athènes l’est aussi.
Pour conclure, y a-t-il une inspiration centrale et historique derrière le mythe de l’Atlantide, cette civilisation ou cet empire de la mer, à chercher sur les terres maritimes de Carthage et à une époque associée aux invasions des peuples de la mer, soit les 13e et 12e siècles av. J.-C. ? Nous délaissons alors le nom inventé de « l’Atlantide » par Platon pour découvrir en arrière-plan la civilisation de Tartessos en Espagne, ainsi que les cultures Tyrrhéniennes de la même époque…
Ludovic Richer – Arcana
Sources :
- Ludovic Richer, Arcana les mystères du monde —Les civilisations oubliées, édition de l’opportun 2020
- Voir les travaux de P. Vidal-Naquet, L’Atlantide. Petite histoire d’un mythe platonicien, Les Belles Lettres, Paris, 2005
- Charles Pellegrino (trad. Anne Soulé-Abeilhou), L’Atlantide découverte — une odyssée archéologique, Paris, Éditions Robert Laffont, 1993
- Vidal-Naquet, « L’Atlantide et les Nations » dans La Démocratie grecque vue d’ailleurs, Champs-Flammarion, Paris, 1990
- Bibliothèques historiques de Diodore de Sicile. Tome 3 sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5453782j.texteImage
- La nouvelle Atlantide de Francis Bacon sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k82587c.image
- Cartes fantaisistes de l’Atlantide (1678) d’Athanasius Kircher : https://fr.wikipedia.org/wiki/Atlantide#/media/Fichier:Atlantis_Kircher_Mundus_subterraneus_1678.jpg
- le continent hyperboréen sur une carte de Gérard Mercator datant de 1595 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hyperboréens#/media/Fichier:Mercator_Septentrionalium_Terrarum_descriptio.jpg
- Stéphane François, Les Mystères du nazisme : aux sources d’un fantasme contemporain, Paris, Presses universitaires de France, 2015
- James Churchward, Trilogie de Mu, édition J’ai lu, Paris, coll. L’Aventure mystérieuse
- René Guénon, Le Roi du monde, Paris, Ch. Bosse, 1927
- https://www.comingsoon.net/movies/features/42310-wondercon-2008-day-2-part-1
- Carthage l’empire de la mer sur Arcana Tv : https://youtu.be/vnoswlJuoLA
- L’énigme des Étrusques sur Arcana Tv : https://youtu.be/Pk4MCPmNGWs
- Histoire des Celtes sur Arcana Tv : https://youtu.be/mJQYFGs-ssc
- Plutarque (trad. Robert Flacelière et Émile Chambry, préf. Jean Sirinelli), Vies parallèles, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2001
- Thalassocratie désigne une grande puissance maritime, une puissance politique qui se fonde essentiellement sur la domination de la mer.
- Jean-Paul Thuillier, Les Étrusques, Éditions du Chêne, coll. « Grandes civilisations », 2006
- François Decret, Carthage ou l’empire de la mer, coll. Points histoire, éd. du Seuil, Paris, 1977
- Œuvres complètes (trad. du grec ancien par Luc Brisson), Paris, Éditions Flammarion, 2008
- Jean-Claude Poursat, La Grèce préclassique, des origines à la fin du VIe siècle, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire/nouvelle histoire de l’Antiquité », 1995
- la civilisation mycénienne sur Arcana Tv : https://youtu.be/h7g2706m0aU
Le loup, symbolisme et traditions avec Christophe Levalois 6 août, 2023
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Légende de la mer d’Airain 28 juillet, 2023
Posté par hiram3330 dans : Contribution,Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireLégende de la mer d’Airain

La mer d’airain est cette immense cuve pour les bains rituels, fondue par le maître bronzier Hiram, dont le nom varie selon les rites maçonniques. Elle est placée devant le Temple.
Une interprétation spirituelle dans un texte de 7 pages, écrit par un Daniel Beresniak halluciné, qui illumine le rituel du Conseil de Maîtres Installés du Rite Opératif de Salomon. Sont évoqués tour à tour les trois grands fondements du chemin initiatique : après l’inévitable et fondatrice Fraternité, les voies de la Souffrance ; enfin celle du Nulle part
Commençons par le texte splendide et éclatant de sous-entendus révélateurs et lumineux.
