La Poésie en Franc-Maçonnerie 16 mars, 2023
Posté par hiram3330 dans : Contribution,Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireLa Poésie en Franc-Maçonnerie
La rencontre d’un mot ou d’une idée est toujours essentielle dans un poème ou une planche. Ils sortent soudain de l’anonymat du langage « courant » pour embraser le vocabulaire et donnent à vivre au poète ou au Maçon l’expérience saisissante de « marcher à son pas » dans le temps subtil de l’inspiration, loin du temps linéaire des discours sans relief du quotidien.
On entre ainsi en Poésie comme en Maçonnerie par des mots d’esprit qui jaillissent en nous de sources profondes, gonflent le flot d’autres mots et idées jusqu’aux grands Deltas des Loges. Je vis personnellement comme des rencontres ces inspirations, jusqu’à me souvenir souvent des moments où elles surgissent dans mon imaginaire, tel « Etre Ici et Maintenant » traduisant l’état d’esprit de ceux et celles qui travaillent sur eux-mêmes pour sortir de la douce errance de la pensée et s’ancrer dans le présent, les sens et le mental grands ouverts à ce qu’ils perçoivent dans l’immédiat.
Avec ce poème, je découvrais la légèreté des vers octosyllabiques et les compositions par multiples de quatre vers, particulièrement adaptés aux poèmes-chansons et à l’écriture symbolique. Le nombre « quatre » symbolisant la stabilité matérielle, et le « huit » la totalité et la cohérence de la création en mouvement, les compositions artistiques qui portent leur marque gagnent en équilibre et en régularité, et peuvent illustrer pour des êtres en quête de sens un projet de vie intérieure, concentrant en quelques verbes :
être, rechercher, voir, savoir, une spiritualité en devenir et en action. « Se voir voyant sans être sage » s’inspire aussi des célèbres mots d’Anderson « Ni athée stupide, ni libertin irreligieux », extraits de la Constitution de 1723, charte de la Franc-Maçonnerie moderne, pratiquant la « double dénégation », ou l’art de conjuguer des formules contradictoires.
Or des travaux en sciences cognitives tendent à démontrer qu’ils formulent un modèle de pensée et de la cognition centré sur la fuite du déplaisir, renouvelant les racines émotionnelles premières de l’acte de connaissance, au fondement de l’initiation maçonnique.
La poésie en Maçonnerie embrasse un champ très large d’expressions, exaltant souvent la chaleur des échanges fraternels et de la vie en Loge, et donnant surtout à penser « en liberté », et comme le soleil et la lune à l’Orient des Loges, à rayonner et « réfléchir » les mots et les idées éclairant les consciences et les cœurs.
Chacun peut se projeter sur les quelques mots mis en forme dans un poème, s’y « réfléchir » sans effort et dans ce cadre où tout est mesure se remettre soi-même « en forme ». Dans une société où l’apparence et le paraître sont reine et roi, un poème partagé en fraternité touche autant l’être que le paraître, autant l’esprit que le corps, et les sourires qui fleurissent ici ou là dans l’assemblée disent en silence combien les cœurs s’en réjouissent.
Le poète Maçon est aux premières « loges » de la pratique du symbolisme et de l’analogie entre une idée abstraite et l’image chargée de l’exprimer, et s’inspire de la démarche des poètes symbolistes pour qui le monde ne saurait se limiter à une apparence concrète réductible à la connaissance rationnelle. Il est un mystère à déchiffrer dans les correspondances qui frappent d’inanité le cloisonnement des sens, car les sons, les couleurs, les visions participent d’une même intuition qui fait du poète une sorte de mage.
Le poète symboliste oscille ainsi entre des formes capables à la fois d’évoquer une réalité supérieure et d’inviter son lecteur à un véritable déchiffrement, mettant en œuvre par l’écriture la transcription du sens et la transmission, au fondement de l’initiation maçonnique.
L’écriture elle-même est initiatique, le poète semblant répondre « régulièrement » à la question d’un Frère : « Allez-vous plus loin ? » pour construire son poème, tout en apprenant de lui-même à savoir par lui-même « jusqu’où ne pas aller trop loin ».
La Maçonnerie traduit pareillement ces deux voies complémentaires d’accès à la connaissance et à la conscience par la structure en degrés des Rites, en particulier du Rite Ecossais Ancien et Accepté, où les trois premiers degrés sont dédiés aux Loges dites « symboliques », et les degrés ultérieurs à des Loges dites de Perfection, où montent en charge les Frères et les Sœurs prêts à élargir par eux-mêmes, dans un esprit de responsabilité, le cercle intérieur de leur accomplissement spirituel. Baudelaire, initiateur de l’école symboliste, a illustré magistralement ces deux cheminements par deux sonnets : « Correspondances » et « La Vie Antérieure ».
En méditant sur la Nature dans « Correspondances », écrit en 1857, Baudelaire ouvre une nouvelle voie de connaissance combinant la théorie et la pratique tout en utilisant habilement la structure du sonnet, poème composé de deux quatrains et de deux tercets, le temps de la méditation théorique des quatrains précédant le temps pratique de l’expérimentation des tercets.
Le premier quatrain est bâti sur la métaphore du temple et de la forêt, où alternent l’ombre et la lumière comme dans les temples maçonniques où la sensibilité aux mystères des Apprentis s’éveille peu à peu sous le regard bienveillant de Frères et Sœurs plus « éveillés ».
Dans le second quatrain, le poète établit des correspondances entre la vue, l’odorat et l’ouïe, comme pourrait le faire le Compagnon, pour non seulement écouter mais entendre les « confuses paroles » évoquées dans la première strophe, dont le mystère se laisse seulement approcher et non contempler.
Dans les deux tercets s’établissent des analogies de sens et des équivalences entre la mesure sensible et l’ordre psychologique ou moral, le Maître en fixant les limites tout en risquant la démesure.
Dans « La Vie Antérieure », écrit en 1857 et extrait aussi du recueil « Les Fleurs du Mal », un exotisme exacerbé amplifie le sentiment de perfection liée à l’agencement symétrique des éléments du décor.
Mais pour tendre vers l’ordre et l’harmonie, le poète et le Maçon doivent passer par l’état d’âme chaotique du « spleen », mot d’origine anglaise désignant un état mélancolique sans cause définie. Le secret préservé de la vie des Loges au travail se convertit dans les degrés dits de Perfection en un secret qui « fait languir ».
On entre dans le « vif du sujet », dans l’espace et le temps de l’Artiste et du Maçon à l’œuvre, et le poète dit « je », « j’ai longtemps habité », « j’ai vécu », s’impliquant entièrement dans l’aventure intérieure de sa propre re-connaissance.
La concorde parfaite des éléments de leur re-création n’est possible que s’ils respectent un bon équilibre entre la clarté et l’obscurité, les phases de lumière et d’ombre, de félicité et de doute qui, bien que foncièrement différentes, se complètent.
La parité « régulière » en noir et blanc fait place à des contrastes saisissants de couleurs et le travail prend une autre dimension dans l’accomplissement d’une œuvre.
Le plus ancien manuscrit maçonnique connu, le poème Régius daté de 1390, compte 794 vers octosyllabes et découle sans doute de la transmission orale d’une réglementation coutumière de Métier, assurant ainsi à la fois la transcription et la transmission des « Old Charges », les Anciens Devoirs. Ces « Old Charges », opératives et anglaises, servaient une fois par an lors de l’assemblée annuelle pour recevoir les nouveaux Apprentis et Compagnons.
Destiné aux bâtisseurs opératifs du Moyen-âge, le Régius présente une histoire, ou plutôt une légende de l’art de la construction émanant du Métier lui-même. Sans être réellement de la poésie au sens romantique du terme, le texte du Régius est assez cadencé pour être retenu en mémoire, et être ensuite récité facilement, la cadence, l’assonance et l’allitération, c’est à dire le rythme dans la répétition des sons de voyelles et de consonnes, facilitant cet apprentissage.
Comme les textes destinés à être retenus et transmis, il utilise des phrases sans verbe et de nombreuses répétitions, une construction dite « archaïque » renvoyant à un passé indéterminé et confirmant l’autorité et la sagesse des temps anciens par un « éloge des sept arts « libéraux ».
Les sept arts libéraux désignent les disciplines intellectuelles fondamentales dont la connaissance depuis l’Antiquité hellénistique et romaine était réputée indispensable à l’acquisition de la haute culture. Ils se divisent en deux degrés : le Trivium qui concerne le « pouvoir de la langue » et se divise en Grammaire, Dialectique et Rhétorique, et le Quadrivium qui se rapporte au « pouvoir des nombres » et se compose de l’Arithmétique, de la Musique, de la Géométrie et de l’Astronomie. Loin d’être obsolètes, les arts libéraux restent actuels et indispensables à la progression initiatique et ne peuvent être remplacés par aucune modernité ni virtualité numérique. Ils font partie du corpus que doit connaître le Compagnon, dont le cinquième art, la Géométrie, est aussi le premier dans le Métier.
La Géométrie crée le lien entre opératif et spéculatif, entre la matière et l’esprit. Première porte d’accès à la métaphysique pour un bâtisseur du moyen-âge, la Géométrie exhale et libère le cœur de la matière.
La Rhétorique contribue à préparer cette libération qui s’accomplit dans les proportions harmonieuses du Temple. L’harmonie des formes fait écho aux harmonies musicales et à la sonorité du lieu sacré.
« Le poème, cette hésitation prolongée entre le son et le sens » (Paul Valery, 1871-1945) darde « à fleuret moucheté » toutes les attentions, tous ces reflets du cœur et de l’âme qui se couvrent de mots pour mieux refléter l’Autre. Dédiés d’abord à nos muses, ils ne s’offrent qu’une fois et ne vivent que « ce que vivent les roses, l’espace d’un matin » (François de Malherbe, XVIème siècle), lorsqu’ils se découvrent et « se » disent.
L’écriture perpétue leur mémoire avec plus ou moins de bonheur, dévoilant aux yeux de tous ce qui ne se destinait qu’à une seule, mais délivrant de la cage dorée du poème des mots volant déjà de leurs propres ailes dans l’esprit libre du poète et de ses semblables. Ainsi l’acrostiche du prénom d’une Maçonne, Françoise, peut-il refléter ses Sœurs tout en restant fidèle au secret qui les relie toutes.
Le poète peut aussi aspirer à dire l’indicible, l’inspiration première soufflant à son oreille l’idée et ses mots clés, ses « mots de passe » et ses « mots sacrés », car « Les œuvres de l’esprit, poèmes ou autres, ne se rapportent qu’à « ce qui fait naître ce qui les fit naître elles-mêmes », et absolument à rien d’autre.
Sans doute, des divergences peuvent se manifester entre les interprétations poétiques d’un poème, entre les impressions et les significations ou plutôt entre les résonances que provoquent, chez l’un ou chez l’autre, l’action de l’ouvrage. » (Paul Valery) Mais ces résonances qui se démultiplient dans le flot des idées masquent leur source empreinte de mystère et de silence. Aussi le poète croise-t-il « régulièrement » ceux qui n’ayant fait qu’une partie du chemin, restent enfermés dans le silence de l’autisme, jusqu’à s’engager auprès de ceux qui accompagnent les autistes, symboles vivants d’une société en souffrance.
L’écriture d’un poème est une expérience enivrante éveillant « continuellement en nous une soif et une source. En récompense de ce que nous lui cédons de notre liberté, elle nous donne l’amour de la captivité qu’elle nous impose et le sentiment d’une sorte délicieuse de connaissance immédiate, (de sorte) que la sensation de l’effort se fait elle-même enivrante, et que nous nous sentons possesseurs pour être magnifiquement possédés. Alors plus nous donnons, plus voulons-nous donner, tout en croyant de recevoir.
L’illusion d’agir, d’exprimer, de découvrir, de comprendre, de résoudre, de vaincre, nous anime. » (Paul Valery) Le cœur du poète est le captif consentant des règles de ses mots d’esprit, et comme le Maçon au Travail, semble d’autant plus inspiré qu’il accepte et intègre les règles du poème, rimes et autres, conférant une « tenue » à son œuvre.
Dans le poème, la musique du vers qui dépend de l’harmonie entre les sonorités et le sens, est soulignée par la rime, l’identité entre deux ou plusieurs mots, situés en principe en fin de vers, de leur voyelle finale accentuée.
La rime a un rôle de structuration aussi bien du vers que du poème entier. Elle souligne la structure sémantique du poème par des répétitions fondées sur des signifiants, les mots, rapprochant des signifiés, les idées, qui autrement seraient restés étrangers l’un à l’autre. Ce rôle de la rime rappelle celui des règles fondatrices de la Franc-Maçonnerie défini par Anderson dans la Constitution de 1722 : « … Ces règles traditionnelles sont notre ciment et notre lien…
Elles permettent à la Franc-Maçonnerie de constituer ce vrai centre d’union où se rencontrent fraternellement des hommes qui, sans elles, seraient demeurés perpétuellement étrangers les uns aux autres. » Les idées des poètes circulent et se fixent dans les mots et les silences des poèmes comme la parole circule en Loge entre les colonnes, ordonnancée par le rituel et le respect du règlement des travaux.
Mais la rime ne saurait se contenter de sonorités banales passant inaperçues, sans trahir sa mission qui est de se faire entendre, de ponctuer le vers soit en frappant, soit en charmant l’oreille. Lors de la composition de son poème, la rime a l’immense mérite de contraindre le poète à penser par séries associatives sonores. Chercher une rime, c’est faire passer dans son esprit tout un cortège de sonorités sœurs, de sorte qu’il s’établit dans la pensée des familles de mots unies par une magie musicale. Très tôt s’est posée la question des rimes dites féminines et masculines, l’« e » atone final, fréquent dans les mots féminins, ne constituant pas un appel phonique suffisant, et l’alternance des rimes masculine et féminine s’est imposé dans les poésies lyriques provençales et françaises.
Mais il s’agit d’un mélange dont le dosage est laissé au goût du poète. Et pour grossir ce trait d’esprit jusqu’à la caricature, je prends un malin plaisir à glisser des acrostiches de prénoms féminins alternant les rimes masculines et féminines, tel « Françoise », dans des planches destinées à des auditoires mixtes.
Cet acrostiche comme tout poème active aussi de manière plaisante les ressorts de la langue, les phonèmes imprimant leurs sons et couleurs et se reliant dans les mots aux autres syllabes pour composer des bouquets harmonieux de vers. Car le poète joue d’abord avec les sons pour accompagner et soutenir le sens de son propos. Quand on parle de sens en poésie, il s’agit plutôt de sentiments, d’impressions, d’expérience à partager. Les sons aident souvent à créer ce climat particulier à chaque poète, à évoquer l’implicite ou l’indicible, cette « sorcellerie évocatoire » appelée de tous ses vœux par Baudelaire, « cette musique avant toute chose » réclamée par Verlaine.
L’harmonie résulte donc du choix et de la combinaison des syllabes pour obtenir les sonorités désirées.
Aussi le choix des mots est-il le premier souci du poète. Selon les traditions poétiques françaises, certains sons correspondent à des effets précis.
L’impression laissée par une syllabe dépend de sa longueur et de sa sonorité. Les syllabes brèves conviennent pour exprimer l’extériorité et la rapidité, les syllabes longues évoquant plutôt l’intériorité et la profondeur. Dans l’acrostiche « Françoise », seuls deux sons, « anche » et « eur », se reproduisent alternativement du premier au dernier vers. « anche » composé de la voyelle nasale « an », à l’effet voilé, atténué et lent, de la consonne « ch », dite « sourde » et « continue », au son prolongé, atténuant encore l’effet de la voyelle précédente, et d’un « e » muet final apportant une longueur et une touche supplémentaire de douceur, se renouvelle dans l’autre rime en « eur », composée de la voyelle nasale « eu » et de la consonne coulante et « ronronnante » « r ».
La rime doit tout à la fois satisfaire l’œil, l’oreille et l’esprit. Scandant la fin des vers, elle crée une accoutumance et une attente chez le lecteur/auditeur, jouant le rôle d’une balise dans les énoncés de mots successifs. Elle constitue donc un endroit privilégié pour le sens car le mot placé à la fin du vers est le mieux mémorisé. Et le sens des rimes ne dépend pas seulement de la forme, mais du sens des mots. Dans le cas présent, « blanche, s’épanche, branches, avalanches, hanches », élargit par le mouvement et l’élan du cœur le champ lexical affectif des mots « intérieur, valeurs, chaleur, Sœurs ».
