Si Versailles (maçonnique) m’était conté 19 janvier, 2023
Posté par hiram3330 dans : Contribution , ajouter un commentaireSi Versailles (maçonnique) m’était conté
Il est des légendes tenaces qui résistent à la vérité historique. L’une d’entre elles est celle qui voudrait faire croire que la royauté a été mise à bas par la Franc-maçonnerie, qu’elle a préparé et fomenté l’état républicain par l’organisation d’un complot ourdi dans ses Loges et qu’elle a donné à la République la devise « Liberté-Egalité-Fraternité ».
Puisque nous somme à Versailles, commençons par chercher à savoir ce qu’est réellement cette mystérieuse Franc-maçonnerie dont on parle tant autour du roi Louis XV, le Bien-aimé, dont on dit qu’elle fourmille de membres autour de la personne royale et dont le roi, ce qui se dit en le chuchotant de bouche à oreille, en ferait même partie !
Parmi les nouvelles formes de comportement social, dont les célèbres « salons » furent la plus connue, apparaît en France au début du XVIIIe siècle une société de sociabilité étrange, celle des Frey Maçons ou Francs-maçons , comme il se dit le plus souvent. Elle serait venue des terres d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande.
Et l’on dit que là-bas des membres éminents de la famille royale en feraient partie ! On ne sait pas encore grand-chose d’elle quand les premières loges se forment en France vers 1725.
On avait entendu dire, qu’il y a une cinquantaine d’années, des militaires des régiments écossais et irlandais se réunissaient dans des réunions très secrètes, appelées « Loges » ; et qu’ils y pratiquaient des cérémonies très mystérieuses.
Mais on ne savait rien de ces réunions. Ils étaient venus renforcer la garde dite « écossaise » du Roy Soleil, avec le roi d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse, Jacques II Stuart, déchu de son trône, en 1688, exilé en France à Saint-Germain-en-Laye et désireux de le reconquérir.
Mais le roi déchu Jacques II était mort en 1701 après une nouvelle défaite de ses partisans sur le sol anglais ; son propre fils, le prince Charles-Edouard, dit « Bonnie », allait quitter la France en 1748 avec ses régiments après sa défaite définitive dans les marais de Colluden, en Ecosse, le 16 avril 1746. Ce que l’on commence à savoir de cette société anglaise, c’est qu’elle a pour membres des gens de classe sociales élevées ; pas d’ouvriers, de petits bourgeois ni d’artisans. Bizarre cette société : ritualiste (elle a des cérémonies étranges, on dit que ses membres se revêtent de tabliers baroques et s’appellent entre eux « Frères » et « initiés »), très attachée à la hiérarchie mais pas à celle de l’ordre social ; on dit que ses Loges évoquent et exaltent les vertus et les mérites civiques, l’égalité entre les hommes, ou … du moins, entre ses membres, et exhortent les Frères à s’élever à la morale, à la spiritualité et à la philosophie !
Le bon Roy chrétien ferait-il partie de cette société, certes brillante mais mystérieuse par les secrets qu’elle impose à ses membres ? Eh bien oui, le roi Louis XV est initié en 1745. Peut-être, dit-on, sous l’influence toute récente de la belle Mme de Pompadour dont la curiosité était piquée par cette société de gens bien et peut-être en piquait-elle aussi pour certains de ces beaux gens de bien ! Pour se faire recevoir de Franc-maçon, le bon Roy a attendu la mort du cardinal de Fleury, en 1743, car il tenait cette « cabale » en méfiance du fait de son origine anglaise et de la présence de protestants dans ses Loges qui côtoient les bons sujets catholiques, misère ! Ce que l’on sait, de source sûre, c’est que la Loge de Louis XV, existe bien dans le château de Versailles et qu’elle s’appelle « La Loge des Petits Appartements du Roy » ou, en abrégé « La Loge de la Chambre du Roy ».
Elle a été créée le 20 octobre 1745, peut-être pour la réception du Roy. Ce n’est pas tout, il y aussi dans le palais, une autre Loge « La Loge du Roy » ou « Loge Royale », à ne pas confondre avec « la Loge de la Chambre du Roy ».
Et elle aurait même été créée avant 1739, donc avant celle de la « Chambre du Roy » pour permettre à ses proches de pratiquer ce que l’on appelle aussi « l’Art Royal ».
C’est beau ! C’est dire si la Franc-maçonnerie a droit de présence auprès du Roy et jouit naturellement de ses faveurs ! Et qu’y trouve-t-on dans cette Loge ? Les plus grands noms de cette époque et tous très proches du Roy, les ducs de Richelieu et d’Antin, le comte de Noailles, le maréchal de Saxe, les princes de Tingry et de Soubise, ainsi que, il se dit, les ducs du Croÿ et de Luynes, et tant d’autres célébrités encore. Et ce n’est pas tout ! Trois autres Loges se constituent à la Cour pour des Grands de la Cour ; elles portent les noms de « La Militaire des Trois Frères Unis », le 7 septembre 1775, « Le Patriotisme », 17 février 1780 et « La Concorde », le 17 janvier 1782.
En dehors de ces Loges du Château, Versailles bourgeonne de Loges en ville. On en comptait dix avant la révolution. Citons, dans l’ordre chronologique de leur création, celles qui y furent en activité avant la Révolution et dont les noms évoquent de manière si touchante leurs quartier de réunion, leurs buts ou leurs références historiques ou spirituelle : la Loge « La Parfaite Union », fondée en la bonne ville de Versailles, un 24 juin 1747, jour de la fête de Saint-Jean Baptiste, par maître Collandières, tailleur du Roy ;
Une Loge bien connue de plusieurs de nos Frères, « Saint-Louis des Croisades », constituée le 17 ou le 27 juin 1758, en faveur d’un certain Danthiau probablement Louis Danthiau, horloger, dont une pendule était placée dans les appartements intérieurs du Roy, et dont la particularité était que la différence de dilatation de l’acier et du cuivre dont elle était composée la faisait se hausser et baisser une lentille, le balancier pouvant ainsi être utilisé comme thermomètre naturel ;
la Loge « Saint-Jean et Saint-Philippe », fondée le 1er mai 1759, par un certain Crosnier, marchand de bois ; la Loge « Saint Nicolas », créée le 8 octobre 1759 par Jean-François Etienne Bressier duquel on sait pas grand-chose ; la Loge « Saint-Louis-Saint Jean des Frères Réunis », constituée le 20 janvier 1766 en faveur de Jean-Baptiste Arnaud, peut-être le magistrat à la cour d’Aix, venu à Versailles avant la Révolution ;
la Loge « Militaire Écossaise du Génie », fondé elle aussi un 24 juin, celui de 1766, par un certain Etienne-Nicolas Calon, ingénieur des camps et armées du Roi, dont le nom pourrait indiquer qu’elle avait dans ses rangs des militaires écossais ou irlandais (on les appelait alors aussi « écossais »), venus avec le roi Jacques II Stuart se réfugier dans le bon royaume de France, du temps du roi Louis XIV, pour repartir à la reconquête de son trône perdu ;
la Loge « Saint-Jean de la Concorde », constituée en mars 1768, par Jean Bobigny, architecte au baillage de Versailles ; la Loge « Saint-Jean de la Réunion », constituée le 14 février 1782 pour un certain Leleu ; la Loge « Saint-Jean de Mars et Bellone », constituée le 7 juillet 1783, par Maxime du Perrier, maçon de Versailles, inspecteur des « frotteurs » du Château, de son état ; la Loge « Saint-Jean du Parfait Accord », constituée le 9 février 1784 par Joseph-Charles Martigue, agent des troupes suisses et commis de la Surintendance.
Au citer de ces quinze Loges, dont la plupart disparurent dans la tourmente révolutionnaire … avec leurs membres (il y en aura encore beaucoup d’autres créées à partir du XIXe siècle), il est aisé de constater que Versailles fut, avant la Révolution, un foyer actif de Franc-maçonnerie et que cette société avait plus que simple droit de cité dans la ville royale.
Et après Louis XV ? Eh bien, tous les rois de France, pour ne parler que d’eux, puisque nous sommes à Versailles, jusqu’au dernier, furent membres de l’honorable société des Francs-maçons ! Les Bourbons Louis XVI, Louis XVII, reçu comme « louveteau », c’est-à-dire fils de Franc-maçon, le comte de Provence, futur Louis XVIII, initié en 1784, en même temps que son Frère, le comte d’Artois, futur Charles X, Louis-Philippe d’Orléans.
On pense que la Loge dite « Militaire des Trois Frères », prit le nom de « Loge des Trois Frères Unis », après la Révolution, pour remémorer qu’elle réunissait ces trois frères Bourbons de sang et Frères en Maçonnerie. Et puisqu’on parle de sang et de Révolution, la vérité oblige à dire que les Loges furent interdites et les Maçons cruellement persécutés, bien que les Loges aient eu plus de rapports avec la vie morale, spirituelle, sociale ou intellectuelle qu’avec l’action politique.
Ce fut le cas en particulier sous la sinistre Convention de 1793 et cela même avant son régime de la Terreur.
Les gardes suisses de la Maison Militaire du Roi, dont de très nombreux d’entre eux étaient Francs-maçons et avaient une Loge appelée « Guillaume Tell », furent massacrés le 10 août 1792, aux Tuileries et dans les rues adjacentes où ils furent systématiquement pourchassés et taillés en pièces sur place, les survivants furent tués lors des massacres de septembre et le reste, guillotiné ; leur Loge « Guillaume Tell », réveillée après la Terreur sous le nom de « Centre des Amis », si familière à nos Frères, fut dévastée ; les Loges s’endormirent quand elles ne furent pas détruites physiquement et matériellement.
Le nombre de Frères qui furent décapités, dont le Roy Louis XVI et son cousin Philippe d’Orléans, Grand Maître de la Franc-maçonnerie française, royalistes ou simplement parce qu’ils étaient Francs-maçons, fut très considérable. C’est pourquoi, la légende des Loges organisatrices du complot contre la monarchie, remplies d’idéologues impitoyables et de républicains révolutionnaires assoiffés de sang, ne tient pas.
Quant à la devise de la République, c’est la sienne ! De simple « Liberté-Egalité » en 1789, elle fut complétée par « Fraternité », apparue sur les drapeaux des fédérés lors de la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790. Elle ne doit donc aucunement son origine à la Franc-maçonnerie, comme on le prétend souvent.
Aujourd’hui, les Francs-maçons de Versailles sont fiers de porter en eux ce riche patrimoine historique et maçonnique ; et, si l’on appelle parfois « Art Royal » la Franc-maçonnerie, nous autres comprenons et assumons ce que cela veut dire, quelles que soient nos opinions politiques, mais simplement comme hommes respectueux d’un noble héritage, même s’il fut tragique.
A Versailles, Samedi 10ème du IIIème mois de l’an 6014 (V. L.), 10 mai An de Grâce 2014.
Épiphanie et galette… histoire, tradition et symbolique 17 janvier, 2023
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireÉpiphanie et galette… histoire, tradition et symbolique
En ce deuxième dimanche de janvier, nous consacrons un article à l’Épiphanie – origine, histoire, symboles et tradition – en France, en Outre-mer, mais aussi à travers le monde.

Pour mémoire, la date biblique de l’Épiphanie est située au 6 janvier, mais ce jour n’étant pas férié, l’Épiphanie est fêtée le premier dimanche après le 1er janvier. La date est donc variable, chaque année elle a lieu le 1er dimanche de janvier, sauf si ce dimanche tombe le jour de l’an.
2023 est pour nous l’occasion pour vous faire découvrir une autre pratique.
Partez à la découverte de la tradition – ça a du bon et du beau ! – anglo-saxonne qui est de marquer sa maison des sigles C+M+B ?
À l’Épiphanie, en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis, de nombreux Chrétiens (anglicans, luthériens, méthodistes, presbytériens et catholiques romains, entre autres) tracent à la craie le fronton de leur porte d’entrée avec les sigles « 20+C+M+B+23 ».
La bénédiction de la craie, en anglais Chalking the door, est une tradition chrétienne de l’Épiphanie utilisée pour bénir sa maison.

Les lettres sont les initiales des rois mages, Caspar, Melchior et Balthasar -traduction anglaise -, venus d’Orient pour rendre hommage à Jésus et lui offrir trois présents : l’or, l’encens et la myrrhe.
Mais C+M+B est également l’abréviation de « Christus mansionem benedicat » signifiant que le Christ bénisse la maison. Les signes + représentent la croix du Christ. Et les chiffres au début et à la fin signifient la nouvelle année en cours, soit « « 20+C+M+B+20 », pour cette année. En 2023, si tel est votre désir, vous pourrez marquer « 20+C+M+B+23 ». Alors, « Marking Well » – en référence aux Maîtres Maçons de La Marque, un « side degree».

Une belle façon de consacrer sa maison et sa famille au Christ pour l’année à venir.
Une ancienne et belle coutume
Dans certaines localités, pour écrire l’inscription, on utilise une craie bénie par un prêtre ou un ministre chrétien le jour de l’Épiphanie. Les chrétiens ramènent ensuite la craie à la maison et l’utilisent pour écrire le motif. Cette coutume chrétienne de marquer la porte connaît un précédent biblique : les Israélites dans l’Ancien Testament ont marqué leurs portes afin d’être sauvés de la mort. Ainsi, la pratique sert à protéger les maisons chrétiennes contre les mauvais esprits, jusqu’au prochain jour de l’Épiphanie, au cours de laquelle la coutume est répétée. Les familles accomplissent aussi cet acte parce qu’il représente l’hospitalité de la Sainte Famille aux Mages (et à tous les Gentils). Cela sert donc de bénédiction à la maison, ses habitants et ses visiteurs, pour y inviter la présence de Dieu.

Mais pourquoi trois rois mages ?
Selon une tradition venant du VIIe siècle, les mages dont parle l’Évangile seraient des rois : les rois mages.
Ils étaient au nombre de trois : Melchior, Gaspard et Balthazar. Ce sont les noms qu’on leur a donnés au VIe siècle.
Le nombre 3 est très symbolique, il symbolise d’abord les 3 continents : Asie, Afrique et Europe, qui étaient les seuls connus à l’époque. C’est aussi l’image des trois fils de Noé : Sem, Cham et Japhet. Selon Saint Jérôme, les trois fils de Noé auraient ainsi peuplé les régions du monde : Sem couvrant l’Orient, Japhet s’établissant en Europe et en Asie, et Cham se réfugiant en Afrique.

Le nombre 3 représente aussi le nombre de cadeaux qui selon l’Évangile étaient au nombre de 3 : l’or, l’encens et la myrrhe.
Le nombre 3 figure enfin les trois âges de la vie :
-Melchior est présenté avec une longue barbe et il est le plus âgé des trois. Il offrit l’or,
-Gaspar est le plus jeune des trois et il donna l’encens,
-Balthazar est barbu sans être âgé et il fit l’offrande de la myrrhe.

La galette des rois
Il faut remonter au XIIIe ou au XIVe siècle pour retrouver les premières traces du partage d’une galette lors de l’Epiphanie. Une galette, partagée en autant de portions que de convives plus une : la « part du pauvre »*, c’est-à-dire destinée au premier pauvre qui se présentait.

On parle d’abord d’un gâteau doré et de forme ronde, une description qui peut rappeler le soleil et donc le culte des Saturnales. Pendant ces festivités de 7 jours, les excès étaient permis et il était d’usage d’offrir des gâteaux à son entourage. Une tradition qui, au Moyen-Age, est devenue celle du « gâteau des rois ».

Pour certains, l’appellation viendrait de la redevance qu’il fallait verser à son seigneur à la même époque. Redevance généralement accompagnée elle-même d’un gâteau.

Quant à la fève, elle aurait précédé la galette puisqu’elle date elle aussi de l’empire romain. Il était d’usage en effet dans la Rome antique de tirer au sort le roi d’un festin grâce à un jeton noir ou blanc.

Il est aussi dit qu’un roi était désigné par ce biais parmi les soldats d’une garnison ou dans une famille lors des Saturnales et qu’il pouvait ainsi, pendant une journée, réaliser tous ses désirs et commander tout ce qu’il lui plaisait. Une légende rapporte également une autre origine de la fève : la légende de Peau d’âne, inspirée du conte de Charles Perrault. C’est ainsi en oubliant sa bague dans un gâteau destiné au prince que Peau d’âne aurait inspiré cette étrange coutume.

Enfin, la tradition d’envoyer le plus jeune des convives sous la table pour désigner à qui revient chaque morceau de la galette serait arrivée à la même époque. Lors des Saturnales toujours, le maître de maison demandait en effet au plus jeune de la famille, censé être le plus innocent, de désigner à quel convive il doit distribuer la part qu’il tient en main. L’enfant est généralement surnommé Phébé, pour « Phœbus » ou « Apollon », en référence à un oracle d’Apollon.

Attention toutefois, le bon Compagnon ne doit pas devenir un mangeur de galette. Une expression argotique apparue en 1837et signifiant un « homme vénal qui reçoit de l’argent pour trahir ses devoirs »…

*La part du pauvre : on dit souvent qu’il faut découper la galette en prévoyant une part de plus qu’il n’y a de convives : c’est la fameuse « part du pauvre ». Autrefois en effet, les plus malheureux allaient ce jour-là de porte en porte demander « La petite part, La petite bouchée, La part du Bon Dieu, Pour l’amour de Dieu ».Gare à celui qui ne voulait rien offrir ! Les quêteurs chantaient férocement : « Si vous ne voulez rien nous donner/Nous irons au jouc aux poules/Nous prendrons tous vos chapons. » (Poitou)

Ou bien : « Que Dieu vous donne diarrhée mortelle jusqu’à l’autre Noël ! » (Charentes)
En revanche, les pauvres chantaient un remerciement s’ils étaient bien reçus :
« Salut à Messieurs et Dames d’honneur/Je vous donne le bonsoir de grand coeur/Divertissez-vous bien dedans ce saint jour. »

Sources : Wikipédia, blog francescax8, Wikimédia Commons, Cybercuré, Noël catholique, breizh-info

Rogier van der Weyden, v. 1450, Gemäldegalerie.