L’œuvre qui devait terminer le Temple était la « mer d’airain », une cuve colossale destinée aux sacrifices. À force de travaux et de veilles, Hiram avait achevé ses modèles et creusé avec art dans la terre l’empreinte de la « mer d’airain ». Elle devait être coulée sur place, solidement tenue par des contreforts de maçonnerie auxquels, plus tard, on devait substituer des sphinx gigantesques destinés à servir de supports. La fonte liquide envahissant plusieurs rigoles, le vide compris entre les plans devait emprisonner des barres d’or massif, rebelles à la fusion particulière au bronze et faire corps avec elles.

Sept fois le soleil avait fait le tour de la terre depuis que le minerai avait commencé de bouillir dans la fournaise couverte d’une haute et massive tour de briques, qui se terminait à soixante coudées du sol par un cône ouvert d’où s’échappaient des tourbillons de fumée rouge et de flammes bleues pailletées d’étincelles.
Une excavacation, pratiquée entre les moules et la base du haut fourneau, devait servir de lit au fleuve de feu lorsque viendrait le moment d’ouvrir avec des barres de fer les entrailles du volcan.
Pour procéder au grand œuvre du coulage des métaux, on choisit la nuit : c’est le moment où l’on peut suivre l’opération, où le bronze, lumineux et blanc, éclaire sa propre marche. Et, si le métal éclatant prépare quelque piège, il s’enfuit par une fissure ou perce une mine quelque part, il est démasqué par les ténèbres.
Ainsi l’achèvement du Temple érigé à la gloire de l’éternel était l’épreuve solennelle qui devait immortaliser ou bien discréditer le nom d’Hiram. Jamais fondeur n’avait engagé si redoutable partie.
Depuis treize années, Hiram avait dirigé cent mille ouvriers. Pendant ce temps, il avait réuni le bois, la pierre et les métaux pour ériger la demeure de l’Arche d’Alliance et cette demeure était digne de tous les éloges.
Or, la construction de la « mer d’airain » devait être l’apothéose de ses efforts. S’il échouait dans cette dernière épreuve, tout serait pour lui comme si rien n’avait été. Et cet échec annulerait d’un coup la totalité de ses efforts et de ses mérites.
Or, la fonte de la « la mer d’airain » était une œuvre gigantesque, un défi du génie à la nature et à l’opinion des experts qui, tous, avaient déclaré le succès impossible. Aussi, des gens de tout âge et tout pays, attirés par le spectacle de cette lutte, envahirent-ils de bonne heure la colline de Sion.
Déjà l’étoile du soir s’abaissait sur la mer ; la nuit, profonde, épaissie des nuages roussis par les effets fourneau, annonçait que le moment était proche. Suivi des chefs ouvriers, Hiram, à la clarté des torches, jetait un dernier regard sur les préparatifs et, courant ça et là, s’assurait de mille détails. Sous le vaste appentis adossé à la fournaise, on entrevoyait les forgerons, coiffés de casques de cuir à larges ailes rabattues et vêtus de longues robes blanches à manches courtes, occupés à arracher de la gueule béante du four, à l’aide de longs crochets de fer, des masses d’écume à demi vitrifiées, scories qu’ils entraînaient au loin. D’autres, juchés sur des échafaudages portés par des massives charpentes, lançaient, du sommet de l’édifice, des paniers de charbon dans foyer qui rugissait au souffle impétueux des appareils de ventilation.
De tous côtés, des ruées de Compagnons armés de pioches, de pinces, erraient, projetant derrière eux de longues traînées d’ombre.
Une fanfare annonça d’arrivée dans la cour : Salomon parut avec la reine de Saba et fut reçu par Hiram qui le conduisit au trône improvisé pour ses nobles hôtes. L’artiste avait endossé un plastron de buffle ; un tablier de laine blanche lui descendait jusqu’aux genoux ; ses jambes nerveuses étaient garanties par des guêtres en peau de tigre et son pied était nu car il foulait impunément le métal rougi.