Avant même l’écriture de la première lettre du poème, l’inspiration du poète passe par le prisme des règles poétiques qu’il s’assigne, les matrices convenant le mieux à l’expression de ses idées et de ses sentiments, et plus globalement à sa personnalité et à ses modèles d’écriture en cours. S’il a potentiellement le choix entre un grand nombre de modèles pour organiser horizontalement ses vers par une structure interne : mètre, césure, coupes, récurrences phoniques, et dérouler son poème selon un rythme vertical par une structure externe : rimes, strophes …, ou s’affranchir des règles précédentes dans le vers libre, le poète sait qu’il n’échappe pas à ses propres règles, et qu’il choisit celles auxquelles il s’attache, auxquelles il s’est déjà lié.
C’est dans le même état d’esprit que les Maçons s’attachent au rite et aux règles de leur Loge et Obédience pour tendre vers l’expression régulée de leurs idées, chacun trouvant son identité dans le modèle commun en apprenant à la fois à écouter et parler aux Frères et Sœurs de la Loge, tendre à « se dire » et « s’écouter » soi-même pour à la fois « s’entendre » avec les autres et « s’entendre » soi-même intérieurement.
C’est dès l’instant de sa conception que le poème « se dit » et « s’écoute », l’auteur et l’auditeur se découvrant autour du poème pour « s’entendre », et réaliser en quelques mots l’expérience de plus en plus intime de l’écoute de l’autre. Roland Barthes distingue ainsi trois niveaux d’audition : une « première écoute alerte » tendue vers la « capture d’un indice » qui, chez l’homme et l’animal, a une fonction « défensive et prédatrice », une « seconde écoute », exclusivement humaine, qui est un « déchiffrement » voué à la lecture des « signes », tendu non plus vers « la proie », mais comme en Franc-Maçonnerie vers « le secret », le « dessous du sens », et « le sacré », l’« écoute religieuse » à vocation de liaison entre le sujet écouteur et le « monde caché des dieux », et une « troisième écoute », redevable à l’écoute psychanalytique s’exerçant « d’inconscient à inconscient », tendant vers « les origines », à qui on demande non d’être « appliquée » mais de « laisser surgir », dans la lignée de « l’écoute panique » des Grecs. Accéder à une « meilleure » écoute, pour le lecteur de poésie, c’est alors intérioriser chacune des strates de l’audition jusqu’à parvenir au point ultime où « l’écoute parle ».
Enfin, pour Roland Barthes, être « meilleur auditeur » de poésie, c’est surtout substituer à une écoute passive et ensorcelée, fondée sur l’identification, une participation active à l’expérience unique de la genèse de l’œuvre.
Ces trois « niveaux » d’écoute rappellent les degrés d’Apprenti, Compagnon et Maître, ternaire structurant l’initiation maçonnique et la quête de sens qui la sous-tend. Comme tous les symboles, ces degrés qui se succèdent dans une suite progressive et linéaire peuvent aussi constituer un triangle, chacun de ses points étant relié aux deux autres. Et si chaque point est essentiel pour équilibrer le triangle commun, lui-même est un symbole rattaché au symbolisme du nombre« 3 ». Les points se relient ainsi par groupes de deux, trois, quatre, cinq, six, sept points et plus, traçant autant de figures symboliques que de grilles de lectures, vecteurs de sens. Si l’inspiration du poète et du Maçon ne diffèrent en rien à la source, ces grilles peuvent « orienter » la pensée par des séries régulées d’analogies et d’associations d’idées.
Par sa symbolique du mouvement, l’étoile à cinq branches reliant la matérialité du carré à la spiritualité du triangle, illustre la circulation des idées au sein de la Loge au travail entre les cinq Officiers qui l’éclairent, sans respecter leur ordre hiérarchique (Vénérable Maître, Premier puis Second Surveillant, Orateur, Secrétaire), mais en suivant le tracé de l’Etoile Flamboyante qui les relie (Vénérable Maître, Second Surveillant, Secrétaire, Orateur, Premier Surveillant, et à nouveau Vénérable Maître, …).
L’ordonnancement de la Loge incite les Maçons à cheminer en pensée en prenant des « chemins de traverse », à transformer intérieurement leur réflexion tout en respectant dans la Loge la fonction symbolique des Officiers qui l’encadrent. Ils peuvent « à loisir » pratiquer l’hermétisme, c’est-à-dire dé-couvrir un uni-vers sous-jacent aux apparences, et s’inspirer de la poésie symboliste de Stéphane Mallarmé et Paul Valéry, qui ne se veut pas descriptive, mais plutôt suggestive et musicale pour atteindre, au-delà des apparences, le mystère des choses.
Les poètes Maçons convertissent pareillement leurs symboles, et notamment l’étoile flamboyante, en clés d’accès à ces mystères.
La tension établie « dans les règles » entre les pointes de cette étoile à cinq branches, comme entre les strophes, les vers et les mots d’un poème, ouvre au centre de l’étoile un espace dégagé au sein duquel rien n’obstrue le cheminement des Maçons en quête de centre, inversant par la même les phases de tracé du cercle dans cette géométrie de l’esprit, la périphérie précédant le centre.
En outre, les branches de l’étoile se croisent en constituant deux segments dont le rapport des longueurs donne le nombre d’or « 1,618 », nombre de l’harmonie vénéré par Pythagore. Ce nombre omniprésent dans la Nature, l’Art et l’architecture sacrée, devient aussi le nombre de l’homme quand il ouvre les bras et s’inscrit lui-même comme ses créations dans cette étoile flamboyante. Léonard de Vinci le représente bras et jambes écartés, générant en lui-même et par lui-même cette harmonie éclairant le cheminement intérieur des êtres en quête de Sagesse, de Force et de Beauté.
Les « Vers dorés de Pythagore », texte grec de soixante et onze vers attribués par les anciens à Pythagore, publiés en 1813, traduits et commentés par Antoine Fabre d’Olivet, philologue et occultiste français, rappellent les principes guidant les Maçons dès leurs premiers pas d’initiés.
« Les anciens avaient l’habitude de comparer à l’or tout ce qu’ils trouvaient sans défaut et beau par excellence : ainsi, par l’« Age d’or » ils entendaient l’âge des vertus et du bonheur ; et par les « Vers dorés », les vers où la doctrine la plus pure étaient renfermée.
Après la mort de Pythagore, et la terrible persécution qui coûta la vie à un si grand nombre de Pythagoriciens, écrasés sous les débris de leur école incendiée, ou contraints de mourir de faim dans le temple des Muses, Lysis, le disciple transcripteur de ces vers, voulant répandre la secte de Pythagore dont on s’attachait à calomnier les principes, crut nécessaire de dresser une sorte de formulaire qui contînt les bases de la morale et les principales règles de conduite données par cet homme célèbre. »
« Ce vers renfermait adroitement un double sens. Par le premier, il recommandait la tolérance et la réserve aux Pythagoriciens, et à l’exemple des prêtres d’Egypte, établissait deux doctrines, l’une ostensible et vulgaire, conforme à la loi (du pays où ils vivaient) ; l’autre mystérieuse et secrète, analogue à la foi. Il rassurait ainsi les peuples ombrageux de la Grèce, qui, d’après les calomnies qui courraient, auraient pu craindre que les Pythagoriciens n’eussent voulu porter atteinte à la sainteté de leurs Dieux.
Les Pythagoriciens voyaient ainsi (sans en parler) dans les Dieux des nations les attributs de l’Etre ineffable qu’il ne leur était pas permis de nommer, leur rendant le culte consacré par la loi, et les ramenaient tous en secret à l’Unité qui était l’objet de leur foi. »
« Pythagore considérait l’Univers comme un Tout animé dont les Intelligences divines, rangées chacune selon ses perfections dans sa sphère propre, étaient les membres. Ce fut lui qui désigna le premier ce Tout par le mot grec « Kosmos », pour exprimer la beauté, l’ordre et la régularité qui y règnent. C’est de l’Unité considérée comme principe du monde que dérive le nom d’Univers que nous lui donnons.
Pythagore posait l’Unité comme principe de toutes choses, et disait que de cette Unité était sortie une « Duité » infinie. L’essence de cette Unité et la manière dont cette Duité qui en émanait y était enfin ramenée, étaient les mystères les plus profonds de sa doctrine, les objets sacrés de la foi de ses disciples, les points fondamentaux qu’il leur était défendu de révéler. Jamais on n’en confiait l’explication à l’écriture : on se contentait de les enseigner oralement à ceux qui paraissaient dignes de les apprendre. Lorsqu’on était forcé par l’enchaînement des idées d’en faire mention dans les livres, on se servait de symboles et de chiffres, on employait la langue des Nombres ; et ces livres, tout obscurs qu’ils étaient, on les cachait encore avec le plus grand soin ; on évitait par toutes sortes de moyens qu’ils ne tombassent dans les mains de profanes. »
« Le premier précepte que Pythagore donnait à ses disciples entrant dans la route de la perfection, tendait à les replier en eux-mêmes, à les porter à s’interroger sur leurs actions, sur leurs pensées, sur leurs discours, à s’en demander les motifs, enfin à réfléchir sur leurs mouvements extérieurs et intérieurs, et à chercher ainsi à se connaître. La connaissance de soi-même était la première de toutes les connaissances, celle qui devait les conduire à toutes les autres. La morale de Socrate et la philosophie de Platon n’en étaient que le développement, et une inscription dans le premier temple de la Grèce, dans celui de Delphes, la recommandait après celle du juste milieu, comme l’enseignement même du Dieu qu’on y venait adorer : « Rien de trop » et « Connais-toi toi-même » renfermaient en quelques mots la doctrine des sages, et présentaient à leur méditation les principes sur lesquels reposent la vertu, et la sagesse qui en est la suite. »
« L’homme est un composé d’esprit, d’âme et de corps, (dont les modifications) se manifestent par la sensation, le sentiment et l’assentiment, développant les facultés principales de l’instinct, de l’entendement et de l’intelligence. L’instinct est le siège du sens commun ; l’entendement, celui de la raison ; et l’intelligence, celui de la sagacité, ou de la sagesse. L’homme ne peut jamais acquérir aucune science, aucune connaissance véritables, si, à la faveur de l’intelligence qui élit le principe et le pose avec sagacité, l’assentiment ne se détermine ; car on ne sait, on ne connaît jamais véritablement que ce que l’intelligence a consenti. »
« Les préceptes de Pythagore étaient symboliques, c’est-à-dire renfermaient, au figuré, un sens très différent de celui qu’ils paraissaient offrir au sens propre. C’était l’usage des prêtres égyptiens, chez lesquels il les avait puisés, de cacher leur doctrine sous l’écorce des paraboles et des allégories. Le Monde était à leurs yeux une grande énigme, dont les mystères, revêtus d’un style également énigmatique, ne devaient jamais être ouvertement divulgués.
Ces prêtres avaient trois sortes de caractères, et trois manières d’exprimer et de peindre leurs pensées.
La première manière d’écrire et de parler, était claire et simple ; la seconde, figurée ; et la troisième, symbolique.
Ils se servaient, dans la première, de caractères usités par tout le monde, et prenaient les mots dans leur sens propre ; dans la seconde, ils employaient des caractères hiéroglyphiques, et prenaient les mots dans un sens détourné et métaphorique ; enfin ils faisaient usage, dans la dernière, de phrases à double sens, de fables historiques, astronomiques, ou de simples allégories.
Le chef d’œuvre de l’art sacerdotal était de réunir ces trois manières, et de renfermer, sous l’apparence d’un style simple et clair, le sens vulgaire, le figuré et le symbolique. »
Les idées des préceptes comprises rationnellement par les initiés, constituant autant de points de connaissances, doivent encore être reliées entre elles et constituer des réseaux où elles peuvent entrer en rapports harmonieux les unes avec les autres, leurs champs d’influence rappelant les deux segments des branches de l’étoile à cinq branches, dont le rapport des longueurs donne le « nombre d’or » irrationnel, 1,618. Les nombres irrationnels, dont le symbolisme complète celui des nombres entiers dans l’initiation maçonnique, possèdent un nombre infini de chiffres décimaux, et dans cette suite infinie, aucune périodicité ne peut être trouvée permettant d’imaginer les chiffres qui viendront à partir de l’analyse des chiffres qui sont déjà venus.
Mais les nombres irrationnels étant « incommensurables », leur découverte implique celle d’une dimension supra humaine ouvrant l’esprit au sacré, ce que soulignent encore les proportions dites « d’extrême et de moyenne raison » des branches de l’étoile, c’est-à-dire l’identité de proportion entre, d’une part, ses deux parties, et, d’autre part, sa grande partie et le tout. Autrement dit dès que l’harmonie règne entre les parties du microcosme de l’homme, elle couronne pareillement ses relations avec le macrocosme.
Remontons plus avant, aux premiers âges de la Grèce, quand « la Poésie, consacrée au service des autels, ne sortait de l’enceinte des temples que pour l’instruction des peuples : elle était comme une langue sacrée dans laquelle les prêtres, chargés de présider aux mystères de la religion, traduisaient les volontés des Dieux. Les oracles, les dogmes, les préceptes moraux, les lois religieuses et civiles, les enseignements de toutes sortes sur les travaux du corps, sur les opérations de l’esprit, tout enfin ce qu’on regardait comme une émanation, un ordre ou un bienfait de la Divinité, tout était écrit en vers. On donnait à cette langue sacrée le nom de « Poésie », c’est-à-dire « Langue des Dieux » ; nom symbolique qui lui convenait parfaitement, puisqu’il exprimait à la fois son origine et son usage. On disait qu’elle était venue de « Thrace », et on appelait « Olen » celui qui, l’ayant inventée, en avait fait entendre les premiers accents.
Or ce sont encore deux noms symboliques, parfaitement adaptés à l’idée qu’on avait de cette science divine : elle était descendue de Thrace, c’est-à-dire de l’Espace éthéré ; c’est Olen qui l’avait inventée, c’est-à-dire l’Etre universel…
« Un homme né au sein de la Thrace, mais porté dès son enfance en Egypte par le désir de s’instruire, repassa dans sa patrie avec l’une des colonies égyptiennes, pour y propager de nouvelles lumières. Il était initié dans tous les mystères de la religion et de la science : il surpassait tous ceux qui l’avaient précédé, par la beauté de ses vers, la sublimité de ses chants, la profondeur de ses connaissances dans l’art de guérir les maladies et d’apaiser les Dieux.
C’était Orphée : il prit ce nom de celui de sa doctrine qui tendait à guérir, à sauver par les lumières. La tradition mythologique a consacré dans une brillante allégorie, les efforts qu’il fit pour rendre aux hommes la vérité qu’ils avaient perdue. Son amour pour Eurydice, tant chanté par les poètes, n’est que le symbole de l’amour dont il brûlait pour la science divine. Le nom de cette épouse mystérieuse, qu’il voulut en vain rendre à la lumière, ne signifie que la doctrine de la vraie science, l’enseignement de ce qui est beau et véritable, dont il essaya d’enrichir la terre. Mais l’homme ne peut point envisager la vérité, avant d’être parvenu à la lumière intellectuelle, sans la perdre ; s’il ose la contempler dans les ténèbres de sa raison, elle s’évanouit.
Voilà ce que signifie la fable que chacun connaît, d’Eurydice retrouvée et perdue…
« Orphée qui sentit, par sa propre expérience peut-être, le grand inconvénient qu’il y avait de présenter la vérité aux hommes avant qu’ils fussent en état de la recevoir, institua les mystères divins ; école admirable où l’initié, conduit de degré en degré, lentement étudié et éprouvé, recevait la dose de lumière proportionnelle à la force de son intelligence, et doucement éclairé sans risquer d’être ébloui, parvenait à la vertu, à la sagesse, à la vérité…
Les degrés principaux de l’initiation étaient au nombre de trois, comme sont encore aujourd’hui les grades d’Apprenti, de Compagnon et de Maître dans la Franc-Maçonnerie. On ajoutait quelquefois trois degrés secondaires aux trois principaux, et on les terminait par une révélation extraordinaire, qui, en élevant l’initié au rang d’« Epopte », ou de voyant par excellence, lui donnait la véritable signification des degrés qu’il avait déjà parcourus, lui montrait la nature sans voile, et l’admettait à la contemplation des lumières divines.
C’était pour l’Epopte seul que tombait le dernier voile, et qu’on écartait le vêtement sacré qui couvrait la statue de la Déesse. Cette manifestation, appelée « Epiphanie », faisait succéder l’éclat le plus brillant aux ténèbres qui, jusqu’alors, avaient entouré l’Initié. Le grade d’Elu a remplacé, parmi les Francs-Maçons, celui d’Epopte. »
Les chants d’Orphée comme les vers de Pythagore, au fondement de l’initiation aux Mystères, vibrent encore à chaque étape de l’initiation maçonnique, tendent à rendre synchrones les règles morales et la conscience mentale de leurs adeptes, et constituent en eux-mêmes un couple équilibré de forces destiné à relier harmonieusement sur l’axe vertical de la Perpendiculaire de l’Apprenti, les « niveaux » de la connaissance temporelle et de la conscience spirituelle.