Hermès Trismégiste « trois fois très grand », toute la sagesse du monde… 30 octobre, 2022
Posté par hiram3330 dans : Contribution , ajouter un commentaireseptembre 2019
Hermès Trismégiste « trois fois très grand », toute la sagesse du monde…
Juste avant de transmettre le Premier Maillet de notre Loge Trismégiste à mon successeur, j’avais estimé opportun de partager avec mes Frères, en particulier les jeunes Maîtres, les Compagnons et les Apprentis, quelques réflexions personnelles sur Hermès Trismégiste, ayant toujours ressenti le besoin d’approfondir mon éclairage sur ce personnage mythique. De ma Planche, qui ne constitue qu’une infime partie des connaissances sur Hermès Trismégiste, j’en ai tiré une brève synthèse.
Par le F∴ D.G. de la Loge Trismégiste à l’Or∴ de Lausanne
Hermès Trismégiste est identifié tantôt à un dieu, tantôt à un mythe ou à un personnage mythique dont l’origine se situe dans l’Antiquité gréco-égyptienne. Il est souvent assimilé au dieu grec Hermès, c’est-à-dire Thot chez les Egyptiens, et reconnu comme son petit fils avant d’endosser le rôle de mythe, puis de personnage plus ou moins historique. La première indication du nom « Hermès Trismégiste » figura sur la célèbre Pierre de Rosette (196 av J-C) et précisa: « Hermès Trismégiste est issu de la fusion de Thot et d’Hermès ». Dès lors, cet héritage lui conféra les fonctions de rassembleur et de mainteneur. Ou alors, en termes maçonniques, « réunir ce qui est épars », et assurer la pérennité de notre Tradition. Ni plus ni moins que deux des devoirs les plus fondamentaux d’un Franc-maçon.
Trismégiste signifie « trois fois très grand », à interpréter comme très sage, très érudit pour « très grand », doté en plus de la triple qualité de philosophe, de sacerdote et de roi d’Hermès pour « trois fois ». Peut-être aussi parce que Thot symbolisait l’intelligence divine directrice de l’univers qui fait triompher la Vérité apportant au soleil sa lumière, la pensée incarnée et le verbe. Il s’agit encore d’une référence aux trois mondes de la symbolique égyptienne : le monde intelligible (le Noun analogue au Noûs grec), le monde imaginal (l’âme, analogue à la psyché des Grecs) et le monde sensible des formes concrètes. Ce même « trois fois » peut également désigner l’érudition d’Hermès Trismégiste en rapport avec les trois aspects de la réalité selon la conception de certains philosophes de l’Antiquité, à savoir la matière, la pensée et l’âme, et, en y ajoutant les règnes minéral, végétal et animal, voire la triade mercure, soufre et sel, selon celle des alchimistes de la Renaissance.
Pour Albumasar, astronome et astrologue persan du XIe siècle, trois Hermès composaient Hermès Trismégiste: le premier vécut en Egypte avant le déluge, le second après le déluge à Babylone où il raviva les sciences antédiluviennes, et le troisième en Egypte où il enseigna son savoir à son disciple ou élève Asclepios. Dans cette légende, Hermès Trismégiste domine « verticalement » les trois parties de l’univers (ciel, terre, homme), tandis que les trois Hermès représentent « horizontalement » toute la sagesse du monde antique à travers les trois cultures; ils réalisent ainsi la fusion des origines de la sagesse et de la science arabes, d’où le « trois fois très grand ». Enfin, « trois fois très grand » correspond symboliquement au nombre 33 qui revêt à la fois l’expression de l’unité juste et parfaite de l’oeuvre d’un principe suprême unique, et la manifestation de la connaissance ultime des arcanes de la Création.
La Table d’Emeraude : avantgardiste
Les écrits attribués à Hermès Trismégiste, incertains quant aux dates et origines, forment un trait d’union entre les dogmes du passé et ceux de l’avenir. Ils aident également à comprendre comment le monde a pu passer de la doctrine d’Homère à la doctrine chrétienne. Le Corpus Hermeticum et la Table d’Emeraude sont les plus connus chez les Francs-maçons.
En ce qui concerne la Table d’Emeraude, sa plus ancienne version date du VIIIe siècle et se trouve insérée dans un texte de l’Arabe Gabir intitulé « Le livre élémentaire du Fondement », certainement traduit du grec. Celui-ci, qui décrit la genèse du monde par l’affirmation de la prééminence d’un dieu unique, était pour le moins avant-gardiste pour l’époque: « Il est vrai, sans mensonge, certain, et très véritable: ce qui est en bas est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose. Et comme toutes les choses ont été, et sont venues d’un, par la méditation d’un ; ainsi toutes les choses sont nées de cette chose unique, par adaptation. Le soleil en est le père, la lune est sa mère, le vent l’a porté dans son ventre ; la Terre est sa nourrice. Le père de tout le télesme, de tout le monde est ici. Sa force ou puissance est entière, si elle est convertie en terre. Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais, doucement, avec grande industrie. Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre, et il reçoit la force des choses supérieures et inférieures. Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde ; et pour cela, toute obscurité s’enfuira de toi. C’est la force forte de toute force, car elle vaincra toute chose subtile, et pénétrera toute chose solide. Ainsi le monde a été créé. De ceci seront et sortiront d’admirables adaptations, desquelles le moyen en est ici. C’est pourquoi j’ai été appelé Hermès Trismégiste, ayant les trois parties de la philosophie de tout le monde. Ce que j’ai dit de l’opération du Soleil est accompli, et parachevé. »
La Table d’Emeraude a indéniablement un caractère intemporel et universel, qui lui confère sa qualité de trésor initiatique. Quant à l’expression « trois fois très grand », elle couvre symboliquement tous les aspects de la recherche de la Vérité. S’y ajoute la dimension universelle du message philosophique de la Table d’Emeraude, qui exprime bien l’« axis mundi » sur lequel se trouvent à la fois l’Apprenti muni de son fil à plomb et le plus érudit de nos Maîtres.
Aussi dans la Tradition islamique…
Dès le VIIIe siècle, des textes issus de diverses écoles d’hermétisme ou nommément attribuées à Hermès Trismégiste furent diffusés en milieu musulman dont, bien sûr, la Table d’Emeraude. Son enseignement se répandit auprès des cercles égyptiens chrétiens ou syro-mésopotamiens sabéens qui l’avaient préservé jusqu’à l’avènement de l’ère islamique. Puis les ésotéristes musulmans l’assumèrent et l’assimilèrent eux aussi, assurant dès lors la pérennité de la « Chaîne d’or » (silsilat aldhahab) qui les reliait aux plus anciennes sources de la Sagesse. C’est ainsi qu’Hermès se vit attribuer le titre de prophète et intégra l’histoire religieuse officielle et exotérique de l’Islam.
Mais pas de n’importe quel prophète, puisqu’il s’agit d’Idris qu’Allah éleva à une place sublime, celle du réconciliateur entre le passé païen (égyptien, aranéen, mazdéen, judéo-chrétien) et la conscience musulmane, incluant les sciences hermétiques dans le domaine de la révélation religieuse. Elle confère à Idris, un prophète toujours vivant et présent, un rôle mystérieux et éminent comme guide des humains. Prophète sans visage, Idris est un savant civilisateur de l’humanité primitive, un initiateur des sciences. Il est également le prophète intérieur à l’âme individuelle, le message du Soi divin à l’homme dans lequel il s’épiphanise pour l’interpeller et le guider afin, selon la tradition soufie, de permettre à l’âme humaine de s’éveiller à la dimension divine présente en elle depuis toujours.
… et la Renaissance
Pour ce qui est du Corpus Hermeticum d’Hermès, ce fut Marsile Ficin (1433-1499), célèbre néo-platonicien florentin, qui traduisit en 1463 les quatorze traités du manuscrit qu’il intitula collectivement le Pimandre, d’après le nom du premier d’entre eux. Marsile Ficin est toujours resté prudent à l’égard d’Hermès, ne se laissant jamais emporter par l’enthousiasme que sa traduction avait déclenché. Car il considérait que le Corpus Hermeticum n’atteignait pas les hauteurs des dialogues de Platon ou des commentaires de Plotin. Si Hermès conserva néanmoins son autorité à ses yeux, ce fut comme sage égyptien, grand théologien-prophète de l’Antiquité, et en particulier en tant que réformateur ayant mis en garde les Egyptiens contre l’adoration des statues et des rites démonologiques liés. Il n’empêche que la traduction du Pimandre eut un impact important et fit de Marsile Ficin le père de l’hermétisme de la Renaissance.
Le Pimandre ne fut que le premier volet du Corpus Hermeticum. Ces textes accessibles en latin donnèrent naissance à un état d’esprit nouveau qui laissa une large place à l’interprétation, offrant aux esprits les plus libres une bouffée d’air dans l’atmosphère dogmatique de cette fin de XVe siècle. Parmi ces interprétations, figurèrent notamment celles-ci : le visible est le reflet de l’invisible ; le jeu des forces contraires conditionne la vie à tous ses niveaux ; l’unité du monde se formule à travers les nombres et « un » est le « tout » du monde de la multiplicité; ou encore le mystère des nombres ramène à Pythagore et renvoie au pouvoir des planètes dont la connaissance était attribuée aux Egyptiens et aux Babyloniens.
Cette modeste synthèse ne présente qu’une très succincte approche d’Hermès Trimégiste. Le personnage, son histoire, ses écrits et ses enseignements sont si riches et même variés qu’ils ont fait l’objet de nombreux livres étoffés, ainsi que d’études et d’analyses fouillées. Chaque Frère a donc tout le loisir d’approfondir l’une ou l’autre composante ou facette d’Hermès Trismégiste, selon ses centres d’intérêt.
SOURCE : https://freimaurerei.ch/fr/hermes-trismegiste-trois-fois-tres-grand-toute-la-sagesse-du-monde/?fbclid=IwAR37jjbsos9YGAifxskMgJ7T4bYgYi0Go7Gi9O1T8aCN7mp8GFBtLO85iHg
De l’imaginaire à la foi 16 octobre, 2022
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireDe l’imaginaire à la foi

Les forces de l’esprit
La tradition orale – caractéristique originelle de la franc-maçonnerie – a bien entendu ses qualités et ses défauts. Si elle permet la transmission, par le bouche à oreille, de ce trésor qui constitue l’une des pratiques ancestrales de l’« humain » – dans la définition même de notre nature – elle est en même temps le véhicule des « idées reçues » qui traversent le temps et s’y inscrivent ! Comme la moule s’accroche au rocher !
En ce sens, la Psychanalyse et l’Analyse Transactionnelle, entre autres modèles et « théories de l’esprit » sont, à l’image de l’équerre et du fil à plomb, à la fois de précieux outils de « rectification » et de « complémentarité » en maçonnerie. Quoiqu’en disent les détracteurs des sciences de l’homme, dans nos rangs même, qui n’ont généralement qu’une approche par le « on dit », des théories en cause, donc sans implication personnelle. Et qui montrent ici, tout à la fois, intolérance, ignorance et vanité ! Les mauvais compagnons sont nombreux !
Par exemple, dire encore que les rituels maçonniques se suffisent à eux-mêmes, les prendre comme des vérités premières, voire des principes vitaux et sacrés – alors qu’ils sont des conducteurs cérémoniels et des véhicules de morales – est totalement abusif. Et faux ! Ils sont très utiles et respectables, certes, en termes de valeurs, mais absolument insuffisants à la compréhension de l’homme et son fonctionnement. Normal, puisque ce n’est pas leur fonction ! La méthode symbolique est méritoire mais elle a ses limites !
Autre exemple : Continuer d’affirmer de façon péremptoire – en fait par seul « ouï-dire » – que l’esprit est supérieur au corps…alors que les neurosciences ont prouvé leur interdépendance depuis longtemps déjà et qu’elles parlent aujourd’hui de « corps-esprit » jumelés ! Cette habitude du « dire, c’est croire », n’est pas que maçonnique ! L’homme est un animal fictionnel ! Depuis « la mise en place » de la pensée et de l’imaginaire, s’est enracinée dans notre cerveau, une disposition aux croyances. Le domaine du croire précité se décline en « tenir pour vrai », auto-persuasion, autosuggestion (cf. méthode la méthode Coué, moquée en France mais qui prouve son efficacité hors de nos frontières !) convictions, opinions, etc., autant de mots pour désigner les mécanismes « producteurs » de la certitude individuelle. Celle-ci établie – par adhésion personnelle, religieuse ou philosophique – peut s’exercer sans la preuve par le fait : les notions de Dieu, de divin, de divinités, d’Être suprême, de Principe créateur, de Grand Architecte de l’Univers, ces créations humaines poétiques, en sont le meilleur exemple. Les « forces de l’esprit » peuvent même, à l’extrême, conduire le sujet, au gré de rites lancinants et répétitifs, à des « états modifiés de conscience », tels l’extase et la transe. Il s’agit de fait ici, d’une forme d’autohypnose, provoquée notamment par l’irruption dans le sang de diverses hormones, dont nos propres opiacés circulants (entre autres, les « endorphines » inductrices d’euphorie à fonction antalgique). Sans aller jusque-là, rappelons tout de même que la maçonnerie a elle-même bien « flirté » en son temps avec les pratiques magiques !
Nous le savons, les théories freudiennes (valorisées par Lacan) doivent beaucoup aux légendes de la Grèce antique et à ses philosophes. Lesquels nourrissent toujours la franc-maçonnerie actuelle. Ces derniers, pour leur part, avaient postulé les premiers, avec lyrisme, que nous sommes habités par trois fées turbulentes qui se disputent en nous, mais inséparables : raison, intuition, imagination. Elles sont toujours d’actualité et nous serions à même d’ailleurs de les masculiniser en trois lutins modernes, avec pour nom : le Logicien (rigoureux), l’Expert (averti) et le Poète (rêveur).
Constat : nous ne pourrions pas vivre sans notre imaginaire (siège de l’imagination, du rêve, de la création, de l’invention, de l’innovation, de l’enthousiasme). Et cet imaginaire n’est autre que l’irrationnel (à comprendre non comme le contraire de la raison mais n’en relevant pas : les mythes, les légendes et les religions relèvent évidemment de l’irrationnel !). Rêver en restant lucide n’est pas être irrespectueux !
Certes, l’irrationnel a son versant négatif, (superstition, passion excessive, violence, folies meurtrières dont les guerres, etc.), mais il est incontestable que ce même irrationnel a aussi la faculté “d’amplifier l’esprit”. Sans l’irrationnel, la raison s’assècherait : aucune grande réalisation (scientifique ou autre) ne peut faire l’économie de l’imagination et de l’intuition. Sans l’imaginaire, la franc-maçonnerie, campée sur son socle mythique, n’existerait pas ! Einstein le confirme : « l’imagination est plus importante que la raison ! ». Mais poétiser n’est pas raisonner.
Il n’est pas étonnant que de ce milieu psychique en « interactions » permanente, émerge en nous des doutes, des hésitations, des craintes. Alors même que nous devons gérer au quotidien notre peur existentielle, elle-même constitutive de notre Moi. Nous apprenons cette peur dès notre irruption au monde, avec l’intériorisation d’un dispositif de défense propre au vivant : l’instinct de conservation. Autant de choses que les rituels ne disent pas mais qu’il convient de se rappeler ou de savoir en maçonnerie, au XXIème siècle !
Vaincre la mort
En grandissant et adulte devenus, nous avons constamment peur, de la crainte de traverser la rue à celle de tomber malade, donc de souffrir, de mourir. Puis encore, nous avons peur de perdre nos proches : conjoint, enfants, parents, amis.
Nous sommes aussi taraudés par les peurs « modernes », autant d’éventualités qui vont du licenciement au manque d’argent, de la privation de nourriture à la disparition du confort matériel, de la perte de notre mémoire à celle de notre autonomie. Et partant, nous craignions de ne plus exister aux yeux des autres, toujours pour la même raison de sauvegarde : Indépendants par essence, nous sommes dépendants par force ! En vérité, l’être humain n’est pas conditionné à « la perte », comme le sont la plupart des animaux. Nous le constatons aussi, en loge, avec le « manque » soudain dans nos rangs, lorsqu’un de nos frères, l’une de nos sœurs, passent à l’Orient Eternel.
Dès lors, exposés comme tout un chacun aux aléas de l’existence, comment prétendre à quelque certitude, à une « vérité vraie » ? Même les modèles mathématiques les plus sophistiqués sont tous contestables et remplaçables par d’autres. Il vaudrait donc mieux parler de réduire la part d’incertitude (théorie du modèle et de l’écart).
Ainsi pour nous francs-maçons, qui nous inter-enseignons le doute, il convient de nous méfier et même de nous éloigner de toute “attitude de surplomb”. Qui consisterait (au fil de nos degrés encore trop souvent confondus avec des grades !) à nous donner hiérarchiquement en loge des leçons assorties de bons ou mauvais points, et en ville revenus, à vouloir y jouer à toute force l’exemplarité ! A une époque où est mieux accueilli le « passeur » de désirs que le « marchand » de formats ou de modèles. Pour faire image encore, je pense en matière de surplomb précisément, que « notre vérité », ne réside pas forcément dans l’aplomb du fil mais aussi dans ses oscillations « métaphoriques ». C’est-à-dire, au gré du balancier de la vie, dans notre comportement entre la frustration et la satisfaction, la maladie et la guérison, l’orgueil et l’humilité, de la colère à l’apaisement, de la haine à l’amour !
Tout comme notre lutte quotidienne pour devenir meilleur apparaît dans l’angle entre les deux branches mobiles du compas. Comme le chemin entre notre besoin éperdu d’être aimé et d’autres êtres à aimer que soi se situe dans l’espace séparant les deux branches de l’équerre. Ou encore, quand il est question de la recherche de l’âme sœur, le parcours menant de la solitude à la rencontre se dessine symboliquement dans la distance entre le maillet et le ciseau ! Pour créer l’œuvre ensemble. Bref, nos tentatives d’accès à la certitude sont dans l’interrogation permanente, dans la patiente recherche, le mouvement productif, dans la preuve par les faits. Non dans le « regardez-moi », la domination, la suffisance. Etre sûr de soi au sens vaniteux, rappelle que cet adjectif est issu du mot « vain » ! A preuve certains tabliers maçonniques : plus ils sont brodés de fils d’or et cousus de fioritures, plus ils nous éloignent de l’humilité (de humus, terre). C’est vraiment en sortant du paraître, que l’on parvient à être !
Ainsi, il s’agit, selon la règle psychologique des 3P, empruntée à l’Analyse Transactionnelle (Puissance, Protection, Permission) de se donner les moyens de penser et d’agir (Le gouvernement de soi-même) de prendre soin de soi (notre vie signifie la survie !) et de s’autoriser à être et à faire (Oser exister !). Ainsi, il n’y a pas meilleure autorité pour tenir les commandes, que soi-même ! Au nom de l’estime de soi et des autres.
Alors et seulement l’appréhension et l’angoisse font place à la confiance en soi, à la maîtrise de soi. La culpabilité s’efface devant la responsabilité, et le sens de la vie devient enfin le sens de ma vie ! Parce que la seule véritable certitude que nous ayons est celle de notre finitude. Donc un encouragement, un engagement, à vivre le mieux possible notre éternité sur terre. La mort des autres, bien entendu, nous renvoie sans cesse à la nôtre. Faut-il la craindre ? Rappelons-nous, en guise d’apaisement, la belle et noble formule d’Epicure : « La mort ne nous concerne ni morts ni vifs. Vifs, parce que nous sommes ; morts, parce que nous ne sommes plus ! ».
Philosopher, c’est apprendre à mourir, nous dit Platon et Montaigne après lui. C’est à dire accepter notre sort et vivre pleinement chaque jour comme s’il était l’ultime.
La franc-maçonnerie propose aussi sa voie pour vaincre la mort, à sa façon. Mais ce n’est certainement pas en créant une rivalité dans la « course aux tabliers » qu’entretiennent encore trop d’organisations maçonniques, qui se détournent de leur objectif spirituel. La compétition est un jeu profane qui les égare ! C’est en remettant à l’Orient de sa loge bleue son tablier blanc à l’Apprenti, qu’il demeurera à vie, que l’Art Royal s’honore et remplit sa vraie fonction initiatique. Et que l’initié devient ainsi éternel !
La création, hasard ou volonté ?
L’origine de la franc-maçonnerie – celle du « mestier » comme celle de réflexion – nous ramenant aux constructions religieuses et aux hommes d’église, il est logique que Dieu – ou l’hypothèse Dieu – soit évoqué ici. Aux bâtisseurs qui ont lancé les cathédrales vers le ciel, puis à leurs successeurs spéculatifs et à nous-mêmes, « penseurs d’aujourd’hui » dans nos loges, s’est posée et se pose toujours la même question : Y- a- t-il une volonté dans l’univers ? Formuler cette interrogation, après la classique question individuelle : Qui suis-je, d’où viens-je ? Où vais-je ? C’est déjà formuler une croyance. C’est se demander, avec l’intelligence dont nous sommes dotés, si l’univers est l’œuvre d’un constructeur et dans l’affirmative qui a créé ce constructeur ? Et si la théorie du big bang est recevable, c’est se heurter à une autre question vertigineuse : Comment quelque chose peut naître de rien ?
Ces questions « philosophiques » de tout temps se posent aujourd’hui à la science qui, devant l’horloge et son extrême précision ne conteste plus le postulat d’un horloger ! Mais si ses progrès fulgurants en termes cosmologiques (découverte de nouveaux univers, notamment) apportent toujours de nouvelles théories, elle reste dans l’incapacité de les démontrer ! Cette volonté à l’origine de l’Univers et son expansion aurait donc un sens. Et qui dit sens, dit conscience pour l’interpréter et en témoigner. Celle du philosophe Baruch Spinoza (1632-1677) l’analyse tel un principe panthéiste qui anime la Nature (comprenant tout ce qui existe) et nous en montre l’harmonie et la beauté. La franc-maçonnerie déiste ne dit pas autre chose quand elle affirme son adhésion à un Principe créateur qu’elle nomme Grand Architecte de l’Univers. Un emprunt au poète Philibert de l’Orme.
Rappelons au passage que les « promoteurs » de la franc-maçonnerie, James Anderson et Jean-Théophile Desaguliers, ont eu, pour leur part, le mérite de « mettre de côté » leur formation et exercice protestants, afin de proposer aux premiers adhérents une religion naturelle, (ou loi naturelle) croyance fondée sur les données de la raison et de la conscience individuelle, sans le concours des églises. Ce concept d’un dieu personnel, totalement éloigné du « socle biblique », a évidemment été vite déconsidéré par les courants théologiques…et les premiers francs-maçons français, qui ont installé au gré des loges, dès 1725, une maçonnerie chrétienne. Aujourd’hui, les notions précitées de « « Grand Architecte de l’Univers » ou de « Principe créateur », qui n’existaient pas à l’époque, ne sont guère éloignées de cette religion naturelle, quand elles sont proposées comme symboles à interpréter librement. Il nous revient d’ailleurs de réfléchir sur la différence entre un dieu symbolique et un dieu révélé, les deux relevant de la fiction, tout respect gardé pour les religions dites du « Livre ». Ce Livre étant celui de la religion considérée, mais en aucun cas le « grand livre de l’humanité », comme certaines obédiences persistent encore à l’affirmer, à propos de la Bible. Fiction n’est pas réalité, encore moins vérité !
On peut aussi s’étonner du désir des Obédiences et Suprêmes Conseils ayant opté pour un dieu symbolique et espérant fébrilement, malgré tout la « reconnaissance » de la Grande Loge Unie d’Angleterre qui exige de ses « délégations internationales », la croyance en un Dieu révélé ! Comme s’il était vital de recevoir cet « adoubement » d’une instance qui montre ici une belle intolérance et atteint le grandiose en s’identifiant à la main de Dieu ! Fiction, encore et toujours !
On ne peut toutefois pas parler de croyances et de religions sans aborder ce qui peut dans un pays, les faire cohabiter pacifiquement et les séparer de l’autorité publique : la laïcité. C’est ce principe de séparation de la société civile et de l’institution qui permet la liberté de conscience. Non seulement, la laïcité n’interdit pas les religions, mais elle en préserve l’existence. Tout comme, de la même façon, elle doit préserver les non-croyants et les agnostiques, de toute ingérence de la religion dans la vie civile. Il y a un droit à la croyance, comme il existe un droit à la non-croyance. A part le Grand Orient de France, les obédiences françaises sont bien trop silencieuses sur ce point !
Certes, il est clair que si les croyances se sont aujourd’hui diluées, le fait religieux ne peut être balayé d’un revers de main. Ce serait du même coup, geste impensable, rejeter les initiés (es) qui la fréquente : l’église, le temple, la synagogue, la mosquée, ont leur place dans la cité, comme la loge y a la sienne ! Les religions sont utiles depuis des siècles et le seront encore, qu’elles soient appréhendées comme moteur qui dynamise et aide à vivre ou « consolatum », qui apprend à mourir, deux aspects de la condition humaine. Priver l’homme de religion, serait l’amputer de lui-même, disent en chœur philosophes et poètes, après Benjamin Constant. Comme priver l’homme de franc-maçonnerie, serait le priver d’un outil puissant, producteur de liberté !
Nous venons en loge, ce lieu d’intelligence collective, pour nous transformer, avec l’idéal de transformer le monde. En clair, pour y cultiver ensemble une « raison raisonnable », intuitive, imaginative. Au total altruiste. N’est-ce pas là notre croyance même, puisque croire c’est aimer ?!
Sans être une religion la franc-maçonnerie est bien en soi, une forme de miracle ! Celui de traverser le temps, à son rythme, depuis le Moyen-Âge !
SOURCE : https://450.fm/2022/10/09/de-limaginaire-a-la-foi/
Regard sur… le Néodruidisme 8 octobre, 2022
Posté par hiram3330 dans : Contribution,Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireRegard sur… le Néodruidisme
Le néodruidisme (également appelé druidisme par certains adhérents) est une forme moderne de religion ou de spiritualité qui promeut l’harmonie avec la nature, souvent au travers d’une forme de culte de la nature. Ce mouvement d’inspiration maçonnique, essentiellement présent dans le monde anglo-saxon et en Europe dans les pays anciennement celtisés, compterait deux millions d’initiés(iées).