« Vous m’apparaissez dans votre puissance, dit la reine de Saba au roi des ouvriers. Vous êtes comme la divinité du feu. Si votre entreprise réussit, nul ne pourra dire : plus grand que Maître Hiram ».
Ces paroles assombrirent le visage du roi Salomon et, avant que Hiram ne pût répondre à ces propos flatteurs, il lui dit : « Maître Hiram, ne perdez pas un temps précieux et retournez à vos labeurs ».
Salomon, roi des Hébreux, voulait, en construisant le Temple, associer sa propre gloire à celle de l’Éternel et, pour cette raison, la réputation de Hiram le gênait. « S’il accomplit sa tâche, pensait-il, il honore le Temple de l’Éternel d’un monument incomparable, mais il ajoute de l’éclat à sa renommée et celle-ci peut éclipser la mienne… ».
En outre, il désirait passionnément la reine de » Saba et avait remarqué que celle-ci était subjuguée par l’étonnante et rayonnante personnalité d’Hiram. Aussi, la jalousie s’était installée dans son cœur et y faisant des ravages, en affaiblissant son caractère, en détruisant la noblesse de ses sentiments et en diminuant son intelligence.
Depuis plusieurs lunes, Salomon n’était plus un grand roi… Il était devenu un petit homme nerveux et inquiet, incapable d’élever sa pensée au-delà de ce qui regardait sa personne. Et, comme il était revêtu de l’autorité royale, il commit une vilaine action : pendant les préparatifs de la coulée, il ordonna à trois Compagnons d’exécuter faussement les ordres du Maître, afin que le travail ne pût se dérouler convenablement et que, la « mer d’airain » ne pouvant être menée à terme, tout se terminât par la confusion et la honte d’Hiram.
Et voici ce qui arriva. Sur un signe de Hiram, les manœuvres s’écartèrent et le Maître, tandis que les marteaux faisaient retentir l’airain, souleva une massue de fer, l’enfonça dans l’embouchure du fourneau bâillonnée de terre cuite, la tourna et l’arracha avec violence. A l’instant, un torrent de liquide, rapide et blanc, s’élança dans le chenal et s’avança comme un serpent d’or strié de cristal et d’argent jusqu’à un bassin creusé dans le sable, à l’issue duquel la fonte se dispersa et suivit son cours le long de plusieurs rigoles.
Tandis que la fonte ruisselante emplissait les cavités de la « mer d’airain » – dont le vaste contour, déjà, se traçait comme un diadème d’or sur la terre assombrie – des nuées d’ouvriers portant de larges pots à feu des poches profondes emmanchées de longues tiges de fer, les plongeaient tout à coup dans le bassin de feu liquide et couraient verser le métal dans les moules destinés aux lions, aux bœufs, aux palmes, aux chérubins qui devaient supporter la « mer d’airain ». Ils faisaient boire à terre de grandes quantités de feu. Couchés sur le sol, les bas-reliefs traçaient les silhouettes claires et vermeilles des chevaux, des taureaux ailés, des cynocéphales, des chimères monstrueuses enfantés par le génie d’Hiram.
- « Spectacle sublime ! s’écria la reine de Saba, Ô grandeur ! Ô puissance du génie d’un mortel qui soumet les éléments et dompte la nature ! ».
- « Il n’est pas encore vainqueur, murmura Salomon avec amertume, l’Éternel seul est tout puissant ! ».
Tout à coup, Hiram s’aperçoit que le fleuve de fonte déborde. La source béante vomit des torrents ; le sable, trop chargé, s’écroule. Il regarde la « mer d’airain » : le moule regorge et une fissure se dégage au sommet, la lave ruisselle de tous côtés.
