Voyage à travers la sybolique de CHARTRES 16 février, 2009
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VOYAGE A TRAVERS LA SYMBOLIQUE DE CHARTRES
« Qu’est-ce que Dieu ?
Il est Longueur, Largeur, Hauteur, Profondeur… »
St. Paul. Epître aux Ephésiens.
Déjà, le Christianisme primitif préparait à la traduction en symboles des principes de la Foi.
Ainsi, CHARTRES, Cathédrale Temple de Dieu, a bien ces proportions : elle est longueur, largeur, hauteur et profondeur ; elle est basée sur des figures géométriques simples : cercles, triangles, carrés, carrés longs ; obtenus à partir d’instruments employés facilement sur le chantier : règle, compas, équerre.
Le but de cette planche est de chercher l’esprit dans lequel ont été construites ces Cathédrales et d’essayer de déterminer le rapport harmonique qui lie toutes les parties à l’ensemble de l’édifice.
3 parties principales constituent l’ossature de cette planche : l’aspect technique, la Lumière et la symbolique du labyrinthe. Il est bien évident que, dans un temps de parole aussi réduit, face à l’immensité de CHARTRES, je ne peux que malheureusement survoler cette merveille qui devrait faire l’objet de plusieurs travaux pour découvrir ce livre de pierres qui exalte la foi, l’harmonie et la beauté.
Notre positionnement dans l’Histoire : nous sommes à la fin du XIIème siècle, exactement en 1194.
Le XIIème siècle est le siècle Roman qui est né aux alentours de l’An Mil ; c’est un siècle riche en transformations économiques et sociales, les hérésies fomentent, les Croisades mettent en contact la chrétienté et l’Orient.
Ce siècle est voué à la philosophie, à la théologie, à la poésie, à la mystique ; mais aussi à la technique : développement de l’énergie hydraulique, la force du vent est accaparée et l’on voit tourner les premiers moulins à vent. Nous assistons à la naissance de la boussole, de l’horloge mécanique et du gouvernail.
La pensée de l’homme de ce siècle est intimement liée à la Bible, il y puise le goût des images et des symboles ; il aime Dieu, il admire la création dans laquelle l’homme est une réplique de l’Univers ; mais comment parler de Dieu ?
La fonction du symbole trouve sa place : relier le haut et le bas, permettre une communication entre le divin et l’humain.
Au concile de 1050, l’Eglise décrète que sa mission est d’instruire et de moraliser, au travers du motif symbolique.
Puis, le synode d’ARRAS en 1205, entérine cet objectif : ce que les gens simples ne sont pas aptes à saisir par le biais de l’écriture doit leur être enseigné par le biais des figurations.
L’art roman est un enseignement qui s’adresse à tout le monde ; pauvre, humble, savant, pèlerin…et le symbole, dans cette universalité, est un langage et une synthèse.
Ils entendent la voix de Dieu !
Mais, depuis 1130 est apparu l’art gothique ! dont la première manifestation est l’église abbatiale de St. DENIS (Cathédrale depuis 1966), dont l’abbé SUGER est le Maître d’œuvres.
A CHARTRES, la nuit du 10 juin 1194 est terrible !
Un terrible incendie se déclare.
Les trois quart de la ville sont détruits et la Cathédrale est très sévèrement endommagée ; ce qui est une véritable catastrophe pour tout le monde.
Car, en 876, Charles le Chauve, petit-fils de Charlemagne, fit don à CHARTRES d’une relique sacrée connue sous le nom de « SANCTA CAMISIA » – la Sainte Tunique – dont la légende affirmait que la Vierge l’avait portée au moment de donner naissance à Jésus-Christ. D’où l’importance de CHARTRES comme lieu de pèlerinages et, pour les citoyens, source considérable de revenus.
Cet incendie du 10 juin 1194 provoque un grand désespoir pour le peuple.
Mais, trois jours après le désastre, une procession apparut, avec la tunique miraculeusement préservée…
Ainsi, ce signe miraculeux est-il perçu comme un ordre divin de rebâtir une Cathédrale encore plus merveilleuse, encore plus grandiose et, immédiatement, un immense enthousiasme s’empare de la population.
L’essor des Cathédrales, à partir du XIIème siècle, est lié au renforcement du pouvoir des Evêques, à l’enrichissement des villes et des campagnes, à la démographie galopante du moment et aussi aux grands progrès scientifiques évoqués plus haut.
Nous sommes au seuil d’une époque riche d’inventions et durant les 400 ans de ce phénomène (à compter de l’an Mil), les bâtisseurs de Cathédrales ont remué des millions de tonnes de matériaux pour édifier : 80 Cathédrales, 500 grandes Eglises et quelques dizaines de milliers d’Eglise paroissiales.
La masse de pierres ainsi mise en œuvre est supérieure à celle de l’ensemble de TOUTES les Pyramides ( pour l’anecdote, la Grande Pyramide avait un volume de 2 500 000 m3…) ; mais, n’oublions pas que les travaux d’Egypte se sont étalés sur plus de mille ans…
Au moment de cette fameuse nuit du 10 juin 1194, l’heure est au Gothique.
La Cathédrale romane est devenue trop étroite et l’Evêque de CHARTRES saisit l’opportunité de l’incendie, du miracle de la préservation de la « SANCTA CAMISIA » et de l’émotion populaire pour se lancer dans la construction d’une nouvelle Cathédrale particulièrement représentative de sa fonction et de son pouvoir.
L’heure est au gothique !
L’Art de la Lumière est né dans le Bassin Parisien, avec l’abbé SUGER évoqué tout à l’heure.
Nous sommes à CHARTRES.
L’Evêque et son chapitre ont la volonté d’accueillir un peuple de fidèles nombreux et, se présente alors le problème du financement de cet ambitieux projet.
Sous la conduite d’un Maître d’œuvre, les équipes sont nombreuses : artisans spécialisés, carriers, charretiers, charpentiers, maçons, sculpteurs, verriers… et tous réclament salaire…
Chacun des chantiers qui s’ouvre dévore beaucoup d’argent ; et beaucoup plus, toutes proportions gardées, qu’en cette fin du XX ème siècle à PARIS, avec le grand Louvres, l’Arche de la Défense et la Bibliothèque François MITTERAND réunis…
LA TECHNIQUE
Notre Maître d’œuvre recruté, les équipes formées, le projet présenté et accepté, les plans et les esquisses tracés et épures réalisées ; notre Maître d’œuvre, homme de savoir et de pouvoir commence son travail.
L’ancien tailleur de pierres qu’il est, arrivé au titre de Maître d’œuvre en raison de ses talents unanimement reconnus, n’hésite pas à mettre la main à l’ouvrage.
La question qui se pose est : quelle sorte d’homme est-il, lui qui a su imposer son image à travers tant de siècles ? Comment a-t-il conçu un tel chef-d’œuvre ?
Avec un cordeau, une règle, une équerre à angle droit et un compas !
Et cela lui permet de commencer à bâtir la Cathédrale, 1er Maître parmi les 6 anonymes dont les travaux s’étalent de 1194 à 1260.
(Pour l’anecdote, l’un d’entre eux, le 2ème, a laissé sa marque par sa façon de travailler. Nous le trouvons à LAON vers 1190, à LAGNY et à BRAISNE au sud de SOISSONS vers 1198, à CHARTRES vers 1200, à REIMS vers 1210…)
Avec un premier mystère : l’orientation de la Cathédrale. En effet, contrairement aux Eglises chrétiennes, cette cathédrale n’est pas orientée vers l’Est mais vers le Nord-Est.
En réalité, il n’y a pas de mystère particulier car, la Cathédrale actuelle a été bâtie sur de « l’existant », dont les fondations d’origine remontent au temps des Druides.
Il s’en rajoute un second : le chantier a été immédiatement ouvert et voilà notre Maître d’œuvre parti pour bâtir la plus large voûte gothique connue et l’une des plus hautes avec ce que cela comporte comme forces d’expansion latérales ; notion de poids, de résistances aux poussées ; mise en place des arcs-boutants et des contreforts…
Et tout ceci, bien sûr, pensé d’avance ; car, comment commencer à bâtir sans avoir pensé et planifié le futur de la Cathédrale ?
Avec un chœur de 37 mètres de long et 14,90 de large…
Avec une nef de 74 mètres de long et 14,90 de large…
Avec une voûte de 37 mètres de haut ?…
Et d’où vient tout ce savoir ?
Il existe beaucoup de fantasmes sur ce thème : tradition cachée, hermétisme des Cathédrales, héritiers des bâtisseurs de pyramides… Arrêtons là les histoires bâties sur un ésotérisme bien éloigné de la réalité.
Ce siècle est un siècle de voyages et notre Maître d’œuvre, pour acquérir tout son savoir a beaucoup voyagé pour découvrir, s’instruire et progresser en rencontrant sur d’autres chantiers des techniques, des méthodes et des hommes différents. D’ailleurs, de nos jours, les Compagnons du Tour de France font exactement la même chose…
Ces chantiers sont de véritables carrefours entre métiers et gens de pays différents ; car les Cathédrales se bâtissent partout en Europe.
La Loge est présente sur la totalité des chantiers. Adossée à la Cathédrale, elle joue un rôle matériel (rangement et dépôt des outils, lieu de travail où se donnent les consignes), elle joue un rôle social (elle devient un centre de formation à la mauvaise saison, où les Maîtres et les Compagnons transmettent leur savoir aux Apprentis), elle joue enfin un rôle symbolique, dans la mesure où la transmission du savoir ne peut se faire au vu et au su de tous, elle devient donc un lieu protégé et va accéder à un caractère sacré.
Avançons dans la construction de l’édifice. Notre Maître d’œuvre a réalisé l’exploit d’élever sur une base romane et sur celle de la Cathédrale incendiée qu’ils n’avaient pas conçues, les ogives de l’art gothique naissant et, grâce à cette technique toute nouvelle, de faire monter la construction plus haut vers le ciel qu’aucun édifice antérieur.
Autre caractéristique technique importante pour l’époque, notre Maître d’œuvre a fait passer les poussées colossales au travers des murs, en les conduisant dehors vers les arcs-boutants. Ces arcs-boutants sont formés de deux éléments concentriques réunis par une arcature dont les colonnettes, au lieu d’être verticales, sont obliques comme les rayons d’une roue, ce qui est frappant ! Et unique ; c’est une création de CHARTRES que l’on ne retrouve pas ailleurs. Les concepts d’épaisseur et de solidité maintenant dépassés, les Cathédrales sont bâties toutes en vitraux (1/2 hectare pour CHARTRES) où l’équilibre est obtenu par chaque partie qui en contrebalance une autre.
C’est la technique qui a permis de construire CHARTRES.
C’est la technique basée sur l’équilibre des masses.
Notre Maître d’œuvre a le sens de l’espace, du nombre et de la pesanteur et la pesanteur est vaincue !
Quelques réalisations techniques de l’époque :
- la surface de la Cathédrale d’AMIENS = 7 700 m2 permettait à toute la population, soit 10 000 habitants d’assister aux cérémonies ;
- Le chœur de la Cathédrale de BEAUVAIS peut contenir un immeuble de 14 étages (la voûte est à 48 mètres su sol) ;
- Pour atteindre la hauteur de la flèche de la Cathédrale de STRASBOURG, il faudrait bâtir un immeuble de 40 étages…
- Cathédrale de CHARTRES : 7 000 m2 – 8 000 personnes debout !
On bâtit pour Dieu ! ! !…
A CHARTRES, règnent équilibre, grandeur, force et beauté…
L’aspect symbolique qui m’a le plus frappé et qui a retenu mon attention après avoir demandé des explications, est le portail royal (la baie de droite) et, notamment, les sculptures des voussures du tympan, celles qui surmontent la représentation majestueuse de la Vierge.
Ces sculptures représentent les sept arts libéraux représentés par des femmes. Ce sont la grammaire, la rhétorique, la dialectique, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique. A l’époque, il ne faut pas l’oublier, cela représentait ce que l’intellectuel devait savoir, pour atteindre le chemin menant à la Sagesse.
Mais, la particularité de ce tympan ne s’arrête pas là. En effet, chacune des femmes mentionnées est accompagnée par l’homme qui a la réputation d’avoir le mieux représenté les disciplines des arts libéraux.
Sont représentés : DONAT (ou PRISCIEN) – grammairien latin du IV ème siècle – CICERON lié à la rhétorique ; ARISTOTE à la dialectique ; BOECE à l’arithmétique ; EUCLIDE à la géométrie ; PTOLEMEE à l’astronomie et PYTHAGORE à la musique ; soit cinq grands phares le l’Antiquité classique et deux chrétiens…
Cela est frappant, car nulle part je n’ai retrouvé dans mes travaux de recherche la représentation des 7 arts libéraux représentés sur une façade de Cathédrale.
LA LUMIERE
De tous temps, toutes les religions, tous les mystères, toutes les initiations recherchent la Lumière ; car la Lumière symbolise la nature même de la divinité.
Cette Lumière, nous la retrouvons partout depuis l’autel de l’Eglise ou de la Cathédrale où elle symbolise la présence de Dieu, avec Bouddha qui est dénommé le « Roi des Cent Lumières » et les francs-maçons qui sont les « Fils de la Lumière ».
CHARTRES représente un changement profond, après ST. DENIS, dans ce renouveau architectural évoqué plus haut.
Avant, les constructions étaient massives et épaisses.
Avec CHARTRES, apparaissent des lignes immatérielles, dénuées de poids et d’épaisseur ce qui permet une Cathédrales couverte de vitraux. C’est un véritable élan vers la Lumière, vers Dieu.
Le Gothique exalte la Lumière !
L’art du vitrail a eu son apogée au XIIème siècle à ST. DENIS, puis au XIIIème siècle à CHARTRES.
Le vitrail enseigne aux fidèles ! Il montre au croyant ce qu’il doit croire.
Ci-dessus, nous avons évoqué le portail royal.
Trois superbes lancettes le surmontent. Elles sont considérées comme les plus anciennes et les plus lumineuses de l’époque médiévale. Elles sont datées de 1150 ! Celle de droite représente « l’arbre de JESSE » le plus beau vitrail aux dires de certains. On retrouve ce même type de vitrail à St. Denis et à York.
Notre vitrail de CHARTRES est unique en sa perfection et dans sa conservation.
Il rappelle la vision d’Isaïe (XI, 1) : « Un rameau sortira de la souche de Jessé ; un rejeton issu de ses racines fructifiera. »
Le tronc de l’arbre de vie symbolique qui sort de JESSE (le père de David) endormi, a des branches qui supportent quatre rois de Juda vêtus de rouge et de vert, de jaune et de mauve, se détachant sur un fond de bleu intense. Il s’agit sans doute de : David, Salomon, Roboam et Abiah, les premiers de la longue lignée des 28 rois de Juda nommés par Matthieu, ancêtres royaux du Christ. Au dessus se trouve la Vierge et, au sommet, le Christ, fleur et fruit de l’arbre. Sur les côtés du vitrail, les ancêtres spirituels du Christ sont représentés par 14 prophètes de l’annonce messianique faisant face aux rois.
L’arbre est le symbole de la vie.
C’est avec le bois de « l’arbre de la connaissance » du paradis qu’aurait été construite la croix du Christ ; et, la croix elle-même, devint l’arbre de la vie. Elle est souvent représentée avec des branches et des feuilles et considérée comme l’arbre de Jessé, décrit par St. Matthieu.
Une autre interprétation peut être donnée à ce vitrail ; ne s’agit-il pas là d’une glorification de Philippe Auguste à travers la royauté du Christ ? Car, l’arbre revêt la forme d’une immense fleur de lis, dont les capétiens ont fait l’emblème royal. D’où, une certaine ambiguïté de cette composition qui lie la mystique d’une exégèse séculaire à l’exaltation du pouvoir royal…
Un autre vitrail « marquant » est celui dénommé « Notre-Dame de la Belle Verrière » ou encore dénommé : « la Vierge bleue ». Ce vitrail, situé dans le déambulatoire Sud, nous montre la Mère de Dieu représentée en majesté, comme sur le portail royal évoqué plus haut.
Les bleus lumineux, couleur myosotis, sont mystiques, accompagnés des ors et des rouges.
MALRAUX a évoqué ce vitrail en disant qu’il était le sommet de la peinture occidentale.
Et les roses, dont les diamètres varient entre 8 et 14 mètres et des surfaces allant jusqu’à 400 m2, accompagnées de leurs lancettes rayonnantes.
Il faut admirer la rose de la façade ouest, représentant le Jugement dernier. Les couleurs y sont plus soutenues, surtout le bleu.
Il faut arrêter là, car comment en si peu de temps, évoquer plus de 5 000 m2 de vitraux qui donnent toute la vie à la Cathédrale ?
LE LABYRINTHE
Le plus ancien labyrinthe connu dans un édifice chrétien fut découvert à EL ASNAM (ex ORLEANSVILLE en Algérie) ; il est daté de 324.
Il faut attendre le VI ème siècle pour en trouver un à RAVENNE ; puis, cinq siècles plus tard, on en trouve deux dans le nord de l’Italie, dont l’un à St. Michel de Pavie présente deux caractéristiques uniques : il est mural et le combat de Thésée et du Minotaure y figure.
Puis, c’est l’explosion ! Dès le XII ème et le XIII ème, on en trouve partout et notamment, dans les Cathédrales gothiques : Poitiers, Amiens, Arras, Auxerre, Reims, Bayeux, Chartres, Mirepoix, St. Omer, St. Quentin, Toulouse ; où on trouve des labyrinthes de différentes formes : carrés, circulaires, octogonaux ; positionnés dans la nef, sur le mur (Poitiers), ou immenses comme à Chartres.
Tout dessin a un sens !
Y a-t-il, à CHARTRES, un lien entre le labyrinthe de la Cathédrale et celui du mythe grec ? Sans doute ! Mais, le mythe grec symbolisait une prison dont on ne pouvait s’échapper, ce n’est sûrement pas le cas de celui de CHARTRES.
C’est plutôt là, la représentation du chemin de Jérusalem ; car sa dénomination, à l’époque, est « la lieu de Jérusalem ».
Une légende évoque, à un moment donné, la difficulté de se rendre à Jérusalem.
Le pèlerinage aurait été remplacé symboliquement par le cheminement à genoux de ce tracé complexe.
On peut tout interpréter mais, ne s’agit-il pas plutôt du chemin du paradis, de la Jérusalem céleste citée par l’Ecriture.
Le labyrinthe de CHARTRES est un chemin unique, mais compliqué. Il traduit bien l’idée d’un but à atteindre, après un parcours laborieux.
On peut dire (ou imaginer) que ce chemin est celui de la vie, de la naissance à la mort, d’où – peut-être – la christianisation du labyrinthe, signifiant que le labyrinthe est l’entrée dans la Jérusalem céleste et que l’Eglise en détient le fil d’Ariane permettant d’y accéder…
Le labyrinthe symbolise la trajectoire de la vie ; il est le voyage initiatique qui conduit de l’éphémère à l’éternel, du profane au sacré.
Il peut aussi symboliser un vrai pèlerinage, le vrai voyage au centre, qui est un voyage intérieur, à la recherche du Soi… Vous avez dit VITRIOL ? ? ?…
Vous remarquerez, au cours de votre visite à CHARTRES, la très nette apparition de la croix dans le labyrinthe… Y a-t-il une connotation de chemin de croix ?
En tout cas, une charmante guide m’a informé qu’il était composé de 272 pierres (sans les dents) et, que son développement mesure environ 261 mètres.
Et tout cela, construit avec une règle, une équerre et un compas !
Méditons, mes FF:., méditons !…
Avant de te repasser la parole, V:. M:., je voudrai dire tout l’immense plaisir que j’ai eu à travailler cette planche et les connaissances importantes acquises à tous les niveaux, pour effectuer ce travail.
J’ai passé plus de 5 mois intenses de visites, de recherches, de lectures et de réflexions que je regrette beaucoup de voir terminés pour l’instant.
J’ai dit, V:. M:.…
Lui 30 novembre, 2008
Posté par hiram3330 dans : Bleu,Chaine d'union , ajouter un commentaireLui
Il y a ….. longtemps, dans un autre siècle, je l’ai rencontré … non par hasard (je n’y crois pas) mais parce que c’était le moment et le lieu. C’est ainsi la vie, on cherche parfois, on trouve quelque fois, tout cela serait la destiné dit-on.
J’y songe souvent, surtout en cette période, car je l’ai vu, vivant si je puis dire, à la fin de l’année, d’une année… c’était hier, il reste présent dans mon esprit, dans mon coeur et je l’entend encore qui me dit …..
Personnage imposant, personnage pesant, personnage pour beaucoup impressionnant … il était pourtant lui, simplement mais entièrement, avec une finesse bourrue, un sourire intérieur, une pensée lumineuse : un Maître, un vrai … de ceux qui font cent centimètres quelles que soient les conditions d’espace et de température.
J’appréciais son humour décalé, son humour délicat, son humour glacial … que d’instants où, complices par l’esprit et le regard, nous discutions de choses et d’autres, d’autres aussi oui …. il était ainsi, comme un peintre impressionniste, par petites touches, codées, multiples, à tiroirs … nombreux les tiroirs.
Il était de profession … architecte, oh pas Grand Architecte De L’Univers, non … architecte créateur par sa vision intérieure qu’il mettait en oeuvre sur le terrain concret …. en imaginant des bâtisses, des universités, des magasins, des collectifs, tant de constructions qu’une fois, une seule, je l’ai taquiné en l’appelant Hiram …
Hiram ! a-t-il grogné … un peu rogue, avec la malice au fond de l’oeil gauche … Hiram ? Qui est Hiram m’a-t-il rétorqué … Ma taquinerie m’a valu, ce jour là, de longues minutes interminables d’explication embrouillées, partielles, confuses sous son regard perçant et froid comme une banquise des pôles.
Assis, bourrant sa pipe il regardait d’un oeil lucide l’agitation qui le cernait, les « courtisans » qui venaient quémander un conseil, une idée, ou plus prosaïquement qui souhaitaient qu‘on les visses en sa compagnie … les pires … Je n’ose écrire là les termes, bruts, qu’il savait employer à leur égard et sans égard …..
Un personnage oui ! Craint … du moins par ceux qui n’ont pas su voir au delà des apparences, au delà de son apparence … craint aussi des autres, les mesquins et petits qui tremblaient de leur propre ombre, mais ceux-là …..
Une figure oui ! Connue « orbi et orbi », pas des médias bien sûr, mais de nous tous ici et maintenant, là et là bas, quelle que soit notre couleur, notre niveau, notre langue … Connu il l’était, en son pays, en son continent, de ses pairs, de ses « adversaires » également.
Un esprit oui ! Lumineux et en expansion permanente , semant ici où là, ici et là des parcelles de matière ne demandant qu’à s’enflammer pour éclairer … combien de fois n’ai-je pas tenté d’en saisir des éclats … combien de fois n’ai-je pas laissé passer, entre mes doigts trop écartés, cette manne ?
Un homme oui ! Givrant d’apparence, brûlant d’amour pudique … Oui « d’amour » ….. pour ses semblable et pour l’humanité, qu’à sa place il essayait d’améliorer un tant soit peu par sa pierre qu’il burinait inlassablement. Pour moi, pour nous il faisait figure de « clé de voûte », rayonnant il savait d’un mot, d’une parole (pas perdue pour tout le monde) remettre d’équerre et d’aplomb la construction en oeuvre.