Le néodruidisme, dont les premiers mouvements apparaissent en Angleterre au xviiie siècle, relève en partie des premières manifestations de la mouvance « néopaïenne ». Les premiers mouvements néodruidiques, inspirés par la vision romantique des xviiie et xixe siècles, étaient basés sur des descriptions historiques des druides de l’âge du fer largement erronées. Ces mouvements n’avaient pas, par ailleurs, de relation directe avec les anciens Celtes ou leur civilisation.
Pour Iolo Morganwg et la Gorsedd de Galles, qui étaient des défenseurs de la langue et de la nationalité galloises, il s’agissait toutefois de relier la langue et la culture galloises de son temps à la société brittonique antique et médiévale dont elles étaient issues. Iolo n’était pas franc-maçon (organisation représentative des milieux anglais dominants auxquels se heurtaient certains non-conformistes gallois pour des raisons sociales et nationales) et son entreprise fut d’empêcher le druidisme anglais d’annexer le bardisme gallois, notamment en promouvant les Eisteddfodau ou manifestations culturelles en langue celtique. Son œuvre mettait avant tout l’accent sur le bardisme.
Plus récemment, certains groupes néodruidiques ont tenté de recréer des pratiques plus proches de la réalité historique du druidisme, bien qu’il y ait controverse sur la ressemblance effective que ces mouvements peuvent avoir avec le druidisme historique. La Gorsedd de Bretagne n’adopte l’appellation de « druide » qu’en simple référence à l’inspiration philosophique des anciens druides.
Origines

- Le 21 septembre 1717, The Druid Universal Bond plus connu sous le nom de Druid Order (DO), est créé sous l’impulsion de John Toland (1669-1722).
- Le 28 novembre 1781, Henry Hurle fonde à Londres un Ordre fraternel et initiatique (mais ayant aussi une importante fonction de société de secours mutuel pour ses membres), l’Ancient Order of Druids (AOD). Une scission de celui-ci en 1833, va donner naissance à une société fraternelle l’United Ancient Order of Druids (UAOD), qui, en 1858 connaît à son tour une scission et voit la création de l’Order of Druids (OD), également société fraternelle.
- Le 21 juin 1792, Iolo Morganwg réunit à Londres (Primrose Hill) la première Gorsedd Beirdd Ynis Prydain (Collège des Bardes de l’Île de Bretagne).
- En 1838, un groupe de jeunes bretons, parmi lesquels Auguste Brizeux, Auguste du Marhallac’h, Théodore Hersart de la Villemarqué, se rend à Abergavenny au Pays de Galles où se tient l’Eisteddfod et où ils sont accueillis et reconnus comme bardes par la Gorsedd galloise. Alphonse de Lamartine, bien qu’invité, ne put venir et envoya un poème. De retour en Bretagne, La Villemarqué fonde une petite confrérie, la Kenvreuriez Breiz, comprenant un nombre limité d’écrivains bretons auquel il confère des titres « bardiques » en breton assez solennels, lui-même se baptisant Arc’hkelenner (Grand instructeur). Aucune activité publique n’a lieu et aucun texte philosophique ou spirituel n’est publié.
- En 1899, une délégation bretonne, invitée dans le cadre de l’Eisteddfod de Cardiff, décide à son tour de fonder la Gorsedd de Bretagne en se plaçant sous le patronage de l’Archidruide de Galles dont ils reçoivent l’agrément. Les futurs dirigeants (Jean Le Fustec, François Jaffrennou (Taldir), Léon Le Berre) seront reçus par la Gorsedd insulaire en 1902, lors d’un voyage en Galles.
- En 1928, est créée à Boscawen Un en Cornouailles britannique, sous le patronage de l’Archidruide de Galles, la Gorsedh Kernow avec Henry Jenner et Morton Nance.
Fondements
Le néodruidisme, appelé aussi par les lignées galloises, bretonnes et cornouaillaises, le bardisme, est issu des œuvres de John Toland pour la lignée du Druid Order, d’Henry Hurle pour la lignée fraternelle et mutualiste (Ancient Order of Druids, United Ancient Order of Druids et Druid Order) et Iolo Morganwg pour la lignée galloise. Ce dernier a élaboré la doctrine et créé les rites des Gorsedd(au). À ses écrits parus en 1848 sous le titre Iolo Manuscripts, il faut ajouter ceux de William Ab Ithel, Barddas, parus en 1862. La théologie qui y est développée s’inspire de sources diverses : folkloriques, bouddhistes, chrétiennes. L’ensemble des ‘Triades de l’Ile de Bretagne’, une de ces bases théologiques, est par exemple toujours controversé et suspecté de christianisation. Cependant, Robert Ambelain les défend ainsi : « Il ne faut voir, dans les quelques points de similitude, que le traditionnel accès à des vérités communes à tous les cultes. Et on trouverait autant de traditions védiques dans le bardisme qu’on en pourrait estimer issues du christianisme ».
Selon certains partisans du néodruidisme, par exemple Gwenc’hlan Le Scouëzec, cinquième Grand druide de Bretagne, une continuité historique avec les anciens druides aurait existé. D’autres, au contraire, tel Per Vari Kerloc’h (Grand druide Morgan), successeur de Gwenc’hlan le Scouëzec, se placent simplement sur le plan du symbolisme et non celui de l’Histoire antique.
La plupart des spécialistes du domaine celtique récusent ainsi une quelconque filiation entre le mouvement néodruidique et la civilisation celtique antique. Dans leur ouvrage La civilisation celtique, Christian-Joseph Guyonvarc’h, philologue spécialiste de l’irlandais ancien, et Françoise Le Roux, diplômée en théologie, écrivent : « Il n’existe pas, en tout cas, pas plus au Pays de Galles et en Bretagne armoricaine, ou, a fortiori en Gaule […] d’organisation ou de groupe, ouvert ou fermé, qui dispose d’une filiation traditionnelle remontant aux druides de l’Antiquité. » Le druidisme, fondement d’une société celtique indépendante, ne pouvait survivre à la conception étatique imposée par la romanisation et il eut également à subir la condamnation de la nouvelle religion chrétienne. Cela n’empêche pas les nombreuses survivances des religions antéchrétiennes en Europe. Le mot druide n’a pas survécu sur le continent, où il a été réintroduit par des érudits, mais bard- est vivant en celtique insulaire.
Rites et croyances

Le mouvement néodruidique est très varié et il n’y a pas de dogme ou de système de croyances auxquels tous les groupes souscrivent. Néanmoins, un certain nombre de traits sont communs à la majorité d’entre eux. La croyance principale est que la Terre et la Nature sont sacrées et sont dignes d’être vénérées en tant que telles. Pour cette raison la plupart des druides sont panthéistes. Le respect des ancêtres et en particulier des ancêtres païens est une autre croyance qui se retrouve souvent à la base de ces mouvements. Une autre encore, commune à la plupart d’entre eux, est la croyance en l’immortalité de l’âme et en l’évolution des êtres par la métempsycose (réincarnation). Si la croyance en Dieu figurait dans les règlements intérieurs de la Gorsedd de Bretagne avant la guerre de 1939-1945, celle-ci ainsi que d’autres conceptions philosophiques sont maintenant laissées à l’appréciation individuelle de chaque membre; les athées et les agnostiques sont admis. Les néodruides pratiquent leurs rituels en cercle, le plus souvent autour d’une fontaine, ou pour certains d’un autel. Ils se retrouvent parfois autour des cercles de pierres et mégalithes, ceux-ci étant associés aux anciens druides bien que l’origine de ces mégalithes soit antérieure aux Celtes de plusieurs millénaires. C’est notamment le cas de Stonehenge en Angleterre (site sacré cependant pour les anciens Celtes, le « temple d’Apollon » de Diodore de Sicile, utilisé et remanié jusqu’à son abandon vers 500 après J.-C). Un rituel néodruidique s’y est déroulé au solstice d’été. Certains portent des habits cérémoniels destinés à imiter ceux que les anciens druides portaient. De nombreux druides se servent également de bâtons rituels.
SOURCE : https://450.fm/2022/10/06/regard-sur-neodruidisme/
Regard sur le… Chamanisme 18 septembre, 2022
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireRegard sur le… Chamanisme
Le chamanisme est un ensemble de formes de médiation entre les humains et les esprits assurée par des chamans, incarnant cette fonction en interdépendance avec la communauté qui les reconnaît comme tels et pour laquelle ils sont censés intercéder auprès des esprits. Le mot chamanisme (chamane vient du toungouse) relie cette pratique aux sociétés traditionnelles sibériennes, mais le chamanisme, du fait des pratiques se retrouvant chez de nombreux peuples, présente un caractère d’universalité.
Les traditions animistes et chamaniques ne sont pas des traditions religieuses distinctes, mais elles participent toutes deux à une compréhension du monde par des expériences spirituelles ou symboliques.

Des travaux scientifiques considèrent qu’il s’agit d’une pratique qui implique qu’un pratiquant, usuellement le chaman, atteigne des états de conscience modifiés afin de percevoir et d’interagir avec ce qu’il considère être un monde spirituel et afin de canaliser des énergies transcendantes présentes dans ce monde, ceci dans le but de servir sa communauté.
Depuis la fin des années soixante, se développe dans certains courants de la contre-culture occidentale un intérêt grandissant pour les cultures, les pratiques chamaniques et leur dimension spirituelle. Cet intérêt a donné naissance au néochamanisme. L’intérêt des scientifiques pour le chamanisme a d’abord été le fait d’anthropologues et de spécialistes des phénomènes religieux. Des chercheurs en sciences cognitives étudient, de ce point de vue, le chamanisme et le phénomène de transe.
Nature
Étymologie

Le mot chamane ou chaman est connu dès le xviie siècle à travers des récits publiés par quelques explorateurs et marchands. Il entre officiellement dans la langue française en 1842. Il est emprunté au toungouse (Sibérie) et on le trouve mentionné dans les manuscrits de l’archiprêtre Avvakoum.
Selon une première hypothèse, le mot proviendrait de sam, une racine altaïque signifiant « s’agiter en remuant les membres postérieurs ». Saman est en effet un mot de la langue evenki qui signifie « danser, bondir, remuer, s’agiter ». Dans les dialectes évènes, « chaman » se dit xamān ou samān. Ojun, mot qui désigne le chamane chez les Yakoutes évoque aussi l’action de « sauter, bondir, jouer ». L’équivalent turc est kam d’où dérive en russe kamaljit, « chamaniser », et kamlanie, « séance chamanique ». Ces termes associent, selon Roberte Hamayon, le chamane à une imitation de comportements d’espèces animales, notamment celles qui sont chassées : les cervidés et les gallinacés.
Une autre hypothèse étymologique le relie à šaman, un mot Manchu-Tungus signifiant « celui qui sait ».
À noter qu’en sanskrit le terme shramana désigne un moine errant dans certaines traditions ascétiques de l’Inde antique, incluant le jaïnisme, le bouddhisme et la religion ājīvika aujourd’hui disparue.
Suivant Roberte Hamayon, reprise par Bertrand Hell, le chamane serait soit « celui qui sait », soit celui qui « bondit, s’agite, danse » comme un animal.
Évolution des grilles de lecture ethnologiques