Il exhale un cri si terrible que l’aire en est rempli et que les échos se répètent dans les montagnes. La terre, trop chauffée, se vitrifie. Alors, Hiram saisit un tuyau flexible aboutissant à un réservoir d’eau et dirige cette colonne d’eau sur la base des contreforts ébranlés du moule de la vasque. Mais la fonte, ayant pris l’essor, dévale jusque-là : les deux liquides se combattent, une masse de métal enveloppe l’eau, l’emprisonne, l’étreint. L’eau se vaporise et fait éclater ses entraves. Une détonation retentit : la fonte rejaillit dans les airs en gerbes éclatantes à vingt coudées de hauteur ; on croit voir s’ouvrir le cratère d’un volcan furieux. Ce fracas est suivi de pleurs, de hurlements affreux ; car cette pluie d’étoiles sème en tous lieux la mort : chaque goutte de fonte est un dard ardent qui pénètre dans les corps et qui tue. La place est jonchée de mourants et, au silence, a succédé un immense cri d’épouvante. La terreur est à son comble : chacun fuit ; la crainte du feu précipite ceux que le feu pourchasse. Les campagnes illuminées, éblouissantes et empourprées, rappellent cette nuit où Gomorrhe et Sodome flamboyaient, allumées par les foudres de Jéhovah.
Hiram, éperdu, court ça et là pour rallier les ouvriers et fermer la gueule à abîme inépuisable. Mais il n’entend que des plaintes et des malédictions, il ne rencontre que des cadavres, le reste est dispersé. Salomon, seul, est demeuré, impassible, sur le trône. La reine de Saba est restée, calme, à ses côtés. Ils font encore briller le diadème et le sceptre dans les ténèbres.
- « Jéhovah l’a châtié ! dit Salomon à son hôtesse, et il me » punit, par la mort de mes sujets, par ma faiblesse pour ce monstre d’orgueil. Partons, reine, le vil suppôt de Baal met votre vie en péril et cela seul m’inquiète ».
Hiram, qui passait près d’eux, l’entendit ; il s’éloigna en rugissant de douleur. Plus loin, il rencontre un groupe d’ouvriers qui l’accablent de mépris, de calomnies et de malédictions.
- « Déshonoré… s’écria-t-il avec amertume, voilà le fruit d’une existence austère et laborieuse, vouée à la gloire d’un prince ingrat ! Il me condamne et mes frères me renient ! Cette femme a vu ma honte et son mépris que j’ai dû subir ! Seul ! je suis seul et maudit. L’avenir est fermé, Hiram, souris à ta délivrance et cherche-la dans ce feu, ton élément et ton esclave rebelle ».
Il s’avance, calme et résolu, vers le fleuve qui coule encore son onde embrasée de métal fondu et qui, ça et là, pétille au contact humide d’un cadavre. Il s’avance et voit les tourbillons de fumée violette et fauve qui voilent le théâtre abandonné de cette lugubre aventure. Là, il s’abîme dans sa méditation et tombe, foudroyé.
Dans les profondeurs de la terre, Hiram entendit une voix grave qui prononçait son nom… Trois fois cette voix retentit et Hiram sentit qu’il se réveillait d’un lourd sommeil.
Alors il vit s’approcher de lui une forme humaine colossale, coiffée d’une mitre vermeille et tenant dans sa main un marteau. Ce fantôme s’avança, grandit encore en s’approchant, abaissa sur Hiram de grands yeux brillants et doux et lui dit d’une voix qui semblait arrachée des entrailles du bronze :
- « Lève-toi, mon fils, viens et suis-moi. J’ai vu tes maux et je t’ai pris en pitié.
- Esprit, qui es-tu donc ? Murmura Hiram épouvanté
- Je suis l’ombre du père et des pères, l’aïeul de ceux qui travaillent et souffrent. Viens ! Quand ma main aura glissé sur front, tu respiras des flammes . Sois sans crainte, comme tu fus sans faiblesse.
- Où l’entraines-tu ? Quel est ton nom ?
- Au centre de la terre… dans l’âme du monde habité, là où s’élève le palais souterrain d’Hénoch, notre père, que les peuples nomment Hermès
- Puissances immortelles ! s’écria Hiram ? Ô mon Seigneur, vous seriez…
- Ton aïeul, homme, artiste, ton maître et ton patron : je suis Tubalcaïn ».
Ils s’avançaient ensemble dans la région profonde de silence et de nuit. Aux régions humides et froides avait succédé une atmosphère tiède et raréfiée ; la vie intérieure de la terre se manifestait par des secousses, par bourdonnements singuliers. Des battements sourds, réguliers, périodiques annonçaient le voisinage du cœur du monde.