L’inspiration de l’idée ou du mot juste espéré par le poète s’appuie sur l’équilibre ou le déséquilibre de ces forces, et « il semble qu’il y ait dans cet ordre des choses mentales, quelques relations très mystérieuses entre le désir et l’événement. Je ne veux pas dire que le désir de l’esprit crée une sorte de champ, bien plus complexe qu’un champ magnétique, et qui eût le pouvoir d’appeler ce qui nous convient (le mot ou l’idée). Mais, quelles que soient la netteté, l’évidence, la force, la beauté de l’événement spirituel (les mots-idées des points de l’étoile) qui termine notre attente, qui achève notre pensée ou lève notre doute, rien n’est encore irrévocable.
Ici, l’instant suivant a pouvoir absolu sur le produit de l’instant précédent.
C’est que l’esprit réduit à sa seule substance ne dispose pas du fini, et qu’il ne peut absolument pas se lier lui-même. » (Paul Valery) Cet instant de l’inspiration qui semble « régulièrement » suspendu et résorbé lors de la clôture des travaux, semble se réactiver dans les mailles de l’étoile de la Loge au travail, où les Frères et les Sœurs participant à sa dynamique depuis les colonnes, tendent à se transformer eux aussi en poètes inspirés. Car le poète, la poétesse, géomètre de l’âme, demeure pour exercer son Art entre l’écriture et la géométrie, cette zone médiane où le Verbe s’agrège aux mots d’esprit pour ensemencer l’écriture de structures géométriques foisonnant d’idées et de traits d’esprit, exaltant autant les tracés, les plans de l’architecte que le Travail du Compagnon qui les met en œuvre.
« La Muse, dit Platon dans ses Dialogues, inspire immédiatement les poètes, et ceux-ci communiquant à d’autres leur enthousiasme, il s’en forme une chaîne d’hommes inspirés. C’est par le moyen de cette chaîne que la Divinité attire l’âme des hommes, et l’émeut à son gré, en faisant passer sa vertu de chaînon en chaînon, depuis le premier Poète inspiré jusqu’au dernier de ses lecteurs ou de ses rapsodes. »
Car une chaîne humaine vaut plus, ou mieux, que l’addition de ses maillons. Les Maçons peuvent ressentir le delta de cette différence dans la chaîne qui les relie tous, physiquement, mentalement et spirituellement, lors de la clôture des travaux de Loge, et sur les ailes de ce delta, se laisser porter vers un autre Delta à l’Orient, laissant « en plan » l’horizon immanent des contingences, et dans la chaleur fraternelle, aspirer à la dimension transcendante de l’Etre.
Cet esprit inspire les poètes Maçons européens de langue germanique depuis la naissance de la Franc-Maçonnerie moderne, tels Goethe et Schiller, au XVIIIème siècle. « Le franc-maçon est cet homme qui a le courage de croire en la lumière au plus profond de la nuit » dit Goethe (1749-1832). Son poème « Loge de Maçon » illustre les convulsions de l’âme du Maçon en devenir, et la vie qu’il se forge par ses choix. Le Maçon embrasse sa destinée quand il ose tendre vers sa « fin », et renaître à lui-même par les mots « Meurs et Deviens » de son poème « Nostalgie bienheureuse » Ses derniers mots furent « Plus de lumière ! ».
Schiller (1759-1805), le « poète de la liberté », ami de Goethe, incarne l’idéal humaniste de l’homme. Beethoven, leur contemporain, a composé sa neuvième symphonie inspiré par le poème de Schiller « Ode à la joie ». « Elevez-vous, dit-il, d’une aile hardie, au-dessus du cours de votre temps. Que déjà, dans votre miroir, commence à poindre le siècle futur. » Dans sa « Lettre sur l’éducation esthétique de l’homme », en son siècle plus préoccupé par les besoins pratiques et l’utilité que par l’art, Schiller choisit la beauté car il estime que c’est par l’esthétique que le problème politique sera résolu. C’est par la beauté que l’homme sera conduit à la liberté. Dans ce monde gouverné par les idées, l’homme ne serait plus un « loup pour l’homme », mais le maillon heureux d’une chaîne universelle, capable de contribuer à l’élévation et à l’ennoblissement de l’espèce humaine. Il clame « Honorez les femmes ! »
Dans les pays de langue anglaise les poètes Maçons sont prolifiques, leurs poèmes exaltant particulièrement la fraternité, l’entraide et l’émulation des chaînes d’union dans des pays où les Temples sont souvent imposants, à l’instar de leurs nombreuses actions caritatives.
Leurs nombreux poètes sont aujourd’hui référencés sur des sites internet de poésie maçonnique, tel « Masonic Poets Society » où figurent sous forme bilingue quelques uns de mes poèmes. « Si » écrit par Rudyard Kipling en 1910, est un des poèmes maçonniques les plus connus dans le monde. Sa traduction habituelle en français, où le fond sacrifie l’essentiel à une forme convenue, s’écartant sensiblement de la version anglaise, le revoici fidèle au texte d’origine, modèle d’une transmission d’homme à homme.
Les poètes Maçons pensent-ils en musique ? On serait tenté de le croire, tant depuis la lyre d’Orphée l’inspiration musicale accompagne l’écriture pour illustrer le cheminement initiatique. Comme le musicien, le poète compose et reçoit son inspiration en un lieu subtil en lui, à l’articulation entre le son et le sens, en ces moments où les sons des mots mettent en musique le silence de la pensée. L’inspiration silencieuse de l’idée s’exprime dans chacun des phonèmes du mot, jusqu’à s’agréger par ensembles limités de mots et de phrases.
A peine émise, l’idée limite son expression, cherche et trouve son « terme », son dernier son en fin de mot, son dernier mot en fin de phrase et dans le poème en fin de vers. Le poème est cette suite de limites régulièrement dépassées et renouvelées, cette succession d’aspirations aux idées et d’expirations de mots résonnant les uns par les autres, cette respiration inspirée de la parole composant des mélodies de sens.
Mais alors ce lieu subtil où se croisent et se fécondent le mot et le sens, rappelant l’Equerre et le Compas croisés sur l’Autel des Serments et régulés par la Règle ou le Livre de la Loi sacrée, n’est-il pas un passage, un pont jeté par le poète au faîte de son inspiration entre la matière et l’esprit ?
Il évoque ce « pontife » résidant sur une montagne sacrée, chargé dans la Grèce antique de l’entretien d’un pont reliant le monde des hommes au monde des dieux. Du haut de cette montagne se répandaient les oracles divins, les lois et les enseignements que les pontifes composaient en vers.
Et dès l’origine une sorte de schisme se produisit entre deux cultes, celui des Thraces consacré à Dionysos l’esprit divin et Déméter la terre-mère, et celui des Grecs proprement dits, consacré au soleil et à la lune, rendu sur le mont Parnasse et à Delphes à Apollon et à Diane. Les Rites maçonniques, et en particulier le Rite Ecossais Ancien et Accepté, garde et même entretient la marque de cette séparation par une différence de sens entre les degrés symboliques et les degrés dits de Perfection.
En Franc-Maçonnerie, dans les Loges et l’esprit des Maçons, les Thraces et les Grecs, Dionysos et Apollon, Déméter et Diane, ont vocation à se rencontrer. « C’est en liant Dionysos et Apollon que la religion grecque a atteint sa hauteur la plus sublime. Cela ne saurait être un simple hasard qu’ils soient venus l’un à l’autre. Ils se sont attirés et cherchés, parce que leurs règnes, malgré le contraste le plus brutal, sont malgré tout, sur le fond, rattachés par un lien éternel.
La lumière et l’esprit d’en haut doivent toujours avoir connu au-dessous de soi le nocturne et la profondeur maternelle, sur lesquels tout être est fondé. A la religion olympienne, qui ne devait pas être une religion de la soumission et du cœur indigent, mais celle de l’esprit clairvoyant, il fut réservé, là où d’autres séparent et maudissent, de reconnaître et d’honorer l’union des contraires, celle que montre l’arc et la lyre. » ( Walter F. Otto, L’esprit de la religion grecque ancienne : Theophania) Dans la Loge Victor Hugo deux fois née comme Dionysos, d’abord au Grand Orient de France, puis il y a onze ans à la Grande Loge de France, l’arc et la flèche du sens tendu entre les mots d’un poète a fécondé la lyre d’un musicien, Gérard Berliner, engendrant « Le Flambeau ».
L’amour fraternel qui sublime ce lien établi dans les Loges maçonniques entre le son et le sens, la lyre et la flèche, rappelle Cupidon, le dieu romain de l’Amour, portant avec son arc une torche allumée. Le feu de l’amour réchauffe le lien entre le son et le sens, et en retour ce lien éclaire l’amour, chaleur et lumière touchant au cœur les Sœurs et les Frères du foyer qu’est la Loge. Il se concentre symboliquement dans la flamme de l’étoile allumée sur le plateau du Vénérable, et se transmet aux deux colonnes lors de l’ouverture de ses travaux. « Que la lumière nous éclaire ! » dit le Vénérable. « Et que l’amour nous allume ! » rajouterait volontiers le poète.
Suspendu à l’inspiration, le poète Maçon se balance entre l’espérance collective de ses Frères et Sœurs et ses propres aspirations. Entre « Espérons ! » et « J’aspire ! » s’écrivent les vers de ses poèmes, s’entendent les sons et les sens, les mots et les idées, et les mélopées silencieuses de leurs chants secrets. Il ouvre la grande ronde des poètes à ceux et celles qui goûtent leur langue, savourent son esprit, ses accents, et quand d’autres disent « Je vous écoute », disent en souriant « Je t’entends », couvrent leurs Muses de présents, de paroles aimantant le temps, et pour étirer le présent, s’invitent au Banquet de Platon et partagent des agapes fraternelles.
Patrick Carré
Hyères, 12 octobre 2013
SOURCE : http://www.patrick-carre-poesie.net/spip.php?rubrique2
Pour l’existence de loges maçonniques libres 22 novembre, 2022
Posté par hiram3330 dans : Contribution,Recherches & Reflexions , ajouter un commentairePour l’existence de loges maçonniques libres
Georges J-f Bertin·Jeudi 21 novembre 2019·
1) De l’utilité maçonnique des obédiences…
2) Les chemins de Compostelle à l’Or.°. de Tours, un exemple de loge libre
3) Notre engagement et notre liberté.
De l’utilité maçonnique des obédiences…
La Franc-maçonnerie offre à celui ou à celle qui le désire, les moyens de son propre accomplissement. Elle libère par les voies de l’initiation, un accès à ce qui serait le bien le plus précieux pour l’homme, c’est-à-dire le gouvernement de soi.
L’initiation, que l’on doit comprendre comme “magiquement” le passage d’un état à un autre, propose donc à l’homme resté profane, une sorte d’équipement qui lui permettra de s’accorder le souverain bien et de comprendre qu’en quittant les motifs subis de son existence, il pourra prétendre à saisir enfin les arcanes du désir d’être.
Cette initiation n’accorde pourtant aucun pouvoir, aucun surcroît instantané, aucun attribut valorisant.
L’initiation doit s’entendre comme la venue prochaine de nouvelles potentialités dont tout le travail sera de se les accorder en propre. Mais ce saut dans les vertiges de la liberté est une des premières grandes difficultés de la démarche.
La suite ne se démentira pas. Ni académie, ni petite université du soir, ni le lieu d’une assemblée où il y aurait à savoir et donc à ignorer, la franc-maçonnerie et, ses rituels, par nature, n’existe pas.
Car pour réaliser ce qu’elle vient de promettre, elle doit se soustraire au monde. Elle doit s’affranchir de toute attache profane, elle doit disparaître à elle-même, manière de s’apparaître en dehors de toute socialité.
La Loge est alors le lieu d’un séjour, la possibilité d’un ailleurs radical, un moment suspendu, une parenthèse où ce qui s’y déploie relève précisément d’une présence à soi.
Il faudra donc renoncer aux réifications et aux fantasmes du débat politique car la loge est bien rarement l’antichambre d’une quelconque réforme. Tout cela est bien plus en rapport avec la règle d’abstinence en psychanalyse, où l’on sait que la séance “n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais”. Nous sommes là en effet dans un monde de représentations secondaires où la réminiscence, le sens de la trace et le sort de l’imaginal tiennent lieu plus sûrement de régimes de rationalité.
Les Loges libres, c’est-à-dire sans appartenance obédientielle, ont parfaitement compris cela et considère que le “gouvernement de soi” n’appelle surtout pas le secours d’un pouvoir référentiel.
Et on peut s’interroger sur cette attitude insolite des frères se ralliant à une obédience. Car il y a bien quelque chose de contrevenant dans l’idée de restaurer des liens de dépendance là où l’objet est de s’en dessaisir.
Cette “servitude volontaire” à un appareil administratif, de la bouche de nos sœurs et frères, se justifie bien sûr. Elle permet aux Loges de s’épargner la dérive sectaire, elle garantit les bonnes pratiques, elle cautionne les discours et protège la validité du parcours initiatique.
Mais elle permet aussi l’acquisition immobilière, le contrôle intégral de la communication et l’existence de quelques “fraternelles”, ce qui situe cette maçonnerie prétendument universelle comme étant finalement très parisienne…
Pourtant ce couvert institutionnel a un prix. Car là où en 1784 en pleine naissance de la franc-maçonnerie, le philosophe des Lumières Emmanuel Kant s’exclame “ose savoir”, l’obédience prescrit, impose, administre, instruit.
Ce qui est aussi une façon entre elles, de constater leur division, leur souci de l’exclusive et la légitimité qu’elles se disputent en brandissant patentes, constitutions et règlements. Chacune de ces obédiences étant nécessairement la plus authentique d’entre toutes.
Une autre maçonnerie existe en France.
Elle est significative et pratique sans autre publicité ce qui lui est cher. Vous avez là des femmes et des hommes qui ayant rompu avec la puissance du réseau, traversent la grande solitude de leur indépendance s’étant sans possibilité de retour, éloignés du chaleureux sentiment d’appartenance.
Sans plus de mots d’ordre, de correspondance du Conseil de l’Ordre, de questions à l’étude des Loges, ils travaillent et plutôt sérieusement.
Ils n’ont plus rien à reproduire ni du discours central, ni à consentir aux douces injonctions des Frères en mal de supériorité.
Ils exercent avec ferveur ce projet de ne rien compromettre d’eux pour grandir ce monde d’un peu plus de lumière.
Les loges libres savent elles, que la lumière ne s’administre pas.
Elles ont donc abandonné l’idée d’une prétendue utilité maçonnique de l’obédience.
Elles pratiquent ainsi une maçonnerie anhistorique – comme depuis toujours – avant même que les obédiences ne les fédèrent et considèrent qu’à partir de là, ça commence à compter…
On s’étonnera donc de cette contradiction à désirer la liberté en s’affiliant à une obédience.
On se questionnera sur ce penchant de l’homme à cautionner son désir par d’improbables attaches institutionnelles.
Car la voix et l’esprit d’hommes en quête d’eux-mêmes, ne seraient donc opposables qu’à la condition d’être entendus par un pouvoir, les effets d’une administration et les bienfaits paternels de l’assurance d’un appareil.
Pourtant en Loge, le seul événement qui soit, c’est l’événement de la “parole”. Non pas de l’énonciation, du discours ou la production d’une énième épistémè.
C’est le moment où ayant renoncé à tout projet de signification, nous nous en remettons lointainement à ce qui peut se créer en nous, de parlant. Ce qui “parle” c’est le désir d’être. Et cela même est inconditionnel. C’est l’effet d’un “je” et non pas d’un “nous”.
Les Loges libres sont respectueuses de leur environnement. Elles ne revendiquent rien d’autre qu’un droit à l’existence que l’on leur offre aujourd’hui très difficilement. Car comment tolérer, dans une sorte de geste autogestionnaire, des femmes et des hommes qui considèrent que le seul bien qu’ils possèdent, c’est précisément le prix qu’ils sont prêts à payer pour ne pas céder sur leur désir?
Comment comprendre, que d’eux-mêmes, ils acceptent cette sorte d’ascèse qui ne débouche sur aucune gratification, aucun affichage, aucune valorisation sociale.
Mais qu’ayant trouvé dans la nuit de leur nescience les ressorts de la joie et de l’émerveillement, ils se dispensent – comme un projet – d’une autorité supérieure.