Dès le xixe siècle, avec la seconde vague d’expéditions scientifiques russes en Sibérie, des chercheurs se sont intéressés au chamanisme de cette partie du monde. Il est d’abord considéré avec dédain, les chamans étant vus comme d’« indignes et grossiers jongleurs » abusant d’une population crédule. Les choses changent avec la découverte à Pékin par les prêtres russes d’un manuscrit chinois datant de 1747 précisant les codes et rituels censés régir un chamanisme de cour pratiqué en Chine (NB : la cour à Pékin est alors d’origine mandchoue -Dynastie Qing). Le Père Hyacinthe en vient à considérer que le chamanisme sibérien serait une forme dégénérée d’un chamanisme chinois qui était régulé par un code et animé par un clergé relativement structuré, alors que les pratiques sibériennes sont vues par les prêtres russes comme déstructurées. Cette hypothèse ne correspond en rien à l’hypothèse des ethnologues modernes.
On notera que les anthropologues ont étudié le chamanisme depuis les débuts de leur discipline. Selon Roger Walsh, du fait que les chamans adoptent fréquemment des comportements étranges, liés à des états de conscience modifiés peu familiers des chercheurs, qu’ils rapportent avoir eu des visions et avoir communiqué avec des esprits, les anthropologues les ont, dans un premier temps, fréquemment décrits comme des êtres perturbés, schizophrènes, hystériques ou épileptiques. Ces premières grilles de lecture ont d’abord éloigné les chercheurs des aspects plus intéressants de ces pratiques. Mircea Eliade se démarque toutefois en rattachant le chamanisme aux phénomènes religieux qui l’intéressent plus particulièrement.
Par la suite, dès les années soixante, quelques chercheurs ont voulu compléter leur posture d’observation critique par une approche introspective abordant le chamanisme « de l’intérieur » en cherchant à comprendre les vécus subjectifs liés à ces pratiques. Ils se sont alors formés et ont commencé à pratiquer par eux-mêmes le chamanisme. C’est le cas de Barbara Tedlock, Michael Harner, Larry Peters, et de psychologues comme Bradford Keeney. Pour certains, c’est devenu une pratique personnelle assez intense qui les a ouverts aux potentialités associées aux états altérés de conscience. Dans le même temps, les doutes sur l’authenticité de la transe vécue par le chamane se sont atténués, notamment du fait d’études portant sur les corrélats neurophysiologiques des pratiques.
Michael Harner en particulier a ouvert la voie à un néo-chamanisme à partir d’un long travail d’analyse et de pratique dans de nombreuses régions du monde. La psychologie transpersonnelle s’est appuyée sur ces travaux pour renforcer certaines de ses thèses, notamment celles relatives aux limites du moi.
À partir de 1968, un jeune anthropologue, Carlos Castaneda, fut le premier à publier une série de livres devenus populaires, dans lesquels il rapporte sa formation au chamanisme auprès des Indiens Yaqui. Le travail de Castaneda a par la suite été mis en doute, et sa thèse de doctorat obtenue à l’UCLA a été qualifiée de « plus grosse bêtise » commise par cette université selon Richard de Mille dans deux livres attaquant Castaneda. Il a également été critiqué pour avoir provoqué un afflux massif d’Occidentaux vers les territoires indiens où il disait avoir reçu son initiation.
Intérêt pour la recherche anthropologique et cognitive
Au tournant des années 2000, des chercheurs comme l’anthropologue Michaël Winkelman proposent une grille d’approche scientifique du chamanisme qu’ils qualifient de neurophénoménologique (Wilkelman page 27). L’intérêt de Winkelman pour le chamanisme n’abandonne pas les dimensions sociale et symbolique (courantes en anthropologie), mais porte aussi sur les implications des soubassements neurologiques de la pratique chamanique, à la fois pour les praticiens chamans et pour leurs clients. Selon Krippner et Combs, Winkelman va plus loin en posant l’hypothèse que « le chamanisme a joué un rôle fondamental dans l’évolution humaine sur les plans culturels et individuels, en particulier sur l’intégration cognitive, la pratique de guérison et les aptitudes à l’auto-transformation ».
Krippner et Combs notent que cela tranche avec le premier regard porté par des orientaux sur les pratiques chamaniques, lorsqu’elles étaient assimilées à de la folie. ces deux auteurs, pour leur part considèrent comme Winkelman que les chamans sont généralement parmi les membres « les plus sains et les mieux adaptés de leur société ». Et ils prolongent « Cette qualité est nécessaire pour maintenir leur capacité à discriminer entre les expériences de la vie quotidienne et celles du monde chamanique (p. 58). Contrairement à l’aplatissement émotionnel du schizophrène, le comportement chamanique se caractérise par l’expression de l’affect positif et une intensification de l’émotion. La crise initiatique, souvent décrite comme une forme temporaire de psychose (par exemple, Walsh, 1990) […] peut être considérée comme une déconstruction psychologique et une expérience de croissance » ( p. 81). Selon la lecture de ces deux auteurs, Winkelman considère que les états modifiés de conscience doivent être vus comme des modes d’appréhension de la réalité complémentaires les uns des autres, chacun étant potentiellement utile dans certaines circonstances. Comme le rêve est un état de conscience qui a une utilité, la transe chamanique est un autre de ces états, dont il importe de comprendre l’utilité individuelle et collective.
Travaux purement cognitifs
Par la suite, des chercheurs s’intéressant aux états modifiés de conscience (tels le trauma et les états méditatifs des pratiquants bouddhistes) se sont mis à étudier la transe chamanique avec les outils des sciences cognitives. En France, Corine Sombrun, qui a eu une première expérience du chamanisme en Amazonie puis acquis des compétences chamaniques approfondies en Mongolie, collabore activement à ces recherches axées vers la compréhension des corrélats physiologiques et psychologiques des états de transe chamanique.
Des travaux scientifiques ont étudié les changements dans le fonctionnement du système nerveux central lors de la transe chamanique et Corinne Sombrun a servi de sujet et a pu informer les scientifiques sur son expérience subjective lors des expériences. Ces travaux ont été facilités par une réhabilitation récente des études dites à la première personne, c’est-à-dire accordant un réel crédit à l’expérience intime des sujets ; études longtemps considérées comme scientifiquement illégitimes.
La distinction entre états modifiés de conscience et conscience ordinaire semble devoir être remise en cause au profit d’une représentation plus dynamique. Ainsi, les « modes de conscience chamaniques et altérés [devraient être considérés comme] une capacité volontaire acquise à se démarquer de la dynamique [de conscience] analytique (conscience de soi par défaut [typique de notre culture moderne occidentale]) et à accéder à d’autres manières de vivre la réalité interne et externe [selon un mode qu’on peut qualifier de] « non local-intuitif ». » Ces chercheurs sont donc convaincus de l’intérêt scientifique d’approfondir l’étude des potentiels d’auto-transformation et de résilience de la transe cognitive, dérivée de la transe chamanique. L’actrice namuroise Cécile de France marraine « artistiquement » cette initiative.
Le projet « The Human Consciousness »
Roger Walsh considère que cet approfondissement des connaissances sur les états de conscience est le véritable enjeu de la réappropriation du chamanisme par la science. Un travail approfondi sur la conscience chamanique devrait selon lui permettre de mettre en perspective les limitations de nos états de conscience ordinaires, qui visiblement nous laissent inaptes à anticiper et à prendre en charge collectivement les grands enjeux environnementaux et sociaux actuels. Il prône la construction d’une cartographie des états de conscience, incluant la conscience chamanique, tout comme nous avons pu développer la carte du génome humain (partie conclusive).
Une pratique universelle en voie de réappropriation par les occidentaux

On rencontre des formes de chamanisme chez tous les peuples premiers, les Mongols, les Turcs et les Magyars (avant leur christianisation), mais aussi au Népal, en Chine, en Corée, au Japon, en Scandinavie, en Afrique, en Australie, chez les Premières Nations d’Amérique du Nord et chez celles d’Amérique latine.
Si tous les continents connaissent ou ont connu des formes de chamanisme, on a assisté dans le monde occidental à une réappropriation populaire du chamanisme, dans un premier temps principalement par des mouvements associés au New Age, notamment en Amérique du Nord, et en Europe, avec l’émergence d’un néo-chamanisme, et plus récemment par certains milieux écologistes, notamment liée à l’ écologie profonde.
Ce néo-chamanisme peut être daté de 1968, lorsque Carlos Castaneda publie The Teachings of Don Juan. Ce livre se présente comme une enquête ethnologique auprès d’un chamane indien yaqui, Don Juan.
Pour Richard DeMille, il s’agit largement d’une imposture : le travail de Castaneda n’est pas une œuvre ethnographique, mais relève plutôt du génie romancé. Castaneda affirme pour sa part avoir expérimenté la prise de plantes psychotropes telle que la datura qui lui ont permis d’atteindre l’état modifié de conscience qu’il décrit dans ses récits.
Harner postule aussi l’existence d’un esprit tutélaire animal, spécifique à chacun, appelé « animal de pouvoir » que les stagiaires occidentaux qu’il accueille sont appelés à découvrir.
Pour Laurent Huguelit, l’intérêt actuel des occidentaux pour le chamanisme s’explique par un besoin actuel d’« une spiritualité de nettoyage et une spiritualité qui nous reconnecte à la nature ». Claude Paul Degryse voit dans la redécouverte du chamanisme par les occidentaux un potentiel, subversif le chamanisme donnant la possibilité d’une mise en cause « des paradigmes fondamentaux de la civilisation ». Esther Bulang considère qu’il faut regarder le chamanisme comme la forme primordiale de la guérison et de la spiritualité et que cette forme répond au besoin actuel de reconnexion à la nature et à notre nature. Il serait porteur d’une potentialité de recouvrir de nombreux équilibres que le monde moderne nous a fait perdre : « Il est conçu pour équilibrer la vie des individus, de la communauté, de la société, de la nature ».
En France, le livre Le Chamane et le psy de Laurent Huguelit et Olivier Chambon traite de la complémentarité et de l’intégration des techniques chamaniques dans la psychothérapie moderne, ainsi que du chamanisme moderne tel qu’il se développe actuellement en Occident. Laurent Huguelit est un élève de Michael Harner, formé à la FSS, Olivier Chambon est psychiatre et psychothérapeute.
Un Festival international de Chamanisme est organisé en France chaque année depuis douze ans. Il rassemble plusieurs milliers de personnes.
Selon le sociologue Raphaël Liogier, « Le chamanisme a tout pour plaire à des Occidentaux en perte de mythologie, inquiets des ravages du matérialisme, parce qu’il symbolise la religion non dévoyée, plus spirituelle que religieuse, non monothéiste donc non dogmatique ni moraliste, écologique car sacralisant la Terre-Mère […]. » Corinne Sombrun note qu’alors que la Sibérie comptait il y a peu 30 chamanes pour trois millions d’habitants, elle en comptabilise maintenant 3 000, du fait de l’essor du tourisme chamanique.
Chamanisme et religion
Si la nature du chamanisme fait l’objet de débats, l’intérêt des ethnologues, psychologues et chercheurs en neurosciences pour le chamanisme, et plus récemment pour les mécanismes de la transe, est partagé.
Lors des premières observations en Sibérie, dès les xviie et xviiie siècles, puis à la fin du xixe siècle, le contact avec les esprits est appréhendé comme un phénomène religieux archaïque. Au xxe siècle, Mircea Eliade, influencé par le mysticisme du christianisme russe orthodoxe, rattache le complexe chamaniste (croyances, rites et mythes) à la religion. C’est surtout l’expérience extatique qui est définie comme l’expérience religieuse de base. Mais l’usage de la notion d’extase sera ensuite l’objet de controverses, certains la considérant comme sans fondement scientifique, d’autres lui préférant le terme de transe, terme actuellement privilégié dans les travaux de recherche.
Åke Hultkrantz assimile le chamanisme à un complexe culturel entre la religion et la magie : « puisque le monde surnaturel est le monde de la religion, le chamanisme joue donc un rôle religieux » et « il n’est pas interdit de supposer que toutes les expériences extatiques à l’origine de renouveaux religieux remontent aux chamans des temps anciens ».
Michel Perrin définit le chamanisme comme l’un des grands systèmes imaginé par l’esprit humain dans diverses régions du monde pour donner sens aux événements et pour agir sur eux. Selon lui, il implique une représentation bipolaire de la personne et du monde. L’être humain serait l’association d’un corps et d’une composante non matérielle, l’« âme », qui préexisterait à la naissance et survivrait à la mort. Le monde est également biface. Il y aurait un monde visible, connu de tous et un « monde-autre » peuplé d’esprits. Pour les religions, c’est le monde des dieux et de leurs émissaires, pour les chamanes, c’est celui des esprits de toutes sortes, des maîtres des animaux ou des végétaux, des ancêtres, voire des enfants à naître ou avortés… Perrin considère que c’est aussi le monde que décrivent les mythes. Le chamanisme suppose donc que certains humains savent mieux que d’autres entrer en communication avec ce « monde-autre ». Ils peuvent le voir et le connaître, alors que les profanes ne peuvent que le subir ou le pressentir, en avoir l’intuition. Les chamanes seraient des êtres choisis par ce « monde-autre » pour communiquer avec les communautés humaines. Selon Perrin, le chamanisme est une sorte de religion, dès lors qu’on définit une religion comme une représentation du monde selon laquelle pour bien agir dans ce monde, il faut poser des actes découlant des croyances et représentations que cette religion met en place.
À l’inverse des positions de Perrin, Wilhelm Schmidt considère le chamanisme comme de la magie, voire comme une forme religieuse en dégénérescence.
À mi-chemin entre ces deux positions, Bertrand Hell souligne que le chamanisme, à l’instar de la possession, est placé sous le signe de l’efficacité pratique et pragmatique, rejoignant par là Marcel Mauss pour qui la magie est la manipulation des forces immanentes, alors que la religion s’attache plus à la métaphysique, la transcendance et à un au-delà meilleur. Le chaman tient son rang dans la collectivité de l’efficacité de son art pour maîtriser l’immaîtrisable : la mort, la souffrance et le deuil.
L’observation, par des médecins et administrateurs coloniaux, de la visée thérapeutique du comportement du chaman conduit d’aucuns à douter de son caractère religieux, rejoignant le renoncement de théories sociologiques à le définir comme tel, par exemple du fait de l’absence de doctrine, de clergé et de liturgie.
L’anthropologie de Roberte Hamayon ramène le chamanisme à un mode d’organisation des expériences des individus chamanes. Pour Hamayon, le chamanisme, qui s’enracine dans la vie de chasse, est, à ce titre, conditionné par le constat empirique « [du] caractère imprévisible de l’apparition du gibier », « la pensée chamanique s’interprète comme la création de moyens symboliques pour agir sur cet aléa »… « les changements dans la place et la nature des aléas commandent l’évolution du chamanisme. » Au centre des rituels chamaniques bouriates, un jeu rituel fait appel au hasard, ce qui rappelle et symbolise pour Hamayon les aléas de la vie de chasse, mais aussi « récuse la transcendance et impose l’altérité ». On peut noter que les Bouriates étudiés par Hamayon se définissaient eux-mêmes comme peuples à chamanes, se différenciant ainsi des peuples à dieux tels les Russes lors de la colonisation.
On voit par ce débat que cette question de l’assimilation ou non du chamanisme à la religion a permis aux théoriciens de s’interroger quant à la nature du phénomène religieux, conduisant à une conceptualisation plus explicite. Ainsi, Hayamon en vient-elle à opposer religions universalistes, qui renvoient à un mode de vie organisé dans lequel « l’ordre humain prime sur l’ordre naturel », axées sur le salut de l’âme dans l’au-delà, au chamanisme, où l’ordre naturel prime par l’alliance de l’humain avec les esprits.
Se rapporter à d’autres êtres comme s’ils étaient des parents est un thème omniprésent dans les études actuelles sur l’animisme, comme l’a montré Bird-David. Il n’est pas rare de constater que les termes de parenté sont étendus à d’autres êtres dans les sociétés animistes, qui peuvent partager un point d’origine commun avec les humains, mais en tant qu’êtres autres-que-humains.
Comme le suggère Morten Pedersen pour les peuples d’Asie du Nord, de la Sibérie à la Mongolie, il importe de reconnaître que les sensibilités animistes ne se concentrent souvent que dans les bonnes circonstances, contextes et moments. Une personne peut avoir besoin de certaines facultés, comme une ouverture imaginative sur le monde, pour percevoir les sensibilités animistes d’autres êtres et choses.
Les spécialistes religieux, tels que les chamans, se voient souvent attribuer des qualités « inspirées » qui leur permettent de percevoir des sensibilités animistes qui restent imperceptibles pour les personnes ordinaires.
Tentatives de définition
M. Eliade, reconnu comme un précurseur des études sur le chamanisme, souligne que le chaman est un personnage social (homme ou femme) qui joue le rôle de soignant dans sa communauté. Walsh considère que la définition la plus inclusive consiste à dire que le chaman est un spécialiste qui entre de manière contrôlée dans un état de conscience modifiée (ECM) pour le compte de sa communauté. Cependant, Eliade comme Walsh précisent que de tels spécialistes peuvent aussi être, par exemple, un yogi qui entre en samadhi, un médium qui bascule en état de transe et prétend parler en lieu et place d’un esprit, ou encore un sorcier. Cette définition large qui associe ces pratiques ECM au chamanisme doit être dépassée.
Walsh suggère qu’il faut préciser la nature de l’état de conscience. Il suit en cela Mircea Eliade qui définissait le chamanisme comme une technique d’accès à l’extase. Pour ce spécialiste des phénomènes religieux, l’extase implique que l’individu sorte de son état ordinaire pour être transporté et s’élever « au-dessus de la nature humaine ». La capacité particulière du chaman soulignée par ce mot d’extase est celle qui le rend apte au voyage chamanique, c’est-à-dire capable de circuler dans les mondes parallèles du dessus ou du dessous. Dans les mots d’Eliade, « Le chaman est un spécialiste d’une transe, pendant laquelle son âme est censée quitter le corps pour entreprendre des ascensions célestes ou des descentes infernalesp23. »
En état de transe, il communique avec le monde des esprits et obtient de ces derniers l’information nécessaire pour résoudre les difficultés personnelles ou collectives qu’on lui soumet.
Les expériences spirituelles sur lesquelles insiste Eliade renvoient donc à la fois aux techniques utilisées pour les induire et à la cosmologie particulière à laquelle elles permettent d’accéder. Cette cosmologie consiste le plus souvent en trois niveaux : le monde ordinaire ou monde du milieu, le monde souterrain et le monde céleste. En circulant dans ces trois espaces, le chaman peut rencontrer des animaux ou esprits qui les habitent, il y trouve des explications sur les difficultés du monde, acquiert des pouvoirs ou des solutions pour répondre aux problèmes de ceux qui le consultent.
Walsh résume dès lors en trois éléments le chamanisme :
- Les chamanes ont la capacité d’entrer volontairement dans des états de conscience modifiée ;
- Dans ces états, ils voyagent dans d’autres univers que celui que nous connaissons habituellement ;
- Ils mettent à profit ces voyages pour acquérir des pouvoirs et pour aider des membres de leur communauté.
Harner ajouterait à cette définition le contact avec une dimension de la réalité ordinairement non accessible. Il souligne que le chaman est habituellement lié à un ou plusieurs esprits souvent animaux qui l’assistent tout particulièrement dans son travail au service de la communauté. La réalité non ordinaire à laquelle le chamane accède inclut des esprits de la nature ou les âmes des animaux, mais aussi les ancêtres du clan, les âmes des enfants à naître, les âmes des malades à guérir ou de personnes avec lesquelles on est en conflit.
Roberte Hamayon caractérise le chamanisme de Sibérie ainsi : il s’agit d’une « procédure de médiation » (Eliade parle de psychopompe), rudimentaire et bonne à tout faire supposant une « conception spécifique » de l’homme, du monde et de la société ainsi que de leurs relations.
La notion d’échange est au cœur de la pensée chamaniste : Hamayon se démarque des auteurs précédents en considérant qu’il existe un lien fondamental entre la chasse, l’alliance et le chamanisme ; ainsi, propose-t-elle l’hypothèse selon laquelle le chamanisme serait typique des sociétés centrées sur la chasse. Ceci en raison d’un rapport de nécessité spécifique de ces sociétés qui, pour elle, caractérise le chamanisme à un niveau très général : la difficulté de ces communautés primitives à faire face à l’aléatoire, les angoisses que cette imprévisibilité provoque. La réduction et la mise sous contrôle de ces aléas seraient la fonction du chamane, qui officierait par un échange avec les esprits censés gouverner le monde, lors du voyage chamanique accompli lors de la transe.
Le chamanisme est donc une conduite, une recherche d’efficacité, une technique, à restituer dans le tout de la société. Il remplirait une fonction de réassurance face à la nécessité de s’adapter à des situations difficiles, imprévues, problématiques. Le chamane jouerait un rôle pragmatique de maîtrise des aléas qui effraient la communauté. Le chamane doit en outre montrer sa disponibilité pour servir la communauté. Pour Hamayon, les traits essentiels du chamanisme, dans les sociétés de chasse, sont : l’alliance avec les esprits de la « sur-nature », le voyage de l’âme, la gestion de l’aléatoire par le rapport entre chamane et esprits. Les spécificités du chamanisme sont indissociables de celles de la communauté pour laquelle et dans laquelle le chamane officie. Ainsi, lorsque la société évolue, les formes prises par le chamanisme évoluent aussi. Cette interdépendance amène Hamayon à noter les transformations dans les spécificités du chamanisme lorsque les sociétés deviennent moins axées sur la chasse pour se structurer progressivement autour de l’élevage, évolutions qu’elle a pu noter en effectuant des comparaisons de différentes pratiques en Sibérie.
La « reconstruction » du chamanisme
La dissonance du point de vue originel conçu comme celui du participant à une société animiste avec la laïcité occidentale moderne a conduit certains anthropologues à s’interroger sur la santé mentale des chamans. Un moyen de légitimer le chamanisme aurait été trouvé par Eliade, Lévi-Strauss et d’autres en « construisant le chamanisme comme psychologie ou thérapie », conduisant à la vulgarisation du « néo-chamanisme » et à l’idée que « les chamans traditionnels entreprenaient des voyages dans l’esprit tandis que les néo-chamans entreprendraient des voyages spirituels » ou « le voyage traditionnel des chamans vers d’autres mondes, de nouveaux mondes entrent dans leurs propres mondes intérieurs qui sont souvent familiers des thérapies jungiennes et autres ».
Graham Harvey soutient ainsi que la psychologisation du chamanisme est un processus de colonisation, et suggère que cela fait partie d’un biais plus large du dualisme moderne: « la célébration de l’expérience intérieure, opposé à la représentation et au rituel extérieurs ». Harvey aborde également les différentes approches des substances utilisées comme auxiliaires par les chamans et autres :
Certains chamans utilisent des préparations ou des dérivés de plantes qui sont communément étiquetées « hallucinogènes » en Occident. L’implicite est que ce que les gens voient et éprouvent à l’aide de telles substances serait une hallucination : fausse vision, délire ou illusion. Accepter l’étiquette, c’est préjuger. Un peu mieux, peut-être, sont des mots qui privilégient l’intériorité des résultats de l’ingestion de ces puissants dérivés et extraits : psychotropes, psychédéliques, psycho-actifs et même enthéogènes. Même les mots qui permettent la possibilité d’expériences « visionnaires » sont problématisés par l’implication possible que ce qui est vu transcenderait le monde ordinaire, c’est-à-dire qu’il ne serait pas « réel ».
Chamanisme dans l’histoire et la préhistoire
Le culte des cervidés célestes au mésolithique
C’est Spitsyne qui a révélé au public la découverte de plaques chamaniques coulées dans le bronze, nommées les plaques de Perm, sur les bords de la Kama et de l’Ob, dans l’Oural. Elles datent du Moyen Âge.
« Recouvertes de figurations mi-humaines mi-cervidés, de têtes d’élans, de dragons, de bêtes à fourrure et d’oiseaux », dont certains à masque humain sur la poitrine. Les créatures bipèdes à figures animales ont été appelées par Spitsyne « souldé ». Sur l’une d’entre elles, « il s’agit de figuration de deux femmes-élanes, debout sur un énorme dragon et formant, à l’aide de leurs têtes d’élanes, la voûte céleste ».
Pour certaines de ces plaques, un parallèle a été fait avec la littérature orale lapone fixée en 1926-1927 et relatant la légende de l’homme-renne. Pour Boris Rybakov le culte des cervidés célestes, évoqué par ces plaques, est très répandu chez les peuples sibériens. Rybakov note un lien avec le chamanisme : « Les femmes-rennes : En entrant, la chamane aperçut deux femmes nues, semblables à des rennes : elles étaient couvertes de poils, portaient des bois sur la tête. Le chamane s’approcha du feu, mais ce qu’il avait pris pour du feu, c’était les rayons du soleil. Une des femmes était enceinte. Elle mit au monde deux faons… La deuxième femme mit aussi au monde deux faons… Ces faons doivent devenir les ancêtres des rennes sauvages et domestiques.
La coiffure chamanique décorée d’un museau d’élan est attestée également par des données archéologiques. On la trouve sur une sculpture d’os provenant de la nécropole mésolithique de l’Île au Renne de l’Onéga (Ve millénaire avant notre ère) et coiffant un officiant s’élevant vers le monde céleste, entouré de deux femmes, la tête tournée vers le chamane. Spitsyne l’identifie au casque de souldé des plaques de Perm. On la trouve aussi sur l’Île au Renne de la Mer de Barents, dans la tourbière de Chiguir dans l’Oural, près de Palanga sur les bords de la Baltique.
Pour Boris Rybakov, le culte des cervidés célestes, étroitement associé au chamanisme, est ainsi attesté au Mésolithique il y a cinq mille ans et dans les mythes cosmogoniques sibériens collectés au xixe et xxe siècles. Son étendue géographique est celle de l’ensemble ethnique toungouse, samoyède et ougrien, mais s’étend bien au-delà d’après ses conclusions (Europe et Asie).
Chamanisme au paléolithique ?
Dès 1952, Horst Kirchner a tenté d’expliquer l’art pariétal européen par un chamanisme paléolithique. Cette hypothèse, critiquée dès le début, a eu ses partisans à la fin du siècle dernier. Reprise par Andreas Lommel en 1960 et en 1964 par l’abbé André Glory, elle est ensuite combattue par André Leroi-Gourhan, pour être de nouveau formulée en 1988 par deux anthropologues d’Afrique du Sud, David Lewis-Williams et T. A. Dowson. Lewis-Williams l’a expliquée sur la base d’une comparaison entre le chamanisme des San (Bushmen) et des peintures pariétales de sites sud-africains. Cette thèse est aussi reprise plus tardivement pour l’art paléolithique eurasiatique par le préhistorien Jean Clottes. Son livre, Des Chamanes de la préhistoire, qui s’appuie sur une double approche, neurophysiologique et ethnologique, a cependant dès sa parution en 1996 suscité une vive controverse, notamment d’experts du chamanisme, de l’art préhistorique et de la neurologie, réunis dans un ouvrage collectif associant ces disciplines, Chamanismes et arts préhistoriques : Vision critique.
Très récemment, Rossano a défendu l’hypothèse selon laquelle les peintures pariétales présenteraient un caractère tel qu’« elles renforcent l’idée selon laquelle ces grottes profondes étaient utilisées pour des rituels chamaniques impliquant des états de conscience modifiés et une union avec le monde des esprits ».
Le chamanisme dans les mythologies des sociétés européennes
La cosmologie indo-européenne ressemble au chamanisme néolithique : l’univers est constitué de trois mondes, le Ciel, la Terre et les Enfers, qui sont reliés par un arbre. La voyance, la divination ou la magie sont plus l’affaire des femmes que des hommes (d’où les croyances aux sorcières). Le chamanisme masculin se voit relégué dans la mythologie tandis que les fonctions sacerdotales sont exercées par une classe de prêtres.
Grèce antique
On qualifie d’« hyperboréens » un peuple mythique de l’Antiquité présocratique. Des spécialistes de cette période, notamment Eric Robertson Dodds, évoquent à leur propos des pratiques chamaniques. Un personnage notable, partiellement mythique, est Abaris le Scythe auquel sont attribués des voyages chamaniques.
Dans la Grèce antique, on connaît le poète Aristée de Proconnèse. Il était transporté au loin lors de « délires apolliniens ». Il abandonnait son corps, qui gisait comme mort. Sur son île, une statue le représentait à côté d’Apollon (Hérodote, IV, 13-15). Pline l’Ancien rapporte qu’elle représentait son âme quittant son corps sous la forme d’un corbeau.
Le chamanisme scandinave