C’est assez amusant et paradoxal, il aimait lui aussi les paradoxes, mais sa présence apparemment glaciale réchauffait nos réunions et notre atmosphère, surtout lorsqu‘il semblait s’être assoupi … et voilà qu’une paupière se levait, qu‘une grêle de mots s’enchaînaient, que des idées se bousculaient vers nous tout ébahis de la clarté apportée …
Il n’a pas laissé de livre, il n’a pas laissé d’écrits hors ceux par autrui rapportés, il n’a pas laissé de testament pour dire ceci ou cela … Non il n’a rien laissé de ce genre, ce n’était pas son genre …
Très Puissant Souverain Grand Commandeur « ad vitam » d’honneur, il n’a rien laissé de matériel, mais son apport fut, est si important qu’il laisse rêveur ceux qui ont pu bénéficier de sa présence très éclairée …
Sa présence est permanente dans nos coeurs, dans mon coeur à moi et dans mon esprit … car l’Homme qu’il fut pendant les années où j’ai pu l’approcher, où il m’a prit en affection curieusement, reste vivace, très vivace en moi ….. j’aime à me souvenir de son sourire qui brillait dans ses yeux quand il parlait, dialoguait avec des « jeunes » ….. un transmetteur … un vrai.
Mon Bien Aimé Frère Chaby point besoin de photo pour te voir ….. tu es !
Chris
novembre 6008
TRADITION HERMÉTIQUE ET FRANC-MAÇONNERIE 6 septembre, 2008
Posté par hiram3330 dans : Chaine d'union,Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireTRADITION HERMÉTIQUE ET FRANC-MAÇONNERIE | |
Dans l’ancien manuscrit maçonnique Cooke (circa 1400) de la Bibliothèque Britannique, l’on peut lire aux paragraphes 281-326 que toute la sagesse antédiluvienne était écrite sur deux grandes colonnes. Après le déluge de Noé, l’une d’elles fut découverte par Pythagore et l’autre par Hermès le Philosophe, qui se consacrèrent à enseigner les textes qui y étaient gravés. Le manuscrit concorde parfaitement avec ce dont témoigne une légende égyptienne, déjà rapportée par Manéthon, et que le Cooke lui-même rattache aussi à Hermès.
Il est évident que ces colonnes, ou ces obélisques, assimilées aux piliers J. et B., sont celles qui soutiennent le temple maçonnique tout en permettant d’y accéder, et qu’elles constituent les deux grands affluents sapientiels qui nourriront l’Ordre : l’hermétisme qui assurera la protection du dieu à travers la Philosophie, c’est-à-dire la Connaissance, et le pythagorisme qui donnera les éléments arithmétiques et géométriques nécessaires, réclamés par le symbolisme constructif ; il faut considérer que ces deux courants sont, directement ou indirectement, d’origine égyptienne. Notons également que ces deux colonnes sont les jambes de la Loge Mère, entre lesquelles naît le Néophyte, c’est-à-dire par la sagesse d’Hermès, le grand Initiateur, et par Pythagore, l’instructeur gnostique.
En fait, dans la plus ancienne Constitution Maçonnique éditée, celle de Roberts, publiée en Angleterre en 1722 (et donc antérieure à celle d’Anderson), mais qui n’est que la codification d’anciens us et coutumes opératifs qui viennent du Moyen Âge, et qui seront développés par la suite dans la Maçonnerie spéculative, il est spécifiquement fait mention d’Hermès, dans la partie intitulée « Histoire des Francs-maçons ». En effet, il apparaît là dans la généalogie maçonnique sous ce nom, ainsi que sous celui de Grand Hermarines, fils de Sem et petit-fils de Noé, qui trouva après le déluge les colonnes de pierre déjà citées où se trouvait inscrite la sagesse antédiluvienne (atlantique) et lut (déchiffra) sur l’une d’elles ce qu’il enseignerait plus tard aux hommes. L’autre pilier fut, comme nous l’avons dit, interprété par Pythagore en tant que père de l’Arithmétique et de la Géométrie, éléments essentiels dans la structure de la loge, et par conséquent ces deux personnages constituent l’alma mater de l’Ordre, en particulier dans son aspect opératif, lié aux Arts Libéraux.
Dans le manuscrit Grand Lodge nº1 (1583), seule subsiste la colonne d’Hermès, retrouvée par « le Grand Hermarines » (qui est fait descendant de Sem) « qui fut plus tard appelé Hermès, le père de la sagesse ». Notons que Pythagore ne figure plus en tant qu’interprète de l’autre colonne. Dans le manuscrit Dumfries nº 4 (1710) il apparaît également, comme « le grand Hermorian », « qui fut appelé ‘le père de la sagesse’ », mais dans ce cas, l’on a rectifié son origine d’après le texte biblique qui le fait descendre de Cham et non de Sem, par l’intermédiaire de Cusch ; comme le dit J,-F. Var dans
C’est également ce que met en avant le manuscrit qui a été nommé Regius, découvert par Haliwell au Musée Britannique en 1840 et que reproduit J. G. Findel dans l’Histoire Générale de la Franc-Maçonnerie (1861), dans son ample première partie qui traite des origines jusqu’en 1717, bien que ce n’y soit pas Pythagore l’herméneute qui, avec Hermès, déchiffre les mystères dont hériteront les maçons, sinon Euclide, qui est fait fils d’Abraham ; à ce sujet, rappelons que le théorème du triangle rectangle de Pythagore fut énoncé dans la quarante-septième proposition d’Euclide.
Findel lui-même, se référant à la quantité d’éléments gnostiques et opératifs qui constituent la Maçonnerie, et s’occupant concrètement des carriers allemands, affirme : « Si la conformité qui résulte entre l’organisme social, les usages et les enseignements de la Franc-Maçonnerie et ceux des compagnies de maçons du Moyen Âge indique déjà l’existence de relations historiques entres ces diverses institutions, les résultats des investigations menées dans les arcanes de l’histoire et le concours d’une multitude de circonstances irrécusables établissent de façon positive que la Société des Francs-maçons descend, directement et immédiatement, de ces compagnies de maçons du Moyen Âge. » Et il ajoute : « L’histoire de la Franc-Maçonnerie et de la Société des Maçons est ainsi intimement liée à celle des corporations de maçons et à l’histoire de l’art de construire au Moyen Âge ; il est donc indispensable de jeter un bref coup d’œil à cette histoire pour arriver à celle qui nous occupe. »
Ce qui est intéressant dans ces références venues d’Allemagne, c’est que son Histoire Générale est considérée comme la première histoire (au sens moderne du terme) de la Maçonnerie, et dès le commencement l’auteur établit que : « L’histoire de la Franc-Maçonnerie, de même que l’histoire du monde, est fondée sur la tradition ».1 Il apparaît donc comme évident que les Anciens Us et Coutumes, les symboles et les rites et les secrets du métier, se sont transmis sans solution de continuité depuis des temps reculés et, bien sûr, dans les corporations médiévales, et le passage d’opératif à spéculatif n’a été que l’adaptation de vérités transcendantales à de nouvelles circonstances cycliques, en observant que le terme opératif ne se réfère pas seulement au travail physique ou de construction, de projection ou de programmation matériel et professionnel des travaux, mais aussi à la possibilité donnée à la Maçonnerie d’opérer la Connaissance chez l’initié, au moyen des outils que donne la Science Sacrée, ses symboles et ses rites. C’est précisément là ce qu’offre la Maçonnerie en tant qu’Organisation Initiatique, et se trouve confirmé par la continuité du passage traditionnel qui permet que l’on puisse trouver également dans la Maçonnerie spéculative, de manière réflexe, la vertu opérative et la communication avec la Loge Céleste, c’est-à-dire la réception de ses effluves qui sont les garants de toute véritable initiation, à plus forte raison lorsque les enseignements émanent du dieu Hermès et du sage Pythagore.2 De toutes façons, aussi bien l’une que l’autre sont des branches d’un tronc commun qui prend les Old Charges (Les Anciens Devoirs) comme modèle ; de ces derniers, ont été trouvés de très nombreux fragments et manuscrits sous forme de rouleaux, depuis le XIVe siècle, dans diverses bibliothèques.3
Quant à Hermès, non mentionné dans les constitutions d’Anderson, en particulier l’Hermès Trismégiste grec (le Thot égyptien), c’est une figure aussi familière à la Maçonnerie des plus divers rites et obédiences qu’elle pourrait l’être pour les alchimistes, forgerons de l’immense littérature placée sous leur égide. Non seulement l’Hermétisme est le thème d’abondantes planches et livres maçonniques, et d’innombrables loges s’appellent Hermès, sinon qu’il existe des rites et des grades qui portent son nom. Il y a ainsi un Rite appelé Les Disciples d’Hermès ; un autre le Rite Hermétique de la loge Mère Écossaise d’Avignon (qui n’est pas celle de Dom Pernety), Philosophe d’Hermès est le titre d’un Grade dont le catéchisme se trouve dans les archives de la « loge des amis réunis de Saint Louis », Hermès Trismégiste est un autre grade archaïque que nous rapporte Ragon, Chevalier Hermétique est un niveau hiérarchique contenu dans un manuscrit attribué au frère Peuvret dans lequel l’on parle aussi d’un autre appelé Trésor Hermétique, qui correspond au grade 148 de la nomenclature dite de l’Université, où il en existe d’autres comme Philosophe Apprenti Hermétique, Interprète Hermétique, Grand Chancelier Hermétique, Grand Théosophe Hermétique (correspondant au grade 140), Le Grand Hermès, etc. Dans le Rite de Memphis également, le grade 40 de la série Philosophique s’appelle Sublime Philosophe Hermétique, et le grade 77 (9ème série) du Chapitre Métropolitain est nommé Maçon Hermétique.
Dans l’actualité, les revues et dictionnaires maçonniques ne manquent pas non plus de références directes à la Philosophie Hermétique et au Corpus Hermeticum,4 auquel celle-ci se trouve liée, mais se retrouvent également des analogies avec la terminologie alchimique ; en voici un seul exemple, extrait du Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie de D. Ligou (p. 571) : « Nous citerons une interprétation hermétique de quelques termes utilisés dans le vocabulaire maçonnique : Soufre (Vénérable), Mercure (1er Surveillant), Sel (2ème Surveillant), Feu (Orateur), Air (Secrétaire), Eau (Hospitalier), Terre (Trésorier). L’on trouve ici les trois principes et les quatre éléments des alchimistes. »
Ce qui fait qu’Hermès et l’Hermétisme sont une référence habituelle dans la Maçonnerie, comme l’est aussi Pythagore et la géométrie. D’autre part, ces deux courants historiques de pensée viennent, à travers la Grèce, Rome et Alexandrie, de l’Égypte la plus lointaine, et par son intermédiaire, de l’Atlantide et de l’Hyperborée, comme c’est en fin de compte le cas de toute Organisation Initiatique, capable de relier l’homme à son Origine. Et il va de soi que cette impressionnante généalogie qui compte les dieux, les sages (les prêtres) et les rois (aussi bien de Tyr et d’Israël que d’Écosse : la royauté ne dédaignait pas la construction et le roi était un maître opérateur de plus) constitue un domaine sacré, un espace intérieur construit de silence, lieu où deviennent effectives toutes les virtualités, et où l’Être Universel peut ainsi se refléter de façon spéculative. La loge maçonnique, comme on le sait, est une image visible de la loge Invisible, tout comme le Logos est le déploiement de la Tri-unité des Principes.
L’influence du dieu Hermès et les idées du sage Pythagore n’ont pas totalement disparu de ce monde crépusculaire que nous habitons, elles sont en fait tout ce qu’il en reste y n’oublions pas que les alchimistes assimilent Jésus au Mercure Solaire, au moins en Occident. D’autre part, sans elles le monde ne pourrait pas même exister, aussi bien dans le domaine des énergies perpétuellement régénératrices attribuées à Hermès et à sa Philosophie, que dans celui des idées-force pythagoriciennes, dont l’ordre numérique (et géométrique) est aujourd’hui indispensable à la plus simple des opérations.
La déité est immanente en tout être, et les Enfants de la Veuve, les fils de la lumière, la reconnaissent au sein de leur propre loge, faite à l’image du Cosmos. La racine H. R. M. est commune aux noms Hermès et Hiram, ce dernier formant avec Salomon un parèdre où se conjuguent la sagesse et la possibilité (la doctrine et la méthode), la Tradition (Kabbale) hébraïque, qui vît naître Jésus, se signalant comme le vecteur de cette révélation sapientielle, royale et artistique (artisanale) que constitue la Science Sacrée, apprise et enseignée dans la loge par les symboles et les rites, « livre » codé que les Maîtres déchiffrent aujourd’hui, ainsi que le firent leurs ancêtres dans les temps mythiques, puisque la Maçonnerie n’octroie pas la Connaissance en soi sinon qu’elle montre les symboles et indique les voies pour y accéder, avec la bénédiction des rites ancestraux, qui agissent comme les transmetteurs médiatiques de cette Connaissance.5
Autrement dit que l’actualisation de la possibilité, c’est-à-dire l’Être, l’assurance que tout est vivant, que le Présent est éternel, la simultanéité du Temps, la notion de Tri-unité du Seul et Unique, constituent une Connaissance que les francs-maçons atteignent par l’expérience que procure un apprentissage graduel et hiérarchisé.
Le Maître Constructeur emporte partout sa loge intérieure, c’est ce qu’il est lui-même, un Cosmos en miniature, conçu par le Grand Architecte de l’Univers. Mais l’œuvre est inachevée, sa pierre brute doit encore être polie (par la Science et l’Art) de même que le Créateur a ciselé son Œuvre. Les nombres et les figures géométriques symbolisent des concepts métaphysiques et ontologiques qui représentent également des réalités humaines concrètes et immédiates, aussi nécessaires que les activités physiologiques, et à partir de là toutes les autres. Le nombre établit la notion d’échelle, de proportion et de rapport, ainsi que de rythme, de mesure et d’harmonie, car ce sont les canaux percés par l’Unité vers l’indéfinité numérique, vers les quatre points de l’horizon mathématique et la multiplicité. Il est évident que Pythagore et Thalès de Milet n’ont rien « inventé », mais qu’ils ont reconnu, dans la série décimale qui retourne à son Origine (10 = 1 + 0 = 1), une échelle naturelle, une ascèse qui permettrait à l’être humain de compléter l’Œuvre et d’opérer ainsi la transmutation en Homme Véritable, paradigme de tout Initié, situé dans la Chambre du Milieu, entre l’équerre et le compas.6 Il n’y a pas eu de Tradition qui n’ait développé un système numéral qui lui serve de méthode de connaissance, en parfait accord avec les règles de la création. Rappelons que le toit de la loge est décoré par les astres, les Régents, qui gouvernent les sphères célestes et établissent les intervalles et les mesures de l’Harmonie Universelle.
Les maçons n’ont cependant jamais cessé de reconnaître la phrase évangélique : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père » (Saint Jean 14, 2), car s’ils savent que devant eux s’ouvre un sentier qui les conduira à leur Père, il ne rejettent pas d’autres chemins ni s’opposent à aucune voie, car ils croient que les structures invisibles sont les mêmes, prototypes valables pour tout temps et tout lieu, malgré la constante adaptation de formes distinctes aptes à différentes individualités, la plupart du temps déterminées par les cycles temporels dont tout être vivant pourrait donner l’exemple, comme l’être humain et ses modifications et adaptations au cours des années, cycles auxquels la Maçonnerie n’échappe pas non plus, comme cela peut se vérifier dans sa lente transformation qui se concrétise finalement au XVIIIe siècle. Et c’est par la même compréhension de ses possibilités métaphysiques et initiatiques que la Franc-Maçonnerie reconnaît d’autres Traditions, et laisse également la porte ouverte à la pratique de n’importe quelle croyance religieuse, ou pseudo religieuse, à ses membres, beaucoup desquels concilient leur processus de Connaissance lire Initiation avec la pratique de préceptes et cérémonies religieuses exotériques et légales qu’ils croient pouvoir enrichir leur passage et celui des autres dans ce monde. Il n’y a donc pas de conflit entre Maçonnerie et Religion, à condition de ne pas tenter d’en mêler les concepts ni de prétendre, comme cela est déjà arrivé, que certains fondamentalistes (religieux ou non) essaient d’accaparer les loges à leur profit personnel. De fait, de nombreux hermétistes, pythagoriciens et maçons ont été, et sont, des chrétiens accomplis, ou bien de grands kabbalistes, et tous ont considéré les symboles comme leurs maîtres. L’Église Catholique n’a jamais condamné l’Hermétisme ni Euclide, héritier de la science géométrique pythagoricienne et maître des francs-maçons, mais elle a en revanche eu des problèmes avec la Maçonnerie depuis le XVIIIe siècle, au point de la condamner et d’excommunier ses membres. Il s’est produit néanmoins ces derniers temps un rapprochement progressif entre les deux institutions, éclaboussé ici et là d’incompréhensions et d’interférences, souvent intéressées. Selon José A. Ferrer Benimelli, S.J., la revue La Civilittà Cattolica de Rome, publiée dès 1852 et qui a suivi le thème de la Franc-Maçonnerie jusqu’à nos jours, révèle dans sa propre évolution ce processus de rapprochement, ou au moins de respect mutuel. En effet, les premiers articles sont violents et condamnatoires, suit une période de transition, et ceux des dernières années sont assez conciliatoires et ouverts au dialogue.7
Nombreux sont les maçons catholiques, beaucoup d’entre eux français, qui ont tenté depuis des années de concilier les deux institutions et de lever l’excommunication ; il y a cependant bien d’autres auteurs maçonniques qui intègrent complètement la Tradition Hermétique dans leur Ordre sans avoir besoin d’exotérisme religieux. Tel est le cas d’Oswald Wirth, directeur pendant de nombreuses années de la revue Le Symbolisme et maçon reconnu, qui a écrit sur les Symboles de la Tradition Hermétique et les symboles maçonniques :
Hermès, à qui est attribué l’enseignement de toutes les sciences, a joui d’un grand prestige au cours de diverses périodes de l’histoire de la culture d’occident. Cela a été le cas parmi les alchimistes et lesdits philosophes hermétiques, et les mêmes notions se sont manifestées dans l’Ordre des Frères Rose-croix, influences toutes recueillies par la Maçonnerie à tel point que l’on peut la considérer comme le dépôt de la sagesse pythagoricienne et responsable de sa transmission au cours des derniers siècles, ainsi que comme la réceptrice des Principes Alchimiques, tout comme des idées Rosicruciennes,9 ce qui est une évidence lorsque l’on peut vérifier facilement que l’un des plus hauts grades du Rite Écossais Ancien et Accepté, le 18, s’appelle précisément Prince Rosecroix. Des analogies et des connexions avec les Ordres de Chevalerie sont également réclamées par certains maçons, concrètement avec l’Ordre du Temple. Il existe de nombreux indices historiques qui prouveraient ces germes, ainsi que des rites et des traditions, en particulier l’un des mots de passage au grade 33, mais qui s’affaiblissent assez lorsque l’on se souvient que les templiers étaient à la fois moines et soldats (quoique grands constructeurs médiévaux), ce qui n’a aucun rapport apparent avec la Maçonnerie, dans laquelle l’on observe par ailleurs une très nette influence hébraïque que nous avons déjà signalée au sujet de Salomon et de la Construction du Temple, et qui se voit confirmée en vérifiant simplement que presque tous les mots de passage et de grade, secrets sacrés, sont prononcés en hébreu.10
Dans le Dictionnaire Encyclopédique de la Maçonnerie (Ed. del Valle de México, Mexico D.F.), qui est peut-être le plus connu en langue espagnole, nous trouvons sous le titre « Hermès » l’entrée correspondante, dans laquelle l’on peut observer l’importance attribuée au Corpus Hermeticum qui, dans certaines loges sud-américaines, occupe la place de la Bible en tant que livre sacré. Le rapport entre Hermès et le silence est bien connu, et l’on qualifie d’hermétique se qui se trouve parfaitement clos, ou scellé. Le silence est également une caractéristique de la Franc-Maçonnerie ainsi que des pythagoriciens qui passaient cinq ans à le cultiver.
Élias Ashmole est aussi un digne point de confluence entre l’Hermétisme et la Maçonnerie. Cet extraordinaire personnage, né à Lichfield, Angleterre, en 1617, semble avoir joué un rôle important dans la transition entre l’ancienne Maçonnerie, antérieure à Anderson-Désaguliers, et son ultérieure projection historique, en voie de récupérer la majeure partie du message spirituel-intellectuel, c’est-à-dire gnostique (au sens étymologique du terme), des authentiques organisations initiatiques, parmi lesquelles la Franc-Maçonnerie et l’Ordre de la Jarretière. Il fut reçu dans la loge de Warrington le 16 octobre 1646 bien que, d’après son journal, il n’assista que plusieurs années plus tard à sa seconde tenue. Il ne faut cependant pas s’étonné de ce comportement chez une personnalité comme la sienne, produit de l’ambiance de l’époque, où le culte du secret et du mystère était habituel pour des raisons évidentes de sécurité et de prudence. En 1650, il publia son Fasciculus Chemicus sous le nom anagrammatique de James Hasolle ; il s’agit de la traduction de textes d’Alchimie en latin (dont certains de Jean d’Espagnet) avec sa préface. En 1652, il édita le Theatrum Chemicum Britannicum, une collection de textes alchimiques anglais en vers, qui réunit beaucoup des pièces les plus importantes de celles produites dans ce pays, et, six ans plus tard, The Way to Bliss, tout en travaillant à des recherches documentaires littéraires en tant qu’historien et développant son activité d’antiquaire en réunissant dans un musée toute sorte de « curiosités » et « raretés » se rapportant à l’archéologie et l’ethnologie, ainsi que des collections d’Histoire Naturelle, comprenant des espèces minérales, botaniques et zoologiques en tout genre. En réalité, ce fut là l’objectif scientifique du musée (où l’on a même réalisé les premières expériences scientifiques d’Angleterre), dont l’on visite aujourd’hui les magnifiques installations d’Oxford davantage comme musée artistique que comme institution précurseur de la science et auxiliaire de l’Université. La vie d’Ashmole a été très liée à celle d’Oxford, et les fonds de ses donations d’objets et de manuscrits à l’institution qui porte son nom (où se trouvent également les volumes de son journal, rédigés dans un système chiffré et qui contiennent de nombreuses notes sur la Maçonnerie)11 ont été d’une immense importance pour cette ville en raison de son prestige universitaire. Ashmole joua un rôle considérable à Oxford ainsi qu’à Londres : produit de son époque, il s’est consacré à la science naturelle et expérimentale comme une forme de magie des transmutations, tout comme de nombreux philosophes hermétiques. Il a ainsi été en rapport avec des Astrologues, des Alchimistes, des Mathématiciens et toute sorte de savants et de dignitaires de l’époque, avec lesquels il formera la Royal Society de Londres et la Philosophical Society d’Oxford. Ses nombreux amis et compagnons de toute une vie portent des noms illustres, beaucoup desquels étaient liés à la Maçonnerie aux plus hauts grades, comme Christopher Wren, ou aux recherches et exercices sur les Arts Libéraux et la Science Sacrée, et constituaient un ensemble de personnalités qui jouèrent un rôle fondamental en leur temps, en particulier en ce qui concerne la diffusion et la pratique de la Tradition Hermétique et ses liens avec la Franc-Maçonnerie. Ainsi que le disait René Guénon au sujet du rôle d’Ashmole : « Nous pensons même que l’on chercha au XVIIe siècle à reconstituer à ce sujet une tradition qui s’était en grande partie perdue ». Le nom de E. Ashmole brille sur cet extraordinaire travail à deux aspects : comme l’un des reconstructeurs de la Maçonnerie quant à son rapport avec les ordres de Chevalerie et les corporations de constructeurs, ainsi que comme confluent avec la Tradition Hermétique. Ashmole se donnait lui-même le nom de fils de Mercure (Mercuriophilus Anglicus), et son œuvre la plus importante, que nous avons déjà citée, The Way to Bliss, 1658, recueille ses travaux sur la Philosophie Hermétique, ainsi qu’il l’indique lui-même au lecteur dans son introduction.