C’est dire que ces loges libres renoncent aux motifs d’une cause qui viendraient les légitimer. Elles ne se réclament que d’elles-mêmes, non pas dans le sens perverti d’une auto proclamation.
Mais que rien ne les précédant ni même leur succédant, cette désertion du social – de son ordre et de sa symbolique – revient à s’offrir les mécanismes d’une (contre) structure qui ne repose sur plus rien d’autre que le souffle, ce qui est le plus ultime de la démarche maçonnique.
Car ce souffle c’est l’initiation.
Appartenant alors au monde du symbolique ces femmes et ces hommes deviennent, en fraternité, les vrais sujets de l’histoire. Loin de toute institution, “osant savoir par les moyens de leur propre entendement”, c’est là seulement qu’ils trouvent la plus sûre des “Lumières”.
Un maçon libre, octobre 2014. Source GADLU Infos
Les Chemins de Compostelle, une Loge libre !
(par un frère fondateur de la loge libre de Tours).
La Respectable Loge « Les Chemins de Compostelle » est une Loge libre !
Mais qu’est-ce que cela signifie « être une Loge libre » ?
Toute d’abord, cela signifie « être une Loge souveraine ».
Nulle autre autorité que le conseil des Maîtres n’est autorisé à prendre les décisions qui engagent la loge. Ni arrière loge ni obédience ne peuvent se targuer de décider pour la loge bleue que nous constituons.
Cette situation est plutôt rare en ces temps où la quasi-totalité des loges existantes, en échange de leur confort matériel et de l’accès à un réseau de relations, ont troqué leur indépendance pour une sujétion administrative, réglementaire, et même spirituelle, la loge n’ayant l’autorisation d’utiliser les rituels « qu’en lecture seule », comme on dit dans l’informatique.
C’est tellement vrai que, dans la maçonnerie obédientielle, l’installation d’un nouveau
Vénérable Maître est fréquemment confiée à une émissaire du pouvoir central (grand, respectable, illustre, c’est selon) qui a autorité pour valider le choix des Maîtres de la Loge.
Cela est symbolisé par la remise du maillet à l’illustre frère obédientiel, lequel condescend ensuite à le rendre au nouveau Vénérable Maître pour lui permettre de présider la Loge.
Dans le même ordre d’idées, la loge sujette ne peut fonctionner que si elle appose à l’Orient, au pied du plateau du Vénérable Maître, la patente qui lui a été délivrée par l’obédience à laquelle elle s’est soumise.
Celle-ci peut lui retirer et même « démolir » la loge si celle-ci ne respecte pas les obligations qu’elle a contractées envers elle.
Or, si l’on peut admettre la rupture entre une obédience et une loge pour non-respect des engagements contractés, je refuse qu’une obédience puisse « démolir » une loge.
C’est une aberration initiatique car ce sont les obédiences qui émanent des loges et non le contraire.
Certains considèrent qu’aucune loge ne saurait être créée en-dehors du système obédientiel ni reconnue par lui.
Je laisse à Marius Lepage le soin de répondre :
« Lorsque le nombre de Maçons suffisant est acquis pour que les Travaux rituels puissent être ouverts, une Loge est valablement formée. Elle peut alors se réclamer de la même ancienneté que la plus ancienne Grande Loge produisant des documents historiques irréfutables ! Une Loge juste et parfaite est aussi bien et autant l’Ordre que si elle fonctionnait depuis des temps immémoriaux, car existant dans l’Esprit de l’Ordre, elle existe elle-même en esprit et en vérité de toute éternité. » Marius Lepage, cité par Jean Reyor, in sur la route des Maîtres Maçons, chapitre XIX, page 196.
Malheureusement, l’une des dérives les plus navrantes de la démocratie est que les hommes qui ont été élus oublient d’où provient leur légitimité et, comme ils méconnaissent ou nient toute autre source de légitimité, leur pouvoir, privé de celle-ci, se transforme vite en une tyrannie maquillée de démagogie.
Et ce qui est vrai dans le domaine profane a malheureusement contaminé le domaine initiatique qui aurait dû en rester préservé.
Mais le but de cette planche n’est pas l’attaque des obédiences.
Je voulais simplement rappeler que le fondement de la liberté d’une loge c’est la souveraineté de son conseil des Maîtres, et rien d’autre ! La Loge indépendante choisit librement son mode de fonctionnement et elle adapte librement (et prudemment) le rite que les Maîtres ont régulièrement reçu et ont pour devoir de transmettre sans faillir.
Les risques de cette liberté:
Mais cette liberté n’est pas sans risques. En effet, la servitude a l’avantage de préserver des errances. « Pourquoi nous as-tu fait sortir d’Egypte », reprochaient les Hébreux à Moïse et Aaron dans le désert, «quand nous étions assis auprès de la marmite de viande et mangions du pain à satiété. A coup sur, vous nous avez amené dans ce désert pour faire mourir de faim toute cette multitude.» Exode, 16,3 .
Or, si nous ne risquons pas de mourir de faim, bien des épreuves nous guettent.
Quelles sont-elles ? Des épreuves matérielles, certes.
Souvent, ce qui empêche les frères et les sœurs de franchir le pas de l’indépendance, c’est qu’ils risquent de ne plus être reconnus par des frères et sœurs qui leur refusent alors de travailler sous le même toit. Et trouver un refuge n’est pas toujours aisé !
En effet, il peut être onéreux de louer un espace que l’on n’occupera au mieux que quelques soirées par mois et s’installer de façon précaire dans un local provisoire à chaque tenue peut s’avérer à la fois pénible et lassant.
Dans les deux cas, il faut faire l’apprentissage de la pauvreté ou tout au moins de l’inconfort, loin du douillet cocon des bâtiments officiels.
Des épreuves psychologiques, aussi.
Il n’est pas facile de se couper de ce qui apparaît comme la maçonnerie universelle.
Certes, des frères et des sœurs peuvent continuer à visiter les frères et les sœurs dissidents, au moins pendant un certain temps et dans la mesure où ils ont la personnalité suffisante pour résister aux pressions qui s’exercent sur eux afin que l’isolement des « hérétiques » soit efficace.
Mais par contre il est souvent difficile à supporter d’être considéré comme d’ex-frères ou d’ex-sœurs, surtout quand on sait que cette notion est totalement contraire à la réalité de l’initiation.
Comme le disait Guénon : « Une fois qu’elle est reçue, la qualité initiatique n’est nullement attachée au fait d’être membre actif de telle ou telle organisation. Dès lors que le rattachement à une organisation traditionnelle a été effectué, il ne peut être rompu par quoi que ce soit, et il subsiste alors même que l’individu n’a plus avec cette organisation aucune relation apparente. Le lien établi par le caractère initiatique ne dépend en rien de contingences telles qu’une démission ou une exclusion qui sont d’ordre simplement « administratif ».
Il est donc tout à fait inexact de parler d’un « ex-maçon » comme on le fait couramment. »
Enfin, la raréfaction des contacts avec les autres maçons est difficile à supporter et manque à la formation des jeunes apprentis. C’est pourquoi il est nécessaire que la loge libre puisse nouer des relations avec d’autres loges, libres elles aussi, ou affiliées aux rares obédiences refusant le sectarisme.
Des épreuves initiatiques, enfin :
Même si les loges obédientielles n’en sont pas exemptes, les dérives liées à la personnalité des frères ou des sœurs sont peut-être encore plus pressantes dans une loge libre.
En effet, celles-ci n’ont pas le garde-fou de la mobilité maçonnique qui, dans la maçonnerie obédientielle, permet aux membres mécontents ou déçus de rejoindre un autre atelier. Et il n’y a plus « au-dessus » la pression normative de l’obédience s’efforçant d’éviter toute vague (et même toute vaguelette) qui pourrait porter atteinte aux intérêts du groupe qu’elle gère.
Ainsi, la Loge libre risque la dérive sectaire ou la soumission à un guru qui s’en emparera par séduction, ruse ou menace, et l’entraînera dans des chemins d’errance et des impasses.
Comment donc se préserver de ces errances ?
Une Loge libre ne vivra que si elle apporte à l’Orient qui l’abrite un souffle à la fois nouveau et ancien, en rupture évidente avec la maçonnerie obédientielle qui tient le devant de la scène.
Il faut qu’elle fasse de sa pauvreté, de son isolement et de sa liberté les meilleurs atouts de son utilité initiatique.
Sa pauvreté la protégera des tentations de la routine et de l’embourgeoisement, elle l’aidera à accueillir des frères et des sœurs plus diversifiés et provenant de milieux et de classes d’âge qu’on ne voit plus ou qu’on n’a jamais vus dans la maçonnerie courante : des jeunes et des chômeurs, les deux peut-être ? Nous voilà bien loin de la maçonnerie de l’élite économique et politique, objet de tous les fantasmes du monde profane !
Son isolement la protégera des tentations de la gloire ou plutôt de la gloriole et de la fausse fraternité des « relations » pour retrouver la vraie fraternité du travail initiatique en commun.
Il lui évitera les tentations médiatiques et la recherche de la fausse reconnaissance des puissants et du P.A.F maçonnique.
Sa liberté la protégera du conformisme et du « politiquement correct » qui sévit dans toutes les obédiences et qui fait qu’on attend obligatoirement d’un maçon qu’il soit humaniste, démocrate, républicain, progressiste, … que sais-je encore ? Sans même qu’il y ait de questions à se poser sur le sens de ces mots dans leur relation avec la démarche initiatique.
Ce sont ces caractéristiques qui feront de la loge libre à la fois un refuge et un tremplin pour les hommes et les femmes libres. Le fameux adage, trop souvent employé à tort et à travers dans les loges maçonniques, pourra enfin prendre ici toute sa force et toute sa vigueur : « un maçon libre dans une loge libre ».
Mais liberté ne veut pas dire errance sans boussole car la démarche initiatique n’est pas une auberge espagnole où chacun peut apporter ce qu’il veut manger. En fait, dans l’auberge initiatique, c’est à chacun de découvrir ce qu’il y a à manger, la substantifique moelle étant bien cachée sous des formes apparemment différentes.
Ne négligeons pas non plus le titre distinctif d’une loge. La nôtre s’appelle « les chemins de Compostelle ».
Cela signifie que, quels que soient les itinéraires empruntés, même si chacun fait son chemin, le but est unique et ne saurait être échangé contre un autre ou se trouver en un lieu qui ne soit pas le bout du chemin On peut certes, en cours de route, se détourner du chemin le plus court pour accomplir quelque dévotion ou pèlerinage secondaire, fort intéressant, mais qui n’est pas Saint Jacques.
Quand on l’a trouvé, on en est content mais l’on ne sera satisfait qu’à Compostelle.
Transposé dans le domaine initiatique, cela veut dire qu’il faut soumettre notre liberté à l’aune de la Tradition et de la régularité.
La régularité, bien entendu, n’a rien à voir avec la reconnaissance administrative de quelque Grande Loge ou Grand Orient, autoproclamé dispensateur de légitimité maçonnique. La Tradition n’est pas un vague respect de coutumes dont on apprécie l’éclat cérémoniel.
Non ! Tradition et régularité font allusion à la transmission de l’influence spirituelle dans des circonstances et selon des règles qui en garantissent l’origine.
Pour paraphraser les çufis, c’est une affaire de silsillah et de barakah, ou bien, dans le symbolisme du tissage, de chaîne et de trame. On peut aussi dire que la barakah relève de la Shruti (influence spirituelle, d’origine non-humaine) et la silsillah de la Smriti (transmission, produit de l’exercice des facultés humaines).
Or, l’homme qui, au XX° siècle, a le plus clairement exposé la doctrine traditionnelle et surtout la finalité de l’initiation, c’est bien René Guénon et son œuvre est une boussole qui doit nous éviter de perdre le Nord.
Entendons-nous bien ! Pour revenir à la notion de pèlerinage, savoir où est le Nord n’interdit d’utiliser aucun chemin mais, à la fin des fins, il faudra bien toujours retrouver le Nord si l’on veut s’orienter correctement.
Triple contrainte et triple influence :
Pour préciser mes propos, je dirai que la loge obédientielle est éloignée de la véritable démarche initiatique par une triple contrainte et une triple influence :
Trois contraintes frappent les loges obédientielles.
- Le partage des soucis de l’obédience (équilibre budgétaire, gestion immobilière, augmentation d’effectifs et rentrée de capitations) qui entraîne les frères et les sœurs vers des préoccupations matérielles dont ils ne devraient pas de préoccuper.
- La participation aux nécessités de représentation de l’obédience qui leur font miroiter l’intégration dans une hiérarchie inutile où, à côté des généreux et des sincères, brillent les médiocres, les ambitieux, les envieux et les « faux glorieux ».
- L’envahissement des questions de réglementation et la juridisation qui enchaîne leur liberté et la réduit à la médiocrité du politiquement correct et du « consensus mou ».
Trois influences les distraient au point de les détourner de l’initiation :
- dans certaines obédiences, on ne saurait concevoir la maçonnerie autrement que préoccupée de problèmes sociétaux, soucieuse d’influer sur les décisions des puissants et d’avoir un avis unanime ou majoritaire sur tout, de la laïcité à l’euthanasie, en passant par le préservatif et la résolution de la crise économique.
- ailleurs, se voulant philosophe, on confond initiation et discours savant sur Kant ou Platon.
- encore ailleurs, on se croit érudit et l’on se targue de tout savoir de l’origine du grade de Maître, ou de collectionner les anciens rituels et les anciens devoirs.
Sans oublier nos frères américains pour qui la charité maçonnique est, comme en Europe au XIXème siècle, une façon de pallier les défaillances de leur système de protection sociale.
Je ne blâme pas – qui suis-je pour cela ? – les frères ou les sœurs qui pensent que cela est l’initiation et ce sont certainement là des loisirs plus intelligents et plus utiles que la plupart de ceux auxquels se livrent nos contemporains.
Mais, une loge libre à mieux à faire.
Alors, que faire dans une loge libre ?
En fait, une fois débarrassé de la triple contrainte (en termes de capitation, de réglementation et de représentation) et de la triple influence (en termes sociétal, philosophique et érudit) du cadre obédientiel, à quoi sert il de faire partie d’une loge libre ?
Car s’il s’agit de reproduire ce que l’on fait dans une loge obédientielle, il ne sert à rien de s’en libérer.
Et, de fait, on connaît peu de loges libres qui pratiquent le clubisme à l’anglaise, mâtiné de « charity-business » façon Rotary ou Lyons’Club. Lorsque l’on considère la maçonnerie sous cet angle, il n’est pas très judicieux de s’éloigner des réseaux d’influence constitués par les obédiences.
De même, je ne connais pas de loge libre tentée par la démarche sociétale propre aux obédiences « a dogmatiques » et « libérales ». Là encore, le besoin de réseau et de reconnaissance extérieure n’est guère compatible avec la solitude d’une petite unité.
Par contre, une loge libre peut tomber dans l’érudition ou dans la dérive philosophique. Elle sera alors loge de recherche et s’attachera à une œuvre, qui n’est certes pas sans intérêt, mais restera dans un domaine extra-initiatique si rien d’autre ne vient la compléter. Cela peut être un piège car, bien entendu, cette loge passera à côté de l’essentiel.
Pour comprendre l’intérêt de mener à bien l’aventure d’une loge libre, il faut revenir au sens de l’initiation. Celui-ci est indissolublement lié aux notions d’involution et de cycle.
Pour commencer, admettons que l’homme a perdu un état primordial qui convenait à l’être spirituel et co-créateur du monde qu’il était. Cet état est appelé dans la tradition judéo-chrétienne Etat adamique et cette perte est relevée dans toutes les Traditions. Elle correspond à la chute à laquelle il est fait allusion dans le volet exotérique des enseignements traditionnels.
Apparue peu après la chute avec le personnage légendaire d’Hénoch (Genèse V,24), l’initiation vise à réintégrer cet état afin de retrouver la fusion avec le Principe créateur puis avec le Tout inconnaissable qui donne sens à l’existence. C’est une remontée à la Source. C’est la quête de l’Homme véritable, celle des Petits Mystères qui ouvre la porte de l’Homme universel et des Grands Mystères.
Pour retrouver cet état, l’homme – qui s’en éloigne de plus en plus au fil de l’involution – doit utiliser la méthode initiatique qui permet la transmission régulière (silsillah) de l’influence spirituelle (barakah) à travers les générations.
D’après Guénon, malgré leur déchéance et leurs déviations, la franc-maçonnerie et le compagnonnage sont en occident les seules organisations initiatiques à n’avoir pas perdu le lien traditionnel.
En Orient, celui-ci est resté plus solide … tout au moins à son époque car l’involution s’est poursuivie depuis sa mort, il y a un peu plus de soixante ans, avec les effets désastreux que l’on connaît, particulièrement dans la tradition islamique menacée désormais à l’interne dans son identité même.