Il y a des exemples très nets de chamanisme dans le monde indo-européen, surtout dans sa mythologie. Ainsi, le dieu Odin des Scandinaves peut quitter son corps, qui gît alors comme endormi, sous une forme animale, et voyager là où il le désire. Il possède un cheval à huit pattes, très rapide (Sleipnir), qui est aussi identifié à un arbre cosmique (Yggdrasil) semblable à celui utilisé par les chamanes lors de leurs voyages. Par ailleurs, Odin est un grand magicien et il peut forcer les morts à livrer les secrets de l’au-delà, ce qui est une prérogative du chamane.
Les Scandinaves considéraient leurs voisins Lapons (de langue finno-ougrienne) comme de grands magiciens. Ils appelaient aussi ce peuple les Samis ou les Sames (singulier Same ou Sami), comme les Lapons se nomment eux-mêmes. De toute évidence, le chamanisme était très développé chez eux. Les chamanes sami étaient appelés des noaide, nojid ou noi’jd. Leurs pratiques ont été décrites au xiiie siècle dans l’Historia Norwegiæ. Ils officiaient grâce à des assistants qui chantaient et ils utilisaient un tambour (comme leurs homologues sibériens) et un marteau de corne. Ils pouvaient prendre une forme animale (renard, zibeline, loup, ours ou renne) pour aller se battre contre un confrère, découvrir un voleur ou même le mutiler à distance, attirer le gibier à portée des chasseurs ou le poisson dans le fjord, provoquer des états d’hypnose ou d’illusion des sens. Les Finno-Ougriens sont originaires des forêts du nord de la Russie. D’une manière ou l’autre, une analyse fine du chamanisme le fait toujours provenir du nord de l’Eurasie.
Freyja, déesse mythique de l’amour physique et de la sensualité, semble posséder des compétences chamaniques. On lui attribue la capacité de se transformer en faucon ou en plume, donc de voyager. La métamorphose et la capacité de s’éloigner de son propre corps sont considérées comme des attributs chamaniques. Le voyage en esprit dans d’autres univers par la transe caractérise Freyja et parfois son époux, Od ou Odur.
Le mot nordique pour désigner les pratiques chamaniques est Seid, elles sont presque exclusivement réalisées par des femmes, usuellement revêtues de peaux ou de plumes représentant les esprits animaux. Elles sont rapportées entrant en transe notamment dans la Saga d’Erik le Rouge. Les traditions nordiques rapportent de grands malheurs lorsque des hommes (et non plus des femmes) pratiquent le Seid.
Chamanisme dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, puis d’élevage

D’après Roberte Hamayon, le chamanisme évolue en fonctions des activités nourricières principales des sociétés. Elle voit les sociétés basées sur la chasse comme structurées par une relation horizontale avec les animaux de la nature et s’inscrivant dans un temps cyclique, annuel. Les animaux sont animés par des esprits, tout comme les ancêtres et les forces naturelles. Le chaman les rejoint dans le monde non sensible de la « surnature ». La chasse induit un échange assez symétrique avec les esprits. Ainsi, le chamane peut-il être lui-même symboliquement dévoré, tout comme le chasseur veut dévorer le gibier. L’essentiel étant que l’échange se maintienne dans un certain équilibre.
Hamayon observe que les formes prises par le chamanisme se transforment lorsque les sociétés deviennent tournées vers l’élevage. Sur le plan sociétal, l’égalité est rompue, le temps devient linéaire avec la question de la transmission du bétail (plus tard des terres) aux générations futures. Pour Hamayon, une logique de la filiation vient se substituer à la logique de l’alliance et cela se reflète dans les relations avec les esprits. L’animal d’élevage n’est plus un égal, ne serait-ce que parce que le troupeau devra être divisé (tout comme les terres plus tardivement) au moment de la succession. Aux côtés des esprits des animaux, apparaissent des esprits à caractère humain, notamment ceux des ancêtres du clan, soucieux de l’équité, du partage et de la prolongation de ce qu’ils ont construit. Le monde des esprits, auparavant confiné à la forêt, s’étire vers le haut et le bas, vers ce qui préfigure le Ciel et les Enfers. Le chamane devient celui qui a la capacité de monter et descendre le long de ces différents niveaux de réalité et de rencontrer des entités des mondes supérieurs et inférieurs. On trouve la structuration en trois niveaux du monde invisible, prisée par Harner qui la considère, lui, comme universelle là où Hamayon la lie aux activités et modes de subsistance dominants dans la communauté du chaman. D’autres anthropologues partagent ce point de vue, ainsi Winkelman note-t-il que si le chamanisme est lié aux sociétés de chasseurs-cueilleurs, « il a persisté dans les sociétés agricoles, mais leurs pratiques ont commencé à se transformer du fait de l’évolution des modes de subsistance, de l’accroissement de la complexité sociétale et de l’apparition de nouveaux acteurs religieux tels que les prêtres ».
Principes du chamanisme
Le chamane