Il faut également signaler que certains auteurs s’interrogent au sujet du catholicisme et du protestantisme dans le processus de passage de la Maçonnerie opérative à la Maçonnerie spéculative. Le propos est généralement simplifié en déclarant que les corporations opératives étaient catholiques et les spéculatives qui suivirent, protestantes. Il est évident que du point de vue historique, ces faits peuvent s’avérer plus ou moins « réels » puisque l’Ordre, comme toute institution, est sujet à certains va-et-vient cycliques qui se manifestent dans les sphères sociales, politiques, économiques, etc. Mais du point de vue de la Franc-Maçonnerie en tant qu’organisation initiatique, elle n’est pas assujettie au devenir, raison pour laquelle elle subsistera jusqu’à la fin du cycle.12 En réalité, la Tradition Hermétique (et Hermès lui-même) a subi d’innombrables adaptations au cours du temps, bien que n’ayant jamais cessé de s’exprimer, et il est évident que cette Tradition, tout comme les fondements de la Maçonnerie, elle-même identifiée comme la Science de Construire, est antérieure au Christianisme tout en ayant coexisté avec durant vingt siècles et que l’on ait même vu des hermétistes chrétiens et des chrétiens hermétiques (parmi lesquels de très hauts dignitaires, y compris des papes), ce qui n’empêche pas cette Tradition d’avoir des antécédents nettement païens, liés aux écoles de mystères ou, comme on les appelle aujourd’hui, les religions mystériques ; l’on pourrait donc affirmer que l’hermétisme possède un versant païen et un autre chrétien. Il faut à ce sujet préciser que le mot païen prend à nos oreilles, accoutumées aux aspects les plus superficiels des religions abrahamiques, la connotation de maudit, illégal, bâtard, ou au minimum de péché nébuleux. Ou encore d’ignorance attribuée au retard de peuples méconnus et qui n’intéressent même pas. L’on conçoit généralement le paganisme comme antagonique d’une opinion civilisée, souverainement primitif ou allant à l’encontre du christianisme ou de la religion, et par conséquent étranger à toute sorte d’ordre. Le paganisme est en somme éliminé d’avance par une censure intérieure, comme quelque chose d’un peu répugnant, avant que nous ne nous rendions compte qu’en réalité il ne s’agit que de la sagesse d’innombrables peuples traditionnels ayant habité ce monde avant et pendant les seulement vingt siècles qui caractérisent ce que l’on nomme la Civilisation contemporaine.13
Nous supposons que de ce dernier point de vue, presque officiellement œcuménique, il n’y a pas d’injure à partager la pensée païenne, ainsi que l’ont vu des Pères de l’Église et de nombreux sages, prêtres et pasteurs contemporains.14
En réalité, pour l’Hermétisme, historiquement antérieur au Christianisme, il existe une Cosmogonie Pérenne, qui se manifeste par sa philosophie et ses écrits de la même façon que pour le maçon, religieux ou non, elle le fait par ses symboles et ses rites.
Quant à la relation entre les Francs-maçons et les corporations de constructeurs et artisans, il existe trois grands témoignages souvent cités en tant que sources documentaires sur la pratique de la construction au Moyen Âge.15 Nicholas Coldstream les recueille dans son livre sur la pratique de la construction au Moyen Âge,16 où il rejette la notion de filiation « fantomatique » de la Franc-Maçonnerie avec les constructeurs et les artisans médiévaux, (sa thèse, simple, est que les maçons étaient des ouvriers et non pas des hommes de cabinet) malgré que, paradoxalement, son étude le confirme de plusieurs manières ; ainsi, il nous dit à ce sujet : « Il s’agit du document, rédigé par l’abbé Suger, qui relate la construction du nouveau chœur de l’abbaye de Saint-Denis ; du manuscrit daté circa 1200, du moine Gervais de Canterbury, sur l’incendie et la réparation de la cathédrale de Canterbury, et de l’Album de Villard de Honnecourt, ensemble de dessins et de plans d’édifices, de moulures et de tours élévateurs. Des trois, le texte de Suger nous renseigne davantage sur l’homme et la décoration de son église que sur l’édifice, bien qu’il y ait, au passage, quelques précieuses allusions à sa construction. L’examen attentif de l’Album de Villard de Honnecourt nous permet de douter sérieusement que celui-ci ait construit quelque fois des églises et qu’il ait eu quelque connaissance en matière d’architecture ; quant à ses dessins, s’ils sont intéressants, ce ne serait cependant pas ceux d’un architecte ou d’un atelier de maçon. Le texte de Gervais, au contraire, est l’unique document médiéval qui décrive une équipe de maçons au travail ; il fournit de nombreuses informations sur la pratique des maçons et sur quelques méthodes de construction. »
La référence à l’Album de Villard de Honnecourt nous intéresse tout spécialement. En effet, ce n’est pas la première fois que l’on signale certaines caractéristiques quant au fait que ce cahier n’est pas un manuel de technologie appliquée, sinon tout à fait autre chose, beaucoup plus en rapport avec les notions de la Philosophie Hermétique notées à l’usage des maîtres d’œuvre.17 Et le fait qu’il existe un document de ce type (document de cabinet plus qu’autre chose) est une preuve que la spéculation sur le symbolisme et le langage hermétique dans sa version chrétienne avait déjà des adeptes au début du XIIIe siècle, qui vit naître, entre autres, les cathédrales de Chartres et de Reims.
L’on a beaucoup écrit sur ce thème et le débat demeure ouvert ; l’investigateur en tirera ses propres conclusions, mais ne pourra ignorer la Tradition Orale et sa filiation universelle avec le Symbolisme Constructif, qui peut se manifester aussi bien en Extrême-Orient qu’en Égypte ou en Méso-Amérique ; dans les « collegia fabrorum » romains, ou chez les corporations médiévales, que l’on considère généralement, faisant abstraction de toute référence initiatique ou ayant un rapport avec les Francs-maçons, comme fermées et en même temps dépositaires de connaissances relatives à « l’office », qui se transmettaient par le biais des symboles et des termes d’un langage chiffré.
Il faut néanmoins tenir compte du fait que l’influence de la Philosophie Hermétique, d’une part, et celle des corporations de constructeurs chrétiens d’autre part (ainsi que d’autres déjà mentionnées, comme l’Ordre du Temple), n’est pas la même dans les différents Rites où, sur une base commune, l’on peut observer quelques filiations penchant vers l’un ou l’autre de ces aspects. Nous ne pouvons traiter ici le sujet vaste et complexe de la diversité des Rites maçonniques, mais nous pouvons en revanche signaler leur existence, ainsi que celle de différents aspects de la Science Sacrée qui inspirent à certains plus ou moins de sympathie. Puisque la Maçonnerie est une et seule, comme est une et seule la Construction Cosmique, et donc le Symbolisme Constructif, les interpénétrations d’influences diverses, leurs oppositions et conjonctions, forment part de l’ensemble de déséquilibres et d’adaptations auxquels doit faire face l’héritage maçonnique, véhiculé par la civilisation judéo-chrétienne. Cela a déjà eu lieu par le passé et explique le passage de la Maçonnerie opérative à la spéculative comme nous l’avons déjà dit, franchissement graduel qui fit que certaines loges « opératives » (antérieures à 1717) possédaient des éléments « spéculatifs » et que de nombreuses loges « spéculatives » (actuelles) sont en fait opératives. Il existe même des documents témoignant de la coexistence de toutes deux, thème que divers auteurs ont appelé Maçonnerie de transition.18 En effet, après la publication des Constitutions d’Anderson, un groupe de nombreux maçons écossais, irlandais et d’autres lieux d’Angleterre décident de se séparer de la Grande Loge fondée à Londres (et qui débuta avec quatre loges seulement), leurs différences portant en partie sur certaines altérations de signification, voire rituelles, auxquelles ne sont pas étrangères les distinctions religieuses, et créent même une espèce de Fédération de l’Ancienne Maçonnerie qui ne renouerait ses relations avec les Anglais qu’après plusieurs dizaines d’années, mais en conservant ses points de vue traditionnels plus en rapport avec le mode opératif ou initiatique qu’avec le spéculatif ou allégorique ; il faut ajouter à cela les problèmes de succession au trône d’Angleterre auquel prétendait Jacques, écossais et catholique, qui avait de nombreux partisans, non seulement dans les îles mais aussi sur tout le continent.19 Quoiqu’il en soit, cette situation de diversité de Rites se retrouve dans les différents degrés, qui varient en nombre, appellation et condition, selon les différentes formes maçonniques. Ce sujet est intéressant mais il nous semble prioritaire de rappeler que ces grades (qu’ils soient au nombre de trois, sept, neuf ou davantage) représentent des étapes dans le Processus de Connaissance, ou d’Initiation, et que ces passages ou états sont synthétisés et désignés dans la Franc-Maçonnerie par les noms d’Apprenti, Compagnon et Maître, correspondant aux trois mondes : physique, psychique et spirituel. Ces trois grands degrés contiennent en synthèse tous les autres grades, dont la plupart n’en sont parfois que des spécifications ou des prolongations. Mais il est clair que la division est hiérarchique et qu’elle s’effectue au sein d’un ordre rituel qui correspond symboliquement à ces étapes de l’Initiation ou Voie de la Connaissance. Mais il n’y a pas non plus de pouvoir central regroupant toute la Maçonnerie, bien qu’il existe des Grandes Loges extrêmement puissantes avec tout un passé traditionnel, et les différentes Obédiences et Rites conservent une attitude de respect mutuel, puisque tous descendent d’un tronc commun.
Cette espèce d’indépendance, si l’on peut la nommer ainsi, est également très nette au sein de chaque loge, où les symboles sont ou non opératifs, où les rites prescrits sont ou non pratiqués. L’Unité maçonnique se produit fondamentalement dans l’Atelier, projection du Cosmos, quelle que soit l’Obédience à laquelle il appartient.
Il nous reste à mentionner que ces trois degrés constituent ce que l’on appelle la Maçonnerie Bleue ou Symbolique. Au-dessus se trouvent les Hauts Grades, système de hiérarchies qui n’est pas pris en considération dans certaines Obédiences ni accepté par certains Rites. Il faut également savoir que le passage d’un grade à l’autre signifie que l’on commence à s’initier au grade obtenu ; ainsi, si un Compagnon reçoit le grade de Maître, c’est qu’il débute son initiation à ce degré. De même, les grades sont permanents et l’on ne perd jamais ceux que l’on a acquis au cours d’une carrière maçonnique normale.
Nous devons à présent mentionner un peu plus l’Alchimie en tant qu’influence présente dans l’Ordre Maçonnique. Nous avons déjà signalé que Soufre, Mercure et Sel, les principes alchimiques, se trouve directement incorporés dès les premiers degrés.
L’Alchimie a en commun avec la Maçonnerie le développement intérieur, tendant vers la Perfection, que les alchimistes considéraient comme l’objet de leurs efforts (puisque la Nature n’avait pas achevé son Œuvre, que l’Artiste ou Adepte devait compléter), tout comme les Maçons les buts ultimes de la Franc-Maçonnerie, qui comprennent la mort et sa conséquence régénération à un autre niveau ou état de conscience.
D’un autre côté, les amis de la Philosophie Hermético-Alchimique ont l’habitude de dire entre eux que le dernier grand Alchimiste (et écrivain en la matière) fut Irénée Philalèthe, au XVIIe siècle. Cela est assez vrai dans un sens, sauf que l’on n’observe pas très clairement que, dès lors et jusqu’à présent, cette Tradition ne s’interrompt pas, sinon qu’elle se transforme, et énormément de ses enseignements et symboles passent à la Maçonnerie à titre de transmetteur de l’Art Réel et de la Science Sacrée, aussi bien dans les trois degrés de base que dans la hiérarchie des hauts grades. D’après René Guénon, ces hauts grades sont une prolongation de l’étude et de la méditation sur les symboles et rituels (certains d’entre eux sont appelés philosophiques)20, nés de l’intérêt de nombreux maçons à développer et rendre effectives les possibilités qu’offre l’Initiation ; pour cette raison, l’utilité pratique de ces grades est indubitable et ils constituent la hiérarchie couronnant le processus de la Connaissance, toujours en fonction du caractère initiatique de l’organisation, comme nous le fait observer l’auteur, qui nous met aussi en garde contre le danger existant que ces grades se consacrent à des problèmes sociaux ou politiques, mutables par nature et donc distants des fondations du Temple maçonnique, construit en pierre. (Voir « René Guénon » : article
Tout comme dans le symbolisme Alchimique, le soleil et la lune jouent dans le symbolisme maçonnique un rôle fondamental et on les retrouve en des endroits aussi essentiels que les tableaux et la décoration des loges (placés à l’Orient). Il s’agit bien sûr des principes actif et passif correspondant également aux colonnes Jakin et Boaz, qui signalent ainsi l’opposition de ces énergies en même temps que leur conjonction en un axe invisible d’où est tendu le fil à plomb du Grand Architecte de l’Univers. Sans laisser de côté la primauté de cette signification générale, il faut aussi tenir compte de la réalité de ces astres, car il existe un calendrier maçonnique dont les deux extrêmes représentent, comme presque toutes les Traditions, les solstices d’été et d’hiver, fêtes des deux Saint Jean, qui marquent les limites du parcours du soleil, signalant aussi les points intermédiaires correspondant aux équinoxes sur la roue du temps, et nous introduisent dans la doctrine des rythmes et des cycles. Il existe par ailleurs une prééminence entre ces deux luminaires, puisque la lune brille grâce à la lumière du soleil, notion qui n’est pas étrangère à la Tradition Hermétique et à la Kabbale, tous deux étant utilisés d’une façon générale pour désigner des degrés de Connaissance, ou des étapes du parcours initiatique. Jean Tourniac, dans le prologue du célèbre Tuileur de Vuillaume21 note, en faisant référence aux cycles, l’assimilation du parèdre lune-soleil à celui des symbolismes solaire et polaire. Cette association, qui possède d’infinies voies de développement, pourrait également se rapporter à deux aspects de la maçonnerie incarnés dans les figures mythiques de Salomon (solaire) et de Pythagore (polaire), lesquels auraient à leur tour, et cela Tourniac ne le dit pas, une certaine analogie avec les grades symboliques (Maçonnerie Bleue) et les Hauts Grades, ou c’est en tout cas ce que fut prétendu par ceux qui instaurèrent ces derniers.
La littérature sur la Maçonnerie ou les investigations historiques portant sur l’Ordre comprennent généralement les auteurs, les milieux et les écrits antimaçonniques, le panorama au sujet de ses origines et ses buts étant si confus qu’il s’est créé une suite de « légendes » parallèles, faisant que certains investigateurs aient du mal à traverser une espèce de frontière « maudite » et invisible qui répond aux « légendes obscures » au sujet de la Franc-Maçonnerie, comme celles divulguées en France par Léo Taxil, beaucoup ayant leur origine dans le catholicisme. Un autre genre de critiques, ne se référant pas à son contenu spirituel, est fondé sur les agissements politiques et économiques de certaines loges qui, utilisant la structure maçonnique et s’abritant derrière l’indépendance des Ateliers, ont ainsi profité de l’Ordre et du public, projetant une image déformée de la Maçonnerie. Il faut bien reconnaître que cela a été le cas à plusieurs occasions, bien qu’en même temps cela arrive depuis des années à toutes les institutions, dont la décomposition est évidente. Dans quelques sociétés, l’Ordre jouit encore du prestige qu’il avait par le passé et, dans certains pays, sa force spirituelle, gestionnaire de grandes entreprises, a laissé des traces visibles qui sont suivies aujourd’hui. Il y a parfois des maçons qui ne connaissent pas encore la Maçonnerie, ou qui croient qu’il s’agit d’autre chose, de plus concret et plus matériel, mais tous assument leur devise : Liberté, Égalité, Fraternité, et accomplissent leur Rite en accord avec leurs Anciens Us et Coutumes. Si ce n’est pour la cohérence et le contenu spirituel-intellectuel que les symboles et les rites manifestent, la Maçonnerie serait une absurdité de plus, et ne serait en tout cas pas parvenue jusqu’à nos jours.
Une autre chose qu’il faudrait remarquer, c’est la curiosité de savoir quel est le grade réel de Connaissance que possède tel ou tel maçon ou, plus généralement, tel ou tel Initié ; mais qui cela intéresse-t-il ? Cela a-t-il de l’importance et à qui cela importe-t-il ?
Logiquement, cette question n’entre pas dans les limites d’une investigation basée sur la documentation et il est donc très difficile d’établir des origines claires et des séquences logiques sur un sujet qui ne l’est pas, en dépit des efforts pour le faire. L’un de ces investigateurs, que nous avons déjà cité, J. A. Ferrer Benimelli, qui a publié plus de vingt ouvrages d’intérêt sur la Maçonnerie et ignore systématiquement Hermès, nous informe : « Bernardin, dans son ouvrage Notes pour Servir à l’Histoire de la Franc-Maçonnerie à Nancy jusqu’en 1805, après avoir compulsé deux cent six œuvres portant sur les origines de la Maçonnerie, trouva trente-neuf opinions diverses, certaines aussi originales que celles qui font descendre la Maçonnerie des premiers chrétiens voire de Jésus Christ lui-même, de Zoroastre, des Rois Mages ou des Jésuites, pour ne pas citer les théories plus connues dites « classiques », qui font remonter la Franc-Maçonnerie aux Templiers, aux Rose-Croix ou aux juifs » et il ajoute en note : « De ces trente-neuf auteurs, vingt-huit ont attribué les origines de la F.-M. aux maçons constructeurs de la période gothique ; vingt auteurs se perdent dans la plus lointaine antiquité ; dix-huit les situent en Égypte ; quinze remontent à la Création, mentionnant l’existence d’une loge maçonnique au Paradis Terrestre ; douze, aux Templiers ; onze, à l’Angleterre ; dix, aux premiers chrétiens ou à Jésus Christ lui-même ; neuf, à la Rome antique ; sept, aux Rose-Croix primitifs ; six, à l’Écosse ; six autres, aux juifs, ou à l’Inde ; cinq, aux partisans des Stuart ; cinq autres, aux jésuites ; quatre, aux druides ; trois, à la France ; le même nombre les attribuent : aux scandinaves, aux constructeurs du temple de Salomon, et aux survivants du déluge ; deux, à la société « Nouvelle Atlantide », de Bacon et à la prétendue Tour de Wilwinning [Kilwinning]. Finalement, à la Suède, à la Chine, au Japon, à Vienne, à Venise, aux Rois Mages, à la Chaldée, à l’ordre des Esséniens, aux Manichéens, à ceux qui travaillèrent à la Tour de Babel et, pour finir, un qui affirme que la F.-M. existait avant la création du monde. »22
Une confusion des origines analogue échoit à la Tradition Hermétique, avec le mythe d’Hermès et Hermès Trismégiste, avec tout mythe et origine et, bien sûr, avec le Corpus Hermeticum, livres qui, comme nous l’avons vu auparavant,23 condensent et rappellent le savoir de cette Tradition. En effet, Jean-Pierre Mahé, spécialiste qui, avec P.-J.-A. Festugière, a consacré sa vie à l’étude de ces textes, croit que les fragments en arménien de cette littérature viennent du premier siècle avant notre ère, et que les versions postérieures ayant été conservées, en grec, latin et copte, dérivent de ceux-ci, de par leur contenu nettement païen, dégagé des influences gnostiques et chrétiennes qui lui ont été attribuées avec une certaine liberté. Il est intéressant d’observer de quelle façon ce spécialiste, au cours de son plus important travail à ce sujet, Hermès en Haute-Égypte24, où il confronte différentes versions du Corpus entre elles, à d’autres manuscrits trouvés à Nag-Hammadi et avec des auteurs antiques, etc., arrive à la conclusion qu’ils sont tous apparentés, qu’ils émanent d’une source unique, et qu’ils ont même un ton, un air, un esprit commun qui se manifeste aussi dans leur style, opinion que nous partageons. Mais ce savoir, propre au Corpus,25 que Mahé juge solennel, répétitif, contradictoire et sentencieux, comme de la mauvaise littérature, en somme (qu’est-ce qu’une bonne littérature et qui est capacité pour la définir, et par rapport à quoi ?), nous semble difficile à appréhender avec des paramètres logiques, quel que soit l’effort et le travail employés et malgré l’inappréciable contribution que représente l’établissement de ces textes, leur traduction et les commentaires, même vus de façon réitérée dans une perspective totalement étrangère à celle qu’ils possèdent. D’où le danger d’aborder les choses d’un ordre déterminé avec des moyens qui ne sont par nature pas ceux qui conviennent, puisqu’ils sont eux-mêmes constitués de séries de conditionnements appartenant au monde profane, que même une éblouissante érudition ne peut dissimuler, car ils apparaissent ici et là dans la littéralité des propos, l’infantilisme des conceptions, la disproportion vertigineuse entre le sens sapientiel-émotionnel du texte et la lecture « universitaire », c’est-à-dire profane, que l’on en fait.26 Il ne faut pas traiter une société initiatique exclusivement d’après ses actions humanitaires ou altruistes, car l’on court le risque de dénaturer son authentique raison d’exister. Un autre thème plus ou moins utilisé à titre de critique, aussi bien de la Maçonnerie que de l’Hermétisme, est leur caractère prétendument syncrétique. En premier lieu, l’abus de ce mot, qui équivaut pour certains à une disqualification, nous semble condamnable. Le Christianisme, l’Islam, le Bouddhisme, l’Antiquité Gréco-romaine, d’innombrables Traditions archaïques, et même la Civilisation Égyptienne et la Chinoise, pourraient aujourd’hui être jugées « syncrétiques » à la lumière des documents les plus anciens et sans mentionner la notion de Tradition Unanime, au-delà de telle ou telle forme. En effet, le terme était en vogue à une époque où l’investigation anthropologique et l’Histoire des Religions en étaient à leurs balbutiements, et l’on croyait à la « pureté », atout de certaines cultures et concept extrêmement dangereux, pouvant de plus dériver sur l’erreur de prendre les races comme des religions. Le terme est malheureusement resté en usage, et certains l’utilisent comme une arme brandie pour condamner ce qu’ils croient ne pas leur convenir, ou qui échappe à leurs simplifications élémentaires. L’Histoire de l’Église est encore bien proche avec ses Conciles, la formation de ses Dogmes, sa Théologie, l’Histoire de ses Papes, etc., pour que la Chrétienté puisse reprocher à la Tradition Hermétique et à la Franc-Maçonnerie une chose allant dans ce sens, et cela pourrait être étendu à d’autres religions ou influences spirituelles qui composent la Culture d’occident. D’innombrables courants ont formé cette Civilisation, la plupart desquels coexistent avec nous d’une façon ou d’une autre, et nous devons rendre grâces à Dieu, au nom de notre culture, car ces interrelations naturelles qui se déversent avec les migrations humaines d’un peuple, et sa langue, à un autre, ont existé depuis toujours, en dépit de l’acide accusation de syncrétisme émanant de soi-disant autorités se basant sur des structures imaginaires et caduques. En définitive, les diverses composantes de la Franc-Maçonnerie ne sont pas un obstacle pour que cette adaptation de la Science Sacrée et de la Philosophie Pérenne soit totalement Traditionnelle, sinon qu’elles démontrent le contraire dès lors que l’on en considère les doctrines, c’est-à-dire, en soi.