Soudain, il tressaillit. Tubalcaïn parlait :
- « Tes pieds foulent la grande pierre d’émeraude qui sert de racine et de pivot à la Création. Tu as abordé le domaine de tes pères. Ici, l’on peut, sans périr, se nourrir des fruits de l’Arbre de la Science ».
Hiram exhale un long et doux soupir ; il lui semblait qu’un poids accablant – qui toujours, l’avait courbé dans sa vie – venait de s’évanouir pour la première fois.
Tubalcaïn lui sourit gentiment et lui dit :
- « Puisqu’à présent tu es libéré de ton fardeau, je te donnerai ce maillet. Je l’ai fait pour toi. Avec lui, tu retourneras sur la surface de la terre et tu accompliras ton œuvre. Mais, avant que je ne te dise comment tu dois savoir te servir de ce maillet, écoute la voix de Caïn, notre père, et d’Adam, le père de notre père ».
Et Hiram entendit parler Caïn :
- « Que le sommeil et la mort soient avec toi, mon fils. Race industrieuse et opprimée, c’est par moi que tu souffres. Ève fut ma mère et Adam fut mon père. Ils me nourrirent jusqu’à ce je puisse mettre au service des hommes ignorants et débiles l’esprit des génies qui résident en moi. J’ai nourri mes nourriciers sur leurs vieux jours et j’ai bercé l’enfance d’Abel, mon frère.
Avant d’enseigner le meurtre à la terre, j’ai connu l’ingratitude, l’injustice et les amertumes qui corrompent le cœur. J’ai arraché notre nourriture au sol avare ; j’ai inventé les charrues qui contraignent la terre à produire et, en me sacrifiant, j’ai fait renaître pour eux l’Eden qu’ils avaient perdu. Ô comble d’iniquité ! Adam ne m’aimait pas ! Il se souvenait d’avoir été banni du Paradis pour m’avoir mis au monde et son cœur était tout à son Abel… Lui, dédaigneux et choyé, me considérait comme le serviteur de tous ! Aussi, quand j’arrosais de mes sueurs la terre où il se sentait roi, lui-même oisif et insouciant, il faisait paître ses troupeaux en sommeillant sous les sycomores. Je me plains : mes parents invoquent l’équité de Dieu et nous lui offrons des sacrifices.
Mon sacrifice : des germes de blé que j’avais fait éclore – les prémices de l’été. Le mien est rejeté avec mépris. C’est ainsi que ce dieu jaloux repousse le génie inventif et fécond et donne la puissance avec le droit d’oppression aux esprits vulgaires.
Par jalousie, j’éteignis le flambeau d’Abel. Adam se vit renaître plus tard dans la postérité de Seth et, pour effacer mon crime, je me suis fait le bienfaiteur des enfants d’Adam. Je construisis la première ville, les premières maisons pour les abriter. C’est à moi-même et à mes enfants qu’ils doivent tous les arts, l’industrie et les sciences ».
Et Hiram entendit parler Adam :
- « C’est toi, Caïn, qui a enfanté le meurtre. Dieu poursuit, dans mes enfants, le sang d’Ève dont tu sors et que tu as versé. C’est à cause de toi que Jéhovah a suscité des prêtres qui ont immolé les hommes, et des rois qui ont sacrifié des prêtres et des soldats. Un jour, il fera naître des empereurs pour broyer les peuples et les prêtres eux-mêmes et la postérité des nations dira : Ce sont les fils de Caïn ».
Des profondeurs de l’abîme, Hiram entendit gémir Caïn et Adam. Tubalcaïn dit alors :`
- Maintenant, tu connais le mystère de la Création, contenu dans les livres du Tau enfouis dans la terre. Tu es, à ton tour un créateur, et tu porteras sur ta ceinture le Tau symbolique qui rallie les ouvriers. Prends ce maillet, mon fils. Va sur la terre et réalise ton Œuvre ! ».
Entre le moment où Hiram, déchiré par la douleur et totalement désespéré, entra volontairement dans le fleuve de feu qu’il ne maîtrisait plus et le moment où il en ressortit, indemne et flamboyant neuf, muni du maillet et d’une ceinture sur laquelle brillait le Tau, il ne s’était écoulé, pour les hommes, qu’un instant.