Avec la disparition des métiers – au sens traditionnel du terme -, l’initiation maçonnique reste donc bien seule en Occident … et sa déchéance est grande, surtout depuis que, devenue spéculative, elle a perdu la connaissance des sept degrés qui, dans la maçonnerie opérative, permettaient à un nombre de plus en plus réduit d’initiés véritables de pratiquer à la fois l’invocation, la méditation et la mise en œuvre des rituels, travail extérieur et collectif indispensable dans une initiation fraternelle de type artisanal, la dernière qui reste en occident.
Or, même si l’invocation semble impossible car la Parole des Maîtres a été perdue, même si les techniques de méditation ont été oubliées, une loge libre doit s’attacher à pratiquer l’étude des rituels et la mise en œuvre de leur symbolisme actif dans un cadre collectif et fraternel.
Cela ne permettra certainement pas aux maçons qui la pratiquent d’atteindre la délivrance, ni même le seuil des petits mystères mais cela les mettra au moins sur la voie qu’ils pourront poursuivre dans un futur état de leur être et dans une autre modalité de leur existence.
C’est toujours mieux que rien et c’est ce que l’on peut espérer de mieux en Occident.
D’autant qu’il n’est pas souhaitable d’abandonner sa tradition comme certains l’on fait. Il faut donc d’essayer de vivre son ésotérisme en s’appuyant sur la base exotérique judéo-chrétienne propre à notre civilisation. Guénon nous l’a clairement demandé, même si, lui, a vécu en pratiquant des exotérismes divers, mais cette adaptation aux pratiques du pays d’accueil est la caractéristique du véritable Rose-Croix que lui était et que nous ne sommes pas.
Conclusion sur le titre distinctif de la Loge :
Pour terminer, je dirai que le titre distinctif de notre Loge, « Les Chemins de Compostelle » ; correspond tout à fait à sa situation de Loge indépendante car il évoque le pèlerinage. Et le pèlerinage passe par l’ascèse :
- d’une pauvreté relative (on n’y possède que ce que l’on peut transporter avec soi),
- d’un isolement relatif (on est seul dans son effort au long des chemins),
- des risques matériels et psychologiques (inconfort, danger des contrées traversées, errance et choix des mauvaises routes),
Il passe aussi par la question de ce que l’on veut en faire : Le fait on pour le sport, pour la découverte culturelle, pour l’aventure et les aventures ? Mais il offre surtout la possibilité d’associer recherche intérieure personnelle et fraternité collective tout au long du chemin… comme notre Loge.
Notre engagement et notre liberté.
RL Les sept frères libres et réunis. Or.°. d’Angers.
L’engagement maçonnique suppose une liberté. Et il n’est d’engagement valable que celui où chaque conscience particulière se mûrit en loge dans l’interaction qui se produit avec ses frères et sœurs.
Ainsi le franc-maçon ne se satisfait pas d’organiser ni d’observer des rituels s’il n’y trouve pas l’occasion d’éprouver la fraternité de ses sœurs et de ses frères.
Aucune de nos actions en loge ne sera viable si elle néglige certes le reflet d’une certaine efficacité (polir sa pierre) mais aussi d’une recherche de vie spirituelle (la recherche de la Lumière, celle que nous avons demandée lors de notre première entrée dans le Temple).
Notre engagement de ce fait ne peut se satisfaire, -ce serait contre-productif par rapport à nos idéaux-, des rêves d’embrigadement qui peuvent se révéler ici où là, quand un ou des individus, voire des organisations maçonniques, prétendent détenir la vérité.
La Lumière alors s’en trouve considérablement obscurcie même si leur discours est séduisant sur le plan des savoirs.
De fait, nous visons à la Connaissance (au sens propre naître avec puisque nous naissons une nouvelle fois lors de notre initiation).
En Franc-maçonnerie, c’est le franc-maçon qui est libre après avoir choisi d’être libre et c’est singulièrement le projet d’une loge libre. Et c’est le devoir impérieux des responsables de la loge que d’y veiller contre les dogmatismes d’où qu’ils viennent.
Notre liberté est ici un pur jaillissement, invention perpétuelle du franc-maçon par lui-même, elle est totale sans bornes par le seul fait qu’elle est.
« Le seul mot de Liberté est tout e qui m’exalte encore, disait André Breton, car je le crois propre à entretenir le vieux fanatisme humain », il entendait par là ce qui résiste aux démons du dehors, ce que nous appelons les métaux.
Mais, MTCS, MTCF, cette liberté n’est jamais acquise une fois pour toutes, il y faut un accompagnement, soit une pédagogie, au sens propre.
Et cet accompagnement, c’est bien la loge qui le produit, car c’est elle-et elle seule- le maître collectif.
Dans une loge nous faisons un jour la rencontre merveilleuse de personnes qui autrement nous auraient été perpétuellement étrangères, et ceci transcende toutes les conditions sociales, culturelles, de pouvoir ou de position établie.
La Franc-maçonnerie en effet n’est pas une éthique de Grands Hommes, un aristocratisme d’un nouveau genre qui sélectionnerait des frères ou des sœurs choisis en fonction de leur réussite personnelle pour en faire une élite hautaine et solitaire.
Car l’existence la plus humble est déjà séparation, décision. Aussi, pour nous prémunir de ces tentations qui ressurgissent sans cesse, notre pédagogie se doit de veiller, par la confrontation constante et l’interaction en loge de tout ce qui alourdirait notre pensée, qui pervertirait notre existence (c’est-à-dire l’a conduirait par des voies hors du chemin de lumière qui est le nôtre).
Et nous savons aussi que la grande masse des hommes préfèrent la servitude dans la sécurité au prix même de leur liberté.
Il y faut persévérance et humilité, mais aussi affirmation de nos convictions d’hommes et de femmes libres.
Et parfois nous ne devons pas refuser, dans la rupture si besoin en est, l’affirmation de notre force collective, de l’énergie qui nous habite.
Elle est à la fois intérieure à chacun, spirituelle, efficace et manifeste.
Il peut donc arriver que notre pédagogie soit celle de l’affrontement, il y va de la sauvegarde de l’égrégore.
Car si la liberté n’est pas que sommes-nous, MTCS, MTCF ? Et la Liberté cela se défend.
Retour sur la Méthode.
Pour les Franc-maçons, les énergies vitales que les rites mettent en œuvre excluent les formes obsessionnelles du devoir et de la moralité profanes.
Nos rites sont ouverture pour chacun à ses possibilités de liberté, au contraire de celles qui caractérisent les individus prisonniers de leurs cuirasses, élevés dans une atmosphère de mépris de la vie et de leur corps, dans l’angoisse sur le terrain de laquelle se créent les idéologies quand celles-ci, niant la vie, forment la base des dictatures, et manifestent le fondement de la peur de vivre d’une manière libre et indépendante.
Comme dans l’Alchimie, le processus de transformation auquel l’initié se soumet l’y conduit.
Il en actualise à chaque étape ou « degré » (ce qui n’a rien à voir avec les grades du monde profane) les étapes de la cosmogonie où il s’inscrit et que portent à la fois les rites et les légendes maçonniques.
Dans nos loges, véritables athanors, nous franc-maçons nous libérons des aspects d’une vie corrompus par l’action du temps puisque, travaillant de midi à minuit, nous y faisons une expérience « autre » et du Tout Autre.
Ainsi la voie maçonnique est d’abord et essentiellement « éducative ».
Le symbolisme que nous vivons ne peut donc en aucun cas, s’apparenter à un discours d’école, car aucun individu ou système ne peut être porteur d’une vérité obligatoire, tant le symbole demeure opaque, non transparent.
Précisément, en loge, sauf à basculer dans un tout autre univers,-dogmatique, celui des « sachants »;-il appartient à chaque FM de se saisir de nos symboles à son niveau sur la base des expériences qu’il est le seul à pouvoir relier aux images symboliques que nous confrontons, librement, à notre vécu.
La démarche maçonnique propose, dans cette logique, une progression lente et structurée, librement consentie, vers la Connaissance manifesté par la Lumière.
Chacun de nous est donc invité à la découvrir à son propre rythme, elle lui sera manifestée ou non selon son choix.
C’est ce que nous avons de fait à réaliser pour créer dans notre être un certain degré de plénitude à l’image des voyages décrits par Dante, dans la Divine Comédie, qui amènent dans leur principe, vers leur source, l’initié à des purifications successives, après des étapes de dégradation (les épreuves) puis de perfectionnement.
Cette progression passe par un développement harmonieux, et une éthique partagée élargie, bien au -delà d’une simple morale imposée.
Elle n’est nullement dogmatique.
Il appartient à chacun, dans l’esprit de liberté qui caractérise notre franc-maçonnerie de chercher sa propre voie spirituelle en toute liberté, nul ne pouvant se substituer à l’autre.
Et c’est singulièrement le cas de nos loges libres.
Nous éviterons ainsi à éviter deux écueils :
- d’une part, la transmission limitée à la seule livraison de savoirs que d’aucuns seraient sensés posséder, système inerte et non vivant coupant de fait toute voie à la réalisation personnelle
- d’autre part en refusant de nous soumettre à l’autorité d’un maître, à la personnalité de celui qui en rajoute en introduisant de la distance avec la base, à celui qui exercerait peu ou prou un pouvoir que d’aucuns trouvent merveilleux ou fascinant.
Poursuivons donc MTCS, MTCF, dans les voies qui nous sont tracées et ce dans l’esprit même voulu par nos passés maîtres fondateurs soit : engagement et liberté, cette liberté que nous chérissons comme valeur dés lors que nous avons compris que la porte du temple qu’un jour nous avons tous franchie « n’est pas un frontière ».
Le livre du TAO et de sa vertu – LAO TSEU 10 juillet, 2022
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireLAO TSEU
LE LIVRE DU TAO ET DE SA VERTU
TAO TE KING
texte scanné par Roger DAMAYE, reçu le 25 janvier 1997.
Son texte d’accompagnement est reproduit ci-dessous en italiques.
L’ami Roger m’a devancé… J’avais choisi la traduction de Matgoiï (Albert de Pouvourville) avec laquelle je fis connaissance de ce texte, dont il faut bien dire qu’il est intraduisible, alors que le sens littéral est sans doute respecté par les sinologues dans la mesure du possible, avec sa mise sous forme alphabétique.
Ce qui est intraduisible : la spécificité culturelle et l’emploi constant du paradoxe, méthode, que les occidentaux n’ignorent pas tous et qui oblige à réfléchir sur la réflexion, peut être pour faire saisir que la simplicité est le sceau de la Vérité ?
Sur les termes employés, nous rencontrons souvent le « Saint-Homme », que l’on pourrait sans nul doute aussi bien traduire par homme sain. L’hébreu nous offre un exmple avec le mot « Kadosch » , traduit couramment par saint et dont le sens est sain, sans défaut avec la notion de tri, mais ….laissons le lecteur à ses propres réflexions.
G. G. le 4 mai 1997
Le TAO TE KING ( Livre de la Voie et de sa vertu) est sans contredit un des textes les plus importants de l’Humanité, au même titre que La Bible, le Coran ou les Védas. Il aurait été écrit par Lao Tseu au VIème siècle avant J.C.
Il existe un bon nombre de traductions françaises du Tao Te King. Personnellement, j’en connais au moins cinq dont celle, entre autres, du Père Léon WIEGER S.J. dans son ouvrage » Les Pères du Système Taoïste « , une autre présentée par ETIEMBLE (en collection de poche), et deux autres dont j’ai oublié les auteurs.
Celle que je vous propose ici, publiée en 1969 aux éditions DERVY, par un auteur anonyme, qui a eu la grande humilité – cela mérite d’être remarqué – de s’effacer derrière la haute personnalité de Lao Tseu.
N’ayant personnellement pas la moindre notion de la langue chinoise, je ne suis pas apte à dire si cette traduction est la plus fidèle à l’original. Mais si je l’ai choisie c’est d’abord pour rendre hommage à la discrétion du traducteur et c’est aussi parce qu’elle s’accompagne d’une importante collection de notes et de commentaires où l’on trouve d’intéressants parallèles avec les traditions occidentales.
Donc, si vous avez aimé le texte de la traduction, précipitez vous sur le livre ( espérons qu’il n’est pas épuisé) pour lire les commentaires.
Ayant réalisé ce travail pour mon plaisir personnel et aussi pour faire connaître ce texte important je n’entends pas en tirer un quelconque avantage pécuniaire. Si vous l’avez aimé et désirez m’en remercier, vous pouvez faire une offrande a l’Association Druk Toupten Tcheukhor Ling.
CENTRE D’ETUDES BOUDDHIQUES
Bel Avenir
56770 – PLOURAY
QUI ETAIT LAO TSEU ?
On sait fort peu de chose de LAO TSEU.
La courte biographie. que donne de 1ui Seu Ma Tsyeng dans ses mémoires historiques, parus vers 1′an 99 avant J.-C., est le document le plus ancien qui contienne sur sa vie quelques renseignements dont rien ne permet d’ai11eurs d’affirmer la parfaite authenticité..
I1 serait né en l’an 570 avant J.-C., au village de Haï dans le royaume de Tch’en. I1 était de famille noble, celle des Lao Che, Che étant le nom de sa race. Son nom patronymique était LI, son prénom EUL.
En 581 après J.-C l’Empereur Tsing ordonna de lui rendre les mêmes honneurs qu’à BOUDDHA. On lui donna le nom de YUEN HOANG TI,»Maître souverain de l’obscurité». Mais il fut surtout connu sous le nom de LAO TSEU, c’est-à-dire»le Vieux Maître»«le Vieux Docteur»où vieux est pris dans le sens de vénérable.
LAO TSEU fut archiviste de la cour des Tchéou. Voyant que leur puissance était sur son déclin, las du désordre de l’Empire, il prit la résolution de s’éloigner pour n’être pas témoin de leur chute. Nous ignorons quand et ou il mourut.»Ayant aimé l’obscurité pardessus tout, dit SE: MA TSHYENG, cet homme effaça délibérément la trace de sa vie ». Mais qu’importe la trame de son existence ! Génie original, ne relevant que de la grande et antique tradition, LAO TSEU appartient à 1a lignée des missionnés, dont la pensée et la sagesse sont sur la terre un reflet de la lumière divine, et qui ont atteint l’immortalité
Le même mystère, qui entoure sa personne et sa vie, et pour les mêmes raisons, enveloppe son œuvre condensée dans un seul livre. La plupart de ses biographes répètent, à ce sujet, à peu près dans les mêmes termes, une anecdote suivant laquelle, en quittant la Chine et sur le point de traverser la Grande Muraille, il aurait été prie, par l’officier gardien de la passe de l’Ouest, YIN HI, d’écrire pour lui un résumé de sa doctrine. C’est dans ces conditions que le TAO TE KING aurait vu le jour.
Cette anecdote fait partie de la légende rédigée par KO HONG vers l’an 530 après J.C. et incluse dans son ouvrage intitulé»Histoire des dieux et des immortels ». Est-elle mieux fondée que les autres faits relatés dans ce récit fabuleux ? Nul ne peut le dire. Quoi qu’il en soit, la tradition affirme formellement que le TAO TE KING est de la main d LAO TSEU et, d’après le savant Père WIEGER tout porte à croire que la tradition a raison.
LE TEXTE
TAO TE KING
retour à cosmos
1
I – 1 Une voie qui peut être tracée, n’est pas la voie éternelle: le Tao. Le
nom qui peut être prononcé,, n’est pas le nom éternel
I-2 – Sans nom, il est a l’origine du ciel et de la terre. Avec un nom, il est
la Mère des dix mille êtres
I-3 – .Ainsi, un Non-Dèsir éternel représente, son essence, et par un Désir
éternel il manifeste une limite
I-4 – Ces deux états coexistent inséparables, et diffèrent seulement de nom.
Pensés ensemble: mystère! le Mystère des mystères’. C’est la Porte de toutes
les essences
2
II-1 -.Tous sous le Ciel, connaissant le beau comme le beau: voici le laid!
Tous connaissant le bien comme le bien: voici le mal! C’est ainsi que l’être
et le non-être naissent l’un de l’autre, que le difficile et le facile
s’accomplissent l’un par l’autre, que mutuellement le long et le court se
délimitent, le haut et le basse règlent, le ton et le son s’accordent, l’avant
et l’après s’enchaînent.
II-2 – C’est pourquoi le Saint-Homme s’en tient à la pratique du Non-agir. Il
enseigne sans parler. Tous les êtres agissent, et il ne leur refuse pas son
aide. Il produit sans s’approprier, travaille sans rien attendre, accomplit
des oeuvres méritoires sans s’ attacher, et, justement parce qu’il ne s’y
attache pas, elles subsistent.