Frédérico Gonzalez |
NOTES | |
1 |
C’est Findel, dans l’Annexe de son Histoire, qui a publié le premier document dont nous disposons, daté de 1419, sur les carriers allemands. |
2 |
« Il nous paraît incontestable que les deux aspects opératif et spéculatif ont toujours été réunis dans les corporations du Moyen Âge, qui employaient d’ailleurs des expressions aussi nettement hermétiques que celle de « Grand Œuvre », avec des applications diverses, mais toujours analogiquement correspondantes entre elles. » R. Guénon, Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, tome II, chapitre |
3 |
Encyclopédie Britannique. Article « Freemasonry », édition 1947 |
4 |
Voir Claude Tannery, « le Corpus Hermeticum (Introduction, pour des développements ultérieurs, à l’hermétisme et la maçonnerie) » ; revue Villard de Honnecourt nº 12, Paris 1986. Les références à Hermès et à la Tradition hermético-alchimique dans la littérature maçonnique sont extrêmement abondantes, comme nous l’avons déjà signalé ; pour ne pas parler de Pythagore, sujet traité dans une autre étude du même numéro de Villard de Honnecourt : Thomas Efthymiou, « Pythagore et sa présence dans la Franc-Maçonnerie ». |
5 |
Voir E. Mazet, « Éléments de mystique juive et chrétienne dans la Franc-Maçonnerie de transition (VIe-VIIe s.) » ; également de la revue Travaux de la loge nationale de recherches Villard de Honnecourt, nº 16, 2de série. L’auteur a publié dans cette revue, qui édite les travaux de la loge d’études du même nom, affiliée à la Grande Loge Nationale Française, d’autres collaborations tout aussi intéressantes sur des aspects documentaires de la Maçonnerie. Cette revue est réellement, avec la Ars Quatuor Coronatorum, également organe diffuseur d’une loge d’études homonyme (Quatuor Coronati lodge) qui a publié plus de 80 volumes en Angleterre depuis 1886, l’une des meilleures sources que l’on puisse trouver pour l’étude intégrale de la Maçonnerie. |
6 |
L’importance de la Tetraktys pythagoricienne dans n’importe quel type de connaissance métaphysique et cosmogonique est bien connue. D’autre part, le rapport des harmonies musicales avec les nombres, en particulier avec l’échelle des sept premiers, est également un thème pythagoricien que la Maçonnerie et le Corpus Hermeticum reprennent sous forme de degrés et touches de reconnaissance liés aux sphères planétaires et aux Régents qui les gouvernent. Il faudrait y ajouter les différents théorèmes pythagoriciens, sachant l’importance que l’art et la science de construire ont pour la Maçonnerie ; parmi eux, il suffirait de signaler celui du triangle rectangle, ultérieurement énoncé par Euclides, un autre ancêtre maçonnique, comme nous l’avons déjà mentionné. En 1570, John Dee, célèbre magicien élisabéthain et remarquable mathématicien, qui jouera un rôle si important dans l’Hermétisme anglais et dans l’européen, publia un fameux prologue aux Éléments de Géométrie d’Euclides. Comme on le sait, les enseignements de Dee furent repris par Robert Fludd, qui édita en 1619 son Utriusque Cosmi Historia, et à travers lui, par voie de conséquence, les futurs intégrants de la maçonnerie spéculative. |
7 |
J. A Ferrer Benimelli, Bibliografía de la Masonería. Fundación Universitaria Española. Madrid 1978, page 112. Ce prêtre jésuite, qui a donné une telle impulsion aux études maçonniques en langue castillane que certains auteurs sur la Maçonnerie, comme J. A. Vaca de Osma (La Masonería y el Poder), en sont venus à se demander s’il n’était pas réellement membre de l’Ordre, n’en a cependant qu’une idée assez sommaire, la prenant pour une société philanthropique et spiritualiste et ne lui accordant aucune catégorie initiatique, terme qu’il n’utilise jamais et dont il semble même ignorer la véritable dimension. |
8 |
La Symbolique au Grade d’Apprenti, La Symbolique au Grade de Compagnon, La Symbolique au grade de Maître, Edimaf, Paris 1986, id., et 1990 ; La Symbolique des Nombres, id. 1984. Nous voulons aussi remarquer ici les livres, amplement connus en espagnol, signés par Magister (Aldo Lavagnini) ; Manuel de l’Apprenti, du Compagnon, du Maître, du Grand Élu, etc. De fait, tous les manuels maçonniques possèdent des mentions arithmético-géométriques. |
9 |
Thomas de Quincey soulignait depuis 1824, dans un journal londonien, la conjonction de la Maçonnerie avec la Rose-Croix comme étant un sujet connu. |
10 |
La généalogie maçonnique est aussi biblique, bien qu’elle se combine également avec l’Égyptienne. Rappelons les relations d’Israël avec l’Égypte à l’époque de Moïse, voire même le symbolisme de l’Égypte dans les évangiles chrétiens. D’après le livre I des Rois, 3-1, il existe une filiation directe entre le Roi Salomon et l’Égypte, puisqu’il était gendre de Pharaon, son voisin. |
11 |
« The few notes on his conexion with Freemasonry which Ashmole has left are landmarks in the sparsely documented history of the craft in the seventeenth century ». C. H. Josten, Elias Ashmole. Ashmolean Museum and Museum of The History of Sciences, Oxford 1985. Ces journaux ont été publiés sous le titre : Elias Ashmole, His Autobiographical and Historical Notes, his Correspondence and other Contemporary Sources relating to his life and Work. Introd. C. H. Josten, 5 vol. Deny, 1967. |
12 |
En accord avec les changements que demandent les cycles et les rythmes, auxquels ne peut être soustraite aucune Tradition ou Organisation, toute Initiatique qu’elle soit, et qui marque les phases et les formes distinctes d’expression de la Cosmogonie Pérenne, et signalent donc également les adaptations historiques à celle-ci. |
13 |
Selon Joffrey de Monmouth, dans l’Histoire des Rois de Bretagne (1135-39), l’une des premières chroniques écrites sur l’histoire d’Angleterre, les insulaires viennent des Troyens qui arrivèrent sur leurs côtes, en passant par la France et en provenance de Grèce, où demeurent les descendants de ceux qui réchappèrent de la célèbre guerre. |
14 |
Quelque chose d’analogue quant à soupçons d’hérésie, de défaut, de fausseté, arrive avec les systèmes ou les religions d’orient. Sauf que ces derniers jouissent en général dans les milieux occidentaux d’un plus grand prestige, même s’ils n’évitent pas toujours le mépris ou la phobie du fait d’être polythéistes, encore un terme qui semblerait une insulte dans la bouche de certains. |
15 |
La croissance de la Maçonnerie est évidente avec la naissance des bourgeois et la culture de la ville, qui a toujours eu besoin de constructeurs pour être effective, ce qui fait qu’il ne soit pas difficile d’en déduire que toute ville plus ou moins importante d’Europe, ainsi que la construction de châteaux, fortifications, couvents et palais, furent réalisées par architectes, maîtres d’œuvre et ouvriers maçons, sans compter menuisiers et ébénistes, vitriers, sculpteurs et peintres, tous initiés aux secrets de leur office. Cela peut aussi être clairement observé à l’époque moderne (et a aussi quelque chose à voir avec le passage du mode opératif au mode spéculatif), en ce qui concerne l’incendie qui détruisit la ville de Londres y compris la Cathédrale Saint Paul, qui dut être complètement reconstruite par des spécialistes dirigés par l’architecte Christopher Wren, maçon haut placé dans la hiérarchie de l’Ordre et de réputation reconnue, qui dut effectuer ce labeur gigantesque dans le moins de temps possible. L’incendie de Londres est un thème fondamental dans l’histoire d’Angleterre et dans la Maçonnerie en général. Sa reconstruction, menée à bien par des maçons, est un symbole cyclique lié à la pérennité de la Science Sacrée qui, se manifestant en tout lieu, s’est exprimée dans une ville aussi magique que l’est la capital anglaise. |
16 |
Medieval Craftsmen, Masons and Sculptors. British Museum, 1991. |
17 |
Cf. Villard de Honnecourt, Cahier, XIIIe siècle. Présenté et commenté par Alain Erlande-Brandenburg, Régine Pernoud, Jean Gimpel, Roland Bechman. Ed. Akal, Madrid 1991. |
18 |
Il est important de faire constater, dès les commencements, la présence de militaires dans toutes les loges. Cela est arrivé à être si vrai que certaines de ces loges étaient exclusivement militaires, aussi bien celles qui s’organisèrent dans les bases que celle qui fonctionnaient sur les navires, que ce soit en haute mer ou dans les ports. |
19 |
Comme on le sait, un courant nombreux de maçons se relie plus spécialement à l’Origine Templière, Écossaise et Jacobite de l’Ordre, ce pour quoi ils exhibent de nombreux témoignages et faits, par ailleurs probables. Cela ne lui fait pas renier l’héritage Pythagoricien, Hermétique et Platonicien, pas plus que celui des corporations de constructeurs, les rosicruciens et l’influence juive représentée par le mythe d’Hiram et la construction du Temple de Salomon. Michael Baigent et Richard Leigh, dans leur ouvrage The Temple and the Lodge (Londres 1989), soutiennent la validité de cette origine qu’ils développent dans leur livre du Moyen Âge au XVIIIe siècle et affirment, page 187 : « Elle [la Maçonnerie] avait ses racines dans des familles et des associations liées par l’ancien serment de fidélité aux Stuart et à la monarchie Stuart. […] Jacques I, un roi écossais qui était maçon lui-même. » Dans l’œuvre de Robert Kirk, The Secret CommonWealth, (La Comunidad Secreta, Siruela, Madrid 1993) écrite en 1692 au sujet de « Les coutumes les plus notables du Peuple d’Écosse », cette érudit historien du plus ancien « folklore » écossais et de la culture celte, note dans le paragraphe « Singularités de l’Écosse » et comme caractéristique de ce royaume : « Le mot maçonnique, dont, bien qu’il y en ait certains qui en fasse mystère, je ne cèlerai pas le peu que je sait. C’est comme une tradition rabbinique, en guise de commentaire au sujet de Jakin et Boaz, les deux colonnes érigées du Temple de Salomon, à laquelle vient s’ajouter quelque signe secret, qui passe de main en main, grâce auquel ils se reconnaissent et se familiarisent entre eux. » |
20 |
Les autres se considèrent, dans le Rite Écossais Ancien et Accepté : « de perfection », « capitulaires », et « administratifs ». |
21 |
Vuillaume, |
22 |
José A. Ferrer Benimelli, la Masonería Española en el siglo XVIII. Siglo XXI de España Editores, Madrid 1986. |
23 | |
24 |
Les Presses de l’Université Laval, Québec 1978-1982. 2 vol. |
25 |
Et qui est commun au reste de la littérature hermétique, y compris l’Alchimie. |
26 |
Le discours du Corpus est effectivement réitératif et certains axiomes et maximes se répètent sur un ton qui comporte certaine solennité, un « style » pour être identifié parmi d’autres styles, et aussi pour la cadence musicale qu’on lui imprime qui, tout en fixant la mémoire, est un agent « invocateur ».
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La franc-maçonnerie est-elle une voie d’éveil? 30 août, 2008
Posté par hiram3330 dans : Bleu,Chaine d'union,Recherches & Reflexions , 3 commentairesLa franc-maçonnerie est-elle une voie d’éveil?
«le bouddhisme… ne contient ni n’autorise aucune promesse. Il propose simplement la nécessité fondamentale de travailler avec soi-même. Essentiellement, très simplement, de façon très ordinaire. C’est très sensé. On ne se plaint pas en fin de parcours. C’est très précis comme voyage.»
A la fin du colloque précédent, il me semble qu’une interrogation persistait : si la franc-maçonnerie est une voie spirituelle complète, quels compléments de nombreux maçons peuvent-ils bien aller chercher dans d’autres traditions spirituelles et notamment dans le bouddhisme ?
C’est à cela que j’ai souhaité réfléchir à partir de ce que j’ai expérimenté au sein du R.E.A.A.
Franc-maçon depuis 30 ans, sympathisante bouddhiste depuis une vingtaine d’année, bouddhiste active depuis l’an dernier… Au fil du temps et des lectures, de multiples convergences me sont apparues. Je me sens en terrain connu dans ce que je comprends et découvre en pratique du Dharma alors que la voie concrète que j’ai suivie avec persistance et permanence pendant la moitié de ma vie est celle de la franc-maçonnerie.
En restant dans les limites de ce qui est accessible à tous dans les ouvrages maçonniques (pas de bigoterie maçonnique !), dans un premier temps, je présenterai quelques convergences. Puis je montrerai que la franc-maçonnerie est un chemin méthodologique ouvert sur une certaine qualité de lumière. Enfin, j’indiquerai comment, pour moi, la franc-maçonnerie a eu pour la fonction d’une propédeutique qui s’est, à un endroit précis, branchée sur le Dharma, voie d’éveil.
Une affirmation de Chôgyam Troungpa m’a fourni un point de départ.
Il écrit, dans Mandala, que « le bouddhisme… ne contient ni n’autorise aucune promesse. Il propose simplement la nécessité fondamentale de travailler avec soi-même. Essentiellement, très simplement, de façon très ordinaire. C’est très sensé. On ne se plaint pas en fin de parcours. C’est très précis comme voyage. »
Cela s’applique aussi bien à la franc-maçonnerie qu’au bouddhisme.
La franc-maçonnerie, comme le bouddhisme, ne fait aucune promesse. Les voyages dont il est question, et il est constamment question de voyages en maçonnerie, sont des voyages sur place. Ce qui est offert, c’est un cadre concret de travail sur soi avec pour horizon un symbole, le delta radieux. Ce symbole est suffisamment fort pour entraîner l’adhésion et pour déclencher un élan vers quelque chose d’indéfinissable… quelque chose qui dépasse la condition humaine et qui peut-être la contient en germe.
Les franc-maçons sont, par définition, Fils de la Lumière. Les membres du Sangha, comme tous les humains, ont en eux la nature de Bouddha, terrain d’éveil.
Lumière, éveil… Ces mots, loin d’évoquer un objectif de clarté ultime extérieur à l’humain, terme d’une sorte de quête du Graal par définition impossible à atteindre, ces mots désignent une réalité d’illumination interne, une réalité qu’il convient de dévoiler au moyen d’un travail sur soi.
Tous les francs-maçons gardent claire l’image de la porte du temple qui, lors de l’initiation maçonnique, s’ouvre sur le delta radieux. Cette porte s’ouvre au candidat qui « est dans les ténèbres et cherche la lumière »… Ce symbole concret de la connaissance peut être aussi perçu comme un indice d’éveil désignant la découverte de la réalité ultime, cachée sous l’apparence trompeuse des phénomènes. Lumière, éveil… cela semble très proche.
Certaines convergences m’ont permis de relier, dans mon cheminent, sentier maçonnique et voie du Bouddha. Tout d’abord, et c’est ce que je considère comme fondamental, l’exposé des Quatre Nobles Vérités me paraît une grille applicable à la démarche maçonnique.
Le premier point, c’est la constatation de la souffrance.
Ce qui apparaît d’emblée dans les motivations de la grande majorité des profanes qui frappent à la porte du temple, c’est l’expérience de la nature douloureuse de l’existence. En 30 ans, je n’ai pas rencontré de gens vraiment, totalement heureux, qui fassent cette démarche. Il y a au minimum, dans toute demande, une insatisfaction, un appel à la force quasi mythique de la franc-maçonnerie pour fournir un point d’appui où placer son levier pour être plus efficace. Je ne parle pas, bien sûr, des curieux plus ou moins inconscients qui passent là comme des touristes, ni des arrivistes qui n’auront jamais de maçons que le nom.
On a pu dire que la franc-maçonnerie était un gigantesque hôpital psychiatrique. Cet excès de langage ironique recouvre une réalité dont le sens, loin d’être péjoratif, est au contraire très signifiant. Les personnes qui se préoccupent d’initiation sont souvent celles qui s’approprient avec une intensité inquiétante les questions perturbatrices fondamentales : Qu’est-ce que je fais là ? Qu’est-ce que cette condition humaine ? Quelle est sa destinée ? Pourquoi tant de mal ? Pourquoi la mort ? Que peut-on faire ? N’est-il pas plus efficace de joindre ses efforts à ceux d’autres personnes qui ont les mêmes préoccupations ? etc.
Il me semble que le gens pleinement heureux ne se posent pas de telles questions. Surtout lorsque la soif de trouver une réponse est ardente et tenace. L’urgence vitale que ce questionnement est susceptible de prendre peut paraître pathologique.
Le deuxième point, c’est la situation concrète de rupture avec tout attachement.
Le profane passe par le cabinet de réflexion où il rédige son testament philosophique. Il est dépouillé de son argent et de ses bijoux, ses yeux sont bandés et il se confie entièrement à un inconnu qui le guide. Il va prêter un serment dont il ignore le contenu avant de s’engager. Il sait simplement que d’autres personnes qu’il connaît et apprécie, ont prêté ce serment.
Détaché de tout ce qui est essentiel dans sa vie, c’est symboliquement un homme mort, qui entre dans un espace et un temps désignés comme sacrés. L’évocation de la loi du silence renforce encore cela : il n’aura pas le droit de parler de ce qui se passe en loge, pas le droit de désigner à l’extérieur ses frères et ses soeurs comme franc-maçons, etc.
Cet engagement va lui être considérablement exigeant et, peu à peu, va même changer profondément sa vie, mais il n’aura pas la compensation narcissique de s’en prévaloir dans son entourage. S’il prend au sérieux, par exemple, les titres quelque peu folkloriques et ronflants qu’il recevra, il ne pourra jamais en faire état dans le monde profane…
Le troisième point, c’est l’existence du cheminement initiatique.
La loge n’est pas un refuge et encore moins une tanière où l’on peut venir lécher ses plaies. C’est un lieu fraternel mais impitoyable, un lieu de possible transformation, à condition de se joindre au chantier commun. C’est un lieu actif d’où émerge la prise de conscience progressive de la possibilité de dépasser ce qui est expérimenté comme douloureux.
Le quatrième point, c’est la méthodologie elle-même.
Les moyens de cette méthodologie sont les outils concrets, conceptuels et mythiques, l’importance de l’ici et maintenant et le cadre fraternel.
Je disais au tout début que la franc-maçonnerie est une voie efficace pour la recherche d’une certaine lumière. Cette recherche de lumière est recherche de connaissance, entendue en loge bleue comme développement des possibilités cognitives et acquisition des compétences au métier symbolique de maçon. Cette lumière ne se confond pas, à ce stade, avec l’éveil, tout en ne lui étant pas vraiment étrangère.
Lorsque le bandeau tombe, lorsque la lumière est donnée au néophyte, il est à l’entrée du temple, entre les colonnes et il est convié à contempler le delta radieux qui brille à l’Orient. La voie à parcourir s’étend devant lui. Elle se perd dans ce point de lumière. Dans certaines loges, cette voie est même parfois matérialisée par deux traits lumineux.
Ce Delta est l’emblème de la connaissance humaine d’abord, celle qui résulte du travail. C’est là, le programme réaliste de base. On peut en rester là. On peut ne jamais se préoccuper de spiritualité et être néanmoins un bon maçon. J’ai souvent vérifié que la franc-maçonnerie est le lieu où peut se vivre le souhait de Voltaire : « Que chacun, dans sa voie, cherche en paix la Lumière ! »
Mais il est possible aussi d’approfondir et de voir ce symbole comme une véritable icône qui clame à qui peut l’entendre que l’objectif ultime est spirituel sans que cette spiritualité se confonde forcément avec celle des religions. On peut faire l’hypothèse que ce delta, entre soleil et lune, comme Tchenrézi sur les tangkas, soit le lieu de transformation où peut se faire, selon l’expression de Lama Denys, le passage de la condition de sapiens-sapiens qui nous place au sommet actuel de l’évolution de notre espèce, à la condition de sapiens-sapiens-sapiens qui résulterait d’un changement qualitatif. Là pourrait se produire l’éveil, au sens du Dharma. L’homo sapiens-sapiens-sapiens, Lama
Denys le voit comme celui qui a réalisé le coeur-esprit éveillé, celui qui a l’intelligence de la connaissance.
Dans ce delta radieux, la connaissance cognitive peut se transmuter et devenir spirituelle. Pas de dogme relatif à cette transmutation. Chacun continue à suivre la voie qui est la sienne. Ce changement qualitatif me paraît ouvert à celui qui croit au ciel, à celui qui n’y croit pas comme à celui que le ciel ne concerne pas. Néanmoins, la franc-maçonnerie ne fait aucune suggestion. Elle n’offre pas d’outil méthodologique spécifique pour réaliser cette transmutation. Elle n’interdit pas non plus d’en importer. La solitude règne sur cette partie du chemin initiatique !
Revenons au delta radieux. Recevoir la lumière, c’est y être confronté. Le néophyte retrouve à ce moment l’usage de la vue. La chute du bandeau noir provoque un éblouissement dans le temple brillamment éclairé… Néanmoins, la désignation solennelle du symbole, le geste d’arrêt, de respect et de contemplation qu’on l’invite à effectuer ne le mettent pas en contact avec la révélation fulgurante qui était, peut-être, le contenu implicite de sa demande ! Du coeur de l’émotion spécifique qui l’envahit, le néophyte est rappelé à la réalité. On lui signifie que son action sera concrète : il reçoit un maillet et un ciseau et on l’invite à faire un premier travail opératif sur une pierre brute. . . La voie qui lui désignée est bien celle de l’homo sapiens-sapiens qu’il est déjà certes mais dont il va devoir davantage actualiser et accroître les potentialités par la méthode maçonnique. Ces potentialités sont celles qui caractérisent tout humain, celles de la vie qui l’anime, cette vie qui est une situation tout à fait exceptionnelle. Dans le Dharma, n’est-il pas question de « la précieuse existence humaine libre et qualifiée » ?
Tout le travail en loge bleue, et même après, consiste à faire tomber les nombreux voiles qui obscurcissent la lumière de la vie. Il s’agit donc d’abord d’un travail mental. Le propos est la pleine participation à la qualité de sapiens-sapiens.
La dernière décennie a vu fleurir les méthodes cognitives de développement et/ou de remédiation. La méthode maçonnique s’y apparente, encore faut-il la percevoir comme telle, dans le corpus des rituels et consignes de fonctionnement. La percevoir et la pratiquer… si possible sans mauvaise foi !
Le chantier auquel le néophyte est intégré est donc avant tout un chantier cognitif. Dans un monde où l’on n’apprend plus véritablement à penser de façon juste, où l’on fait n’importe quoi au gré de ses fantasmes sous prétexte de créativité, la première étape de la méthode maçonnique vers la lumière,c’est de former la pensée, de la rendre juste, à l’équerre.
Les hommes et les femmes qui composent la Loge ont beau être des adultes développés intellectuellement, ils n’en sont pas moins aussi bénéficiaires de conditionnements sociaux déformateurs, ces fameux voiles qu’il s’agit de faire tomber. De même qu’au temps de la construction des cathédrales, la première formation portait sur le maniement des outils matériels, le premier objectif des loges bleues utilisant le symbolisme des outils des bâtisseurs est un entraînement précis à l’utilisation juste des outils mentaux.
La loge procure un environnement suffisamment chaleureux pour utiliser l’outil qu’est la déstabilisation. On sait que, sur le plan des apprentissages cognitifs, la déstabilisation est un moyen de progrès par la surprise provoquée et les possibilités de ré-équilibration majorantes qui en découlent. Cela peut advenir à tout moment du rituel ou des planches et déboucher sur des échanges très riches. Les sujets abordés sont divers. En relation avec les symboles maçonniques ou les questions sociales du moment, les thèmes des planches relèvent avant tout des préoccupations de leurs auteurs dont elles sont évidemment la projection. Même lorsque le sujet est imposé, l’équation personnelle du plancheur est toujours largement présente. L’écoute est totale. La loge est sans doute l’un des lieux où l’on n’interrompt pas celui qui parle même si l’on en a bien envie. Que la planche soit ennuyeuse, absconse, ronronnante ou franchement extraordinaire et passionnante, c’est le même accueil silencieux, la même écoute. La situation est celle d’une présence telle qu’elle. Lorsque le sujet n’est pas intéressant, le plancheur l’est toujours. Quant au débat qui suit, si l’on ignore le thème, si l’on n’a rien préparé, c’est trop tard, il n’y a plus possibilité de faire appel à des documents ou à des banques de données. Il ne reste plus qu’à écouter puis à réfléchir le plus logiquement possible si l’on veut apporter sa pierre.
On constate alors souvent que, malgré l’image positive qu’on peut avoir de soi et de son propre savoir, on ne peut avancer. On est littéralement au pied du mur : il s’agit de s’évaluer soi-même à l’équerre, au niveau et au fil à plomb. Et de mieux faire la prochaine fois ! C’est un des intérêts de la loge en tant que groupe durable.