Les ouvriers se rangèrent autour de lui et la panique cessa. Il donna des ordres précis qui furent exécutés promptement et tout rentra dans l’ordre, comme par miracle. Là où les moules éclataient, il frappa de son maillet et ils se remettaient en place. Le fleuve de feu entra dans le lit qui lui avait été préparé. La volonté du Maître vainquit la fureur déchaînée des éléments.
Enfin, la « mer d’Airain » se fit et apparut telle qu’elle avait été conçue dans la pensée du Maître.
A l’aube, le soleil se leva et resplendit.
Salomon, en contemplant le Temple enfin terminé se repentit et dit à Hiram :
- Maître Hiram, mon Frère, j’implore ton pardon. Je t’ai haï à cause de tes talents. J’étais jaloux de toi et, à cause de cela, j’ai voulu empêcher l’accomplissement de ton Œuvre. Lorsque j‘aurai obtenu ton pardon, j’abandonnerai ce trône dont je suis indigne et je briserai ce sceptre, signe d’autorité, dont je suis aussi indigne.
- Ô roi Salomon, répondit Hiram, n’agis pas ainsi ! Tu étais un homme qui voulait être roi et les sentiments vulgaires t’habitaient. Ce qui est arrivé devait arriver car tel est l’ordre des choses. L’acte que tu as commis était nécessaire parce que sans l’épreuve que j’ai vécue, je n’aurais pu apprendre ce que je sais maintenant. L’échec contient le germe de toute vraie réussite et le mal peut générer le bien si l’on connaît bien l’art.
Roi Salomon, tu étais un homme qui voulait être roi ? Maintenant, moi, Hiram, je te fais roi véritable, car notre épreuve est commune et nous l’avons subie ensemble, chacun à notre manière.
Ce maillet, je l’ai reçu au centre du Monde ! Il me confère un pouvoir que j’exercerai en ta personne car, désormais, nous ne formerons qu’une seule et même entité.
J’ai dit.
Mes commentaires…
La prose de ce scénario, rutilante, lumineuse, éblouissante raconte la fonte de la mer d’airain qui se trouvait devant le Temple. Mais les paillettes étourdissantes recèlent trois niveaux de lecture : la jalousie de Salomon : nos faiblesses, la coulée elle-même : notre œuvre et le message spirituel, en trois voies.
C’est ce dernier qui m’a bouleversé. Pourquoi ? Notre pratique maçonnique est grosse de la première voie : elle éclate d’abord. Puis elle esquisse avec gêne la deuxième. Enfin, pour certains(es), la troisième est susurrée en pleine invisibilité rituelle.
Que chantent les trois voies : de la Mer d’airain ?
La voie de la FRATERNITÉ – Celle qui est la bannière, le porte-étendard de l’association, partout dans le monde. Celle qui est diffusée, tambours battants, par les hauts parleurs de l’Ordre. Des dizaines de livres érudits et souvent sans grand intérêt hors l’accumulation des savoirs, paraissent chaque mois. La Maçonnerie de salon !
La voie de la SOUFFRANCE – Nul(le) ne peut nier que les souffrances perturbent nos vies. Le meurtre d’Hiram n’évoque, en aucun cas, le mal que ressent le bâtisseur. C’est juste une resucée adroite du complexe d’Œdipe masculin. La souffrance, c’est descendre dans les tréfonds de soi et accepter les mélanges insupportables à la conscience, des pulsions de vie et des pulsions de mort qui régissent l’humanimal que nous sommes. La voie de la souffrance est surtout la confrontation avec notre mort. Elle peut mener au suicide. C’est elle que choisit Hiram quand il se précipite dans le foyer ardent. Elle sera en fait pour lui non pas un suicide mais la confrontation avec la souffrance extrême d’où il ressortira grandi.Cette voie est passage spirituel obligé selon de profonds philosophes, de Schopenhauer à Cioran. Même Voltaire a écrit :« Nous sommes des victimes condamnés toutes à la mort ; nous ressemblons aux moutons qui bêlent, qui bondissent en attendant qu’on les égorge. Leur grand avantage sur nous est qu’ils ne se doutent pas qu’ils seront égorgés, et que nous le savons ».