3
III-1 Il ne faut pas glorifier les hommes de valeur, pour que le peuple ne
dispute pas; ni estimer les biens difficiles à acquérir, pour qu’il ne vole
pas; ni ,étaler ce qui excite la convoitise, pour que son coeur ne soit pas
troublé,.
III-2 C’est pourquoi le Saint-Homme a pour règle :faire le vide dans le
coeur, emplir le ventre, affaiblir la volonté, fortifier les os, faire
constamment en sorte que le peuple soit sans savoir et sans désirs, et que
ceux qui savent n’osent pas agir.
III-3 – Il pratique le Non-agir et il n’est rien alors, qui ne soit bien
dirigé, certes.
4
IV-1 – Le Tao est vide mais il est inépuisable. Quel abîme
IV-2 – Il apparaît comme l’ancêtre des dix mille êtres. il émousse son
activité, dénoue ses voiles, harmonie sa splendeur, s’unit à sa poussière; Oh!
Qu’il est pur.
IV-3 – Il semble subsister de toute éternité. Je ne sais de qui il pourrait
être le fils; il paraît antérieur au Souverain du Ciel;
5
V-1 – Le Ciel et la Terre ne sont pas humains; pour eux, tous les êtres sont
comme le chien de paille. Le Saint-Homme n’a pas de prédilection; pour lui les
Cent Familles sont comme chien de paille.
V-2 – Entre le Ciel et la Terre, il est semblable à un soufflet de forge vide,
mais inépuisable, dont le mouvement produit un souffle croissant.
V-3 – Parler beaucoup épuise sans cesse; mieux vaut garder le Milieu.
6
VI-1 – L’Esprit des profondeurs est impérissable; on l’appelle la Femelle
mystérieuse.
VI-2 – La porte de la femelle mystérieuse est nommée la Racine du Ciel et de
la Terre. Elle dure perpétuellement, et se dépense sans s’user.
7
VII – 1 Le Ciel et la Terre durent toujours. S’ils durent toujours c’est
parce qu’ils ne vivent pas pour eux-mêmes. Voilà ce qui leur permet de durer
indéfiniment.
VII-2 – C’est pourquoi se mettant à la dernière place, le Saint-Homme se
trouve à la première; oubliant sa personne il la conserve. Parce qu’il ne
poursuit pas des buts égoïstes, il réalise à la perfection ce qu’il
entreprend.
8
VIII-1 – La suprême Vertu est comme l’eau. L’eau et la Vertu sont
bienfaisantes pour les dix mille êtres et ne luttent pas. Elles occupent les
places que les hommes détestent. C’est pourquoi elles sont comparables au Tao.
VIII-2 – Dans toute situation, la Vertu est humilité; dans le coeur elle est
profondeur insondable; dans l’assistance elle est Amour; dans la parole
sincérité. Dans le gouvernement, elle est ordre et droiture; dans l’action
elle est capacité, et elle se meut avec opportunité.
VIII-3 – mais elle ne lutte pas; c’est pourquoi elle est irréprochable.
9
Tao IX-1 – Conserver plein ce qui va déborder, mieux vaut y renoncer. Un
tranchant trop aiguisé ne peut rester longtemps affilé. Une salle remplie d’or
ne peut être gardée.
Tao IX-2 – S’enorgueillir parce que l’on est comblé de richesse et d’honneurs,
attire sur soi l’infortune. Lorsque l’oeuvre utile est accomplie et que point
la renommée, que la personne s’efface: c’est la Voie du Ciel.
10
X-1 – Maintenir le corps et l’âme sensitive dans l’unité, pour qu’ils ne
puissent se séparer; contenir la force vitale et la rendre docile, afin de
devenir comme le nouveau-né; se purifier en s’abstenant de scruter les
mystères, pour rester sain; aimer le peuple afin de pouvoir gouverner sans
agir; que les Portes du Ciel s’ouvrent ou se ferment, pouvoir être comme la
femelle; étant inondé de lumière de tous cotés, pouvoir être ignorant; donner
la vie, l’entretenir, produire sans s’approprier; agir sans rien escompter;
diriger sans asservir. Telle est la Vertu merveilleuse.
11
XI-1 – Trente rayons convergents, réunis au moyeu, forment une roue; mais
c’est son vide central qui permet l’utilisation du char. Les vases sont faits
d’argile, mais c’est grâce à leur vide que l’on peut s’en servir. Une maison
est percée de portes et de fenêtres, et c’est leur vide qui les rend
habitable.
XI-2 – Ainsi l’être produit l’utile; mais c’est le non-être qui le rend
efficace
12
XII-1 – Les cinq couleurs rendent les yeux de l’homme aveugle, les cinq sons
rendent ses oreilles sourdes, les cinq saveur rendent sa bouche inapte à
savourer. Les courses violentes et le galop des chasses déchaînent dans son
coeur de furieuses passions. Les biens difficiles à acquérir font qu’il se
heurte à de dangereux obstacles.
XII-2 – C’est pourquoi le Saint-Homme s’occupe de l’intérieur et non des sens.
Il rejette ceci et adopte cela;
13
XIII-1 – Faveur et disgrâce vont avec la crainte. Honneur et tribulations vont
avec la personne. Pourquoi dit-on que faveur et disgrâce vont avec la crainte?
La faveur élève, la disgrâce abaisse. Obtient-on la faveur on est dans la
crainte; la perd-on, on est encore dans la crainte. Tel est le sens de: faveur
et disgrâce vont avec la crainte.
XIII-2 – Pourquoi dit-on: honneurs et tribulations vont avec la personne? Le
moi est ce par quoi on a des tribulations. C’est parce que nous avons une
individualité quelles nous frappent. Si nous n’avions pas d’individualité,
quels malheurs pourraient nous atteindre?
XIII-3 – C’est pourquoi celui pour qui l’Empire est aussi précieux que sa
propre personne peut l’obtenir; celui qui l’aime autant que lui-même est digne
de le diriger.
14
XIV-1 – Regardant, on ne le voit pas, on le nomme l’Invisible; écoutant, on ne
l’entend pas, on le nomme l’Inaudible. Touchant, on ne le sent pas, on le
nomme l’Impalpable. Ce que sont ces trois attributs, il est impossible de le
préciser; c’est pourquoi on les confond, car il ne font qu’un.
XIV-2 – En haut, il n’est pas éclairé; en bas il n’est pas obscure. Il est
éternel. Il est sans non. Son origine est là où n’existe aucun être. On peut
dire qu’il est forme sans forme, figure sans figure; c’est l’Indéterminé.
Allant à sa rencontre on ne voit pas sa face; le suivant , on ne voit pas son
dos.
XIV-3 – C’est en observant l’antique Tao que l’on peut régler l’existence
actuelle. Pouvoir connaître le commencement du passé, c’est tenir le fil du
Tao.
15
XV-1 – Les sages parfaits de l’Antiquité étaient insaisissables, surnaturels,
mystérieux, pénétrants, si profonds qu’on ne pouvait les connaître. Comme on
ne pouvait les connaître on ne peut tenter de les dépeindre.
XV-2 – Ils étaient attentifs! comme celui qui traverse un cours d’eau en
hiver; prudents! comme celui qui craint ses voisins; réservés! comme celui qui
reçoit l’hospitalité; effacés! comme la glace fondante; vides! comme la
vallée; troubles! comme l’eau limoneuse.
XV-3 – Qui peut, par le calme, clarifier peu à peu ce qui est impur? Qui peut,
peu à peu, naître au calme et s’y maintenir toujours? Celui qui garde le Tao.
Il ne désir pas être plein, mais vide. C’est pourquoi il peut paraître
méprisable et dépourvu de perfection temporelle.
16
XVI – 1 – Atteindre le Vide parfait, c’est se fixer fermement dans le repos.
XVI – 2 – Les dix mille êtres paraissent ensemble et je les vois s’en
retourner. Ils prolifèrent vigoureusement, puis chacun revient son origine. Le
retour à l’origine, c’est le Repos. Le Repos, c’est le renouvellement de la
destinée. Renouveler la destinée, c’est la loi éternelle. Connaître la loi
éternelle, c’est être éclairé; l’ignorer est un aveuglement qui rend
malheureux.
XVI – 3 – Connaître la loi éternelle rend magnanime; celui qui est magnanime
est roi; roi, il est comme le Ciel; semblable au Ciel, il est uni au Tao, il
dure toujours. Que sa personne disparaisse, il n’y a plus de péril.
17
XVII – 1 – Les Grands Souverains de jadis, le peuple savait qu’ils existaient.
Ceux qui vinrent ensuite il les aima, les honora: puis il les craignit, et
enfin les méprisa. Quand la confiances est limitée, il n’y a pas de confiance.
XVII – 2 – Les premiers étaient graves, réservés dans leurs paroles. Les
oeuvres méritoires se multipliaient, les entreprises prospéraient. Dans les
Cents Familles, tous disaient: « C’est grâce à nous qu’il en est ainsi. »
18
XVIII – 1 – Quand le grand Tao fut délaissé, il y eut l’humanité, la justice.
Puis la Sagesse, la prudence parurent, et l’hypocrisie fut générale.
XVIII – 2 – Dans la famille, les membres se méconnurent; il y eut l’affection
des parents, la piété filiale.
XVIII – 3 – Les Etats souffrirent de la corruption, du désordre; il y eut des
fonctionnaires fidèles.
19
XIX – 1 – Renoncez à la sagesse, abandonnez la prudence, ce sera cent fois
plus profitable au peuple. Renoncez à l’humanité, rejetez la justice, et le
peuple reviendra à l’amour filial et à l’affection paternelle. Renoncez à
l’habileté, abandonnez le profit, et il n’y aura plus de voleurs ni de
bandits.
XIX – 2 – Ces qualités, étant des apparences, ne sauraient suffire. C’est
pourquoi il faut tâcher de se montrer simple, rester naturel, réduire
l’égoïsme, avoir peu de désirs.
20
XX – 1 – Renoncer à l’étude délivre de l’inquiétude. Entre acquiescer et
consentir la nuance est bien petite; mais combien diffèrent le bien et le mal
XX – 2 – Ce que les hommes redoutent, on ne peut pas ne pas le craindre, mais
pas au point d’en être troublé, anéanti.
XX – 3 – Tous les hommes sont pleins d’ardeur, exaltés comme pour un festin,
semblables à ceux qui font une ascension au printemps. Mois seul suis calme,
sans réactions, comme le nouveau-né qui n’a pas encore souri, errant sans
dessein, sans but!
XX -4 – Les autres hommes ont tous du superflu; moi seul suis un déshérité,
mon coeur est celui d’un simple d’esprit, trouble! confus! L’homme de la foule
est éclairé; moi seul suis plongé dans la pénombre. L’homme de la foule est
précis, perspicace; seul je suis replié sur moi-même, mouvant comme la mer,
flottant sans arrêt. La multitude des hommes se rend utile; moi seul suis
inapte, semblable un paria.
XX – 5 – Moi seul diffère des autres hommes parce que je vénère la Mère
nourricière.
21
XXI – 1 – Ce qui contient la Grande Vertu procède du Tao. Quelle est la nature
du Tao: il est confus, indiscernable. Oh! Qu’il est confus, qu’il est
indiscernable En lui il y a des formes indistinctes, indéterminées. En lui, il
y a des êtres. Quel abîme! quelle obscurité! en lui il y a une essence
spirituelle: son essence, absolue vérité! En lui est son propre témoignage.
Depuis l’antiquité jusqu’à présent, son nom n’a point passé. De lui sortent
les propriétés de tout ce qui est.
XXI – 2 – Comment sais – je que telle est l’origine de tout ce qui est, Par
cela.
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XXII – 1 – L’incomplet sera complété, le courbe redressé, le creux rempli,
l’usé renouvelé, l’insuffisant augmenté, l’excès dissipé.
XXII – 2 – C’est pourquoi le Saint-Homme, embrassant l’Unité est le modèle du
Monde. Parce qu’il e se met pas en évidence, il brille; parce qu’il n’est pas
personnel, il s’impose; parce qu’il ne se vante pas , il a du mérite; parce
qu’il n’est pas orgueilleux, il ne cesse de croître; parce qu’il ne lutte pas,
personne au monde ne peut s’opposer à lui.
XXII – 3 – Cette sentence des anciens: ce qui est incomplet sera complété,
est-elle une parole vaine?
XXII – 4 – Tout retourne à la parfaite intégrité.
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XXIII -1 – Parler peu pour rester soi.
XXIII – 2 – Un ouragan ne dure pas toute une matinée, ni une pluie
torrentielle tout un jour. Or, qui fait cela, le ciel et la terre. Si le Ciel
et la Terre ne peuvent faire durer ce qui est excessif, comment l’homme le
pourrait-il?
XXIII – 3 – C’est pourquoi celui qui en toutes choses suit le Tao, règle ses
principes sur le Tao, identifie sa volonté et ses actions avec la volonté et
l’action du Tao, conforme également ses non-interventions au Non-agir du Tao.
E parce qu’il aspire à l’Union Suprême, le Tao l’accueille avec joie. Aussi sa
conduite, ses projets, ses oeuvres ou ses abstentions ont-ils d’heureux
résultats.
XXIII – 3 – Quand la foi n’est pas totale, ce n’est pas la vraie foi.
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XXIV – 1 – Celui qui se dresse sur la pointe des pieds ne peut se tenir
debout. Celui qui étend les jambes ne peut marcher. Celui qui se met en vue
reste obscur; celui qui est satisfait de lui n’est pas estimé; celui qui se
glorifie est sans mérite; celui qui est orgueilleux cesse de croître. Par
rapport au Tao, ces façons d’agir sont comme des vomissures et des tumeurs qui
répugnent aux êtres.
XXIV – 2 – C’est pourquoi celui qui a le Tao ne suit pas cette voie.
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XXV -.1 – Il est un être indéterminé dans sa perfection, qui était avant le
ciel et la terre, impassible, immatériel! Il subsiste, unique, immuable,
omniprésent, impérissable. On peut le considérer comme étant la Mère de
l’Univers. Ne connaissant pas son nom, je le désigne par le mot Tao.
XXV – 2 – En s’efforçant de le qualifier, on pourrait dire qu’il est grand,
qu’étant grand il fuit, que fuyant il s’éloigne, qu’éloigné il revient.
XXV – 3 – Ainsi le Tao est grand, le ciel est grand, la terre est grande, le
roi aussi est grand. Dans le monde il y a quatre grandes choses, et le roi
n’en est-il pas une?
XXV – 4 – L’homme se règle sur la terre, la terre se règle sur le ciel, le
ciel se règle sur le Tao. Le Tao n’a d’autre loi que lui-même.
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XXVI – 1 – Le lourd est la racine du léger; le repos est le maître du
mouvement. C’est pourquoi le prince sage va de l’aube au soir, sans se
départir d’une sereine gravité. Bien qu’il possède gloire et honneur, il
s’applique à s’en détacher.
XXVI – 2 – Pourquoi, hélas! les maîtres aux dix mille chars attachent-ils plus
d’importance à leur personne qu’à l’Empire? Insouciants, ils perdent leurs
conseillers; violents, ils perdent leur trône.
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XXVII – 1 – Qui marche bien ne laisse pas de traces; qui parle bien ne commet
pas de fautes; qui calcule bien n’a pas besoin de boulier; qui sait bien
garder ferme sans verrou, et personne ne peut ouvrir; qui sait bien lier ne se
sert pas de liens, et personne ne peut délier.
XXVII – 2 – C’est pourquoi le Saint-Homme excelle constamment à secourir les
hommes, et ne repousse personne. Il aide tous les êtres et n’en délaisse
aucun.. En quoi il est doublement éclairé.
XXVII – 3 – Aussi l’homme vraiment vertueux est un maître pour celui qui n’est
pas vertueux; par contre le vulgaire est utile au Sage. Ne pas vénérer son
maître, ne pas aimer celui qui nous rend service, serait-on réputé, sage, est
un grand égarement.
XXVII – 4 – Voila une vérité essentielle et profonde.
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XXVIII – 1 – Celui qui connaît sa force et garde sa douceur est la vallée de
l’Empire. Etant la vallée de l’empire, la vertu éternelle ne l’abandonne pas;
il redevient comme un petit enfant.
XXVIII – 2 – Celui qui connaît sa lumière et garde son obscurité est le modèle
de l’Empire. Etant le modèle de l’Empire, la Vertu éternelle ne vacille pas en
lui; il revient à l’Illimité.
XXVIII – 3 – Celui qui connaît sa gloire et reste dans son opprobre devient la
vallée du Monde. Etant la Vallée du Monde la Vertu éternelle le comble et il
revient à la Simplicité originelle. C’est cette simplicité qui, en se
divisant, a formé toutes choses.