Le chamane a été vu tour à tour comme un guérisseur, un prêtre, un magicien, un devin, un médium ou un possédé.
Il exerce une pluralité de fonctions au service de sa communauté, comme soigner une maladie, guérir une souffrance, nommer un enfant, faire tomber la pluie, faire venir le gibier, accompagner l’âme des morts ou communiquer avec les esprits de la nature. L’efficacité prétendue des techniques tient au fait que, selon la cosmologie chamanique, tous les problèmes du monde « ordinaire » viennent d’une rupture d’équilibre dans nos relations avec le monde invisible. En intercédant avec les esprits, le chamane obtient des solutions pour rétablir l’équilibre.
Pour communiquer avec les esprits, le chamane se met en transe grâce à des rituels qui intègrent ou non l’usage de substances psychoactives parfois dites « enthéogènes ». Ces rituels induisent un état psychique particulier, dont les tremblements sont un élément évocateur.
Le chamane peut aussi entrer en rapport avec le « monde-autre » par des rêves ou des techniques de quête de visions.
Le rituel du chamane n’est pas figé, il existe une personnalisation de sa pratique. Chaque chamane l’accomplit différemment des autres.
La « maladie initiatique »
Selon Roberte Hamayon
Elle révèle l’élection du futur chamane. Les symptômes sont conventionnels, attendus, plus ou moins provoqués. Elle est interprétée comme une absence de l’âme qui est partie dans l’au-delà. L’évanouissement est le symptôme caractéristique de la maladie. Dans le cas du chamanisme d’élevage, les esprits se sont humanisés, et l’électeur est l’esprit d’un ancêtre. L’évanouissement est le moment particulier où les ancêtres emmènent l’âme du futur chamane pour y être instruit.
Elle donne l’apparence de la folie et exprime la présence d’un danger de mort. Le premier évanouissement indique une future carrière de chamane.
L’élection du futur chamane est vécue, en général, comme un fléau, aussi bien par le candidat que par la famille de celui-ci. Il y a un danger de mort en cas de refus d’assumer la fonction de chamane. C’est l’esprit électeur qui s’en charge.
Initiation chamanique Yanomani
Grâce à l’initiation, un être humain est élevé à l’état d’être primordial en devenant un hekura, terme décrit par Zeljko Jokic comme désignant à la fois « maladie » et « esprit » chez les Yanomani du Vénézuela.
Si la première naissance humaine était une naissance dans le monde des limites humaines, la renaissance initiatique représente une naissance dans l’immortalité. Ainsi, à la lumière de la description ci-dessus de l’initiation, la mort de l’ego peut être décrite comme un processus de modification radicale du moi égoïque et la reconstitution d’un nouveau moi cosmique, qui englobe le monde en tant que totalité du cosmos. La fusion de l’ego et du monde est réalisée par la rupture de la conscience. La mort de l’ego est, selon Grof, un point culminant de la souffrance et de l’agonie vécues pendant la mort, qui se traduit par une« expérience d’annihilation totale à tous les niveaux : physique, émotionnel, intellectuel, moral et transcendantal… elle [la mort de l’ego] semble impliquer la destruction instantanée de tous les points de référence antérieurs de l’individu. de l’individu » (Grof et Halifax 1977:51) La mort symbolique, dans le contexte de l’initiation chamanique Yanomami peut être découverte comme un moment final de l’initiation.
Elle peut être comprise comme un moment final de transition d’un mode d’être humain à un mode d’être autre. Bien que l’expérience de la mort signifie la fin du soi humain, elle représente en même temps le début ou la naissance d’un nouveau sens du soi cosmique du néophyte. Comme le chaman sacrifie son âme et son humanité aux esprits pendant l’initiation, ces derniers deviennent ses alliés personnels et ses sources de pouvoir. Plus précisément, à travers les expériences de mort et de renaissance, le chaman surmonte la condition humaine, devenant simultanément un esprit hekura vivant et individuel et une collection d’autres hekura. Après son autodissolution et de reconstitution au moment de la mort, le néophyte continue à chanter aux esprits jusqu’à ce qu’il atteigne son premier état de conscience en transe au cours duquel, en fait, il revit sa propre mort. Ce moment est important car il marque officiellement la fin de l’initiation et le début de la reconnaissance de l’individu en tant que chamane au sein de la communauté.
Le dépècement et la dévoration du corps
Les informations de cette section sont empruntées à Hamayon et à Eliade.
Le morcellement du corps, ou dépècement, ou dévoration est une mort rituelle qui est suivie d’une résurrection. Elle marque le passage du profane au sacré, l’initiation par les esprits, et s’inscrit dans le cadre de la « maladie initiatique ».« Ces souffrances physiques correspondent à la situation de celui qui est « mangé » par le démon-fauve, est dépecé dans la gueule du monstre initiatique, est digéré dans son ventre ».
➝ Dans le chamanisme de chasse, le morcellement du corps est le fait des esprits auxiliaires qui mangent la chair et boivent le sang du futur chamane. Il s’agit surtout d’une dévoration interne. À la fin du rituel, le chaman peut alors incorporer les esprits auxiliaires dans les accessoires que la communauté lui a confectionnés. Chaque séance chamanique sera par la suite l’occasion de nourrir les auxiliaires, ce qui est le prix à payer pour le service rendu : il s’agit donc d’un processus continu qui a lieu toute la vie du chamane, ce qui est à mettre en rapport avec son teint blême.« Les esprits lui coupent la tête qu’ils mettent de côté (car le candidat doit assister de ses propres yeux à sa mise en pièces) et le taillent en menus morceaux qui sont ensuite distribués aux esprits des diverses maladies. C’est à cette condition seulement que le futur chaman gagnera le pouvoir de guérir ».
➝ Dans le chamanisme d’élevage, le dépècement s’effectue généralement en une fois, lors de la « maladie initiatique ». C’est une dévoration externe, c’est-à-dire qui a lieu en général en dehors du corps du chamane. Il existe certaines particularités comme la cuisson de la chair et le comptage des os. Elle est l’œuvre des ancêtres. Cependant, dans le chamanisme d’élevage, coexistent des éléments du chamanisme de chasse, ce qui se traduit par l’existence parallèle d’esprits animaux et d’esprit des ancêtres : la dévoration interne continue persiste donc parallèlement.
Toute autre est la dévoration de la chair humaine consécutive à la prédation des esprits, dont l’action entraîne la maladie par le biais du départ de l’âme, voire la mort en cas de départ définitif. Ce cadre est celui de tout un chacun qui peut devenir la proie d’un esprit :« Les hommes sont le butin de la chasse des esprits, comme les rennes sont le butin de la chasse des hommes… le monde des esprits est un monde d’affamés en quête perpétuelle de gibier humain ».
L’esprit électeur et les esprits auxiliaires (alliés)
Les variations concernant ce thème sont très importantes suivant les ethnies et les époques. La distinction entre l’esprit électeur (ou protecteur), et les esprits auxiliaires (ou familiers, ou gardiens) revient constamment.
L’esprit électeur est unique. C’est lui qui choisit le chamane et le protège toute sa vie. Il accorde au chamane le service des esprits auxiliaires auprès desquels il intercède.
Dans les sociétés de chasse, l’esprit protecteur choisit « par amour » son chamane et devient son conjoint surnaturel. Il est l’esprit de la fille ou du fils de la forêt, le donneur de gibier. Son exigence est de l’ordre de la jouissance.
Dans les sociétés d’élevage, l’esprit protecteur est en général l’esprit d’un ancêtre, lui-même ayant été chamane. Et de ce fait l’enseignement du chamane provient souvent de cet esprit, le préparant à des révélations et à des contacts avec des êtres divins ou semi-divins (rôle de psychopompe).
Les esprits auxiliaires sont en général soumis à l’esprit électeur : c’est ce dernier qui les transmet au chamane (chamanisme de Sibérie). Parfois, la transmission se fait par héritage. Parfois leur concours doit être un acte de volonté et de recherche personnelle de la part du chamane (chamanisme nord américain). Pour obtenir leurs services, le chamane doit les nourrir de son propre corps : leur exigence est alimentaire. Ils donnent au chamane les moyens de la chasse dans l’au-delà : ce sont les pouvoirs chamaniques. Chacun est spécialisé dans un service. Un chamane peut en avoir plusieurs ; c’est d’ailleurs au nombre d’esprits auxiliaires qu’un chamane est fort ou faible. La relation d’un auxiliaire au chamane est soit de l’ordre du bienfaiteur, soit de l’ordre du serviteur. Le transfert des esprits auxiliaires se voit et s’effectue dans les accessoires de son costume. La réunion des esprits auxiliaires peut parfois prendre plusieurs années, et fait intervenir une grande partie de la communauté.
La plupart du temps ils ont la forme d’un animal : ours, loup, cerf, lièvre, oie, aigle, hibou, corneille… Ils peuvent également être des esprits de la nature : esprit des bois, de la terre, d’une plante, du foyer, des divinités, des fantômes… Le chamane prend possession de l’esprit auxiliaire au cours de la séance chamanique. Bien plus qu’une imitation de celui-ci, il est identifié à cet esprit et se métamorphose en lui : c’est l’ensauvagement du chamane, suivant Roberte Hamayon. L’auxiliaire a alors un rôle de psychopompe, c’est-à-dire qu’il accompagne le chamane dans l’au-delà : c’est l’expérience ou le voyage extatique du chamane, suivant Mircea Eliade.
Le voyage chamanique
Le chamanisme part du principe que l’âme a la faculté de quitter le corps, historiquement chez tous les humains, mais plus particulièrement chez les chamanes et les héros épiques.
Chez les gens ordinaires, elle le quitte à certains moments particuliers : pendant le rêve, l’ivresse et la maladie. Ces voyages ne sont pas contrôlés. Chez le chamane, le départ de l’âme s’expérimente d’abord au cours de la maladie initiatique (absence d’âme), puis par la suite au cours des séances chamaniques (ensauvagement selon Roberte Hamayon), des voyages dans les mondes des esprits (l’extase de Mircea Eliade). Il réalise ici-bas et autant de fois qu’il le désire la « sortie du corps ».
Les voyages de « l’âme » sont des thèmes récurrents de la littérature, des mythes, des récitations d’épopées.
Il existe une similitude entre les récits des extases chamaniques et certains thèmes épiques de la littérature orale : l’aventure héroïque s’apparente au voyage du chamane dans la « surnature ». Souvent il s’effectue sous la forme et l’apparence d’animaux, notamment d’oiseaux. Ce peut être des cygnes, porteurs d’âmes par excellence : ils rapportent de l’âme pour les enfants et les animaux à naître, témoignant de l’animation et du renouvellement de la vie.
De retour, le chamane raconte ce qu’il a vu ou ce qu’il a fait. Il peut le mimer également, le chanter, le danser, l’accompagner de cris et d’exclamations. Pour Mircea Eliade, la danse peut faire partie intégrante de l’extase, de même que l’imitation des gestes d’un animal. Lorsqu’il s’agit de répondre aux questions de l’assistance, c’est parfois l’esprit qui habite le chamane qui parle.
Le vol magique du chamane est indissociable de la cosmologie chamanique. Il est divisé en trois parties : le ciel, la terre et les Enfers, monde des ancêtres. Harner n’a pas voulu adopter au chamanisme cette association chrétienne, lui comme la fondation pour l’étude du chamanisme parlent de monde du dessus, de monde du dessous et de monde du milieu.
Le vol traduit la transcendance du chamane par rapport à la condition humaine et l’autonomie de son âme. Il renvoie également à l’intelligence et la compréhension des choses secrètes et des vérités métaphysiques. Parce qu’il est capable de monter et de descendre dans les sphères, les esprits peuvent s’incorporer dans le chamane ou dialoguer avec lui.
Le vol s’effectue donc vers le haut et vers le bas :
- vers le haut, le chamane peut passer par l’orifice de l’étoile polaire, le clou du ciel, ou le nombril du ciel ;
- vers le bas, c’est la descente sous terre, ou au fond de la mer.
Graham Harvey, spécialiste en études religieuses à l’Open University, a remis en cause la vison de Mircéa Eliade qui est pour lui une reconstruction religieuse typique de la laïcité occidentale.
Cela commence par l’idée que les chamans réussissent à voyager « au-delà des contraintes de l’incarnation physique et de l’emplacement » , et dans un royaume supérieur et non matériel : le voyage du chaman depuis le profane (lequel serait non seulement banal mais conçu négativement) vers un monde à la pureté immuable de l’éternité – dans le rituel et surtout dans l’ascension chamanique – est définitif de toute vraie religion pour Eliade. Plus explicitement, il est au cœur de la religion comme Eliade pensait qu’il devrait l’être.
Le tambour et le costume
Le costume du chamane est souvent fait de peau et de plumes. Il symbolise pour Eliade la transformation en l’animal, souvent un oiseau qui personnifie la possibilité de voler, d’incarner l’âme du chamane qui vole d’un espace à un autre.
Le tambour est très fréquent chez les chamanes. D’autres instruments peuvent s’y substituer : des cannes chevalines, une cloche, une guimbarde… L’animation du tambour est cruciale pour l’entrée en transe.
La peau du tambour porte souvent un dessin de cervidé à large ramure et le tambour est parfois considéré comme un support ou un lieu de rassemblement des esprits (auxiliaires notamment).
Le chamanisme dans le monde
Le chamanisme tibétain
Selon Eliade, le Tibet connaît un rite tantrique, le Chöd (ou gchod, pouvant se traduire par « banquet macabre ») qui est clairement chamanique dans sa structure. Il a été décrit pour la première fois par Alexandra David-Néel en 1929 et est encore pratiqué aujourd’hui, selon le lama Khenpo Tseten. Il s’agit, essentiellement par de la musique et de la danse, de convier des esprits à un festin principalement composé de la chair des officiants.
Le lama qualifie la pratique de véritable « offrande mentale de son corps aux démons et êtres effrayants qui rôdent ». Les démons étant, selon la lecture bouddhiste du lama, les constructions mentales de l’esprit du pratiquant.
Ce thème du dépècement et de la dévoration rencontré au Tibet est très proche de ce qui a été décrit en Amérique du Nord.
Eliade évoque également le Livre tibétain des morts (Bardo Thödol) comme une preuve de la vitalité du chamanisme tibétain antérieurement au développement du bouddhisme et son intégration par ce dernier.
Le chamanisme chinois
Le chamanisme existe depuis longtemps en Chine. Il a été repris par le taoïsme. Selon un ouvrage du iiie siècle, le Baopuzi, le prêtre connaît des voyages extatiques qui l’emmènent au ciel, où il peut rencontrer dieux, ancêtres, et trouver des remèdes médicaux. Il est aidé par des animaux (dragons, tigres, phœnix, cerfs, quilins, singes…).
Sous la dynastie Qing mandchoue un chamanisme comportant des éléments bouddhistes, comme le chamanisme jaune, était codifié par des lois.
Le chamanisme coréen
Le chamanisme coréen comporte certaines proximités avec les chamanismes toungouses et mongols, étant proche de ces cultures. Il a également été grandement influencé par la Chine.
Le chamanisme corse
En Corse, peut être trouvé le Mazzeru (voir Mazzérisme). Le Mazzeru n’est pas toujours considéré comme faisant partie du « monde ordinaire » à part entière. N’étant ni du monde des vivants, ni du monde des morts, il se situe plutôt à la limite de ces deux mondes. Il est également désigné, selon les régions, sous les noms de Culpadore, d’Acciacatore et bien sûr de Mazzeru. Ces trois termes sont formés à partir des verbes acciacà, culpà, amazzà, qui signifient «tuer» en frappant. Cette fonction de tuer provient de la capacité du Mazzeru à « chasser en rêves ». Lors du sommeil du Mazzeru son double spirituel va dans le monde des rêves participer à une partie de chasse, le Mazzeru tuant le premier animal (sauvage ou domestique) qu’il croise (souvent un cerf, un mouton ou un mouflon). En retournant la bête sur le dos, la tête de celle-ci se transformera en visage humain. Cet humain, connu du Mazzeru, est condamné à mourir entre trois jours et un an plus tard.
Chamanisme Hmong-Miao
Chez les Hmong du Laos, comme dans la majorité des chamanismes d’Extrême-Orient, le corps comporte plusieurs âmes, certaines pouvant voyager dans des mondes différents de celui des humains, provoquant ainsi maladies et mort. Le chaman grâce à ses pouvoirs va aller se battre dans ces mondes pour récupérer ces âmes.
Chamanisme mexicain
Le psychologue Jacobo Grinberg a étudié et écrit 7 livres sur le chamanisme mexicain (Los chamanes de Mexico, Volume I à VII).
Le chamanisme mongol
Le chamanisme mongol revêt plusieurs formes : le chamanisme ancien, tel que pratiqué par les anciens peuples turcs et proto-mongols de la région. Il est aujourd’hui principalement pratiqué par les Bouriates au sein des peuples mongols. Le tengrisme est issu des anciennes religions turques et a particulièrement été mis en avant par Genghis Khan, fondateur de l’Empire mongol. Des chamanismes sont influencés par le bouddhisme tibétain, comme le chamanisme jaune, ou d’autres courants, comme le chamanisme noir.
Le chamanisme turc
On donne souvent ses origines dans l’Altaï, il est connu pour le khöömii, chant diphonique chamanique. Le tengrisme est la forme principale de chamanisme turc, ou le ciel (tenger) est le principal dieu. Certains mouvements pan-nationalistes turcs le récupèrent pour en faire la religion principale du touran (terme persan pour désigner les cultures sibériennes).
Chamanisme et philosophie
En 1951, Eric Robertson Dodds a publié une étude sur les Grecs de l’Antiquité, The Greeks and the lrrational, dans laquelle il affirmait, entre autres, qu’il y avait eu un afflux d’influences chamaniques dans le monde grec au cours des septième et sixième siècles avant Jésus-Christ.
Ceci a conduit à une nouvelle conception de l’âme humaine et des capacités de l’âme chez les Grecs, qui a ensuite été reprise dans l’orphisme (la légende grecque associait Orphée à la Thrace) et le pythagorisme (la tradition ultérieure, souligne Dodds, a mis Pythagore en contact avec Abaris). Pour Dodds, Pythagore était un type de chamane grec, et ses pratiques et enseignements ont ensuite été formulés en termes philosophiques par Platon. Comme le dit Dodds : Platon a croisé la tradition du rationalisme grec avec des idées magico-religieuses dont les origines les plus lointaines appartiennent à la culture chamanique nordique.
Dodds fait remarquer que dans la littérature du chamanisme, nous rencontrons une manière tout à fait différente de penser l’âme. La pratique du chamane repose sur une concentration intérieure des énergies psychiques, de telle sorte que les forces de l’âme, normalement réparties dans l’organisme psycho-physique, sont rassemblées en une unité. Il était alors possible de faire l’expérience de l’âme en tant qu’entité à part entière, indépendamment du corps.
C’est la base du vol hors du corps ou projection astrale qui, comme nous l’avons vu, était pratiquée par Abaris, Aristeas et Hermotimos. Loin d’être une image vaporeuse ou un eidolon, l’âme était pour ces gens une réalité substantielle et c’était plutôt le corps qui était considéré comme éphémère et finalement insubstantiel. Selon Dodds, ce point de vue, fondé sur les pratiques spirituelles des chamanes nordiques, a ensuite été repris dans l’orphisme et le pythagorisme, où l’on retrouve la nouvelle formulation : le corps est la prison de l’âme, voire son tombeau.
Chamanisme dans l’art et la culture
Pratiques de revitalisation culturelle
Depuis l’époque de l’ex-Union soviétique, le modes de vie des peuples du Nord avaient été changés par la force dans le cadre d’une politique communiste et qu’ils étaient condamnés à être russifiés.
Après l’instauration de la République de Sakha, en 1990, le gouvernement a encouragé une politique de revitalisation culturelle. Le système éducatif en langue yakoute a étéréorganisée, et l’interdiction du chamanisme et de la pratique de la guérison traditionnelle a été levé. Ainsi, les intérêts ethnologiques et ethnographiques pour les cultures ethniques de la République ont rapidement augmenté, et les activités universitaires et éducatives pour la restauration et la revitalisation de la culture sakha ont été encouragées.
Par exemple, lors de la conférence internationale sur le chamanisme en 1991, les représentations des chamanes ont été présentées sur scène comme un drame théâtral restauré d’après les archives ethnologiques et historiques. En 1999, les représentations dramatisées de chamans étaient toujours diffusées à la télévision.
Sous le titre de culture traditionnelle, ces mesures politiques se sont axées sur le rétablissement des cérémonies rituelles ethniques, les pratiques de guérison, la vision du monde chamanique, les épopées et narrateurs, les chansons, les danses, les costumes et la cuisine. En outre, dans le processus de revitalisation, le chamanisme a été relancé de façon moderne en mentionnant les expériences surnaturelles et les interprétations des chamans à ce sujet, pour contribuer à reconstruire l’identité culturelle.
Listes d’œuvres représentant le chamanisme
Cinéma :
- 2004 : Blueberry, l’expérience secrète de Jan Kounen, une représentation du chamanisme américain natif au cinéma.
- 2019 : Un Monde plus grand de Fabienne Berthaud, adaptation du livre Mon Initiation chez les chamanes de Corine Sombrun.
Voir notre précédent article sur ce thème avec 2 vidéos
SOURCE : https://450.fm/2022/09/15/regard-sur-le-chamanisme/
La Rose et le Lotus… ou le R.E.A.A. et le Bouddhisme 27 juillet, 2022
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireLa Rose et le Lotus… ou le R.E.A.A. et le Bouddhisme