La situation est celle de l’ici-et-maintenant, autrement dit, il s’agit d’être dans la présence. L’écoute, théoriquement favorisée par une posture non avachie sur sa chaise et par la disposition spécifique de la loge, n’est en général pas appuyée sur une prise de notes. « On ne grave pas en loge », disent certains puristes. L’objectif, jamais formulé ouvertement, semble le développement de la mémorisation et de l’attention. Les interventions que chacun fait librement doivent être sobres et correctes, entre l’équerre et le compas, l’équerre désignant l’adéquation de l’intervention au sujet traité et le compas, la latitude d’élargissement liée aux compétences et à l’imaginaire de chacun.
Elles bénéficieront aussi de l’usage du levier, la référence à cet outil soulignant le souci de donner de la rigueur et de la puissance à ce qui est dit. Je ne multiplierai pas les exemples d’application cognitive des outils des bâtisseurs. Normalement, ce va-et-vient est omniprésent et structure les échanges, à condition bien sûr que les anciens maçons chargés de l’acculturation des néophytes, aient fait leur travail. Cette acculturation est d’ailleurs prévue et presque codifiée.
La force de la transmission orale dans l’apprentissage est complétée par la présentation en fin d’exposé d’une synthèse entre le thème de la planche et les interventions. C’est là un travail assez redoutable mais extrêmement formateur pour qui en est chargé. Le résumé de tout cela sera présenté au début des travaux suivants, ce qui a pour effet de renforcer la mémorisation, si l’on est pas passif.
La force et l’unité pédagogique de ce fonctionnement placent le sapiens-sapiens privé de ses béquilles d’enregistrement et de prises de notes en situation d’exercer et d’affûter ses capacités mentales avec le rappel actif des outils omniprésents. A condition, bien sûr, qu’il renonce à se conduire en consommateur passif de spectacles et devienne partie prenante de son évolution, c’est-à-dire qu’il soit dans l’ici-et-maintenant, dans la présence.
On a parfois l’impression, en lisant les titres des travaux en loge, que les francs-maçons sont étranges. Certains sujets de planches peuvent paraître déconnectés, hors du temps, et même surréalistes. J’y vois un indice de sérieux du travail spécifique sur les invariants du fonctionnement de la pensée et des grands thèmes. Cela peut faire penser à ce que Jean-Claude Guillebaud appelle une « micro-société de clercs retranchés, loin du vacarme, soucieux de rigueur, capables de prendre en charge la complexité ». Or, prendre en charge la complexité, c’est, selon Edgard Morin, ce qui protège de la pensée unique, donc de la tyrannie. Les francs-maçons sont des hommes et des femmes libres. Chacun travaille, sans complexe, au niveau qui lui convient. Ni blâme, ni louange, seulement la reconnaissance pour qui fait l’offrande de son travail.
La situation d’ici et maintenant se complète par l’environnement fraternel. Sur le chantier commun, le propos est d’expérimenter qu’autrui est aussi important que soi. Avant de franchir, un jour, l’étape où cet autrui pourra être considéré comme plus important que soi !
Les loges sont des groupes qui, certes, évoluent et se transforment, mais qui ont une durée. Et cette durée est un élément important. Cette durée entraîne une structure institutionnelle et, qu’on le veuille ou non, l’intervention de l’institutionnel dans un groupe, même s’il s’agit d’un cadre visant à faciliter la transmission initiatique, est génératrice d’émotions et de conflits. Des oppositions, des incompréhensions apparaissent notamment lors des promotions dans les hauts-grades et sont souvent l’occasion de réactions émotionnelles très éprouvantes.
Il apparaît alors, bien que cela soit rarement dit de façon explicite, que la méthode maçonnique utilise les conflits pour provoquer le progrès initiatique. J’ai souvent été tentée de penser que les règles traditionnelles de fonctionnement ne sont qu’en apparence anodines et de bon ton. En réalité, elles fournissent un cadre qui potentialise l’agressivité feutrée des échanges. Car les affrontements existent, mêmes s’ils sont verbaux et cadrés par le rituel. Parfois, il y a même souffrance profonde issue des incompréhensions. Mais le statut de groupe durable permet des solutions qui débouchent sur le progrès des individus. On s’est donné beaucoup de coups de maillet sur les doigts mais, finalement, ce qu’on a créé en commun en valait la peine. Là aussi, ceux qui apparaissent un instant comme les ennemis sont nos meilleurs maîtres.
Ce qui caractérise les affrontements en loge, c’est l’apprentissage au fil des années d’une vérité essentielle : ce sont les idées qui doivent s’affronter, jamais les individus. Comprendre cela, le vivre effectivement, est un indice de progrès considérable sur une voie spirituelle humaniste. En réalité, on travaille avec et sur les émotions avec et sur l’agressivité comme énergie du développement cognitif. Agir ainsi revient bien à dégonfler les boursouflures de l’ego qui accordent une importance exagérée à ce qui n’est qu’accessoire. Parfois, du fond de sa colère spontanée et silencieuse, réussir à déceler et à prendre en compte la demande et l’éventuelle souffrance de son frère ou de sa soeur et faire passer cela avant son désir propre, est signe d’avancement sur la voie initiatique. S’ouvrir à l’autre, le considérer comme plus important que soi, c’est souvent travailler correctement ses émotions. Et c’est essentiel dans le cheminement vers la lumière.
La mise en garde contre les effets nocifs de la parole existe dans le Dharma et en franc-maçonnerie. Sur les dix actes négatifs que tout bouddhiste doit s’efforcer de ne pas commettre, quatre sont relatifs à la parole : ce sont les mensonges, les paroles de mésentente, les paroles blessantes et les commérages. Ne pas nuire à autrui par la parole. S’abstenir d’abaisser sa tension ou son angoisse personnelle en colportant des rumeurs et en disant du mal d’autrui sous prétexte d’informer. et je ne m’étendrai pas sur le serment de silence que le maçon prête, main dégantée, c’est-à-dire solennellement, en fin de tenue.
Le maçon qui a passé de nombreuses années en Loge avance vers le delta radieux. Cette progression est balisée par des grades successifs. Peu à peu, il se rapproche de ce symbole qu’il avait aperçu bien loin, à la chute du bandeau, au soir de son initiation.
Lui qui cherche la lumière, depuis le début, il a commencé par expérimenter cette lumière sous forme intellectuelle, fraternelle, morale et éventuellement sociale. Sa spiritualité peut être exclusivement humaniste. Ses efforts, son opiniâtreté, font qu’il est dans la lumière, en latin lumen, et qu’il accroîtra celle-ci jusqu’à la fin de sa vie.
Si je me tourne vers le latin, c’est que cette langue offre deux mots pour signifier la lumière : lumen et lux. Lumen concerne la lumière physique, perceptible, celle du soleil, et, par extension, celle de la connaissance. Lux renvoie à la lumière incréée, à la lumière qui échappe à toute conception, à toute désignation. C’est le « fiat lux » de la tradition judéo-chrétienne et peut-être la « claire lumière » de la tradition bouddhiste. La voie initiatique de la maçonnerie se déroule dans l’espace de lumen. Elle peut s’ouvrir sur lux. Le delta radieux en est bien l’indication essentielle : lorsque la lumière est donnée, on ne sait ce qu’il est. On est fasciné par sa lumière et c’est tout.
Il arrive un moment où on peut le voir comme une sorte de compas. Comme le dit Jean-Pierre Pilorge, les branches du compas s’écartent, le centre reste jusqu’à ce que les lignes aient tellement rempli leur fonction de rayons générateurs du cercle que ce cercle du sacré puisse être tracé puis jusqu’à ce que la notion même de cercle disparaisse dans ce qui est peut-être transformation de lumen en lux.
Cette notion de centration est fondamentale dans tout le symbolisme maçonnique :
*. centration d’abord sur soi par le connais-toi-toi-même, découvert dans le cabinet de réflexion ;
* centration autour de la préoccupation de tailler sa propre pierre brute au coeur du groupe du chantier d’apprentis ;
* centration dans l’espace même de la loge autour du symbole de l’axe du monde ;
* enfin cercle, cette marque fondamentale des hauts grades, depuis le système du 4e jusqu’à la place où, au terme de la voie, il signe le centre ultime de la structure de l’ordre.
On peut considérer toutes ces centrations successives comme des échafaudages qui permettent la construction et devront ensuite disparaître pour faire place à l’oeuvre. Ce sont les éléments d’une propédeutique qui implante des repères solides à partir desquels il sera possible de se décentrer pour ce changement qualitatif qui débouche peut-être sur l’éveil.
Eblouissant à l’arrivée, le delta radieux prend de plus en plus d’importance au fil des années. Et cela d’autant plus qu’on continue à travailler en loge bleue en même temps qu’on suit le chemin dit des hauts grades. Degré après degré, on s’achemine vers toujours plus de lumière, une lumière au-delà du blanc ; la lumière irréelle de l’aube, la lumière d’or du petit matin et, qui sait, la lumière qu’on peut rêver être celle de l’illumination ?
Alors, ce delta radieux devient une fenêtre. La voie maçonnique avec ses outils, ses concepts et ses traditions, a construit cette fenêtre qui ouvre sur la lumière sans forme. Et c’est lorsque cette fenêtre est solidement posée, construite, qu’elle devient icône. L’initié peut la franchir et, par là même, la dissoudre. Le coeur de la bienheureuse prajnaparamita indique qu’il n’est pas de voie, pas de connaissance primordiale… Alors, il n’est pas de fenêtre !
Sur le chemin maçonnique, il arrive un moment où le maçon a terminé sa propédeutique. Il a assuré son organisation mentale, il sait raisonner juste, il a affiné son fonctionnement émotionnel et appris à transformer les conflits en énergie pour un progrès initiatique. A ce moment, il peut souhaiter franchir la fenêtre qu’est le delta radieux. Il peut souhaiter trouver une voie d’éveil !
La propédeutique maçonnique m’a ainsi permls une grande partie du chemin. Ceux qui connaissent la représentation du Rite Ecossais Ancien et Accepté qu’on découvre au 32e, savent que trois oiseaux y marquent un envol (pas de bigoterie maçonnique, je ne dévoile rien : cette représentation se trouve dans le Vuillaume et dans le Bongrand, en vente libre, à tout profane).
Là, je n’ai plus trouvé d’instructions dans le cadre maçonnique… seulement l’obsédante interrogation du symbole … seulement cinq rayons qui convergent vers un cercle vide.
Alors, ce cercle vide ? Le détachement, selon la vision de Maître Eckhart ? Le vide du tao ? La vacuité ? Le cheminement maçonnique peut conduire jusque là. Après ? La voie est libre. Elle dépend de la sensibilité et du cadre de référence de chacun. « Que chacun, dans sa voie, cherche en paix la lumière. »
Lux au-delà de lumen. A ce point, les trois oiseaux, les cinq rayons et le cercle vide m’ont dirigée vers le Dharma. Ce n’est pas une autre voie, ce n’est pas une conversion, c’est la constance de la fidélité. C’est mon expérience. Cela n’exclut aucune autre expérience. La confrontation nous enrichit de nos différences.
La franc-maçonnerie ne m’avait rien promis. Elle m’a beaucoup donné. Elle m’a notamment appris à trouver des ponts entre des univers apparament étrangers et à lancer des arches quand il n’y en avait pas !
Questions-réponses
Un intervenant
La vision cognitive de la franc-maçonnerie qui vise à maîtriser ses pensées me semble opposée et contradictoire avec les traditions spirituelles parmi lesquelles le bouddhisme s’inscrit.
Cela ne laisse pas de place non plus à la tradition symbolique du rite Emulation et aux autres traditions kabbalistes chrétiennes.
Je suis franc-maçon et je m’oppose fortement à cette vision spéculative de la maçonnerie.
Anne-Françoise Rey
Mais tu as le droit, mon frère, c’est ta voie et j’ai la mienne. Pour moi, les outils cognitifs existent et je les ai traduits comme cela. Notre originalité en tant que maçonnes et maçons que nous sommes est que les opinions opposées ne peuvent en rester là, tout le travail sera, peut-être, de nous retrouver, un jour, dans un troisième colloque.
« Votre méconnaissance des autres rites. » Il existe d’autres rites, mais j’ai cherché des ponts entre la franc-maçonnerie et le bouddhisme à partir de mon expérience. Méconnaissance, ignorance, je veux bien, en tant que franc-maçonne et en tant que bouddhiste, je ne me fie pas à ce que l’on me raconte mais j’essaye de tirer partie de ce que j’expérimente, très modestement, peut-être malgré mes affirmations un peu passionnées
Je ne dis pas que ce rite est préférable ou meilleur à un autre. Ce rite consiste à apprendre par cœur, à restituer le rituel par coeur en étant totalement observateur de ce que l’on fait en même temps que l’on est acteur. Il consiste à respecter le geste juste, la parole juste et à invoquer le Grand architecte de l’Univers en permanence.
Et en ce sens, et c’est pour cela que je voulais intervenir, parce que ce rite n’était pas évoqué ici, et nous pourrions en discuter, est très proche d’une voie, sinon bouddhiste du moins orientale, puisqu’elle est fondée sur le karma, c’est à dire l’action juste, le geste juste en action.
La maçonnerie n’est pas qu’une voie spéculative au sens ou tu le disais, ma soeur. Il y a aussi d’autres rites plus opératifs.
Anne-Françoise Rey
Je te répondrai très rapidement que, si nous avions présenté des planches seulement sur le rite Emulation, eh bien, le cadre de référence que j’évoquais aurait été regretté par d’autres intervenants, alors c’est un choix. Je ne peux parler qu’à partir de ce que j’ai expérimenté.
Jean-Pierre Schnetzler
L’intérêt de cette journée est de permettre l’expression de témoignage divers, fondés en plusieurs rites. La spécificité du rite Emulation, resté proche des opératifs, est de contraindre à pratiquer l’art de mémoire et d’habiter le rituel par coeur et par le coeur.
Cette expérience transformatrice peut être étendue à d’autres rites, si les frères et/ou les soeurs de la loge sont bien conscients des motivations de cet effort et de ses résultats.
Un intervenant
La franc-maçonnerie est-elle une voie d’éveil ? La réponse n’est-elle pas dans le rituel du troisième degré ? La connaissance sommeille à l’ombre de l’acacia. Ne faut-il pas la réveiller ? La question est alors : comment ?
Anne-Françoise Rey
Je me posais la même question et c’est pour ça que je considère la franc-maçonnerie comme une propédeutique très avancée pour ce que j’en ai expérimenté. Je n’y ai pas trouvé de méthodologie spécifique avoisinant ce que je crois avoir compris et que le Dharma désigne par éveil.
Lama Denys
Je trouve dommage que l’on mette la parole dans la salle en question fichée. C’est-à-dire empêcher une parole incarnée chez un sujet singulier avec sa tonalité et sa vibration particulière.
Jean-Pierre Schnetzler
Eh bien ! Notre frère vient de nous donner la preuve que cela n’est pas le cas. Nous avons eu droit à son exposé que, personnellement, en tant que membre du rite Emulation, j’ai pu apprécier.
Un intervenant
Ne trouvez-vous pas que l’on parle plus facilement du dogmatisme religieux que du dogmatisme maçonnique ?
Jean-Pierre Schnetzler
Ca, c’est une bonne question, parce qu’il y a un dogmatisme de l’antidogmatisme qui fleurit parfois en franc-maçonnerie. C’est d’ailleurs ce que nous disions au repas, ce midi.
Un intervenant
L’avancée sur la voie initiatique degré par degré permet l’éveil et l’élargissement de la conscience. De ce fait, elle engendre la souffrance, car elle nous met de plus en plus en position d’observateur de nos imperfections et de nos insuffisances. N’est-ce pas contraire à la recherche de la paix intérieure ?
Jean-Pierre Schnetzler
Oui, c’est parfaitement vrai à court terme. La méditation en est un exemple flagrant, surtout quand on pratique celle de la vision pénétrante -vipashyana- qui est justement l’observation seconde après seconde de ce qui est, donc de notre propre stupidité spontanée. Il est vrai que c’est un spectacle affligeant. Si on recherche la paix intérieure tout de suite, on a l’impression de lui tourner le dos. Pourtant, c’est la seule façon d’arriver à nettoyer les écuries d’Augias intérieures afin d’avoir une maison à peu près propre et agréable à habiter. Mais ce n’est pas tout à fait vrai si l’on pratique la concentration, une autre forme de méditation qui fournit immédiatement, de façon temporaire, un état de stabilité, de calme et de paix.
La concentration, c’est la carotte qui fait avancer l’âne porteur des reliques dont nous parlions tout à l’heure. La concentration est agréable. Elle encourage à la pratique méditative, qui est une voie ardue et souvent douloureuse, mais toute voie initiatique est douloureuse. Si vous voulez changer, il faut en payer le prix.
Lama Denys
Je peux ajouter un petit mot. Il y a effectivement la recherche de paix intérieure pour ce qui est de la pratique profonde de la méditation et de la carotte qui fait avancer l’âne qui porte je ne sais quoi. Mais la tentative de produire une paix intérieure ou un calme mental est un gros écueil dans la pratique méditative. Il y a bien, comme le suggérait cette question, une démarche d’ouverture, de désengagement, de désinvestissement dans lequel on est confronté à ce qui est en soi, pensées, émotions, toutes sortes d’événements qui sont susceptibles d’émerger.
Dans la pratique, samatha-vipashyana, consiste en la capacité à vivre cette émergence dans une position d’observateur non engagé, neutre. La politique qui consiste à vouloir faire la paix intérieure est, au mieux, une étape préparatoire, mais trop souvent une voie de garage. C’est comme mettre une chape pour éviter d’être confronté à ce qui est là, alors qu’il est nécessaire que les imprégnations, l’attente dans la psyché, dans la conscience profonde puissent se libérer dans une expression dégagée, en une opération de purification, de catharsis et donc de confrontation à son karma, à son ombre, à ses imprégnations, à tout cela, à sa névrose.
C’est un passage dont on ne peut faire l’économie et il y a quelque chose d’ardent et de pénible dans cette expérience. Je pense aussi qu’il faut souligner le danger qu’il peut y avoir à pratiquer la méditation dans une certaine attitude. Je crois que tout ce qui peut guérir peut aggraver la maladie, la maladie de l’ego, l’égalgie aiguë peut s’aggraver avec des exercices de concentration et de méditation. Ce n’est pas si simple.
La première difficulté, en dehors du fait de rester immobile dans une posture parfois douloureuse pour nous Occidentaux, c’est le lâcher-prise, c’est-à-dire de pratiquer la méditation pour rien, sans intention de profit, sans rien vouloir saisir, rien vouloir fuir, ce qui nous est extrêmement difficile.
Parce que le maître mot de la modernité consommante, le moteur de l’économie triomphante dénoncée par Albert Jacquart, c’est, bien sûr, toujours le mot motivation. On s’intéresse à la méditation parce qu’on se dit : comme cela, je vais avoir une meilleure santé, je vais devenir quelqu’un exceptionnel, devenir un grand maître du bouddhisme zen, du Vajrayana. Il y a là une attitude dont il faut très rapidement se débarrasser. Je crois que cette attitude de non-profit est vraie et juste pour toutes les voies. C’est vrai aussi bien sûr pour les voies maçonniques et c’est vrai très largement pour la pratique de la méditation assise sous toutes ses formes avec ses différentes méthodes avec ses différents moyens. Ramana Maharshi, ce sage décédé en 1950 et qui habitait le sud de l’Inde, avait cette formule terrible : « Il médite, il pense qu’il médite, il est satisfait du fait qu’il médite, mais à quoi cela le mène-t-il si ce n’est qu’à l’épaississement de son ego ? » Donc, danger également à propos de la méditation.
Un intervenant
Le risque de tout rite n’est-il pas de scléroser ? Je prends pour témoin le rappel conditionnant de préceptes, si beaux soient-ils, que certains vont même jusqu’à les rappeler pendant le troisième voyage.
Anne-Françoise Rey
Le risque de tout rite n’est-il pas de scléroser ? Je dirais oui, si pratiquer un rite devient mécanique, si on fait n’importe quoi. Alors, à ce moment-là on se sclérose. Mais à partir du moment où il y a enrichissement du contenu symbolique, où il a référence symbolique, ce n’est pas possible, cela reste vivant.
Un intervenant
La place de la femme en maçonnerie est récente. Au cours de mes quelques lectures sur le bouddhisme, je n’ai guère vu la place de celle-ci. Qu’en est-il ? Comment se situe-t-elle ? Votre intervention me montre qu’elle a sa place.
Anne-Françoise Rey
Maria Deraime a été initiée, il y a un peu plus d’un siècle. Nous la considérons comme la première
femme initiée mais, paraît-il, il y en aurait eu avant. Moi, je le crois, parce que la première loge mixte était Adam et Eve au paradis (rires)… Je ne sais pas qui fut vraiment la première femme initiée mais la femme à sa place en maçonnerie.
Il existe des ordres mixtes, une maçonnerie féminine en pleine expansion. Beaucoup de femmes deviennent franc-maçonnes. Elles sont peut-être très discrètes, trop discrètes, mais enfin, cela, c’est la caractéristique ou peut-être le défaut de la femme !
Notre soeur Jeanine Auger abordera ce sujet demain.
Un intervenant
Quelle place pour le rire et la convivialité dans le chemin maçonnique ?
Anne-Françoise Rey
Alors là, je dirais que, pendant la première décennie où j’y étais, je ne les ai pas trouvés. Ca me paraissait, quelquefois, ennuyeux. Et puis, depuis quelques années, je crois que l’on aime bien rire. Il y a des planches qui touchent quelquefois le comique. Je connais aussi des rituels qui sont, disons, des déformations, des parodies. Il y a aussi tout l’éventail très large des lapsus faits en loge et il y en a. Je peux vous dire qu’une fois, dans la chaîne d’union, au lieu de dire « bien au dessus des soucis de la vie matérielle », j’ai déclaré avec un énorme sérieux « bien au dessus de la vie maternelle ». Je vous assure que, ce jour-là, la loge était pliée en quatre. Il y a beaucoup d’autres occasions de rire. Et il y a aussi les agapes, sans qu’elles soient forcément orgiaques… Il y a aussi les sorties, les balades quand on s’entasse à plusieurs dans une voiture pour aller à l’autre bout de la France pour un colloque, je vous assure que l’on rit bien.
Alors, je crois que le rire et la convivialité ont leur place en maçonnerie, et puis, on ne se prend pas au sérieux en général. . .
On m’informe que la première Grande Maîtresse était la Duchesse de Norfolk. Elle était écossaise et c’était en 1646.
Pour terminer, on me passe un billet où il est écrit en réponse aux guerres de clocher : « On ne voit bien qu’avec le cœur. » Cela me rappelle la phrase d’un soufi, El Halai, qui dit : « J’ai interrogé mon seigneur avec le regard du cœur. Je lui ai demandé : qui es-tu ? Il m’a répondu : toi. »
Alain Lorand
On ne voit bien donc qu’avec le cœur, comme disait Saint-Exupéry, on retombe sur les concordances.
On n’a pas pu répondre à toutes les questions, mais aux principales. Lama Denys va donc aborder
maintenant ce qu’est l’éveil. Lourde question…
Octobre 1997
Anne-Françoise Rey
Extrait de : http://www.buddhaline.net
Bouddhisme et franc-maçonnerie 9 mai, 2008
Posté par hiram3330 dans : Chaine d'union,Recherches & Reflexions , ajouter un commentaire
Bouddhisme et franc-maçonnerie
Présentation et historique de deux traditions et de leur mode de transmission
Par Lama Denys
Lama Denys
Le terme bouddhisme est apparu vers 1825. C’est ce que nous apprend Roger-Paul Doit dans un de ses derniers livres. Bouddhisme est un néologisme qui n’est pas très heureux pour rendre justice à la tradition du Bouddha.
Donc, nous parlerons plutôt de Dharma ou de tradition du Bouddha, entendu qu’il n’est pas plus juste, de notre point de vue, de parler de bouddhisme qu’il ne le serait de parler de franc-maçonnisme avec tout ce que « bouddhisme » implique de théories, de doctrines.