XXVIII – 4 – Le Saint-Homme ne fait rien sans elle. Modèle des Maîtres, il
dirige avec noblesse et ne lèse personne.
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XXIX – 1 – Celui qui voudrait obtenir l’Empire pour le façonner, je vois qu’il
n’y réussirait pas. L’Empire étant une réalité spirituelle , on ne peut le
modeler. Ceux qui veulent le façonner le ruinent; ceux qui veulent le saisir
le perdent.
XXIX – 2 – En effet, parmi les êtres, les un vont de l’avant, d’autres
suivent; certains aspirent, d’autres soufflent; certains sont vigoureux
d’autres débiles; les uns détruisent, les autres consolident.
XXIX – 3 – C’est pourquoi le Saint-Homme proscrit seulement les excès dans la
jouissance, l’ambition et le luxe.
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XXX – 1 – Celui qui seconde le Souverain en suivant le Tao ne se sert pas des
armes pour subjuguer l’Empire, car quoi qu’on fasse aux hommes, ils aiment à
rendre la pareille. Là où campent les armées, poussent les ajoncs et les
ronces; après les grandes guerres viennent les années de disette.
XXX – 2 – C’est pourquoi celui qui est vertueux atteint son but sans se
permettre de rien prendre par la force. Il réussit sans faire souffrir, sans
détruire, sans s’enorgueillir, sans exploiter son succès, puis s’arrête. Il a
vaincu sans violence.
XXX;- 3 – Quand les êtres usent de la force ils vieillissent, car cela est
opposé au Tao, et ce qui est opposé au Tao, périt prématurément.
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XXXI – 1 – Les armes les plus belles sont des engins de malheur; tous les
êtres les ont en horreur. Celui qui a le Tao ne s’y complaît pas
XXXI – 2 – En temps de paix, la place d’honneur est à la gauche du prince
sage; en temps de guerre, elle est à sa droite
XXXI – 3 – Les armes sont des engins de malheur, ce ne sont pas les
instruments du prince sage. Il ne peut en être dépourvu en vue d’une nécessité
éventuelle; mais il place bien au dessus le calme et la Paix.
XXXI – 4 – Une victoire n’est pas un bien; celui qui la considérerait comme un
bien prendrait plaisir à tuer les hommes. Or, celui qui prend plaisir à tuer
les hommes ne peut réussir à bien diriger l’Empire.
XXXI – 5 – Dans les événements heureux, la première place est à gauche, dans
les événements malheureux elle est à droite. La place du général en second est
à la gauche du prince, celle du général en chef est toujours à sa droite,
c’est à dire à la première place selon les rites funèbres, car celui qui fait
tuer beaucoup d’hommes doit les pleurer.
XXXI – 6 – Le général vainqueur se trouve ainsi placé comme s’il conduisait le
deuil de ceux dont l a causé la mort
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XXXII – 1 – Le Tao est éternel, il n’a pas de nom. Bien que petit par sa
simplicité, l’Univers n’a aucun pouvoir sur lui.
XXXII – 2 – Si les souverains pouvaient s’attacher à lui, les dix mille êtres
viendraient spontanément se confier à eux; le Ciel et la terre s’uniraient
pour faire descendre une douce rosée, et, sans contrainte, les peuples se
pacifieraient d’eux-mêmes.
XXXII – 3 – A l’origine de la distinction, il y eut le nom; avec le nom
l’existence fut. Dès lors de même il y eut le savoir et la limite; avec le
savoir et la limite, le moyen de ne pas périr.
XXXII – 4 – Tout ce qui existe dans l’Univers est, par rapport au Tao, ce que
sont les ruisseaux des vallées par rapport aux fleuves et aux mers.
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XXXIII – 1 – Celui qui connaît les hommes est averti; celui qui se connaît
lui-même est réellement éclairé.
XXXIII – 2 – Celui qui vainc les hommes est fort; celui qui se vainc lui-même
est réellement puissant.
XXXIII – 3 – Celui qui sait se suffire est riche.
XXXIII – 4 – Celui qui suit sa voie a de la volonté.
XXXIII – 5 – Celui qui reste à sa place dure longtemps.
XXXIII – 6 – Celui qui meurt sans cesser d’être a acquis l’immortalité.
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XXXIV – 1 – Le grand Tao est partout; sa puissance s’étend en tous sens.
XXXIV – 2 – Les dix mille êtres comptent sur lui pour naître et vivre, et il
ne les déçoit pas. Son oeuvre étant accomplie, il ne se l’attribue pas. Il
nourrit les dix mille êtres avec amour, sans les traiter en maître.
XXXIV – 3 – Etant éternellement sans désir, on pourrait l’appeler petit; mais
les dix mille êtres dépendent de lui; bien qu’il ne les traite pas en maître,
on peut l’appeler grand.
XXXIV – 4 – Voila pourquoi le Saint-Homme, jusqu’à la fin ne se considère pas
comme grand; ainsi, il peut accomplir sa grandeur.
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XXXV – 1 – Attachez-vous à la Grande Idée, et le monde avancera. Il avancera
sans peine, dans la paix, la sérénité et l’abondance.
XXXV – 2 – La musique et la bonne chère attirent le voyageur de passage et il
s’arrête. Mais ce qui vient du Tao ne flatte pas le palais, car il est sans
saveur. On le regarde, mais cela ne suffit pas pour le voir; on l’écoute, mais
cela ne suffi pas pour l’entendre.
XXXV – 3 – Si l’on a recours à lui, on ne peut l’épuiser.
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XXXVI – 1 – Ce que l’on veut contracter s’était nécessairement déployé. Ce que
l’on veut affaiblir s’était nécessairement fortifié. Ce que l’on veut appauvrir
avait nécessairement prospéré. Ce que l’on veut ravir avait nécessairement été
acquis Cela s’appelle une lumière cachée.
XXXVI – 2 – La douceur triomphe de la dureté, la faiblesse triomphe de la
force.
XXXVI – 3 – Il ne faut pas que le poisson sorte des profondeurs aquatiques.
Les sources de profit du royaume ne doivent pas être révélées aux hommes.
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XXXVII – 1 – Le Tao est éternellement sans agir; cependant tout est fait par
lui.
XXXVII – 2 – Si les rois et les princes pouvaient le suivre, les dix mille
êtres se transformeraient d’eux-mêmes. Transformés, s’ils voulaient agir, je
les maintiendrais dans la rectitude grâce à la Simplicité sans nom. La
simplicité sans nom les rendrait aussi sans désirs; sans désirs, ils seraient
en paix, et l’Univers se rectifierait de lui-même.
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XXXVIII – 1 – La suprême Vertu est sans vertu; c’est pourquoi elle est la
Vertu. La vertu inférieure est attachée aux vertus, c’est pouquoi elle n’est
pas la vertu.
XXXVIII – 2 – La supême Vertu n’agit pas, et n’a pas de raison d’agir. La
vertu inférieure agit par elle-même; elle a des motifs pour agir. L’humanité
supérieure agit par elle-même sans mobiles. L’équité supérieure agit par
elle-même avec des raisons pour agir La civilité supérieure agit par
elle-même; et lorsqu’elle n’obtient pas la réciprocité, elle s’efforce de
s’imposer par la contrainte, mais elle est rejetée.
XXXVIII – 3 – C’est pourquoi lorsque le Tao fut délaissé, il y eut la vertu;
la vertu perdue, il y eut l’humanité; après la perte de l’humanité, il y eut
l’équité; après la perte de l’équité, il y eut la civilité. Or la civilité
n’étant que l’apparence de la droiture et de la sincérité, elle est cause de
désordre.
XXXVIII – 4 – Le savoir n’est qu’ornement du Tao et commencement de l’erreur.
C’est pourquoi le Sage s’attache au réel et rejette les apparences; il
s’intéresse au fruit plutôt qu’a la fleur; il laisse ceci et saisit cela.
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XXXIX – 1 – Voici ce qui, depuis les origines, possède l’Unité:
XXXIX – 2 – Le ciel possède l’Unité par sa pureté, la terre par son repos, les
esprits par leur transcendance, les vallées parce qu’elles peuvent se remplir,
les dix mille être par leur puissance générative, les princes et les rois par
l’exercice du pouvoir. C’est par cela qu’ils possèdent l’Unité.
XXXIX – 3 – Si le ciel cessait d’être pur, il est probable qu’il se
dissoudrait; si la terre n’était plus en repos il est probable qu’elle se
désagrégerait; si les esprits perdaient leur transcendance, ils
s’anéantiraient; si les vallées ne se remplissaient elles deviendraient
stériles; si les dix mille être ne se reproduisaient plus ils disparaîtraient.
XXXIX – 4 – C’est pourquoi ce qui est précieux a pour origine ce qui a peu de
valeur, et ce qui est élevé est fondé sur ce qui est bas.
XXXIX – 5 – C’est pour cette raison que les pinces et les rois s’appellent
eux-mêmes orphelins, hommes de peu de valeur, sans mérite. Ne montrent-ils pas
par là que leur souche est vulgaire, et n’ont-ils pas raison?
XXXIX – 6 – C’est pourquoi un char en pièces séparées n’est plus un char.
XXXIX – 7 – Il ne faut pas désirer être surestimé comme le jade, ni foulé au
pied comme un caillou.
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XXXX – 1 – Le retour est le mouvement du Tao; la faiblesse est le moyen dont
il se sert.
XXXX – 2 – Toutes choses sous le ciel naissent dans l’Etre; l’Etre naît dans
le Non-Etre.
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XXXXI – 1 – Quand un lettré d’une grande élévation entend parler du Tao, il
s’applique à le suivre avec zèle. Quand un lettré moyen entend parler du Tao,
tantôt il le suit, tantôt il le délaisse. Quand un lettré inférieur entend
parler du Tao, il le tourne en dérision; même s’il n’en rit pas cela ne
signifie pas qu’il le suive.
XXXXI – 2 – C’est pourquoi il est une tradition qui dit: pour le Tao, le
lumineux est comme obscure; avancer comme reculer; étranger est comme
familier. Pour la suprême vertu, élévation est comme abaissement, candeur
comme honte, générosité comme parcimonie, vertu bien établie comme perversité,
probité comme malhonnêteté, véracité simple comme duplicité.
XXXXI – 3 – Grand carré sans angle, grand vase inachevé, grande mélodie
silencieuse, grande image sans contours: le Tao est caché et n’a pas de nom,
cependant sa vertu soutient et accomplit tout.
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XXXXII – 1 – Le Tao a produit Un, Un a produit deux, deux a produit trois,
trois a produit les dix mille êtres.
XXXXII – 2 – Les dix mille êtres fuient le repos et l’obscurité; ils vont vers
le mouvement et l’éclat; un souffle immatériel forme l’Harmonie.
XXXXII – 3 – Ce que les hommes détestent, c’est d’être seuls, délaissés,
incapables; cependant c’est ainsi que les princes et les rois se qualifient
eux-mêmes.
XXXXII – 4 – C’est pourquoi, parmi les êtres, les uns se diminuent en
s’augmentant et les autres s’augmentent en diminuant.
XXXXII – 5 – Ce que j’enseigne est la Doctrine traditionnelle: poutre
faîtière que la mort n’atteint pas. Je m’applique à agi selon les ères de la
Tradition.
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XXXXIII – 1 – Ici-bas, ce qui est le plus malléable l’emporte sur ce qui est
dur.
XXXXIII – 2 – Le Non-Etre pénètre l’impénétrable; c’est par cela que je
connais la suprême efficacité du Non-agir.
XXXXIII – 3 – La maîtrise par le silence, la vertu surabondante par le
Non-agir; rare; dans le monde, sont ceux qui les atteignent.
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XXXXIV – 1 – Du renom ou de la personne, à quoi tient-on le plus: De la
personne ou des richesse qu’est-ce qui importe le plus. Du gain ou del a
perte, lequel est affligeant;
XXXXIV – 2 – De fortes affections exigent de grands sacrifices;
l’accumulation des biens entraîne de lourdes pertes.
XXXXIV – 3 – Savoir se suffire exempte de revers; savoir s’arrêter
préserve du danger, et permet de durer longtemps.
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XXXXV – 1 – La perfection accomplie semble incomplête, mais elle sert sans
s’user.
La grande plénitude paraît vide, mais elle donne sans s’épuiser.
La grande droiture semble courbe, la grande habileté paraît maladroite, la
grande éloquence
semble bégayer.
XXXXV – 2 – La vivacité triomphe du froid, le calme triomphe de l’ardeur.
Sous l’influence du calme pur, le monde se rectifie.
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XXXXVI – 1 – Quand le monde a le Tao, on renvoie les chevaux aux champs.
Quand le monde n’a plus le Tao, les chevaux de combat se multiplient dans les
faubourgs.
XXXXVI – 2 Il – n’est pas de plus grande erreur que vouloir satisfaire
ses désirs ; il n’est pas de plus grande misère que de ne pas savoir se
suffire
Il n’est pas de pire calamité que le désir de posséder.
TAO XXXXVI – 3 – C’est pourquoi celui qui sait se contenter de peu est
toujours satisfait
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XXXXVII – 1 – Sans franchir sa porte, on connaît l’Univers ; sans regarder par
sa fenêtre, on voit le Tao duCiel.
XXXXVII – 2 – Plus on sort et s’éloigne de soi, moins on acquiert la
connaissance de soi.
XXXXVII – 3 – C’est pourquoi le Saint-homme arrive sans se mouvoir, nomme
sans regarder, et accomplit sans agir.
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XXXXVIII – 1 – En s’adonnant à l’étude, on augmente chaque jour; en se
consacrant au TAO, on diminue chaque jour; on ne cesse de diminuer,
jusqu’à ce qu’on atteigne le non-agir. Par le non-agir il n’est rien que l’on
ne puisse faire, certes !
XXXXVIII – 2 – Pour recevoir l’Empire, l’unique moyen est de ne rien faire
pour cela. Tant que l’on agit pour y parvenir, on ne peut gagner l’Empire.
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XXXXIX – 1 – Le Saint-Homme n’a pas un coeur immuable, parce qu’il est le
coeur des coeurs des Cent familles.
XXXXIX – 2 – Je suis bon pour qui est bon et je suis bon avec qui ne l’est
pas.
C’est la bonté de la Vertu, certes! Je suis sincère avec celui qui est sincère
et sincère avec celui qui ne l’est pas.C’est la véracité de la Vertu, certes
!
XXXXIX – 3 – Le Saint-Homme vivant dans le monde est craintif 1 craintif !
parce que son coeur est celui du monde entier : dans les Cent familles tous
le regardent et l’écoutent
Tous sont ses enfants.
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L – 1 – Sortir dans la vie, c’est entrer dans la mort.
L – 2 – Trois sur dix sont les compagnons de la vie; trois sur dix sont les
compagnons de la mort;
trois sur dix enfin, dans la vie de l’homme, mettent en mouvement la terre de
la mort.
Pourquoi cela ? Parce qu’ils vivent leur existence avec trop d’intensité.
L – 3 – En effet, j’ai appris que celui qui excelle harmoniser sa vie peut
cheminer sans se garer
du rhinocéros ou du tigre, entrer dans la bataille sans cuirasse et sans
armes, car rien, en lui, n’est vulnérable à la corne, à la griffe ou au
glaive. Pourquoi cela ? Parce qu’il n’appartient plus à la terre de la mort.
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LI – 1 – Le Tao donne la vie aux êtres, sa Vertu les nourrit. Ainsi, les êtres
revêtent un corps, et, par une impulsion naturelle, rendent parfait leur
développement.
LI – 2 – C’est pourquoi, parmi les dix mille êtres, il n’en est aucun qui ne
révère le TAo et n’honore sa Vertu. Cette vénération pour le Tao, ce respect
pour la Vertu ne sont pas ordonnés, mais toujours spontanés. Car le Tao
produit, nourrit, fait croître, protège, parfait, mûrit, entretient, soutient
tous les êtres.
LI – 3 – Il les fait naître sans se les approprier; ils agissent, et. il
n’attend rien d’eux; ils croissent,
et il les laisse libres.
LI – 4 – C’est ce qu’on appelle la Vertu mystérieuse,
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LII – 1 – L’Univers a commencé, grâce à la Mère de l’Univers. Si l’on
obtient la
Mère, on a le moyen de connaître ses enfants. Lorsque l’on connaît les
enfants, et que l’on reste uni à la Mère, la mort est sans péril.
LII – 2 – Qui clôt sa bouche et ferme ses portes, ne sera point ébranlé
jusqu’à la fin
de ses jours. Qui ouvre sa bouche, et se passionne pour ses affaires arrive
au terme de sa vie sans être délivré.