Être initié n’est pas le fruit d’un hasard, mais plutôt celui d’une recherche inconsciente, aboutissement de voyages et de rencontres. Ce qui nous pousse à être initié, est purement personnelle, fruit d’idées, de conceptions des choses, définition d’une vision du monde propre à chaque individu. Même si l’initiation est, au départ, centrée sur soi-même, elle ne peut exister qu’à travers l’Autre ou plutôt les Autres, pour finalement créer une œuvre Ternaire.
Cette œuvre conduit l’initié vers la Connaissance, mais il lui faudra encore et encore pratiquer, s’employer à, le « travail ne s’arrête jamais ». C’est pour cela qu’Être initié nous conduit donc naturellement vers un nouveau « savoir-faire », vers un nouveau « savoir-être », « Savoir et ne pas Faire, cela n’est pas Connaître » !
J’ai dans ma vie, vécu deux initiations, tout d’abord à travers le massage Thaïlandais ou NUAT BORAN, puis comme apprenti Franc-maçon au R.E.A.A. Deux pays, deux cultures, deux visions de la spiritualité, et pourtant malgré ce qui semble être des différences, je n’y ai trouvé que des similitudes, comme le symbolisme de la fleur de Lotus chez les Bouddhistes, et la Rose Rouge chez les Francs-maçons, entre autres.
A la suite d’un dysfonctionnement de l’épaule, et afin d’échapper à une opération chirurgicale, je rencontre un masseur-kinésithérapeute, qui par une méthode non traditionnelle, me soigne l’épaule sans jamais la toucher, en « rééquilibrant mon squelette ».
Quelques années plus tard, je suis en Thaïlande dans le cadre de mon activité professionnelle. Cela fait déjà plusieurs mois que je voyage à travers le monde. Hôtels, avions, travail, le stress, le dérèglement alimentaire, mais aussi cette entrainement dans une spirale ou le temps ne s’arrête pas. Cocktail réussi pour déclencher un mal de dos terrible et douloureux, le corps et l’esprit n’était plus du tout en adéquation ! Ce que nous n’apprenons pas par Sagesse, nous l’apprenons dans la Douleur !
Le chemin de l’initiation au massage, commence banalement vers la recherche d’un massage « traditionnel Thaïlandais ». Contrairement aux idées reçues, cette pratique est née en Inde, il y a plus de 2500 ans, à l’initiative du Docteur Jivako Kumar Bhacca, yogi et ami de l’éveillé Siddhârta Gautama, communément appelé Bouddha. Inspirée du shiatsu, de l’ayurveda et du yoga, cette pratique s’est développée en Thaïlande dans les temples bouddhistes pour apaiser les muscles après les longues heures de méditation ou de travail dans les champs.
Transmis oralement de moine en élève, ce massage, appelé Nuad (pression) Bo Rahn (ancien), a connu un véritable essor dès 1830 lorsque le roi Rama III a créé à Bangkok l’école de Wat Pho. Implantée dans le Temple du Bouddha Couché, cette pratique fait partie d’un « art de vivre » quotidien, familial pour harmoniser le corps et l’esprit.
Je rencontre Samtchu Porn pour la première fois, petite femme âgée de 40 ans, qui me regard dans les yeux en écoutant mon problème, je ne suis pas sûr que sa pratique de l’Anglais soit suffisante, mais l’assurance de son regard me laisse penser « qu’elle Connaît, qu’elle comprend ! ». Quelques instants plus tard, en tenu de « massé », je me retrouve dans ce petit espace de 2,50 m de long pour 1,60 m de large, entourée par des cloisons de bois, sans plafond. D’autres de ces cabines exigus, identiques sont alignées dans cette grande pièce commune. Il y fait sombre, je ne vois pas grand chose, hormis cette natte tressée protégée d’un tissus L’environnement est sobre.
Allongé à même le sol, je sens ses doigts parcourir mon dos, ces gestes sont précis, cherchant, je la devine en train de saisir ce qui me provoque ces douleurs, je le devine car je ne la vois pas. L’exactitude, la justesse, la sûreté de son touché me rassure et me fait penser à celui de mon Kiné en France. Cette femme qui n’a fait aucune école médicale, possède un geste acquis empiriquement, acquis par l’expérience et la pratique répétée, je découvrirais plus tard qu’il y avait autre chose ! Elle m’explique brièvement d’où viennent mes douleurs en appuyant sur les endroits sensibles. Immédiatement je la reconnais comme maîtrisant son art.
Je me laisse complètement aller, n’offrant aucune résistance, car sans la connaître j’ai confiance. Après 90 minutes de massage, je réalise que tous les gestes, sont des techniques souveraines. Ce qui est marquant, est le silence dans lequel se déroule la séance, pas un mot, pas de paroles, le calme, la pose fait partie de la pratique, ont dirait que le monde est stoppé. Je suis donc, comme un Apprenti en Loge, j’observe, j’écoute, je ressens dans le silence. Je ressens à cet instant sans pouvoir le comprendre, l’état de conscience dans lequel se trouve Samtchu Porn pour exercer sans art.
Sans le vouloir, pendant des mois je retourne voir Samtchu Porn régulièrement, elle me prodigue des soins de plus en plus technique. Je suis émerveillé par ses connaissances, je réalise qu’elles sont de plus en plus sophistiquées, cette science de l’art de dénouer les tensions musculaires et d’en libérer les énergies et d’une efficacité redoutable. En débloquant ces énergies, elle soulage les maux.
Le massage n’est qu’une partie de la philosophie de l’hygiène de vie en Thaïlande, la population estime que chacun de nous est animé par le « Prana », souffle vital qui parcourt le corps suivant des lignes appelées « Sen », ils sont difficiles à appréhender pour les occidentaux, car il faut les ressentir, sans les voir”. Le massage Thaï est une médecine des sens, des sensations, des émotions, sans mots et sans langage. Il n’y a pas d’explication à entendre, il faut ressentir les choses.
Après plusieurs mois de massage régulier, je demande à Samtchu Porn, s’il elle veut bien m’enseigner le Nuat Boran. L’élève trouve son Maître, le maître trouve son élève! J’acquiesce immédiatement un refus, l’élève à trouvé son Maître, mais ce n’est pas réciproque. Ces fins de non-recevoir seront répétées pendant 16 semaines. Apprendre demande de la persévérance, dans ce cas là, il ne s’agit pas de s’inscrire à une formation « catalogue », mais de s’engager dans une expérience, où ni le temps, ni l’argent n’a sa place et d’ailleurs ou rien de ce qui représente nos « valeurs » occidentales n’ont leurs places.
J’accepte donc toutes les conditions de Samtchu Porn, elle m’informe, qu’il me faudra travailler pendant plusieurs heures tous les jours, pas de livres, pas de schémas, aucune explication biomécanique, pas de photos. Je suis cependant autorisé à dessiner à mon domicile les protocoles acquis. Elle me confirme qu’elle ne fixe pas de somme d’argent pour ce « stage », elle laisse cela à ma discrétion, à combien j’évalue cet enseignement ?
C’est donc dans le silence et la pénombre que je dois sentir, ressentir, comprendre, interpréter, visualiser sans voir, les mouvements, les gestes, le positionnement de ces mains, paumes, doigts, genoux, avant-bras, pieds. Le massage Thaï est un équilibre représentant un polygone, où les pieds, les mains, le corps, forment un équilibre harmonieux en trois points, pour que d’en un rythme immuable, prodiguer simultanément, une pression équilibrée et précise, un peu comme la marche de l’éléphant. Il faut donc pratiquer, persévérer, encore et encore.
Sous le flot de mes questions, Samtchu Porn me réponds qu’elle ne sait pas ! et que nous les occidentaux, nous avons le défaut de toujours « chercher à comprendre », il faut donc se laisser-aller et laisser aller !
Plusieurs semaines d’apprentissages se sont écoulées, lorsque qu’un soir, Samtchu Porn me demande si « ça va » ? Je profite pour lui dire de façon la plus honnête et respectueuse, que je m’ennuie, car je n’apprends que des techniques et que je suis venue apprendre comment ressentir et comprendre ces sensations. A cette instant, sans aucun sourire, elle me demande de lui donner 13 baht (environ 0,38€) et de la retrouver demain soir au même endroit. Je ressens à ce moment un basculement dans notre relation, que je ne sais ni comprendre, ni expliquer. Mais je suis toujours dans le même état d’esprit, celui de « faire confiance ».
Le lendemain, Samtchu Porn, m’informe qu’elle est allée au Temple Bouddhiste. Tout d’abord pour demander l’autorisation des moines de la reconnaître comme mon « Maître d’apprentissage » et dans un deuxième temps, de me reconnaître comme un « Neukliane » (traduction phonique), ou “apprenant”. Dorénavant, je suis reconnu comme tel et je devrais avant de commencer tout massage, me présenter devant l’autel de prière, ou siège les statues du Bouddha et celle du Docteur Jivako Kumar Bhacca. Je devrais prier avec elle et ensuite sans elle, chaque fois que je commencerais une journée de massage, ces prières sont à apprendre en Sanskrit (langue de l’époque du Bouddha), je vais les apprendre par cœur, sans difficulté, car avec le « Cœur ».
Les jours qui ont suivie, Samtchu Porn modifia sa méthode d’apprentissage. Par respect je ne peux les communiquer, mais tout était tournée vers le fait de ne pas chercher à comprendre; Entendre l’inouï, voir l’invisible, sentir l’immatériel, ont été mes guides.
Quelques semaines plus tard, Samtchu Porn, m’informe que son travail est fini, et qu’elle n’a “plus rien à m’apprendre”. Je suis bien sûr dévasté par cette nouvelle, car il me semble que j’aurai encore tant de chose à apprendre à ses côtés, tant sa connaissance me semble cyclopéenne. Elle m’informe que pour reconnaître son travail et aller plus loin, je devrais dorénavant me rendre à Bangkok et intégrer l’école de massage de Wat Pho.
Comme une évidence, je m’y suis rendu pour suivre l’ensemble des cours. Je ne sais toujours pas pourquoi, ni comment le Maître qui m’a reçu et formé, à dès le premier jour, sans que je connaisse personnes, sans que je ne parle de Samtchu Porn, sans même ne rien à dire à personne, m’a identifié comme un « Neukliane » ! Là aussi, j’ai reçu un apprentissage différent, chaque Maîtres de cette prestigieuse école, m’en demandais toujours plus, d’aller plus loin, je ressentais la même sensation d’état de conscience enseignées par Samtchu Porn.
Pour finir cette aventure, une fois diplômé de Wat Pho, j’ai parcouru comme un Compagnon, le Nord de la Thaïlande pendant plusieurs mois, à la rencontre d’autres praticiennes et praticiens, d’autres techniques, d’autres méthodes. Décidément le travail ne s’arrête jamais, j’ai rapidement compris que le cycle de l’initiation était celui d’une spirale parcourant par rotation le temps de notre vie.
Prières au Docteur Jivako Kumar Bhacca –
Nous invitons l’esprit de notre fondateur, le Père Docteur « Jivako », qui nous a enseigné tout au long de sa vie sainte.
Veuillez nous apporter la connaissance de la nature et nous montrer la vraie médecine dans l’univers.
A travers cette prière, nous sollicitons votre aide; qu’à travers nos mains, vous apporterez intégrité et santé au corps de la personne que nous massons.
Le dieu de la guérison habite dans les cieux, tandis que l’humanité reste dans le monde en dessous. Au nom du fondateur, que les cieux soient reflétés sur la terre, afin que cette médecine guérissante puisse encercler le monde.
Nous prions pour celui que nous touchons, qu’il soit heureux et que toute maladie soit libérée de lui.
En Loge nous entendons cette phrase « Le bandeau qui couvre vos yeux est le symbole de l’aveuglement dans lequel se trouve l’homme, dominé par ses passions et plongé dans l’ignorance, est-ce de votre propre volonté, en pleine liberté et sans aucune suggestion, que vous vous présentez ici ? » Dit rapidement le Vénérable Maître au postulant après avoir franchit la porte du Temple.
Pour être initié, il faut être libre, c’est à dire accepter de s’aventurer dans une expérience unique. Nous savons aussi que nous ne risquons rien, personne ne va attenter à notre vie, car l’initiation est avant tout symbolique, alors allons voir!! Il y a beaucoup de curiosité dans notre volonté première d’être initié. Nous découvrons bien plus tard que ce n’est pas le fait d’être initié qui nous permet d’être libre, mais bien l’accomplissement d’un travail et d’un devoir.
Sans le savoir, nous entrons dans des voies où il n’y a rien « à Voir » … le bandeau du néophyte, l’obscurité du box de massage, le faible éclairage du Temple, nous montre que la voie que nous nous apprêtons à suivre sera celle du cœur et non celle de la raison. Le silence est prédominant, il n’y a rien à dire, non plus … Il va nous falloir nous ouvrir et accepter l’espace du vide dans notre essence, « l’ouverture d’esprit n’est pas une fracture du crâne » disait Pierre DESPROGES ! Stopper le monde, ouvrir notre personnalité, laisser aller notre intelligence, déconstruire nos certitudes, et tout cela pourquoi ?
Ce qui nous rassemble et nous ressemble, et le fait de vouloir nous détacher de la « Souffrance », comme le définit Matthieu RICARD (docteur en génétique cellulaire, moine bouddhiste tibétain, auteur et photographe) dans son livre « Le moine et le Philosophe », « la souffrance est un état d’insatisfaction profonde est parfois associé à la douleur physique, mais qui est avant tout une expérience de l’esprit », elle naît du désir, de l’attachement, de la haine, de l’orgueil, de la jalousie, du manque de discernement et de tous les facteurs mentaux que l’on appelle « négatif » ou « obscurcissant, parce qu’ils troublent l’esprit et le plonge dans un état de confusion et d’insécurité ».
Nous allons devoir trimarder de Loge en Loge, de livre en livre, d’occasion en occasion, sur un chemin personnel. Aller à la rencontre de l’Autre, cette Autre qui ne nous ressemble pas, qui nous dérange et que notre regard aveugle nous limite de voir ; Le Prologue de St JEAN nous permet d’aller plus loin : « La vrai Lumière était celle qui éclaire tout homme venant en ce monde. Il était dans le monde; le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu : à ceux-là qui croient en son nom, qui ne sont nés ni du sang, ni du désir de la chair, ni du désir de l’Homme, mais de Dieu ». Mais avons-nous vraiment enlever ce bandeau à la fin de notre initiation ?
Ce bandeau couvre nos yeux, représente le symbole de notre aveuglement dans lequel se trouve l’Homme, dominé par ses passions et plongée dans l’ignorance, ce que nous pourrions appeler la « souffrance » (voir les quatre nobles vérités du Bouddhisme).
Mais ne regardons pas trop cette Lumière car les yeux de notre esprit ne sont pas encore disposés à « voir ». L’initiation est surprenante, nous venons chercher la lumière mais ne devrions-nous pas plus tôt avancer sur le chemin de « l’Outre-Noir » propre au peintre Pierre SOULAGE. Car il n’y a pas de noir absolu, même si par exemple le Carbone absorbe 99,99% de lumière ! il reste toujours de la Lumière « l’Outre-Noir est une lumière, pour dire au delà du noir, une lumière reflétée, transmutée par le noir, Outre-Noir, Noir qui cessant de l’être devient émetteur de clarté, de lumière secrète. »
Ce carbone pour les Bouddhistes est composé des trois poisons que sont la soif ou l’avidité, la colère ou l’aversion, et l’ignorance. L’initiation nous offre l’ouverture d’une porte que nous possédons en nous, porte sur laquelle commence un chemin. Celui de l’Inconscient, révélateur de chaos dans un premier temps, ce qui nous plonge dans l’Avoir, du Faire et du Être dans un second temps. Puis s’offrira à nous des choix tirés de l’inconnu à nous de donner du sens, d’être créateur et responsable, et de cet instant nous pourrons nous « Autoriser », nous « permettre » de poursuivre en prenant le pouvoir de notre vie, être dans cet état de conscience de guérison de nous-même, pour que la spirale de l’espace de notre temps, nous transforme en Être, un Avoir et un Faire (voir Martine DUSSART – Les trésors oubliés de l’arc-en-ciel – Tome 8 – martine-dussart.be).
Cette voie sur laquelle nous nous engageons, va nous transformer quoi qu’il en soit en combattant. Nous devons puiser dans notre courage, notre persévérance, lutter contre l’adversité. Dans la plupart des spiritualités orientales, le travail consiste à faire mourir l’ancienne personne en nous pour renaître, c’est à partir de la mort que la vie s’envisage !
Nous avons le privilège d’être Bouddhiste et Franc-Maçon, issu de la culture de la Rose et du Lotus. Cette Voie du milieu, ou plutôt c’est deux voies du milieu, médiane, nous dote de parvenir à l’éveil et à la libération de la souffrance : la juste intention, la juste vision, la juste action, la juste parole, la juste conscience, la juste subsistance, la juste concentration, le juste effort !
« Je t’aime comme le soleil aime la pluie, comme la pluie aime le soleil, c’était pas gagné… » Thierry C.
Thierry est un des collaborateurs de LA LETTRE DES DEUX VOIES pour favoriser des échanges et des liens entre Francs-Maçon (nes) qui sont déjà dans une démarche bouddhiste ou qui souhaite connaître un peu mieux le bouddhisme.
La lettre est trimestrielle et gratuite, on peut s’y inscrire en précisant son Ob., sa L. et la Ville de résidence à ce mail : lesdeuxvoies@orange.fr
SOURCE :
Les Vers Dorés des Pythagoriciens 24 juillet, 2022
Posté par hiram3330 dans : Contribution , ajouter un commentaireLes traductions des « vers d’Or » sont nombreuses, celle de Mario Meunier est à la fois élégante et fidèle, il a également traduit les commentaires d’Hieroclès.Celle que Fabre d’Olivet (1768 – 1825) publia en 1813, est moins fidèle au mot à mot, plus poétique, elle incite à la méditation.
Les travaux sur Pythagore sont nombreux et nous n’en citerons aucun : le petit livre d’Ivan Gobry « Pythagore ou la naissance de la philosophie », dans la collection Philosophes de tous les temps, chez Seghers, est un condensé très complet de la doctrines et des principales études sur Pythagore.
L’apport de pythagoriciens aux Arts Libéraux est déterminant par les rapports qu’ils établissent entre eux, tous connaissent le théorème de Pythagore qui n’est autre que la 47° proposition du Premier livre des éléments d’Euclide et sa table de multiplication. Si l’on en croit Boëce, c’est a son école que l’on doit des connaissance musicales étonnantes pour l’époque. (Il est difficile de se défaire de la tendance à croire que les anciens nous étaient inférieurs).
Sa distinction entre le chiffre et le nombre, ce dernier représentant l’harmonie de la nature, est importante, même si elle a dégénéré en superstitions idiotes.
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Traduction de Mario MEUNIER
l’Artisan du livre 1931 (1ère éd. 1925)
Editions de la Maisnie – Guy TREDIANEL – 1993
Honore en premier lieu les Dieux immortels dans l’ordre qui leur fut assigné par la Loi.
Respecte le Serment. Honore ensuite les Héros glorifiés.
Vénère aussi les Génies terrestres, en accomplissant tout ce qui est conforme aux lois.
Honore aussi et ton père et ta mère et tes proches parents.
Entre les autres hommes, fais ton ami de celui qui excelle en vertu.
Cède toujours aux paroles de douceur et aux activités salutaires.
N’en viens jamais, pour une faute légère, à haïr ton ami,
quand tu le peux: car le possible habite près du nécessaire.
Sache que ces choses sont ainsi, et accoutume-toi à dominer celles-ci :
la gourmandise d’abord, le sommeil, la luxure et l’emportement.
Ne commets jamais aucune action dont tu puisses avoir honte, ni avec un autre,
ni en ton particulier. Et, plus que tout, respecte toi toi-même.
Pratique ensuite la justice en actes et en paroles.
Ne t’accoutume point à te comporter dans la moindre des choses sans réfléchir.
Mais souviens-toi que tous les hommes sont destinés à mourir :
et parviens à savoir tant acquérir que perdre les biens de la fortune.
A l’égard de tous les maux qu’ont à subir les hommes de par le fait des arrêts augustes du Destin,
acceptes-les comme le sort que tu as mérité; supporte-les avec douceur et ne t’en fâche point.
Il te convient de remédier, dans la mesure que tu peux. Mais pense bien à ceci :
que la Destinée épargne aux gens de bien la plupart de ces maux
Beaucoup de discours, lâches ou généreux, tombent devant les hommes;
ne les accueille pas avec admiration, ne te permets pas de t’en écarter.
Mais si tu vois qu’on dit quelque chose de faux supporte-le avec patience et douceur.
Quant à ce que je vais te dire, observe-le en toute circonstance.
Que jamais personne, ni par ses paroles ni par ses actions, ne puisse jamais
t’induire à proférer ou à faire ce qui pour toi ne serait pas utile.
Réfléchis avant d’agir, afin de ne point faire des choses insensées,
car c’est le propre d’un être malheureux de proférer ou de faire les choses insensées.
Ne fais donc jamais rien dont tu puisses avoir à t’affliger dans la suite.
N’entreprends jamais ce que tu ne connais pas; mais apprends
tout ce qu’il faut que tu saches, et tu passeras la vie la plus heureuse.
Il ne faut pas négliger la santé de ton corps,
mais avec mesure lui accorder le boire, le manger, l’exercice,
et j’appelle mesure ce qui jamais ne saurait t’incommoder.
Habitue-toi à une existence propre, simple :;
et garde-toi de faire tout ce qui attire l’envie.
Ne fais pas de dépenses inutiles, comme ceux qui ignorent en quoi consiste le beau.
Ne sois pas avare non plus: la juste mesure est excellente en tout.
Ne prends jamais à tâche ce qui pourrait te nuira, et réfléchis avant d’agir.
Ne permets pas que le doux sommeil se glisse sous tes yeux,
avant d’avoir examiné chacune des actions de ta journée.
En quoi ai-je fauté ? Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je omis de ce qu’il me fallait faire ?
Commence par la première à toutes les parcourir. Et ensuite,
si lu trouves que tu as commis des fautes, gourmande-toi; mais, si tu as bien agi, réjouis-toi.
Travaille à mettre ces préceptes en pratique, médite-les; il faut que tu les aimes,
et ils te mettront sur les traces de la vertu divine,
j’en jure par celui qui transmit à notre âme le sacré Quaternaire,
source de la Nature dont le cours est éternel.Mais ne commence pas à prendre à tâche une oeuvre
sans demander aux Dieux de la parachever. Quand tous ces préceptes te seront familiers,
tu connaîtras la constitution des Dieux Immortels et des hommes mortels, tu sauras
jusqu’à quel point les choses se séparent, et jusqu’à quel point elles se rassemblent.
Tu connaîtras aussi, dans la mesure de la Justice, que la Nature est en tout semblable à elle-même,