La voie du Bouddha
Il faut s’imaginer, à son origine, le Bouddha, vingt-cinq siècles auparavant, au centre de l’Inde à Bodhgaya, sous l’arbre de la Bodhi. Il enseigna à partir d’une expérience -l’éveil-, un important canon qui se diffusa vers le Sud, jusqu’à l’océan, Ceylan, Sumatra, Bornéo, et vers le Nord, au Tibet, puis par la route de la soie en Chine, au Japon, en Corée et vers l’Ouest jusqu’aux confins du monde grec.
L’enseignement du Bouddha, le Dharma, est, d’une certaine façon, le fond commun de la vision traditionnelle de l’Orient. En tout cas il est largement son dénominateur commun.
Le thème de notre rencontre est tradition/transmission.
Depuis le Bouddha, depuis vingt-cinq siècles, une filiation s’est perpétuée. Elle nous a transmis… Que nous a -t-elle transmis ? Tout d’abord, au centre du Dharma, il y a une expérience : l’expérience de l’éveil. En termes de transmission, l’accent est mis sur l’expérience. C’est le vécu qui est ici très important.
Il ne s’agit pas d’une philosophie, ni d’une métaphysique, encore moins d’une théologie, ni d’une vérité écrite, inscrite de façon définitive, même s’il y a un corpus énorme de textes d’enseignements.
Le coeur de la transmission du Bouddha est une expérience : l’expérience de l’éveil, l’expérience du Bouddha, l’expérience de la nature de Bouddha. Elle peut se nommer aussi expérience de l’intelligence en soi, expérience de la claire lumlière, expérience immédiate, directe, de l’état de présence.
C’est cet état de présence direct, immédiat, non dualiste, qui a inspiré l’enseignement du Bouddha, le Dharma comme moyen offert – pour ceux qui le souhaitent – de découvrir cet état, cette expérience fondamentale et la réintégrer. Car elle est notre nature la plus profonde, la plus intime.
Cette expérience se nomme en sanscrit. « bouddhayana », l’intelligence immédiate d’un Bouddha.
Il y a donc dans la transmission un aspect central, fondamental, qui est de l’ordre du vécu, puis un enseignement qui rend compte de ce vécu et sert de tremplin, d’accès, à la réalisation de celui-ci.
On présente traditionnellement le Dharma en trois points : sa vision, son ou ses points de vue, ensuite la méditation ou la qualité d’expérience dans la vie, puis, la discipline.
La vision du Bouddha est d’abord celle du non-soi. La découverte que ce que nous sommes et que ce que nous vivons n’est pas une expérience solide, monolithique, statique, ou une réalité en soi, inhérente, comme nous avons tendance à le percevoir.
Cette vision du non-soi se traduit aussi comme la vision de l’interdépendance, dans la mesure où il n’est rien qui n’existe en soi et par soi. Toute chose, tout ce que nous vivons, tout ce que nous sommes, tout ce que nous expérimentons, existe et n’existe qu’en tant qu’événements interdépendants.
Tout ce qui est inter-est n’est (naît) que dans l’inter-être, dans l’inter-relation, dans l’interdépendance. C’est cette vision qui est connue comme celle de la vacuité. Vacuité et interdépendance sont à entendre comme synonymes. Cette vision débouche aussi sur cette expérience que nous avons appelée « état de présence ».
Lorsque la conscience habituelle se dégage de ses illusions, de ses fixations, elle s’ouvre à une expérience de clarté, de lucidité qui se comprend, s’expérimente en elle-même et c’est cette lucidité autoconnaissante en soi, cette intelligence en soi qui est nommée expérience d’éveil, nature de Bouddha, ou plénitude de l’expérience de vacuité. Voici, très schématiquement, quelques aspects de la vision du Dharma.
Sa pratique est, extérieurement, une discipline d’action fondée sur la compassion et, intérieurement, une qualité d’expérience que l’on nomme habituellement méditation.
Le terme de méditation est assez impropre au sens où ce dont il s’agit est une expérience d’ouverture, de lucidité, une expérience de présence, de vigilance, d’attention : une présence attentive, vigile dans une qualité d’expérience ouverte, dégagée, claire.
Il est différentes façons de découvrir et de cultiver cette expérience. La méditation assise le permet dans les maintes formes des différentes traditions selon leurs aspects, leurs lignées. Puis, il s’agit surtout d’intégrer cette qualité de présence, d’ouverture vigile et lucide, dans les faits et gestes de la vie quotidienne.
Il est ensuite une relation entre cette qualité d’expérience et l’action : c’est ce que l’on entend par discipline.
Extérieurement, l’éthique du Dharma, ou discipline, est fondée sur la compassion entendue comme un état de non-agression, de non-violence.
Nous entendons par compassion cette attitude ouverte, cette intelligence du coeur qui est à la fois réceptivité, disponibilité au-delà des blocages. C’est cette qualité de compassion, de non-violence, qui est le fondement, le coeur de l’éthique du Dharma.
Cette éthique peut être dite universelle. Elle recoupe très largement une éthique que l’on pourrait dire monothéiste, chrétienne, à cette différence près qu’il y a dans la perspective bouddhiste une vision beaucoup plus médicale, fondée sur l’harmonie et sur la compassion plutôt qu’une perspective plus juridique fondée sur les commandements et des arguments d’autorité.
Présentation de la franc-maçonnerie
Alain Lorand
A la différence de Lama Denys, qui est un maître dans le bouddhisme, je n’ai de leçon de franc-maçonnerie à donner à personne. Ma présentation de la franc-maçonnerie sera la plus large, la plus exhaustive possible, et, bien sûr, reflétera la façon, qu’à titre personnel, je vois la franc-maçonnerie. Cette présentation est à l’attention des non-maçons. Les maçons n’apprendront certainement rien de nouveau.
Comme nous sommes dans le thème tradition et transmission, je tiens à vous faire part de ma petite transmission à moi. Je voudrais rappeler trois frères qui sont passés à l’Orient éternel et qui ont été mes maîtres, en quelque sorte : les frères Gaston Chazette, Francis Viaud et N’Guyen Tanh Khiet. C’est ma petite lignée personnelle, à laquelle je tenais à rendre hommage parce que, si ces frères n’avaient pas été là, je ne serais pas là non plus en train de vous parler de la franc-maçonnerie ! Il y a un rattachement qui ne remonte pas à vingt-cinq siècles mais qui est néanmoins existant car eux-mêmes se rattachaient à …, qui se rattachaient à…, etc.
Donc, très respectable Lama Denys, frères et soeurs de la congrégation, frères et soeurs en vos grades et qualités, chers amis, pour cette présentation de la franc-maçonnerie, je ne vais pas reprendre le travail fourni par le frère Jean-Pierre Schnetzler lors du premier colloque et qui figure in extenso dans le livre que l’on vous a présenté. Je vais décrire l’historique, la genèse, de la franc-maçonnerie moderne. J’insisterai sur ce qui l’anime, sur l’esprit maçonnique et ce qui fait son originalité.
Pour définir la franc-maçonnerie, je vais reprendre les termes du programme du colloque. La franc-maçonnerie est un ordre initiatique, traditionnel, d’origine artisanale, fondée sur le symbolisme de la construction et ayant son origine dans les initiations antiques des constructeurs développées en milieu judéo-chrétien. Sa vocation est universelle. La franc-maçonnerie a pour objet de construire le temple intérieur afm de réaliser le temple extérieur, c’est-à-dire une société fraternelle.
En 1723, en Angleterre, le pasteur Désaguliers dédicace au duc de Montaigu la Constitution comprenant l’histoire, lois, obligations, ordonnances, règlements et usages de la respectable confrérie des francs-maçons. C’est de ce document fondamental que naît la franc-maçonnerie d’origine anglaise, chrétienne et protestante.
Tout phénomène ayant une cause, que se passait-il donc, à cette époque et en ce lieu ?
En 1710, Georges 1er de Hanovre, donc allemand, monte sur le trône d’Angleterre et s’adresse à ses sujets lors de son discours inaugural, en latin et en français, car il ne connaissait pas l’Anglais. Traumatisés par les luttes entre les stuartistes, les papistes, les Hanovriens, et j’en passe, une élite à dominante protestante cherche à se rassembler, à réunir ce qui est épars, en trouvant un dénominateur commun, un élément de croyances minimales sur lequel s’entendraient les hommes d’honneur.
En 1723, en Angleterre, l’individu qui se proclamait athée ne pouvait être qu’un stupide complet ou un libertin notoirement corrompu par oubli ou, plus, par mépris des lois de son Créateur.
Tout porte à croire que les fondateurs, en 1723, n’avaient aucunement l’intention de fonder une nouvelle religion ou une secte. Ils avaient le désir de rassembler le plus grand nombre possible de gentlemen en laissant les querelles religieuses au vestiaire et en déposant les métaux, comme l’on dit, à la porte du temple. Leur but était de se rassembler, autour d’un idéal spirituel, d’un besoin de solidarité et de fraternité, dans le secret et la liberté de la loge, hors des Eglises et des corps constitués. Cet idéal est resté le même aujourd’hui.
Mais d’où vient le terme franc-maçon ? Les francs-maçons sont des constructeurs, donc des maçons. Au moyen-âge, l’apprenti, le compagnon et le maître d’une corporation médiévale donnaient à leur labeur un caractère sacré. La cité humaine était une ébauche de la cité divine. Le travail fait avec amour devenait une prière. Il avait un caractère sacré s’il était exécuté avec un état d’esprit se référant à la tradition. Au moyen-âge, maçon signifiait tout à la fois ouvrier, conducteur de travaux et architecte. On distinguait les maçons ordinaires ou rough-masons et les maçons instruits ou free-masons. Ces free-masons étaient groupés en corporations puissantes dans toute la chrétienté. Nous leur devons les chefs-d’oeuvre du roman et de l’ogival. Ils circulaient librement d’un royaume à l’autre, au gré des chantiers. Ils jouissaient de privilèges matériels et d’une certaine liberté de pensée.
Fiers d’être une élite, ils se protégeaient par des barrières de secrets traditionnels et se recrutaient par cooptation. Ils se réunissaient dans un lieu clos, à l’écart des autres, dans un local nommé loge. Ils formaient des apprentis cooptés à une discipline sévère en veillant à leur instruction technique et sur leur valeur morale. En effet, une grande oeuvre n’est réalisée que si l’on garde le coeur pur.
Pour se distinguer des rough-masons et autres manoeuvres, les free-masons échangeaient entre eux des signes, mots et gestes qui leur servaient de passeport et de reconnaissance dans leurs déplacements. Eux seuls savaient manier certains outils, appliquaient des règles de mécanique, de projection, de trigonométrie leur permettant de tracer les plans et de dégrossir une pierre brute jusqu’à ce qu’elle devienne une clef de voûte. Il n’y avait pas de livre imprimés, donc beaucoup d’analphabètes dans leurs rangs. L’enseignement se transmettait oralement, dans le secret des loges, en utilisant largement les symboles.
Lorsque l’âge des cathédrales déclina, on cessa d’utiliser les maillets et les ciseaux pour construire. Vint alors, l’ère des outils symboliques pour tailler les esprits et bâtir les cathédrales spirituelles : les temples intérieurs. Telle fut la naissance de la franc-maçonnerie moderne dite spéculative (du latin speculare qui signifie qui observe) qui a pour objet l’étude des faits de conscience.
Il est remarquable de constater que les sociétés recrutant par cooptation et se protégeant par des secrets fonctionnent sur un modèle standard. Ce type de sociétés date de l’aube de la civilisation. Elles s’imposent pour mission essentielle d’être gardiennes d’une forme élaborée de la vérité qui serait inassimilable voire dangereuse pour le tout-venant et d’initier leurs membres par transmission directe, les chaînons se prolongeant d’un côté vers le lointain passé et l’autre vers l’avenir selon ce que les hermétistes appelaient la chaîne d’or d’Homère. A l’origine de chaque société, est une proclamation du ou des fondateurs qui, en quelque sorte, s’auto-initient. Le fait de résister à l’usure du temps et de perdurer sanctifie toute institution qui tend à faire reculer le plus loin possible son origine en perdant celle-ci dans le passé le plus lointain. Ce qui en augmente considérablement le mystère.
L’initiation en général et maçonnique en particulier se confère par des rituels obéissant à la thématique suivante, commune à toutes les sociétés qui fonctionnent par cooptation et initiation :
1. choix et consécration d’un lieu sacré, templum, temporaire ou définitif ;
2. éloignement des profanes, ou de ceux qui n’ont pas atteint le degré où s’ouvre la cérémonie ;
3. ouverture des travaux par un personnage qualifié qui consacre l’espace et le temps ;
4. introduction, mort et résurrection symbolique du candidat ;
5. épreuves sous formes de voyages et purification, le plus souvent, par les quatre éléments alchimiques, terre, feu, air et eau ;
6. psychodrame évoquant la vie d’un personnage archétypique, à l’origine de la société ;
7. prestation par le néophyte d’un serment solennel qui le lie ad vitam à l’association et à ses frères ;
8. marques d’une personnalité nouvelle, nom mystique, âge symbolique ; vêture particulière, tablier du franc-maçon, épée et éperon du chevalier, canne du compagnon ;
9. transmission des moyens de reconnaissance, signes, mots, gestes, attouchements, marches ;
l0. il lui est dévoilé, directement ou allusivement, les idéaux de la société ;
11. retour au monde devenu profane (du latin pro, en avant et fanum, temple), marqué par une libation, un repas cérémoniel, voire une orgie (Est-ce au programme ? Lama Denys confirme. Rires).
Ces rites de retour ne font pas perdre les qualités d’initié qui sont gardées pour l’éternité.
La rituélie met en oeuvre des symboles s’adressant aux cinq sens car seule la forme permet d’accéder à la non-forme, à l’informel. Tout ce squelette, cette carrosserie symbolique, fonctionne remarquablement. Mais tout va dépendre de ce qui l’anime et du pilote qui orientera vers le bien ou le mal, le noir ou le blanc, le bien des êtres ou leur asservissement. Les forces de la contre-initiation dont parle René Guénon sont aussi à l’oeuvre. Très proches de nous, les nazis ont largement utilisé ces procédés jusqu’à l’emploi de la croix gammée, notamment. Donc, il faut se méfier.
Qu’est-ce donc qui anime l’ordre maçonnique ? Quels sont les buts qu’il se propose d’atteindre ? Quels moyens met-i1 à disposition ? En entrant en franc-maçonnerie, il n’y a pas à adhérer à un programme prédéfini, à croire les enseignements d’un fondateur éclairé. On devient franc-maçon petit à petit, au fil du temps, par imprégnation, par osmose. Par le travail en loge. C’est en maçonnant que l’on devient franc-maçon. Pour gravir les échelons, il est une sorte une vérification
des connaissances.
Ce qui sous-tend le tout, c’est une foi, une foi dans le sens de confiance, une foi inaltérable dans l’individu et sa perfectibilité incessante. Le franc-maçon, femme ou homme, se veut libre autant que faire ce peut et désir améliorer, élever les hommes, ses frères, et améliorer la société humaine en la rendant fraternelle.
La micro-société de la loge doit servir de modèle, de maquette à la société en générale. Ce qui se traduit « par répandre en dehors du temple les vérités qu’il y aura acquises ». C’est par le dialogue, la non-violence, en ayant laissé les certitudes politiques religieuses ou autres, dans un esprit d’ouverture et de tolérance, que le franc-maçon souhaite contribuer à l’apaisement des conflits jusqu’à ce qu’enfin la lumière chasse les ténèbres et que l’ordre se substitue au chaos.
Comment procéder pour que des hommes et des femmes venant d’horizons très différents finissent par se reconnaître comme frères et soeurs, par développer une réelle fraternité où le sens de l’entraide naîtra spontanément ?
C’est toujours et uniquement par la pratique, la pratique du travail en loge, dans un cadre rituel, avec l’aide de symboles, que l’on finit par se sentir franc-maçon et que l’on est reconnu comme tel par la communauté fraternelle.
Juste avant de procéder à l’initiation du profane, celui-ci descend dans une cave éclairée d’une bougie, rappel de la graine que l’on enfouit en terre et qui doit mourir pour devenir épi. Au mur, une inscription reprenant les premières lettres d’une formule alchimique V.I.T.R.I.O.L., signifiant : « visite l’intérieur de la terre et tu y trouveras la pierre cachée ».
C’est donc, avant même le départ, une invitation pressante à cultiver le regard intérieur, à se connaître soi-même. C’est une invitation au « connais-toi toi-même », au « gnôthi seauton » maxime écrite au fronton du temple de Delphes et adoptée par Socrate. N’est-ce pas là une injonction à la méditation, à calmer et à voir le fond de l’esprit ? Cette recommandation n’est, hélas, complétée par aucune instruction technique sur le comment faire, ni par aucune disposition pour en réaliser le suivi.
C’est là le point fondamental qui, à mon sens manque, et où l’enseignement du Bouddha peut apporte une aide inestimable.
Néanmoins au fil des ans, en loge, par la pratique de l’écoute fraternelle et compatissante, le franc-maçon viendra à penser par lui-même, à construire ses propres vérités, à être son propre flambeau.
Cette qualité de pensée libre lui attirera les foudres de tous les totalitarismes, politiques et autres, de tout dogmatisme sans exception. S’il est difficile de cerner avec précision les contenus de l’esprit maçonnique, il est en revanche facile d’en définir les adversaires. Ce sont les mêmes qui ont détruit les universités bouddhistes en Inde, qui ont incendié la bibliothèque d’Alexandrie, les synagogues, allumé les bûchers de l’Inquisition, exterminé les cathares et, en islam, exterminés les babis, édifié les camps de la mort etc., le catalogue serait sans fin.
Les trois mauvais compagnons : l’ignorance, le fanatisme et le mensonge, rôdent toujours. Ils sont actifs et réveillent sans cesse les forces obscures tapies au fond de nos esprits.
A la veille du XXIe siècle, dans deux ans, les forces de lumière et de tolérance doivent contribuer à prendre conscience, à faire prendre conscience à l’humanité, que seule la paix intérieure permettra de réaliser la paix extérieure.
J’ai un peu étudié l’enseignement du Bouddha. Deux points, en tant que franc-maçon, m’ont interpellé. Le premier est : « Ne croyez pas ce que je dis, mais en pratiquant mon enseignement, voyez et observez les résultats. Le second est : « Ne jetez pas le trouble dans les croyances d’autrui, toutes les spiritualités sont respectables. »
En conclusion, qui mieux que la poésie pourrait tenter de cerner la subtilité, le parfum, l’essence de l’esprit maçonnique. Voici quelques extraits d’un poème écrit en 1896 par le frère Rudyard Kipling de retour en Angleterre après un séjour en Inde.
Il s’intitule La Loge mère.
« II y avait Rundle, le chef de station,
Beazeley, des voies et travaux,
Ackmam, de l’intendance,
Dankin, de la prison,
Et Blacke, le sergent instructeur,
Qui fut deux fois notre Vénérable,
Et aussi le vieux Franjee Eduljee
Qui tenait le magasin « Aux denrées européennes ».
Dehors, on se disait : « Sergent, monsieur, salut, salam. »
Dedans c’était : « Mon Frère », et c’était très bien ainsi.
Nous nous réunissions sur le niveau et nous nous quittions sur l’équerre.
Moi, j’étais second diacre dans ma loge-mère, là-bas.
Comme nous nous en revenions à cheval,
Mahomet, Dieu et Shiva
Jouaient étrangement à cache-cache dans nos têtes.
Combien je voudrais les revoir tous
Ceux de ma loge-mère, là-bas !
Dehors, on se disait : « Sergent, monsieur, salut, salam. »
Dedans c’était : « Mon frère », et c’était très bien ainsi.
Comme je voudrais les revoir,
Mes frères noirs et bruns,
Et me retrouver parfait maçon,
Une fois encore, dans ma loge d’autrefois. »
Que l’esprit de tolérance, d’amour et de fraternité éclaire et dirige les travaux de ce deuxième colloque franc—maçonnerie et bouddhisme.
J’ai dit.
Questions-réponses
Le fondement du bouddhisme est la compassion. Je crois que l’on pourrait dire que la fraternité est le fondement de la franc-maçonnerie. Pourriez-vous développer les similitudes et les différences entre fraternité et compassion ?
Lama Denys. Je vais essayer très brièvement de définir la compassion qui est, dans son ouverture, un moment d’accueil, de réceptivité, de partage. Compatir est partager. Il y a dans la compassion une empathie, une communion entre l’amant et l’aimé, le compatissant et son sujet. Réceptivité aussi dans la compassion où il y a cette sensibilité qui est le fait d’être disponible, sans retenue, sans blocage, dans la situation telle qu’elle est. C’est cette sensibilité qui permet, dans l’harmonie, que la réponse juste, non violente et adaptée – la réponse bonne de toute bonté – agisse. La compassion entendue dans ce sens peut aussi être synonyme d’amour. Mais ce terme, très connoté, prête à confusion.
Compassion et vacuité ont le même dénominateur commun. Tout à l’heure, en quelques mots, j’ai suggéré que la vacuité soit comprise comme l’intelligence dans l’interdépendance, dans une attitude de non-ego, dans une attitude non égocentrée, non égoïste.
L’interdépendance est au plan humain, relationnel, social, économique, cette capacité à interagir, à interdépendre les uns des autres d’une façon non égocentrée, non égoïste. Il y a, dans l’interdépendance et la compassion, la notion de solidarité. Nous sommes solidaires : ne fais pas à
l’autre ce que l’on ne voudrait pas que l’on te fit. J’essaye juste de suggérer la continuité qu’il y a entre interdépendance, compassion, non-violence et solidarité. Je crois que, de la solidarité à la fraternité, la transition est assez évidente.
Jean-Pierre Schnetzler. Fraternité et compassion sont certainement des vertus essentielles aussi bien en franc-maçonnerie qu’en bouddhisme. Mais, comme vient de le suggérer Lama Denys, eIles sont complétées par d’autres vertus. En franc-maçonnerie, on se réfère souvent au ternaire : sagesse, force et beauté. Dans le bouddhisme, la sagesse et la compassion sont dites devoir être cultivées de façon égale. Il y a donc là deux principes complémentaires. Il est très intéressant de noter que trois bodhisattvas sont fréquemment invoqués dans le bouddhisme tantrique : Manjoushri, Vajrasattva, Avalokitechvara, la sagesse, la force et la bonté ou la beauté. On retrouve donc un ternaire équivalent dans les deux cas. Relevons enfin un dernier parallèle symbolique. Dans le bouddhisme, la compassion suppose un sens très aigu de notre appartenance à la totalité de l’univers. Or, les dimensions du temple maçonnique vont du nadir au zénith, du septentrion au midi, de l’orient à l’occident.
On devient maçon en maçonnant, que devient le maître sans tablier ?
Alain Lorand. Il y a des gens qui ont toutes les qualités d’un franc-maçon, mais les circonstances de la vie ont fait qu’ils ne se sont pas fait initier, qu’ils n’en ont pas eu l’occasion ni le désir, peut-être. Cela n’enlève rien à leurs qualités. Le travail en loge permet une facilité. Par la fraternité, par le groupe et par l’étude des symboles, on avance davantage. Il y a des profanes tout à fait honorables qui sont des maçons sans tablier. D’ailleurs, on les cite souvent.
Les participants sont présentés comme francs-maçons et bouddhistes, ou inversement. Est-ce l’ancienneté dans l’une ou l’autre tradition, et si oui, qu’est-ce qui a mené le bouddhiste vers la franc-maçonnerie ?
On a été ainsi présenté effectivement. En ce qui me concerne, j’ai été présenté comme bouddhiste et franc-maçon. Or, il se trouve que je suis devenu simultanément l’un et l’autre. Le frère qui m’a enquêté m’a parlé du bouddhisme et c’est pratiquement en même temps que je suis devenu l’un et l’autre.