Avec le risque du passage à l’acte, le suicide donc, pour certains. Citons le quatrain prémonitoire et grandiose de Gérard de Nerval :
Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé,
Le prince d’Aquitaine à la tour abolie,
Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la mélancolie
Gérard connut le « baiser de la reine » en se pendant à un arbre. Ressentit-il la voie suivante, celle du nulle-part ?
La voie de la Souffrance fait mauvais ménage avec la voie de la Fraternité celle de la joie, si on ne travaille que sur elle. En Maçonnerie, nous ne travaillons pas du tout la peur et l’attrait mêlés de la mort ; d’où la dispute envenimée entre Jacques Lapersonne et Daniel Beresniak, lui qui connut, par sa famille, les atrocités nazies. La mort désirée par Hiram, en se noyant dans le brasier de la Mer d’airain, sera, en fait, l’épreuve de la souffrance ultime, l’acceptation de la fin de la vie. Mais Hiram fait partie de ceux et celles qui osent regarder la mort en face et, de ce fait, atteignent la dernière voie, le nulle-part.
La voie du NULLE-PART, dans la sensation brumeuse – Indescriptible, d’être partout, dans l’énergie non point de l’univers mais du multivers. Rien dans les rituels sinon, de-ci de-là, des allusions. Sauf dans certains qui osent évoquer le « Un et le Tout », sorte de résumé de la dispersion quantique, parfois ressentie dans le mutisme complet. Peut-être celui que nous embrasserons après le passage de la Mort.
Fraternité, Souffrance et Nulle part interloquent et convoquent les profondeurs du vagabondage initiatique. Ce sont les messages subliminaux. Ils sont clairs, au moins dans la doxa , faute de l’être dans le creux de son humanitude : La joie et l’être ensemble, dans le vécu plus ou moins réel ( ) des Loges. Puis, dans la voie de la Souffrance, l’intériorité et la solitude. Le cabinet de réflexion et autres endroits d’attente, pour l’élu(e) de sa future cérémonie. Mais la souffrance n’y est pas convoquée rituellement. Dans la voie du Nulle-part, toute sensation de vie ici-bas, plantes et animaux, dont nous, les humanimaux (néologisme de Daniel B.) , est abolie. Le vertige seul pour humer de nos pauvres narines, le partout et l’énergie cosmique. Certain(es), en tenue, dans des moments d’ivresses sans saccades, partiraient ainsi. Dans cet ailleurs…
Dans le texte de la mer d’Airain, nous trouvons, éparses des expressions qui nous clignent de l’œil, vers, selon les cas, les trois voies ; donc au-delà de la doctrine maçonnique. J’en ai glané neuf. Elles montrent bien le cheminement spirituel de l’auteur ou ses espoirs qu’il sait transmettre avec tant d’étincelance ! Je laisse à chacun(e), selon sa sensibilité de rattacher ces extraits aux voies de Souffrance et de Nulle- part. La dernière, pour la Fraternité spirituelle :
- « La fonte de la mer d’airain, un défi du génie de la nature »
- « Ô puissance du génie d’un mortel qui soumet les éléments et dompte la nature »
- « La place est jonchée de mourants et, au silence, a succédé un immense cri d’épouvante. La terreur est au comble ».
- « Seul, je suis seul et maudit. L’avenir est fermé. Hiram souris à ta délivrance et cherche, dans ce feu, ton élément et ton esclave rebelle ».
- « Il s’abîme dans sa méditation et tombe foudroyé ».
- « Des battements sourds, réguliers, périodiques, annonçaient le voisinage du cœur du monde »
- « Tes pieds foulent la grande pierre d’émeraude qui sert de racine et de pivot à la Création ».
- « Sans l’épreuve que j’ai vécue, je n’aurais pu apprendre ce que je sais maintenant »
- « Ce maillet, je l’ai reçu au centre du Monde. Il me confère un pouvoir que j’exercerai en ta personne car désormais, nous ne formerons qu’une seule et même entité ».
SOURCE : https://450.fm/2023/07/23/legende-de-la-mer-dairain/
Et si la mort n’existait pas (Partie 2) ET SI LA MORT N’ETAIT QU’UN PASSAGE comment s’y préparer ? 25 juillet, 2023
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Film ET SI LA MORT N’EXISTAIT PAS (Partie 1)
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