de sorte que tu n’espéreras point l’inespérable, et que plus rien ne te sera caché.
Tu sauras encore que les hommes choisissent eux-mêmes et librement leurs maux,
misérables qu’ils sont; ils ne savent ni voir ni entendre les biens qui sont près d’eux.
Peu nombreux sont ceux qui ont appris à se libérer de leurs maux.
Tel est le sort qui trouble les esprits des mortels, Comme des cylindres,
ils roulent çà et là, accablés de maux infinis.
Innée en eux, en en effet, l’affligeante Discorde les accompagne et leur nuit sans qu’ils s’en aperçoivent;
il ne faut point la provoquer, mais la fuir en cédant.
O Zeus, notre père, tu délivrerais tous les hommes des maux nombreux qui les accablent,
si tu montrais à tous de quel Génie ils se servent !
Mais toi, prends courage, puisque tu sais que la race des hommes est divine,
et que la Nature sacrée leur révèle ouvertement toutes choses.
Si elle te les découvre, tu viendras à bout de tout ce que je l’ai prescrit;
ayant guéri ton âme, tu la délivreras de ces maux.
Mais abstiens-toi des aliments dont nous avons parlé, en appliquant ton jugement
à tout ce qui peut servir à purifier et à libérer ton âme. Réfléchis sur chaque e chose,
en prenant pour cocher l’excellente intelligence d’en-haut.
Et si tu parviens, après avoir abandonné ton corps, dans le libre éther,
tu seras dieu immortel, incorruptible, et à jamais affranchi de la mort.
LES VERS DORES DES PYTHAGORICIENS
Traduction de FABRE D’OLIVET (1813)
PRÉPARATION
Rends aux Dieux Immortels le culte consacré;
Garde ensuite ta foi : révère la mémoire
Des Héros bienfaiteurs, des Esprits Demi – Dieux
PURIFICATION
Sois bon fils frère juste, époux tendre et bon père
Choisis pour ton ami l’ami de la vertu,
Cède à ses doux conseils, instruis – toi par sa vie
Et pour un tord léger ne le quitte jamais,
Si tu le peux du moins: car une loi sévère
Attache la puissance à la Nécessité.
Il t’est donné pourtant de combattre et de vaincre
Tes folles passions; apprends à les dompter,
Sois sobre, actif et chaste; évite la colère.
En public, en secret, ne te permets jamais
Rien de mal; et surtout respecte – toi toi – même.
Ne parle ni n’agis point sans avoir réfléchi,
Sois juste. Souviens – toi qu’un pouvoir invincible
Ordonne de mourir; que les biens , les honneurs
Facilement acquis sont faciles à perdre.
Et quant aux maux qu’entraîne avec soi le Destin
Juge – les ce qu’ils sont: supporte – les et tâche
Autant que tu pourras d’en adoucir les traits:
Les Dieux aux plus cruels n’ont pas livré les sages.
Comme la Vérité, l’erreur a ses amants:
Le philosophe approuve ou blâme avec prudence
Et si l’erreur triomphe, il s’éloigne, il attend.
Écoute et grave bien en ton cœur ces paroles:
Ferme l’œil et l’oreille à la prévention;
Crains l’exemple d’autrui, pense d’après toi – même
Consulte, délibère et choisis librement.
Laisse les fous agir sans but et sans cause.
Tu dois dans le présent contempler l’avenir;
Ce que tu ne sais pas, ne prétends pas le faire;
Instruits – toi: tout s’accorde à la constance, au temps.
Au corps les aliments, à l’esprit le repos.
Trop ou trop peu de soins sont à fuir car l’envie
A l’un et l’autre excès s’attache également.
Le luxe et l’avarice ont des suites semblables
Il faut choisir en tout le milieu juste et bon.
PERFECTION
Que jamais le sommeil ne ferme ta paupière
Sans t’être demandé: Qu’ai – je omis? Qu’ai-je fait
Si c’est mal abstiens – toi, si c’est bien persévère.
Médite ces conseils, aime – les , suis – les tous:
Aux divines Vertus ils sauront te conduire.
J’en jure par celui qui grava dans nos coeurs
La Tétrade sacrée, immense et pur symbole,
Source de la Nature et modèle des Dieux.
Mais qu’avant tout ton âme , à son devoir fidèle,
Les Dieux dont les secours
Peuvent seuls achever tes oeuvres commencées.
Instruit par Eux, alors rien ne t’abusera:
Des êtres différents tu sondera l’essence,
Tu connaîtras de Tout le Principe et la fin
Tu sauras, si le Ciel le veut, que la Nature,
Semblable en toutes choses est la même en tous lieux.
En sorte qu’éclairé sur les droits véritables,
Ton coeur, de vains désirs ne se repaîtra plus.
Tu verras que les maux qui dévorent les hommes
Sont le fruit de leurs choix et que ces malheureux
Cherchent loin d’eux les maux dont ils portent la source.
Peu savent être heureux: jouets des passions,
Tour à tour ballottés par des vagues contraires.
Sur une mer sans rive, ils roulent aveuglés,
Sans pouvoir résister ni céder à l’orage.
Dieux vous les sauveriez en dessillant leurs yeux…
Mais non, c’est aux humains dont la race est divine
A discerner l’erreur, à voir la Vérité.
La Nature les sert, toi qui l’a pénétrée
Homme sage, homme heureux, respire dans le port.
Mais observe ses Lois , en t’abstenant des choses
Que ton âme doit craindre en les distinguant bien,
En laissant sur ton corps régner l’intelligence,
Afin qu’en t’élevant dans l’Ether radieux
Au sein des Immortels, tu sois un Dieu toi – même.
Les textes ci-dessus ont été informatisés par R. D., qu’il en soit remercié !
Ils évoquent l’adage : La simplicité est le sceau de la Vérité.
La femme prêtresse
Posté par hiram3330 dans : Contribution,Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireLa femme prêtresse
La femme prêtresse par Jules Bois.
Nous allons lire ici un étrange article issu de la plume de Jules Bois dans lequel nous retrouvons le principe de la femme prêtresse. Bois n’était pas un féministe ordinaire, il serait même antinomique des mouvements contemporains. Cependant, l’auteur de l’Ève moderne nous présente ici, entre les lignes, une vision personnelle — et cependant tellement vraie — de la femme à l’autel. Ces lignes seront donc d’un certain intérêt pour les églises gnostiques ou chrétiennes libérales qui accordent à nouveau à la femme sa place de prêtresse.
Spartakus FreeMann.
Jules Bois présente en ce moment à la Bodinière un prêtre et une prêtresse égyptiens, qui doivent donner à Paris une cérémonie isiaque, pour célébrer un office en l’honneur d’Isis, la femme-dieu.
On désirerait avoir quelques renseignements sur le rôle de la femme prêtresse ; s’il est vrai que dans le catholicisme primitif, il y avait eu des femmes ordonnées. De nos jours existe-t-il encore des prêtres femmes dans le christianisme.
Est-ce un indice de notre décadence, que cet engouement de Paris pour les religions de l’Orient, brahmanisme, bouddhisme et surtout pour ce culte d’Isis qui s’établit dans Rome antique, au moment où l’Empire entrait dans sa période de déclin ?
JEANNE DAX.
M. Jules Bois qui dans ses livres s’est souvent occupé de la femme-prêtresse et de la femme Dieu nous donne les notes suivantes :
« C’est dans mes recherches pour les Petites religions de Paris que j’ai trouvé l’hiérophante Rhamsès et la grande prêtresse Anari, (ce sont leurs noms d’initiés) qui voudront bien reconstituer devant un public parisien à la Bodinière l’ancien rite isiaque avec le dévoilement des dieux, le bruit des sistres, le chant des formules magiques et la danse des quatre éléments, devant la statue d’Isis, exécutée par la mime sacrée. Rhamsés et Anari sont des occultistes qui prétendent avoir reçu par tradition l’initiation égyptienne. J’ai pu vérifier chez eux les idées et les mœurs du primitif sacerdoce. »
« Chez les Égyptiens, selon Hérodote et Diodore, la femme avait un rôle prépondérant : tandis que l’homme filait et se livrait aux soins du ménage, la femme faisait les lois, édifiait la cité intérieure. Elle fut donc là-bas la première déesse, le premier prêtre. Toute l’antiquité est pleine de prêtresses. La femme à l’autel indique que cette humanité que nous nous plaisons à considérer parfois comme barbare avait un sentiment plus vrai et plus élevé de sa vie morale puisqu’elle associait la femme au culte de son idéal. »
« La question de la prêtresse se rattache d’abord à la question du dieu double, du Père-Mère. Je l’ai montré dans le Satanisme et la magie, c’est Moïse qui créa le dieu misogyne, le dieu mâle solitaire ; sans femme ; et du coup plaça la femme au second rang, au temple et dans la vie intérieure. Les religions qui suivirent eurent une tendance à se conformer à l’injuste prohibition, christianisme, mahométisme, etc. Dès lors la femme est en tête de l’hérésie. J’ai expliqué maintes fois que la femme chassée du temple devint la sorcière. Elle paya cette révolte, du plus riche et du plus précieux de son sang. Les Albigeois et les gnostiques la glorifièrent. La sainte Sophia était pour eux la déesse invisible et il existait une papesse qui était la Sophia visible. C’est dans le massacre que fut noyée cette résurrection mystique de la femme. Plus tard les bohémiens arrivent à Paris, ils disent obéir à la sublime maîtresse du feu et du métal, prêtresse d’Isis, qui dans le dernier de leurs chariots penche un front couronné de sequins sur le livre d’Hermès, le Tarot, la Bible de la Femme. Mais la pauvre sorcière du Moyen-âge est encore la plus dolente. On l’extermine par hécatombes. Au sabbat elle avait le premier pas. Prêtresse du diable, elle officiait à la messe noire, devenait même l’autel. »
« De nos jours, le mouvement hérésiarque de la femme se continue. C’est elle qui a, avec Mme Blavatsky, élevé en face des églises masculines d’Occident la Théosophie. La Gnose, que l’helléniste Doinel avait voulu rétablir à Paris, associait comme autrefois, au pontificat, la femme. »
« J’ai connu beaucoup le fameux abbé Boulan (le Dr Johannes de Là-Bas) il était le pontife d’une secte religieuse “l’œuvre de la miséricorde” qui consacrait des femmes et j’ai connu ainsi diverses prêtresses. L’abbé Boulan était le continuateur de cet extraordinaire Vintras qui se croyait l’homme du Paraclet et avait proclamé la femme “prêtresse de Marie” comme elle le fut dans la secte de Callydiciens. Le vin de la messe de la femme était rouge, celui de l’homme, blanc. »
« Michelet a affirmé que dans les premiers temps du catholicisme, la femme consacrait, ayant le sacrement de l’Ordre. Elle recevait le Saint-Esprit par l’imposition des mains. (Concile de Chalcédoine 4e œcuménique) »
« Le concile de Laodicée de 366 ou 369 lui défend le sacerdoce (cap. XII. collection de Denys le Petit, Mayence, 1525). Le concile de Carthage en 391 lui défend de catéchiser de baptiser, d’étudier même, sinon avec son mari. Jusque-là elle présidait, prêchait, donnait des ordres, officiait. Un auteur du temps remarqua qu’elle en était très digne par l’instruction qu’elle avait reçue dans les temps païens. On comprend aisément la puissance de la femme (de trente ans dit Michelet, belle, éloquente et subtile comme elles étalent en Grèce et en Orient), dans ces hautes fonctions qui, presque la divinisèrent. Intronisée à l’autel même, admirée, et l’amour de tous, elle avait un véritable règne et certainement le plus complet. Le sombre Tertullien s’en indigne. Le farouche Athanase craint l’effet trop sensible du moment où elle consacrait, où tous communiaient avec elle de sa main, de sa douce main. Si elle consacre, il veut que ce soit à huis clos et pour elle seule. Mais souvent elle n’avait pas la force de se clore ainsi tout à fait. La porte ne fermait pas bien fort ; les zélés restaient au-dehors, la surprenaient au moment décisif, dans un trouble touchant de pudeur et de sainteté. Là, nouvelle fureur d’Athanase qui ne veut pas qu’elle se laisse surprendre, voudrait la rendre repoussante, lui interdit de se laver. »
« Et dire que tant de théologiens ignorent ces faits et pousseraient même les hauts cris si on leur disait que dans l’Église orientale, pendant plus de trois siècles, il exista des prêtresses. En Occident la femme, plus ignorante, eut seulement le diaconat. »
« Le christianisme libéré a continué à revêtir du caractère sacré la femme. Les femmes pasteurs sont de plus en plus nombreuses en Amérique. Dans le récent congrès de Mme Joséphine Butler à Londres, j’ai entendu une femme-pasteur raconter les misères de pauvres femmes hindoues ; elle nous arracha les pleurs des yeux. »
« Je crois que la femme est très susceptible de porter à tous la parole divine, puisque cette parole devrait être toujours une parole de paix et d’amour. »
« En tout cas la semaine prochaine, à la Bodinière, ce sera la première fois depuis près de deux mille ans qu’une prêtresse d’Isis officiera en Europe. »
Plus sur le sujet :
- Le Satanisme
- Le Troisième Terme de la Trinité
- Envoûtement et mort du docteur Boullan
- Isis selon Dom Pernety
- Une Messe Noire chez les adorateurs du Prince des Ténèbres
La femme prêtresse par JULES BOIS.
La Fronde, 26 février 1899. Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb327788531
Provenance : Bibliothèque nationale de France
Image par Stefan Keller de Pixabay
Gnose, Jules Bois, Jules Doinel / Publié le : 26 mai 2020
Mis à jour le : 16 septembre 2020
https://www.esoblogs.net/23337/femme-pretresse/
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Bacchus, Jésus et la Gnose 17 juillet, 2022
Posté par hiram3330 dans : Contribution,Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireBacchus, Jésus et la Gnose par Tau Synesius.
Tout mythe enferme implicitement la consécration de l’antique aphorisme : « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». Ce qui revient à dire que tout mythe est le résumé ingénieux, poétique, imagé, d’une double action conjointement accomplie sur plan hylique et sur le plan divin.
Prenons aujourd’hui pour élucider cette vérité Bacchus et son culte.
Ce mythe, résumons-le d’après le magnifique ouvrage de M. Decharme, sur la mythologie de la Grèce.
Sémélé, fille de Cadmus, est aimée de Zeus qui la féconde en descendant sur elle sous la forme d’une pluie d’or, mais cette mystique communion ne suffit pas aux passionnelles aspirations de Sémélé. Comme la Sophia gnostique, elle veut contempler le Dieu dans la splendeur de sa gloire, au milieu de sa foudre et de ses éclairs. Mais les feux divins l’éblouissent et la consument et, en mourant, elle laisse échapper son fruit que Zeus enferme dans sa cuisse jusqu’à l’époque où l’enfant sera viable. Remarquons, en passant, ainsi que le fait M. Decharme, l’analogie de la naissance de Bacchus avec celle du Soma des Védas, le Soma est, lui aussi, recueilli dans la cuisse d’Indra et son surnom est Vinas, l’aimé, comme plus tard Bacchus deviendra οἶνος, Vinum, le Vin. De Vinos, on peut aussi rapprocher le dorien φιντατοσ, Très aimée, pour φιλατοσ.
Bacchus, une fois issu de la cuisse de Zeus est confié aux Nymphes de Nysa, d’où il tire son nom grec de Dionysios. Elles l’élèvent au fond d’une grotte tapissée de vignes. Devenu grand, Bacchus goûte au fruit de ces vignes, ses nourrices l’imitent, et les voilà transportées d’une volupté nouvelle, gravissant les collines, pénétrant dans l’épaisseur des taillis, faisant éclater partout leurs cris de joie.
Le plus élémentaire évhémérisme explique le sens matériel de cette légende. Sémélé, c’est la Terre, en qui l’ondée bienfaisante symbolisée par Zeus, vient développer le germe vital de la vigne. Le cep sort du sol, s’élance vers le ciel, mais l’ardeur solaire brûle le sol ; le raisin périrait s’il ne se cachait sous le feuillage et surtout si le ciel ne se couvrait de nuages.
D’autre part, les Nymphes, les Hyades, nourrices de Bacchus, représentent les sèves vivifiantes et peut-être aussi les pluies rafraîchissantes. Quant aux courses de Bacchus à travers le monde, il n’est pas difficile d’y voir le développement successif de la culture de la vigne dans les diverses régions de l’univers.
Jusqu’ici nous n’avons pas, ce semble, quitté le plan hylique ; naissance et culture de la vigne, production d’un breuvage enivrant, etc. Et pourtant, insensiblement, nous arrivons au plan divin. Ouvrons, en effet, le catéchisme gnostique, que notre vaillant coopérateur, l’évêque Sophronius vient de livrer à l’édification des Parfaits. Il y est dit que le Christ, entre autres manifestations, se présente sur la terre sous les apparences de la boisson fermentée. La boisson est le jus fermenté tiré soit des tiges du sarcostemma viminatie, soit des fruits de la vigne. Le sarcostemma était coupé en morceaux ; ceux-ci étaient écrasés dans un mortier au moyen d’un pilon et le jus filtré était placé dans un vase où on le laissait fermenter. Au bout de trois jours, le Soma était prêt. On sait comment se prépare le vin. Or du Soma aussi bien que du vin on tire l’eau-de-vie ou l’eau-de-feu, qui brûle avec flamme. Le vin et le Soma contiennent donc le feu, le Christ. Celui-ci a dit d’ailleurs par la bouche de léshu : « Je suis la vraie vigne » et montrant le vin : « Ceci est mon sang ».
Voici d’ailleurs que Bacchus est devenu un Dieu phallique, ainsi qu’il appert de la description que Plutarque nous donne de la Fête des Dionysies, c’est-à-dire une puissance féconde et créatrice, et aussi un Dieu de beauté, de grâce souveraine, de suggestive esthétique, ainsi qu’il résulte de la Fête des Anthestéries, ces pâques fleuries du paganisme. C’est encore un Dieu de bonté, un bienfaiteur de l’Humanité, s’opposant au farouche Arès, ce Démiurge hellénique, ainsi que l’indique S. G. Sophronius :
« Né bienfaisant et épris de gloire (de gloire pacifique, il faut entendre) Man (Bacchus) voulut faire participer les hommes aux utiles découvertes dont la cité céleste avait été dotée par les rois et enseigner au monde l’usage du blé et du vin. Il partit donc à la tête d’une armée considérable (une armée d’apôtres, il est à supposer) et visita un grand nombre de peuples, qui le reçurent comme un dieu, puisqu’il apportait partout l’abondance et la joie. »
Des influences asiatiques ne tardèrent pas à intervenir, qui transformèrent le concept initial du Dionysios grec en « un adolescent aux joues imberbes, au teint délicat, à la figure virginale, qu’encadrent les boucles flottantes d’une chevelure. À voir sa longue robe, sa molle et traînante démarche, sa grâce efféminée, on hésite à lui attribuer la nature masculine. C’est qu’en effet le génie religieux de l’Asie a marqué Dionysios de son empreinte, il en a fait un dieu à double nature, un symbole de l’Essence divine, qui embrasse tout, qui comprend tout qui se suffit à lui-même une divinité androgyne, comme Siva dans l’Inde où comme Astarté, en Syrie. » (Decharme. op. cit.).
Avec cette seconde phase, ou plutôt sous ce second aspect du mythe dionysiaque, nous voyons s’accuser de plus en plus le plan spirituel. Le dieu de Nysa devient une sorte d’incarnation delà Beauté éternelle, un vivant et merveilleux reflet des splendeurs du Plérome. Cette insexualité même, ou, pour mieux dire, cette fusion idéale des deux sexes, c’est le rêve sacré que la Gnose Valentinienne formulera dans le dogme de Bythos-Sigé, et dans celui des différentes Syzygios, qui en émanent.
Sans quitter le plan divin, où nous a amené cette épide, nous allons assister maintenant à une quasi-identification de Bacchus avec le Christ. Remarquez que cette nouvelle phase remonte, historiquement, au moins à cinq cents ans avant notre ère, mais cela soit dit, sans vouloir amoindrir les grandes choses de la foi chrétienne. Pour le divin, le temps n’est pas. Dans l’évolution historique, Bacchus a pu précéder Jésus : dans la réalité éternellement fixe de l’Au-delà, les deux ordres de faits se confondent, c’est là une vérité qu’on ne proclamera jamais assez haut, que cette inanité du temps dans le domaine divin.
Poursuivons. Comme le Fils de Miriam, Dionysios a ses souffrances, sa passion. Il a été surpris par les Titans qui, jaloux de lui, l’ont mis en pièces. Son cœur, échappé à leurs fureurs, a été recueilli par Pallas, et il est redevenu, au ciel, le centre d’une vie renaissante [1].
De là, la curieuse eucharistie pratiquée en Grèce, dès le temps de Thémistocle, sorte de banquet mystique où les Initiés mangeaient en commun la chair d’un taureau, qui était pour eux le propre corps de Bacchus. Pour comble de similitude, Iacchos qui est un des noms de Dionysios, n’est-il pas la traduction évidente du vocable hébraïque leschou ?
Bacchus fut ainsi que Jésus, l’objet d’une sorte de culte hystérique de la part des femmes. Ici, nous sortons du plan divin ou plutôt nous touchons à la ligne, ou plan di vin et plan hylique se copénètrent, à la région vague, où l’érotisme charnel se soude pour ainsi dire à la religiosité mystique dionysiaque, en vertu duquel, comme dit M. Decharme, « l’être humain affranchi de la raison, comme d’une entrave, n’obéissant qu’aux palpitations de son cœur et au délire de son cerveau, court se perdre dans l’objet inconnu de son adoration, auquel il abandonne la direction de sa vie et son âme tout entière », ce mysticisme, disons-nous, a sa frappante analogie dans les extases de Sainte-Thérèse et de Mme Guyon.
Desmarèts de Saint-Sorlin n’a-t-il pas écrit : « L’âme étant devenue un rien ne peut rien sentir ; quoi qu’elle fasse, n’ayant rien consenti, elle n’a pas péché. Par une dissolution entière de nous-mêmes, la vertu du Saint-Esprit s’écoule en nous, et nous devenons tout Dieu par une déformation admirable. »
Molinos n’a-t-il pas déclaré que les péchés sont une occasion d’humilité et une échelle pour monter au ciel ?
Enfin François de Sales lui-même n’a-t-il pas préconisé l’anéantissement de la volonté comme un idéal de perfection ?
Quant à ces fêtes orgiastiques, au cours desquelles les ménades échevelées se déchirent les seins et inondent les chemins de leur sang, n’est-ce pas une réalisation anticipée de ces tendances érotico-mystiques, qui feront surgir tour à tour les Flagellants du moyen âge, les ascètes des cloîtres et les convulsionnaires de Saint-Médard ?
Plus sur le sujet :
- Rite gnostique de fraction du pain et de partage du vin
- Hymne à Dionysos
- Cantique des Cantiques
- L’Eglise Gnostique par Tau Synesius
- La Fraction du Pain et le Partage du Vin
- Aphorisme de l’Aleph Beth
Bacchus, Jésus et la Gnose.
In L’Écho de l’Au-delà et d’Ici-bas, n° 4, 15 février 1900.
La revue ne cite pas son auteur, mais certains passages laissent penser qu’il est probable que ce soit Fabre des Essarts, Tau Synesius in ecclesia.
Image : Paul Véronèse / Public domain.
[1] Ce détail du mythe dionysiaque a pu par voie d’atavisme, donner naissance au culte moderne du Sacré-Cœur, si mal compris de tous, et principalement de ceux qui le pratiquent.
Bacchus, Tau Synesius / Publié le : 24 mai 2020
Mis à jour le : 24 septembre 2020
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