Alors, me direz-vous, pourquoi me présenté-je comme bouddhiste et comme franc-maçon ? Ce n’est pas une question de hiérarchie. Je pense simplement que, dans l’ordre du transcendantal, je mettrais le bouddhisme avant la franc-maçonnerie.
Si je devais abandonner l’un ou l’autre, j’abandonnerais peut-être la maçonnerie. Voilà pourquoi je me présente d’abord comme bouddhiste. Il est évident aussi que, dans certains cas et je crois que c’est le cas de certains des intervenants, il s’agit simplement d’une question chronologique.
Jean-Pierre Pilorge. Je voudrais enchaîner sur cette présentation que vous vous proposez de faire de nous-mêmes. Il faut toujours connaître l’heure qu’il est à la montre de l’autre. C’est ce que l’un de mes amis et directeur spirituel m’a enseigné aux cours des exercices spirituels de saint Ignace de Loyola.
Moi, qui suis désigné sous la terminologie de franc-maçon et de chrétien, je suis né catholique romain. J’ai été dans le mouvement scout et dans toutes les formes de responsabilité de ce mouvement à vocation catholique. Puis, je me suis éloigné du catholicisme au début de ma vie d’homme.
En grande recherche, j’ai eu un certain nombre de pratiques dans des domaines orientaux, soit zen, soit soufi, ou encore dans les lettres hébraïques, avant d’entrer en franc-maçonnerie. Au bout de quelques années de pratique maçonnique, j’ai été renvoyé par la maçonnerie comme à travers la vision d’un miroir à ma religion d’origine qui était le catholicisme romain. Je suis redevenu pratiquant depuis une quinzaine d’année dans la religion catholique romaine en essayant, sans jamais faire de confusion, aucun amalgame, de rechercher dans ma pratique religieuse, catholique romaine, s’il y avait une voie initiatique parallèle aux exigences que je trouvais en franc-maçonnerie. J’ai trouvé, par maçonne interposée, les exercices spirituels de St Ignace de Loyola que j’ai pratiqués de nombreuses fois. Là, je suis entré, aussi, dans une démarche catholique, chrétienne, qui a les mêmes exigences que la maçonnerie, la même universalité de vue à travers une pratique. Je dois dire que, depuis ce temps-là, j’ai trouvé parfaitement ma stabilité et mon équilibre.
Et j’insiste beaucoup, l’un enrichissant l’autre par les mêmes exigences et ne devant faire l’objet d’aucun syncrétisme, car le syncrétisme est contraire à la tradition, chacun restant dans ses différences de vocabulaire et de mise en mouvement.
Lama Denys. Je répondrai très brièvement parce que nous aurons le temps de revenir sur ces thèmes ; mais auparavant nous nous étions entendus pour que les personnes qui posent des questions se déclarent afin que nous sachions à qui nous nous adressons.
Le premier Bouddha et les autres Eveillés ont vécu une expérience verticale. Quand ils transmettent, ils sont sur l’horizontale avec leur éducation, leur environnement différents. Leurs enseignements s’en ressentent. Il y a, verticalement, l’immédiateté, qui est une expérience primordiale, fondamentale, aconceptuelle, universelle. Cette expérience a été celle de tous les bouddhas. Le Bouddha Sakyamouni est le quatrième de mille bouddhas d’un kalpa dans une perspective cyclique où les kalpas – cycles cosmiques – se succèdent.
Il n’a fait qu’ouvrir une voie ancienne, universelle, atemporelle. C’est cette expérience, dans ce qu’elle a d’universel, d’atemporel, qui, ensuite, s’inscrit horizontalement dans les différents milieux socioculturels, les différentes matrices sociolinguistiques, et qui se transmet aussi avec différents véhicules langagiers, différentes expressions, avec les spécificités et les différentes façons d’exprimer, de pointer vers cette expérience. Etant entendu, pour être bref, qu’il ne faut pas confondre le doigt et la lune, selon l’adage.
Le bouddhisme évoque et fonde son enseignement sur la non-dualité. En revanche, dans la franc-maçonnerie, nous serions dans l’univers de la multiplicité, donc de la dualité. Où se situe le point de convergence entre bouddhisme et franc-maçonnerie ? C’est une question qui est au centre de notre rencontre, et que je laisse pour plus tard, si vous le voulez bien.
Merci de préciser, au sujet de l’amour, la notion d’amour inconditionnel qui donne à l’amour une toute autre dimension. Il en est une autre que je traiterai en même temps et qui lui est apparentée : la compassion dans son rapport à la non-violence.
Bouddha ne s’est-il jamais mis en colère ? Alors compassion égale non-violence ? Oui, mais la non-violence ne signifie pas la compassion de grand-mère, molle, complaisante, qui satisfait n’importe quel caprice de façon idiote. Il est une compassion qui doit savoir trancher, dire non, qui, lorsqu’une tumeur est maligne, doit savoir en faire l’ablation. En certaines circonstances, le Bouddha savait trancher et c’est là un acte de compassion.
Amour et compassion peuvent être relationnels et immédiats : un relationnel inconditionnel. L’amour et la compassion commencent dans la relation, dans la participation que nous évoquons et ils trouvent leur forme la plus profonde dans ce que l’on pourrait nommer une communion en laquelle l’amant et l’aimé, le sujet et l’objet, ne se vivent plus comme deux séparés. C’est ce que l’on nomme traditionnellement amour-compassion non dualiste, inconditionnel, qui est sans pourquoi.
Y a-t-il plusieurs degrés de lucidité ou un seul ?
Lama Denys. Il y a beaucoup de degrés de lucidité, de vigilance ou de clarté. Toute la pratique de la méditation est une voie d’entrée dans la lumière. On entend ici par lumière aussi bien la clarté que la lucidité. Il y a une toute petite lucidité qui est au départ de la vigilance attentive, une lucidité qui s’éclaire et qui devient de plus en plus claire jusqu’à la lucidité éveillée, la lucidité d’un Bouddha qui est l’intelligence qui se comprend en elle-même ou la lucidité qui se vit en soi dans l’expérience immédiate non dualiste. Il y a une infinité de degrés de lucidité.
Octobre 1997
Institut Karma Ling
Hameau de St Hugon
F-73110 ARVILLARD
TEL. : 04.79.25.78.00 – FAX : 04.79.25.78.08
http://www.karmaling.org/
Extrait de : http://www.buddhaline.net
« LA REINE DE SABA », DE CHARLES GOUNOD 26 avril, 2008
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UN OPERA MACONNIQUE FRANÇAIS MECONNU : « LA REINE DE SABA », DE CHARLES GOUNOD |
Avant propos
Les rituels maçonniques sont tenus » secrets » par les Maçons, qui n’ont pas le droit de les divulguer aux » profanes « . La maçonologie qui aborde les aspects historiques, sociologiques et philosophiques de la maçonnerie, étudie entre autres les légendes dont s’inspirent les rituels. Aussi, tout ce qui peut être rapporté dans cette présentation, ainsi qu’en témoigne la bibliographie jointe, provient de livres accessibles à tous, traitant soit des rapports entre la musique et la maçonnerie, soit du livre des Rois dans la Bible, soit de la légende d’Hiram, légende commune à la maçonnerie et au compagnonnage, soit surtout du recueil de nouvelles intitulé » Voyage en Orient » de Gérard de Nerval. Cependant, le » secret maçonnique » reste paraît-il intransmissibleŠ
Les rapports entre la Maçonnerie et la musique sont apparemment nombreux et anciens. Les musiciens réputés Francs-Maçons sont archi-connus et sans doutes répertoriés par excès. L’excellent livre de Roger Cotte sur la musique maçonnique les inventorie avec prudence, distinguant les compositeurs Francs-Maçons avérés comme Haydn et Mozart ou plus récemment Sibelius, de ceux dont l’appartenance n’a jamais été prouvée comme Beethoven, dont on retient cependant » Les 33 variations diabelli « comme un élément de présomption à charge ! Il signale encore ceux qui sont réputés l’avoir été mais ne l’ont finalement point été, comme Wagner et rapporte enfin ceux qui ont eu des liens avec des mouvements plus ou moins proches de la maçonnerie, comme Erik Satie qui a écrit de la musique rituelle pour les rosicruciens à la demande de Joséphin Pelladan. Les oeuvres dites maçonniques sont tout aussi connues et le moins mélomane des Francs-Maçons citera d’emblée la » Flûte Enchantée « de Mozart. D’autres, plus fins connaisseurs, citeront des oeuvres moins connues dont l’inspiration maçonnique dépend de l’interprétation de chacun, les Francs-Maçons n’ayant pas le monopole des légendes ou des symboles. Citons ainsi » la Création « de Haydn. Enfin, des musiciens dont on sait qu’ils n’ont pas été Francs-Maçons, mais simplement proches de ce courant de pensée, ont pu écrire des oeuvres que des exégèses très convaincus ont décrété maçonniques, citons Wagner dont Jacques Chailley fait une analyse du « Parsifal « où il voit une analogie frappante avec la légende du 18ème degré du Rite Ecossais. Signalons enfin que des compositeurs Francs-Maçons n’ont parfois pas écrit de musique dite maçonnique. Qu’est ce qu’une musique maçonnique ? Cela peut être soit de la musique spécifiquement écrite pour des cérémonies rituelles, soit de la musique à contenu explicitement initiatique par les paroles comme » la Flûte Enchantée « de Mozart, soit encore de la musique purement instrumentale mais à contenu symbolique et/ou initiatique comme le « Quatuor des dissonances » du même Mozart, dont le début chaotique pour les oreilles de l’époque fait bientôt place à une composition tonale tout à fait classique, l’initiation ayant mis de l’ordre dans le chaos. Citons donc par exemple, Adrien Boieldieu, compositeur français Maçon, auteur d’un très mozartien concerto pour harpe, dont on peut toujours chercher le symbolisme caché !
A contrario, se pourrait-il qu’il existe une oeuvre française manifestement maçonnique, bien plus explicite encore que tous les ouvrages cités jusque là, mais tombée totalement dans l’oubli, bien que composée au 19ème siècle par un auteur des plus célèbres, j’ai nommé Charles Gounod, lequel n’était absolument pas « suspect » d’être Franc-Maçon et qui plus est ne l’était effectivement certainement pas ?
Cet opéra ignoré de l’immense majorité des mélomanes Francs-Maçons ou non, absent de bien des bibliographies de référence, se nomme » La Reine de Saba « , oeuvre tirée d’une nouvelle de Gérard de Nerval extraite du » Voyage en Orient « , qui s’intitule » La Reine du Matin et Soliman Prince des Génies « , nouvelle au sein de plusieurs autres regroupées sous le titre » Les nuits de Ramazan « . La redécouverte récente du contenu surprenant de cet opéra oublié à l’occasion d’un premier enregistrement mondial, invite à la réflexion.
Voyons donc l’intrigue du livret :
Au premier acte : à Jérusalem, le Maître d’oeuvre Adoniram (forme emphatique d’Hiram) travaille à la construction du temple du roi Soliman (comprenez Salomon). Alors qu’on annonce à Adoniram la venue de la Reine de Saba Balkis, précédée par sa réputation de grande beauté et qui est promise à Soliman, arrivent trois ouvriers Compagnons qui viennent réclamer le titre de Maître ou plus exactement le mot de passe des Maîtres, ce qui leur permettrait d’obtenir un salaire équivalent à celui des vrais Maîtres. En effet au moment de la paye, les ouvriers glissent à l’oreille d’Adoniram un mot de passe qui correspond à leur qualification et ils sont donc payés en conséquence. Adoniram refuse, au motif que le salaire de Maître ne vient récompenser que des oeuvres méritoires et fustige les mauvais Compagnons qui ont semé la zizanie parmi les ouvriers. Les mauvais Compagnons quittent la scène en promettant de se venger. Arrive Balkis accompagnée de Soliman son futur époux. A la simple vue de la Reine de Saba, Adoniram, tiraillé par un sentiment de lointain souvenir, de reconnaissance, a le coup de foudre et réciproquement. C’est comme cela que cela se passe dans les opéras, ce qui simplifie considérablement le travail du librettiste, c’est la licence poétique, pas besoin de préliminaires, on se voit, on se plait, surtout s’il s’agit de la femme d’un autre et on se jure fidélité jusqu’à la mort, qui arrive d’ailleurs souvent plus tôt que prévue. Un humoriste anglais a pu ainsi définir l’opéra : c’est l’histoire d’un ténor qui tombe amoureux d’une soprano et d’un baryton qui fait tout ce qu’il peut pour les séparer. Une très belle scène est consacrée à l’exaltante rencontre, mais dès la suivante, on butte sur un cadavreŠ Aux tessitures près, c’est bien ce qui va se passer ! Et donc, Adoniram flatté par Balkis et à sa demande, fait la démonstration de sa puissance en contrôlant la foule éparse des ouvriers à l’aide d’un signe magique évoquant le dieu Tubal-Kaïn. Il s’agit d’un T, qui peut aussi représenter la première lettre de la ville de Tyr, la lettre hébraïque Tau, un fil à plomb sous un niveau ou encore deux équerres accolées. Tous les ouvriers étaient mélangés, maçons, charpentiers, mineurs, fondeurs, etcŠ et bientôt dans ce désordre apparent les ouvriers se regroupent par spécificités. L’ordre apparaît issu du désordre et les corps de métiers rassemblés défilent alors sous leurs bannières » compagnonniques « . Balkis subjuguée par cette puissance donne son collier de perle à Adoniram sous les yeux de Soliman qui devrait songer à se méfier.
Au deuxième acte : Adoniram, spécialiste comme il est dit dans la Bible de la fonte de l’airain, s’apprête sur le haut plateau de Sion à réaliser son chef d’oeuvre, à savoir couler la Mer d’Airain. Ceux qui ont lu le livre des Rois dans la Bible, au chapitre consacré à la construction du temple de Salomon ont connaissance de cet objet insolite : une gigantesque vasque remplie d’eau, soutenue par douze taureaux, qui servait à la purification des prêtres. Il invoque pour ce faire la puissance du dieu Tubal-Kaïn. Mais les ouvriers précédemment rabroués ont saboté le processus et le bronze en fusion est projeté sur la foule.
Au troisième acte : Malgré l’échec précédent, Balkis médite sur les signes extérieurs de richesse intérieure d’Adoniram et les compare au pragmatisme bassement matérialiste de Soliman. Adoniram survient et rapidement ils tombent dans les bras l’un de l’autre, Adoniram se flattant de la supériorité de l’Architecte sur un Roi qui n’aurait que le mérite de sa naissance. Et décidément tout va bien, puisqu’on apprend que pendant la nuit, une intervention surnaturelle a achevé le travail commencé, sous les coups de marteaux sont apparus les taureaux supportant la vasque remplie d’eau de la Mer d’Airain.
Au quatrième acte : la belle légende maçonnique commence à tourner au mauvais feuilleton. Soliman frustré et jaloux reçoit la visite des trois mauvais Compagnons qui viennent lui rapporter l’infidélité de Balkis. Adoniram et Soliman, s’affrontent verbalement, Soliman déclare qu’il va quitter Jérusalem, mais Balkis a le temps de lui verser un narcotique qui permet de lui dérober l’anneau royal, puis de prendre la fuite pour rejoindre Adoniram.
Au cinquième acte : l’ambiance devient plus tragique, n’oublions pas que nous sommes à l’opéra et qu’on y tire traditionnellement des émotions à travers les drames que subissent les protagonistes dans leur chair ou leur âme. Adoniram à la place de Balkis qu’il attendait, voit arriver les trois mauvais Compagnons qui lui demandent à nouveau le mot de passe des Maîtres. Adoniram refuse bien sûr et alors que la tempête éclate, les trois mauvais Compagnons le poignardent. Balkis, arrive enfin, pour le voir mourir dans ses bras et va donc devenir » La Veuve » chère aux Francs-Maçons, mais elle a cependant le temps de lui passer l’anneau royal arraché à Soliman. Adoniram mort est accueilli dans les cieux par Tubal-Kaïn, pour une vie éternelle, salué par le choeur des ouvriers. Il a choisit d’affronter son destin et après sa propre mort, il accède à la renaissance.
Au total :
Un livret sans grande imagination ni poésie, sans prise réelle sur les préoccupations de l’époque, une intrigue prévisible et une fin un peu bâclée, pas de quoi tenir l’affiche et passer à la postérité. Or c’est bien ce qui arriva, essayons d’en préciser les causes.
Tout d’abord un opéra est souvent plus apprécié pour sa musique que pour son intrigue. Celle-ci est même parfois tellement compliquée qu’on en oublie sa crédibilité et qu’au fond elle passe au second plan. Que celui qui peut raconter précisément et de mémoire l’argument du « Trouvère « ou de » la Force du Destin « de Verdi vienne dire le contraire ! Il n’empêche que des oeuvres peuvent compter par leur contenu littéraire ou dramatique. « Tosca « est de celle-ci s’insurgeant contre les pouvoirs politiques, Verdi avec » Aïda « a joué un rôle non négligeable dans le risorgimento, la « Traviata « a fait pleurer dans les chaumières. Bien souvent, pour comprendre l’action, il vaut mieux avoir connaissance du livret, au pire acheter le programme et le lire dans la pénombre, car il ne faut pas compter sur la représentation pour comprendre les tenants et les aboutissants, d’autant qu’on voit souvent les opéras dans une langue qui n’est pas la nôtre, avec certes maintenant le plus souvent des sous-titres, y compris quand on chante en français, car la diction peut être médiocre ! Certes au 19ème siècle les opéras étaient souvent chantés dans la langue du pays où ils étaient donnés, mais cela ne se fait guère plus. Terminons encore pour dire que le français est peut être » une langue qui résonne « , mais qu’elle est aussi diablement difficile à chanter et par conséquent rares sont les chanteurs d’origine étrangère que l’on peut comprendre facilement.
La puissance émotionnelle de la musique passe donc souvent au premier plan. Mais si actuellement on fait preuve de tolérance, d’ouverture d’esprit, de culture, n’oublions pas que les pesanteurs de l’époque faisaient qu’il était extrêmement délicat d’innover. Ajoutons les réactions nationalistes qui faisaient qu’il était fort risqué d’apprécier Wagner à la fin du 19ème siècle et de vouloir s’en inspirer ouvertement comme l’a reconnu Charles Gounod.
Cet opéra n’est donc pas passé à la postérité, il était pourtant l’oeuvre d’un compositeur premier Prix de Rome, qui allait devenir fort célèbre et parfaitement reconnu de son vivant, et honoré à sa mort, ayant reçu des obsèques nationales à l’Eglise de la Madeleine, son cercueil étant accompagné par l’Orphéon de Paris que dirigeait Camille Saint-Saëns.
La première de » La Reine de Saba « eut lieu en février 1862 à l’Opéra de Paris mais l’oeuvre ne tînt l’affiche que 15 jours, le temps que la critique s’acharne à son sujet. On lui portait la grande accusation de wagnérisme, leitmotiv d’une certaine critique parisienne dont eurent à souffrir Bizet, Saint Saëns et Massenet. Dans la » Revue des deux Mondes » du 18 mars 1862, Paul Scudo, l’ennemi de Berlioz, écrivait que Charles Gounod avait eu le malheur d’admirer certaines pages altérées des derniers quatuors de Beethoven, source troublée d’où étaient sortis les mauvais musiciens de l’Allemagne moderne, les Liszt, les Wagner, les Schumann et même les Mendelsohn. Quel visionnaire !
Voilà pour la musique, dont Berlioz écrivait, que certes il : » cherchait à soutenir l’auteur, mais qu’il n’y avait rien dans sa partition, absolument rien. Comment soutenir ce qui n’a ni os ni muscles ? « . Etonnante écriture après un » Faust « qui fut une réussite mélodique avec une partition d’orchestre puissante, variée et efficace. Etonnante aparté encore quand on sait qu’il écrira encore deux autres chefs d’oeuvre avec » Mireille « et » Roméo et Juliette « quelques années après.
Puisque la musique n’était pas à la hauteur, quid du livret ? Il faut malheureusement reconnaître que ce n’est pas l’intrigue un peu compliquée tirée des écrits de Gérard de Nerval, dépourvue de situations fortes et sans idées saillantes qui aurait pu captiver le public. A sa décharge, il faut savoir aussi que les opéras possèdent le plus souvent plusieurs versions et que certaines scènes peuvent être finalement coupées ou que les ballets classiques de cette époque étaient parfois supprimés faute de moyens. Certaines scènes n’ont ainsi jamais été jouées et on ne les retrouve parfois que 150 ans après, par exemple quand Michel Plasson enregistre pour la première fois l’air du » Scarabée « , variante d’une scène du » Faust « . Aussi les premières représentations sont parfois décousues et il faut un peu de rodage pour peaufiner l’ensemble en fonction des réactions du public, » La Reine de Saba « n’a pas eu ce sursis. Ainsi quelques coupures ont concerné des scènes expliquant ce sentiment de souvenir lointain, de reconnaissance, lors de la rencontre entre Balkis et Adoniram, une autre enfin, rapportant une attitude un peu désobligeante de Soliman à l’égard de Balkis, parfaitement présente chez Nerval, aurait expliqué les quelques réticences de la reine à l’égard de son prétendant. La scène de la fonte de la Mer d’Airain aurait été coupée en raison des risques d’incendie et pour gagner du temps au bénéfice des ballets tellement prisés par les protecteurs des danseuses.
Parfois c’est l’interprétation qui peut venir sauver un ouvrage médiocre ou au contraire l’enfoncer. Or pour cette première, le chef d’orchestre Louis Dietsch était celui dont Wagner avait eu à se plaindre pour son « Tannhäuser « et son exécution fut jugée » filandreuse « .
Enfin la réceptivité sociale ou politique du moment va faire le succès éventuel de l’événement. Or, vous avez compris quelles que soient vos connaissances des légendes et rituels maçonniques, que le thème global de la » Reine de Saba « est profondément maçonnique puisque la légende d’Hiram chère aux Loges bleues, c’est à dire des trois premiers degrés, apprentis, compagnons et maîtres, y est rapportée bien fidèlement. Le nom d’Adoniram à la place de celui d’Hiram peut trouver sa justification soit plus loin dans d’autres degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté, soit encore dans d’autres rites. Plus encore, sans trahir d’autres secrets accessibles dans toutes les bonnes librairies, même à l’époque, la maçonnerie des Hauts Grades s’inspire pour ses premiers degrés de la symbolique salomonienne et de la construction du temple de Jérusalem. De ce fait, il y est fait mention du chef d’oeuvre que prétend réaliser Adoniram. On peut s’étonner de ce mélange entre les noms et symboles des Loges bleues et ceux des Hauts Grades, mais les rites autres que le Rite Ecossais Ancien et Accepté sont multiples et les personnages volontiers désignés par plusieurs noms. Un même » mot de passe » peut correspondre à différents grades selon les rites. Enfin, quand ni l’écrivain, ni les librettistes, ni le compositeur ne sont Francs-Maçons, des erreurs peuvent se produire. Ainsi Oswald Wirth, dont les écrits maçonniques à la fin du 19ème siècle firent autorité, ne nourrissait aucune bienveillance à l’égard de l’oeuvre de Gérard de Nerval, qui à ses yeux n’aurait eu qu’une vision bassement politique de la légende d’Hiram. Le texte suit cependant fidèlement les rituels maçonniques, certaines expressions sont typiquement empruntées aux Loges, par exemple le jour de la fête le Roi » suspend les Travaux « , le premier mauvais Compagnon déclare » Je suis Maçon « . Le nom même de Tubal-Kaïn qui apparaît à certains moments, correspond à un mot de passe parmi bien d’autres, là encore variable suivant les degrés et les rites. On en est donc pas à une vague inspiration, mais à une retranscription précise et pas du tout anodine sous Napoléon III. Celui-ci, amateur surtout d’opéra-bouffe avait pris d’ailleurs l’oeuvre en horreur, ne supportant guère l’idée de l’artiste placé au-dessus du monarque absolu. Pour certains, l’opéra aurait même été interdit, avatar ayant des précédents, par exemple avec le » Don Carlos « de Verdi qui critiquait l’inquisition. Il faut dire que c’était aussi la grande époque du compagnonnage et des corporations avec en figure de proue le célèbre Agricol Perdiguier, qui inspira Georges Sand. En 1848 les compagnons avaient organisé une grande manifestation à Paris, c’était encore dans les mémoires. C’est Crosnier, qui remplaçait Nestor Roqueplan à la direction de l’Opéra, qui décida de bannir » une pareille ordure « . Dans ses » Mémoires d’un artiste « Gounod écrit : » Les décisions directoriales ont parfois des dessous qu’il serait inutile de vouloir pénétrer : en pareil cas, on donne des prétextes ; les raisons demeurent cachées « .
Si on écoute cet opéra 140 ans après, enfin enregistré en première mondiale dans une version hélas assez médiocre avec des voix étrangères de plusieurs nationalités, ce qui se fait hélas souvent maintenant et que le français avec ses e muets tolère mal, on retient néanmoins quelques belles scènes et quelques innovations, la cavatine de Balkis étant la plus connue. Le savoir-faire existe à défaut d’une forte inspiration. Comme dit le Larousse au début du 20ème siècle, il y a plus de science que de musiqueŠ Par contre, la partition d’orchestre paraît plus insipide que ce que le compositeur a pu produire au cours de sa longue carrière. On disait même que si » Faust « avait été l’ » Austerlitz « de Charles Gounod, cet opéra serait son » Waterloo « ! Certes, l’appréciation de la musique est subjective, mais parmi le public, si peu de spectateurs sont capables d’une analyse musicologique poussée, par contre de façon subjective, ils peuvent être plus ou moins charmés. Or dans cette oeuvre, on retrouve globalement toutes les habitudes les plus convenues de Charles Gounod, toute ses » ficelles » , l’expression existant déjà dans la critique du 19ème siècle. On notera cependant des motifs de rappels apparentés à des personnages ou des situations, qui reviennent plus ou moins altérés au cours de l’oeuvre. Par exemple, l’origine divine d’Adoniram est suggérée par un motif de cornet à piston et de trombone symbolisant sa puissance originelle. C’est là une petite nouveauté, un procédé qui sera repris dans tout l’opéra, songez par exemple à « Tosca « célèbre pour l’usage répété des leitmotivs. Pour trouver un jugement objectif, on peut lire l’avis de musicologues avérés, capables de juger l’événement avec du recul et sans parti pris. Mais là, même avec le temps, ce n’est pas l’enthousiasme qui prédomineŠ On cite habituellement l’air du choeur des jeunes filles juives et sabéennes, deux airs de Balkis et une marche empruntée au livret d’ » Ivan le Terrible « .
Alors livret insipide ou partition d’orchestre bâclée, critique injuste ou moment mal choisi, non-observance des règles mélodramatiques élémentaires ? Il est vrai qu’il est difficile de se prendre de sympathie pour les protagonistes. Comme le résumait de façon lapidaire le critique Johannes Weber dans » Le Temps « le 14 mars 1862 : » Quel intérêt peut éveiller une pièce où les six personnages les plus importants sont sots et ridicules, quand ils ne sont pas lâches, fourbes, scélérats et repoussants « . Il est vrai qu’Adoniram apparaît bien suffisant, parfois méprisant, y compris vis à vis de Balkis et qu’il ne doit son salut qu’à une intervention divine. Enfin, pour susciter l’empathie, le personnage principal doit être confronté au choix entre l’idéologie et l’amour or nul trace ici d’un tel déchirement. Les recettes habituelles d’une bonne intrigue sont donc absentes.
Cet échec restera une blessure majeure pour Charles Gounod qui à côté de quelques opéras mineurs, voire à peine joués quelques jours, a commis au moins trois chefs-d’oeuvre qui ont fait le tour du monde avec » Faust » , » Roméo et Juliette « et » Mireille « . Il confia même à un critique allemand qu’il avait entrepris un voyage pour se consoler d’un deuil familial en lui disant : » J’ai perdu une femme que j’aimais profondément : la Reine de SabaŠ « . Cet échec sera aussi à l’origine d’un épisode dépressif qui sera l’occasion pour lui de séjourner quelques temps chez son fidèle ami le Dr Blanche.
Ne pouvait-on donner une seconde chance à » La Reine de Saba « ? Sans doute pas de sitôt, car monter un opéra nécessite un long travail impliquant de nombreuses personnes : chef d’orchestre, metteur en scène, musiciens de l’orchestre et des choeurs, solistes, danseurs, chef de choeur et de ballet, costumiers et maquilleurs, décorateurs, machinistes quand ils ne sont pas en grève, etcŠ Si le succès commercial n’est pas là rapidement, il vaut mieux s’arrêter à temps. « La Reine de Saba « fut rejouée une fois en 1900 sans grand succès, une autre en 1969 à Toulouse sous la direction de Michel Plasson, dans une version avec de multiples coupures et vient donc enfin d’être donnée et enregistrée en Italie dans une version approximative. Enfin cette année, à Saint-Etienne, l’opéra est à nouveau joué, dans une version complète avec d’excellents ballets. Mais qu’il soit donc passé à la trappe en 1862 n’est pas étonnant et Charles Gounod connût d’autres échecs relatifs avec d’autres opéras: « La Nonne sanglante, Cinq-Mars, Polyeucte, Philémon et Baucis, Sapho, le Tribut de Zamora « . Ces titres ne sont guère connus et pour cause !
Le texte du livret est quand même bien curieux pour avoir été accepté par ce compositeur qui ne fut jamais Franc-Maçon, même s’il appelait sa chambre sa » Loge « , durant son séjour à la Villa Médicis à Rome.
Mais au fait, d’où vient-il ce livret ?
Relisons la page de garde de la partition de la maison Choudens : » La Reine de Saba, grand opéra en 5 actes de MM. Jules Barbier et Michel Carré mis en musique et dédié à son Excellence Monsieur le Comte Walewski-Colonna, ministre d’Etat, par Charles Gounod. Partition chant et piano arrangée par Georges Bizet -Paris, Choudens éditeur « .
On constate donc qu’il n’y est nullement fait référence à Gérard de Nerval dans cet intitulé. Cela pourrait s’expliquer honorablement par le fait qu’il pouvait être malséant ou simplement pas très commercial de rappeler le nom d’un écrivain suicidé et fou de surcroît. Le » fol délicieux « , le « suicidé de la société « , était mort, paix à ses cendres. Notons aussi au passage, qu’il n’avait pas d’héritiers pour défendre sa mémoireŠ
Pourtant c’est bien Gérard de Nerval qui fut l’inspirateur de cette histoire d’amour, histoire malheureuse bien sûr, comme il les aimait tant, blessé qu’il fut dans sa jeunesse par la non concrétisation de ses aspirations romantiques. Nerval a fréquenté un certain nombre d’illuminés, mais aussi de poètes de renom, souvent Francs-Maçons, très probablement sans l’être lui-même. S’il l’avait été, rassurez-vous les Francs-Maçons l’aurait revendiqué depuis longtemps ! Ainsi certains exégèses ont voulu à travers l’analyse de son portrait par E. Gervais, en déduire que son attitude, sa posture, la position de ses mains etcŠ révélaient qu’il était Maître Secret (4ème degré), voire Maître Parfait ( 5èmeème siècle, la multiplication des grades et rites, comme par exemple les 99 degrés de celui dit de » Memphis Misraïm « , font que toutes les poses immortalisées sur un daguerréotype doivent pouvoir donner lieu à des élucubrations fantasmatiques sur l’appartenance maçonnique éventuelle du poseur ! degré). Or, il est rare qu’on se prévale de ces tous premiers degrés des Hauts Grades et par ailleurs, surtout au 19
Mais d’ailleurs, est-ce primordial de connaître l’appartenance maçonnique éventuelle d’un auteur ? Cette particularité maçonnique n’a pas forcément la même valeur pour chacun. Deux baptisés catholiques ont-il pour autant la même foi ? On doit pouvoir être Maçon et n’avoir rien compris à la maçonnerie, de même qu’un non-Maçon peut avoir compris la portée de son symbolisme. C’est la thèse qui prévaudrait pour Gérard de Nerval. Il ne serait pas maçon, mais aurait une profonde connaissance des textes fondamentaux et des rites déjà divulgués au 19ème siècle. Il faut dire qu’avec sa traduction du Faust de Goethe, Gérard de Nerval fut rapidement au contact d’une littérature symbolique. Notons bien sûr que Charles Gounod a commis son chef d’oeuvre avec précisément ce même Faust du même auteur quelques années auparavant. C’est sa mère, Victoire Lemachois, qui lui avait glissé dans ses bagages la traduction qu’en avait faite Gérard de Nerval, lors de son départ à la Villa Médicis. Néanmoins ce thème a été couramment utilisé par les musiciens avec entre autres Boïto, Liszt, Schuman, Berlioz etcŠ
Par contre la légende d’Hiram servant de base aux rituels maçonniques de l’époque existait déjà, sous une forme condensée, retransmise en partie par voie orale. Il est vrai qu’Hiram est déjà cité dans la Bible ! Nerval l’a donc sciemment reprise à son propre compte pour en faire une assez longue nouvelle, au sein du recueil » Voyage en Orient « , écrit en effet après avoir visité le moyen Orient et notamment l’Egypte. On y appréciera la fluidité de sa prose et la clarté du propos sans adjonction de délires interprétatifs. On trouvera un symbolisme plus onirique dans d’autres oeuvres de Gérard de Nerval, comme par exemple » Aurélia « . La thèse qui prévaut tendrait donc à penser que l’auteur n’était pas Maçon, mais qu’il connaissait bien les rituels. Il a pu même s’amuser dans sa correspondance à laisser traîner quelques signes ambigus évocateurs. Par exemple, il se targue d’être » louveteau « , terme d’origine anglo-saxonne réservé à un mineur parrainé par un Maçon, comme il existe des » lionceaux « » Lyons « . Peut-être voulait-il seulement faire référence au fait que son père, le Dr. Labrunie, était maçon, tout comme le Dr. Blanche d’ailleurs. Enfin, certains ont même pu être convaincus de sa qualité maçonnique en justifiant néanmoins son absence des tableaux de Loges officiels par l’appartenance à une Loge » sauvage « , c’est à dire non inféodée aux obédiences officielles. L’argument devient spécieuxŠ parrainés par les membres du
Alors quid de Gérard de Nerval librettiste ?
Il faut tout d’abord savoir que l’écrivain avait un goût prononcé pour la musique. Il a ainsi fréquenté les plus grands musiciens de son temps : Liszt, avec qui il avait le projet d’écrire un » Second Faust « , Berlioz, Meyerbeer et Rossini. Il rêvait depuis longtemps d’écrire un livret d’opéra, dans le but avoué d’en offrir le rôle principal à l’élue de son coeur Jenny Colon. Il avait d’ailleurs projeté de réécrire le livret de » La Flûte enchantée « , ni plus ni moins ! Mais là, il envisageait pour la cantatrice de lui offrir le personnage de Balkis, Reine du Matin et non celui de la Reine de la Nuit qu’elle avait déjà chanté ! Gérard de Nerval avait dans un premier temps essayé de concrétiser son projet d’opéra avec Meyerbeer, qui avait connu le succès parisien en 1831 avec son » Robert le Diable « et qui était notoirement Franc-Maçon, mais ce désir ne fut pas couronné de succès, car celui-ci était pris par un autre sujet à ce moment. Nerval aurait pour cela écrit le premier acte et lui aurait envoyé, mais Meyerbeer l’aurait » gardé sous le coude » quelques années sans y donner suite et ensuite on n’en a plus trouvé la trace. Quelques années plus tard Nerval voyageant au Proche Orient en 1843, ayant enrichi sa connaissance du monde arabe insère alors l’histoire de Balkis au sein de nouvelles que narre un conteur professionnel dans un café turc. C’est d’ailleurs la façon dont se présentera la mise en scène lors de sa reprise cette année à Saint-Etienne, reprenant l’artifice du théâtre dans le théâtre cher à Shakespeare. Mais si Nerval en a probablement tiré effectivement un livret d’opéra en cinq actes, celui-ci a bien disparu.
Diverses hypothèses sont donc échafaudées :
- La dédicace de l’opéra au Comte Walewski propose une première piste. Le ministre dirigeait le journal » Le Messager » auquel Gérard de Nerval aurait aimé collaborer et les liens entre eux furent étroits. Or Alexandre Walewski fît jouer au Théâtre Français une comédie dont il s’attribua la paternité : » L’Ecole du Monde ou la Coquetterie sans le savoir « , laquelle aurait en fait été écrite par M. Gérard (comme on nommait Gérard de Nerval à l’époque). Certains inclinent donc à penser que Walewski aurait pu avoir le livret complet de » La Reine de Saba « et que devenu ministre d’un état autoritaire, il aurait pu le faire signer par Barbier et Carré devenus fournisseurs attitrés de Gounod et en accepter la dédicace. Dans le plan manuscrit de ses oeuvres complètes, quelques jours avant sa mort, Nerval à la rubrique » sujet » écrit : » La Reine de Saba, 5a . Halèvy « , ce qui dans sa terminologie pourrait signifier qu’il ne s’agissait que d’un projet, car quand ceux-ci étaient achevés, c’était en règle précisé.
- Deuxième hypothèse à partir d’une certitude : Nerval connaissait Michel Carré. On trouve ainsi dans sa correspondance une lettre du 7 mars 1854 concernant un projet d’opéra comique sur le thème de son proverbe » Corilla « . On peut imaginer qu’il aurait plus tard reçu un livret complet de » La Reine de Saba « et qu’il l’aurait adapté en le simplifiant. Ou encore, puisque Meyerbeer avait reçu le premier acte, la suite a peut-être existé et aurait pu être retrouvé dans les archives de l’Opéra, où les librettistes l’auraient retrouvée et adaptée, honorant ainsi la mémoire de l’écrivain dans un » pieux larcin « Š Notons que la première rencontre entre Charles Gounod et ces fameux librettistes eut lieu en 1856.
La troisième hypothèse reste la plus vraisemblable : puisqu’il s’agissait d’un désir exprimé de la part de Nerval, Barbier et Carré auraient eux-même écrit entièrement le livret à partir des » Nuits du Ramazan « , avec une adaptation très proche du texte à quelques exceptions près que leur connaissance de l’opéra leur suggérait. Quelques éléments de la nouvelle de Nerval se trouvent transformés dans un souci d’efficacité lyrique et mélodramatique. Ainsi par exemple, il est malséant de mourir dès le début d’un opéra et donc Bénoni, le fidèle et dévoué apprenti qui meurt avant la fonte de la mer d’airain chez Nerval survivra chez Gounod. Pour ce qui est de l’écriture, partant du texte initial, les librettistes en font une réduction en prose pour la versifier secondairement. Si le procédé » colle au texte » facilement pour une pièce de théâtre, il en est bien entendu tout autre pour un récit romanesque, la description des lieux et des actions ne se prêtant guère à la forme narrative, sauf à imaginer l’intervention d’un récitant, qui casse toujours un peu l’ambiance et le rythme. L’absence in fine du nom de Nerval obéissant donc comme on l’a vu, à des règles de » marketing « , plus qu’à une volonté éhontée de plagiat.
Une dernière hypothèse est soulevée par André Lebois. On ne présente à un compositeur avéré qu’une oeuvre complète. Le livret de » la Reine de Saba « existerait donc, peut-être rédigé avec l’aide de Michel Carré et puisque Meyerbeer est indisponible, Nerval s’adresse à Halévy, qui en est le poulain et qui vient d’écrire » Charles VI « et » la Reine de Chypre « . Cela faisait beaucoup de souverains et craignant peut-être la raillerie en ajoutant une » Reine de Saba « , Halévy déclina l’offre. Et ce serait alors Halévy qui aurait fait appel à Gounod et Bizet (qui avait épousé la fille d’Halèvy) en a donc arrangé la partition pour piano. Barbier et Carré auraient purement gardé le livret de Nerval, avec pour toute contribution la suppression du tableau de la descente aux enfer, car » Faust « avait déjà présenté la » Nuit de Walpurgis « , et cela aurait un peu fait doublon. Ils auraient rajouté, car Gounod appréciait cette forme musicale, la scène du choeur des juives et des sabéennes. Le livret original de Nerval n’a jamais été retrouvé, il aurait évidemment été détruit, peut être par Nerval lui-même d’ailleurs. Cette hypothèse n’est évidemment pas la plus glorieuse, elle reste hélas plausible, Gérard de Nerval s’étant fait dépossédé de plusieurs projets au cours de sa carrière.
Son oeuvre ne sera donc mise en musique que quinze ans après son projet initial. Gérard de Nerval était déjà mort depuis quelques années, Jenny Colon aussi. On ne trouve donc pas trace dans sa correspondance d’un projet avec Charles Gounod. L’avait-il évoqué entre eux où n’était-ce que le fruit des intermédiaires ? On ne le saura jamais. Et s’ils ont tous deux fréquenté la maison du Dr Blanche, c’est de façon indépendante dans le temps et par ailleurs, Gérard de Nerval n’assistait pas aux réunions musicales qu’organisait le psychiatre.
Alors puisque ni le compositeur ni l’écrivain n’étaient Francs-Maçons, peut être faudrait-ils s’intéresser aux librettistes ? Car à part Wagner qui écrivait les textes de ses opéras, habituellement les compositeurs font appel à des librettistes. Ceux-ci sont en quelques sortes les paroliers qui à partir d’un thème littéraire proposent des paroles pour le mettre en musique. C’est une écriture en règle réductrice mais efficace, comme pour le dialoguiste au cinéma. Pour n’avoir pas eu recours à un librettiste de métier, Claude Achille Debussy s’est retrouvé dans une impasse quand il s’est agit d’écrire un opéra du nom d’ » Orphée « . Il y avait une inadéquation entre le style littéraire que lui proposait le Dr Segalen et l’efficacité d’une écriture nécessairement plus concise. C’est sans doute pour cela que les poèmes peuvent néanmoins être plus facilement mis en musique. En l’occurrence pour Charles Gounod, il s’agissait de ses librettistes attitrés de longue date, Barbier et Carré, dont les autres livrets connus ne sont nullement maçonniques et qui n’étaient pas Francs-Maçons eux-même. Toutefois le livret reste in fine sous la responsabilité du compositeur et il est douteux qu’on ait pu lui faire accepter une telle histoire sans son assentiment. Il ne s’agissait en effet pas d’une quelconque légende appartenant à la culture commune de cette époque, même si le goût pour l’orientalisme était naissant. Charles Gounod, était en effet un catholique fervent, ayant même passé quelques temps au séminaire en se prévalant à l’époque du titre d’abbé. Plus tard il composera de nombreuses messes, oratorio, Te Deum, Requiem, Gloria, Ave Maria, pièces pour orgue, marche pontificale etcŠ La Maçonnerie d’alors, non pas dans ses principes mais dans sa sociologie, était assez anticléricale et cela paraît assez antinomique avec sa personnalité. Charles Gounod était homme de grande culture, fin lettré et ami de tout le monde artistique de l’époque. Chrétien catholique convaincu, tendance christianisme social, il avait su se frotter aux philosophes et découvrir que l’Amour de l’autre était la seule solution durable pour la sauvegarde de notre univers. Mais si on retrouve dans sa correspondance une lettre du Sâr Peladan, nulle trace par contre de la Maçonnerie, organisation qu’il ne pouvait méconnaître. Quant à la légende d’Hiram, elle préexiste bien entendu à l’oeuvre de Gérard de Nerval, puisque la naissance de la Maçonnerie en tant que corps constitué, date de 1717, à l’époque des Constitutions d’Anderson qui en fixent les principes et règlements. Gérard de Nerval, intéressé de longue date par divers courants ésotériques a donc repris de façon enjolivée et romantique la légende qui servait de support au rituel maçonnique, sous forme d’un conte d’une centaine de pages où figurent quelques belles considérations sur la vanité du pouvoir temporel et la fragilité des institutions et civilisations qui reposeraient sur un principe ou une base matérielle fragiles. Pour autant, certains chapitres reprennent mot pour mot des phrases des rituels maçonniques, tels qu’ils étaient déjà dévoilés à l’époque, venant par exemple au chapitre intitulé » Makbenah » expliciter une phase essentielle du rituel de la maîtrise.
Cet opéra reste donc un mystère : comment l’oeuvre la plus explicitement maçonnique du répertoire français du 19ème peut-elle être le fruit d’un non-Maçon ? Reste que ce compositeur a peut-être été Franc-Maçon sans que je le sache, mais outre que la Maçonnerie a tendance à se glorifier de ses membres célèbres et que je ne l’ai jamais entendu nommer à ce titre, il me semble que je l’aurais de toutes façon su, puisque ce compositeur était donc mon arrière-arrière grand-père et qu’à travers ses objets personnels ou sa nombreuse correspondance, nulle allusion n’a jamais été retrouvée concernant la Maçonnerie.
- Alors s’agissait-il d’une incartade volontaire et éclairée, fut-ce un incident de parcours non significatif, ou Charles Gounod fut-il la victime involontaire d’un intermédiaire parfaitement au courant, le secret n’est pas prêt d’être élucidé !
Nicolas GOUNOD, Mars 2003
Bibliographie :
- « Gounod » par J.G . Prod’homme et A. Dandelot (Librairie Charles Delagraves, 1911)
- « Voyage en Orient » de Gérard de Nerval
- « Les musiciens et la Franc-Maçonnerie » de Gérard Gefen (Les chemins de la musique chez Fayard)
- « La légende d’Hiram et les initiations traditionnelles » de Daniel Beresniak, édité par l’auteur en 1976
- « Gérard de Nerval » in Encyclopedia Universalis
- « La Franc-Maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes, volume 3, le Maître », d’Oswald Wirth chez Dervy.
- « La musique maçonnique et les musiciens » de Roger Cotte en 1987
- « Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie » de Daniel Ligou, Paris 1987
- « Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie et des Francs-Maçons » d’Allec Mellor, Paris 1975
- « Histoire générale de la Franc-Maçonnerie » de Paul Naudon, Paris 1987
- La Bible, Livre des Rois.
- L’oeuvre de Gérard de Nerval, dans » La Pléiade » annotée par Albert Béguin et Jean Richer
- Gérard de Nerval et les doctrines ésotériques, par Jean Richer en 1947
- « Histoire de la Reine du Matin et de Soliman Prince des génies » ou « Les extravagances de Gérard de Nerval ». Revue Quo Vadis ?
- Gérard de Nerval, librettiste, Ecrits de Paris de juillet 1971 et janvier 1972 par André Coeuroy.
- « Fabuleux Nerval » en 1972 chez Denoël, par André Lebois
Discographie :
- « La Reine de Saba » de Charles Gounod
* avec Francesca Scaini, Jean-Won Lee, Anna Lucia Alessio, Annalisa Carbonara, Luca Grassi, Salvatore Cordella. Direction Manlio Benzi. Bratislava Chamber Choir. Orchestra Internazionale d’Italia. 2002. Dynamic. CDS 387/1-2
* avec Suzanne Sarroca, Gérard Serkoyan, Gilbert Py, Yvonne Dalou, Jean-Paul Calfi, Henry Amiel, Gerad Blatt. Direction Michel Plasson. Toulouse 1969.
* Extraits: air de Balkis « Plus grand dans son obscurité », Françoise Pollet, Orchestre philharmonique de Montpellier, direction Cyril Diederich, 1CD Erato Musifrance 1990.
* Extraits: « Valse » du 2e Acte, London Symphony Orchestra, Direction Richard Bonynge; ‘Ballet Gala &endash;Ballet Music from Opera’ (avec oeuvres de Rossini, Donizetti, Massenet, Berlioz, Saint-Saëns). Enregistré: 1972, Decca 444 198-2
* Air D’Adoniram par Gustave Botiaux Récital n°3 ORPHEE LDO B 21051-51052
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