LII – 3 – Qui perçoit ce qui est infime est éclairé. Qui garde sa faiblesse
est fort.
Qui use de sa simplicité, rentre dans sa lumière, et n’attire pas sur sa
personne de fatales épreuves.
LII – 4 – Cela s’appelle hériter de l’éternel.
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LIII – 1 – Si l’on me confiait une fonction gouvernementale, voici ce
que j’enseignerais : « Marchez vers le Grand Tao; craignez seulement de vous
mettre en vue ». La Grande Voie est toute simple, mais le peuple préfère les
sentiers.
LIII – 2 – Quand les palais sont trop bien entretenus, les terres sont
incultes, les greniers vides. Porter des habits somptueux, des épées
tranchantes, se gaver de nourriture et de boissons, accumuler des riehesses,
c’est glorifier le vol. Ce n’est pas le Tao, certes !
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LIV – 1 – Celui qui fonde sur le Bien ne craint pas la destruction. Celui qui
s’attache fermement au Bien ne sera pas dépouillé, ses fils et ses petits-fils
lui feront des offrandes perpétuellement.
LIV – 2 – Cultivée dans sa personne, sa vertu sera spontanée; cultivée
dans sa famille, sa vertu augmentera; cultivée dans sa province, elle
s’étendra; cultivée dans son royaume, elle sera florissante; cultivée dans
l’Empire, elle deviendra universelle.
LIV – 3 – C’est ainsi que, par l’individu, on connaît les individus, par la
famille on connaît les familles, par la province on connaît les provinces,
par le royaume on connaît les royaumes, par l’Empire on connaît l’Univers.
LIV – 4 – Comment sais-je qu’il en est ainsi de l’Univers? Grâce à cela.
LIV – 1 – Celui qui fonde sur le Bien ne craint pas la destruction. Celui qui
s’attache fermement au Bien ne sera pas dépouillé, ses fils et ses petits-fils
lui feront des offrandes perpétuellement.
LIV – 2 – Cultivée dans sa personne, sa vertu sera spontanée; cultivée
dans sa famille, sa vertu augmentera; cultivée dans sa province, elle
s’étendra; cultivée dans son royaume, elle sera florissante; cultivée dans
l’Empire, elle deviendra universelle.
LIV – 3 – C’est ainsi que, par l’individu, on connaît les individus, par la
famille on connaît les familles, par la province on connaît les provinces,
par le royaume on connaît les royaumes, par l’Empire on connaît l’Univers.
LIV – 4 – Comment sais-je qu’il en est ainsi de l’Univers? Grâce à cela.
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LV – 1 – Celui qui recèle en lui la grandeur de la Vertu ressemble au
nouveau-né que les bêtes venimeuses ne piquent pas, que les fauves ne
déchirent pas, que les oiseaux de proie n’enlèvent pas.
LV – 2 – Ses os sont faibles, ses tendons mous; cependant il saisit avec
force. Bien qu’il ignore l’union des sexes, il manifeste un orgasme viril,
tant est parfaite l’âme vitale. Il crie tout le jour sans être enroué, tant
est parfaite l’harmonie.
LV – 3 – Connaître l’Harmonie, c’est connaître l’éternel; connaître l’éternel,
c’est être illuminé.
LV – 4 – Vivre intensément ne rend pas heureux. L’action du coeur sur l’âme
vitale rend fort; mais les êtres forts vieillissent. C’est l’opposé du Tao, et
ce qui est opposé au Tao dépérit.
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LVI – 1 – Celui qui sait ne parle pas; celui qui parle ne sait pas.
LVI – 2 – Clore sa bouche, fermer ses portes, tempérer son ardeur, se dégager
de ses liens, harmoniser sa lumière, s’assimiler à son milieu, cela s’appelle
la mystérieuse union.
LVI – 3 – On ne peut l’obtenir et avoir des affections; on ne peut l’obtenir
et faire
des différences; on ne peut l’obtenir et réaliser des profits; on ne peut
l’obtenir et léser autrui; on ne peut l’obtenir et apprécier ceci, déprécier
cela.
LVI – 4 – C’est pourquoi elle est ce qu’il y a de plus précieux au monde.
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LVII – 1 – Avec la droiture on gouverne un royaume; avec du génie on fait la
guerre; mais l’Empire, on le gagne grâce au Non-agir. Comment sais-je qu’il en
est ainsi pour l’Empire ? Par cela : plus il y a de règlements et de
prohibitions dans l’Empire, plus le peuple s’appauvrit; plus le peuple a de
moyens de s’enrichir, plus la vie familiale se trouble dans la nation ; plus
le peuple est habile et ingénieux, plus on voit surgir des inventions inutiles;
plus le flot des règlements et des lois monte, plus il y a de malfaiteurs et
de bandits.
LVII – 2 – C’est pourquoi le Saint-Homme dit: « Je pratique le Non-agir et le
peuple se transforme de lui-même, j’observe le calme pur et le peuple se
rectifie delui-même, je n’agis pas pour le lucre et le peuple s’enrichit de
lui-même, jesuis sans désirs et le peuple revient à la simplicité primitive.
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LVIII – 1 – Lorsque le gouvernement est simple et indulgent, le peuple est
riche et
généreux; lorsque le gouvernement est formaliste et tracassier, le peuple est
besogneux et mesquin.
LVIII – 2 – Le bonheur repose sur le malheur; le malheur couve sous le
bonheur. Qui connaît leur apogée respective ?
LVIII – 3 – Si le gouvernement est sans droiture, la droiture devient erreur,
et le bien devient pervertit,. Les hommes sont égarés et cela dure depuis
longtemps.
LVIII – 4 – C’est pourquoi le Saint-Homme prescrit sans blesser, exhorte sans
vexer, rectifie sans contraindre, éclaire sans ,éblouir.
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LIX – 1 – Pour gouverner les hommes en serrant le Ciel, rien ne vaut la
modération.
LIX – 2 – La modération doit être le premier soin de l’homme; quand elle est
devenue son premier soin, on peut dire que la Vertu augmente sans cesse en
lui. Par cet accroissement continu de la Vertu, il n’est rien dont il ne
soit capable. Lorsqu’il n’y a rien dont il ne soit capable, on ne peut
connaître ses limites. Lorsqu’il est impossible de connaître ses
limites, il peut posséder le royaume.
LIX – 3 – Qui posséde la Mère du royaume dure sans fin. C’est la racine
profonde, le tronc inébranlable, la voie de la vie amplifiée et de la
connaissance durable.
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LX – 1 – On gouverne un grand Etat comme on fait frire un petit poisson. Si
l’Empire est gouverné selon le Tao, ses entités invisibles ne montrent pas
leurs force. Non pas que ces entités soient impuissantes mais elles ne
nuisent pas aux hommes. Non pas qu’elles ne puissent nuire aux hommes, mais
parce que le Saint-Homme, lui non plus, ne nuit pas aux hommes. Ni le
Saint-Homme, ni ces entités ne les blessent, ni ne se blessent
réciproquement.
LX – 2 – N’est-ce pas parce que la Vertu les unit dans un accord mutuel ?
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LXI – 1 – Un grand pays doit être le lieu bas vers quoi tout s’écoule, un
centre d’union pour l’Univers, la femelle du Monde.
LXI – 2 – La femelle triomphe toujours du mâle par sa passivité. Passive, elle
agit en s’abaissant.
LXI – 3 – C’est pourquoi un grand pays qui se penche vers un plus petit
l’attire à lui; de même le petit pays, en s’inclinant devant le grand, gagne
sa protection. Ainsi l’un accueille en s’abaissant, l’autre est accueilli en
s’inclinant.
LXI – 4 – Un grand pays n’a pas de plus grand désir que de rassembler et faire
vivre les peuples; une petite nation n’a pas de plus grand d,sir que de
s’allier aux autres pour servir les hommes.
LXI – 5 – Or, pour qu’ils obtiennent ce qu’ils souhaitent, il faut que le
grand pays s’abaisse.
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LXII – 1 – Le Tao est l’asile mystérieux des dix mille êtres, le trésor de
l’homme de bien, le salut du pervers.
LXII – 2 – On peut rechercher les bonnes paroles, admirer les actes généreux
qui ennoblissent l’homme mais pourquoi rejetterait-on ce qui vient du méchant
?
LXII – 3 – C’est ainsi que fut établi un empereur pour gouverner avec trois
ministres. Bien qu’il ait les bijoux de jade pour le salut rituel avec les
deux mains, et des quadriges de chevaux pour les cortèges solennels, cela ne
vaut pas progresser dans le Tao en restant assis.
LXII – 4 – Qu’est-ce qui motivait la haute estime des Anciens pour le Tao?
C’est qu’aussitôt qu’on le cherche on le trouve en soi-même, et qu’il délivre
du mal. C’est pourquoi il est ce qu’il y a de plus précieux au monde.
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LXIII – 1 – Pratiquer le Non-agir, c’est oeuvrer dans l’inaction, goûter ce
qui est sans saveur, grandir le petit, augmenter le peu, répondre aux offenses
par la Vertu, ,laborer le difficile dans le facile, faire de grandes choses
avec ce qui est ténu.
LXIII – 2 – Dans l’Univers, les oeuvres difficiles doivent se faire par le
facile, les grandes choses doivent s’accomplir par l’imperceptible.
LXXX – 3 – Aussi, le Saint-Homme, jusqu’à la fin, n’entreprend rien de grand;
c’est pourquoi il peut accomplir sa grandeur.
LXIII – 4 – Qui promet à la légère mérite certainement peu de confiance; qui
trouve tout facile éprouve nécessairement beaucoup de difficultés.
LXIII – 5 – Pour le Saint-Homme, tout est également difficile, c’est pourquoi
il achève tout sans difficulté.
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LXIV – 1 – Ce qui est en repos est facile à maintenir ce qui n’est pas
esquissé est facile à projeter ce qui est frêle est facile à briser, ce qui
est menu est facile à disperser.
LXIV – 2 – Empêchez le mal avant qu’il ne soit, mettez de l’ordre avant que
n’éclate le désordre.
LXIV – 3 – Un arbre énorme est né d’une racine aussi fine qu’un cheveu; une
tour de neuf étages s’est édifiée sur un tas de terre; un voyage de mille
lieues a commencé par un pas.
LXIV – 4 – Celui qui agit échoue, celui qui prend perd.
LXIV – 5 – C’est pourquoi le Saint-Homme n’agit pas et il n’échoue pas. Il ne
prend pas et il ne perd rien
LXIV – 6 Lorsque le vulgaire entreprend une affaire. il échoue, d’ordinaire,
lorsqu’il est sur le point de réussir. Soyez attentifs à la fin comme vous
l’êtes au commencement.
LXIV – 7 – Voilà pourquoi le Saint-Homme n’a d’autre désir que d’être sans
désirs. Il fait son étude de ne pas étudier. Il remédie aux excès des hommes
en aidant les dix mille êtres à être eux-mêmes, mais sans se permettre d’agir.
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LXV – 1 – Dans l’Antiquité, ceux qui pratiquaient le Tao ne s’en servaient pas
pour ,clairer le peuple, mais pour le rendre simple de coeur. Le peuple est
difficile à gouverner lorsqu’il sait trop.
LXV – 2 – C’est pourquoi gouverner un Etat avec la sagesse humaine cause sa
ruine; le gouverner sans recourir à la sagesse humaine, c’est faire son
bonheur.
LXV – 3 – Celui qui connaît ces deux choses connaît aussi le Modèle des
modèles. La connaissance éternelle du Modèle des modèles s’appelle Vertu
mystérieuse. La Vertu mystérieuse est profonde, illimitée, certes ! Aider
les êtres à y retourner, c’est coopérer a la Grande harmonie.
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LXVI – 1 – Ce qui fait que les fleuves et les mers peuvent être les rois des
Cent vallée, c’est qu’ils se placent bénévolement au-dessous d’elles. Voilà
pourquoi ils peuvent être les rois des Cent vallées.
XVI – 2 – De même, si le Saint-Homme désire être au-dessus du peuple, il faut
qu’en parlant il se place au-dessous de lui ; s’il désire le guider, il faut
qu’il se mette au dernier rang. Ainsi peut-il occuper un poste élevé sans
opprimer les homrries, et être le premier sans que nul n’ait à en souffrir.
LXVI – 3 – Cela étant, l’Empire est tout à la joie de son activité exubérante
et ne s’en lasse pas. Comme le Saint-Homme n’entre en lutte avec personne,
nul, dans l’Empire, ne peut lutter contre lui.
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LXVII – 1 – Tout le monde dit que je suis grand, mais que je ressemhle à un
déshérité. Or, c’est précisément parce que l’on est grand que l’on est
déshérité. Pour ce qui est de la noblesse héréditaire, sa valeur s’est
amenuisée depuis longtemps, certes !
LXVII -2 – Pour moi, il y a trois choses précieuses aux-quelles je suis
attaché et que je tiens en haute estime : la première est la Charité; la
seconde est l’économie; la troisième est l’humilité, qui fait qu’on n’ose se
mettre en avant pour agir dans le Monde.
LXVII – 3 – Grâce à la Charité, on peut être audacieux; grâce à l’économie, on
peut être généreux; grâce à l’humilité, on peut accomplir de grandes choses.
LXVII – 4 – Aujourd’hui, on manque de Charité et par suite de courage; on
manque d’économie et par suite de générosité ; on refuse la dernière place et
l’on perd ainsi la première. C’est la voie de la mort, certes ! Mais si l’on
a pour arme la Charité, on est sûrement victorieux. Celui qui pratique cela
est invincihle, le Ciel le secourt et il est protégé, par sa miséricorde
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LXVIII – 1 – La perfection pour celui qui commande, c’est d’être pacifique;
pour celui qui combat, c’est d’être sans colère; pour celui qui veut vaincre,
c’est de ne pas lutter; pour celui qui se sert des hommes, c’est de se mettre
au-dessous d’eux.
LXVIII – 2 – Cela s’appelle la vertu du Non-lutter, l’art de se servir des
forces humaines en coopérant avec le Ciel, suprême sagesse des Anciens.
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LXIX – 1 Dans l’art militaire, il y a ce dicton : » J’évite de provoquer,
j’attends le défi; je ne me permets pas d’avancer d’un pouce, mais je recule
d’un pas « .
LXIX -2 – Cela s’appelle avancer sans bouger, repousser sans lever le bras,
faire comme s’il n’y avait pas d’ennemi, prendre sans armes.
LXIX – 3 – Il n’y a de pire malheur que de se faire un ennemi a la légère;
c’est presque perdre notre trésor.
LXIX – 4 C’est pourquoi, lorsque deux adversaires s’affrontent, il s’ajoute
ceci : celui qui est compatissant remporte certainement la victoite.
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LXX – 1 – Mes préceptes sont très faciles à comprendre, très faciles à suivre,
mais le monde ne peut les comprendre ni les suivre.
LXX- 2 – Ces enseignements sont fondés sur la Tradition, ces actes sur un
principe; cependant ils ne sont pas compris. C’est pour cela qu’on m’ignore.
Ceux qui me comprennent sont rares,
c’est la mesure de ma valeur, certes !
LXX – 3 -C’est ainsi que le Saint-Homme, sous des vêtements grossiers, garde un
joyau dans son sein.
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LXXI – 1 Connaître le Non-savoir est élévation. Ignorer cette Connaissance est
une maladie. Cependant souffrir de cette maladie c’est par là même n’être’plus
malade.
LXXI – 2 – Le Saint-Homme n’a pas cette maladie, car il en souffre. Cela ,tant
il n’est plus malade.
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LXXII – 1 – Si le peuple n’a pas une crainte respectueuse pour les grandeurs,
la majesté suprême l’atteindra.
LXXII – 2 – Ne vous trouvez pas à l’étroit dans votre demeure, ne prenez pas
en dégoût ce qui est votre existence. Il suffit de ne pas mépriser sa
condition pour ne pas s’en lasser.
LXXII – 3 – Le Saint-Homme se connaît sans s’observer; il s’aime sans se
priser.
LXXII – 4 – C’est pourquoi il rejette ceci et adopte cela.
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LXXIII – 1 – Le courage qui ose cause la mort ; avoir le courage de ne pas
oser donne la vie. Des deux l’un est profitable, l’autre funeste.
LXXIII – 2 – Si le Ciel éprouve quelqu’un, qui en connaît la raison ? C’est
pourquoi le Saint-Homme ne se décide qu’avec difficulté.
LXXIII – 3 – Voici le Tao du Ciel : exceller à vaincre sans lutter, exceller
à convaincre sans parler, faire venir spontanément sans appeler, réaliser
parfaitement dans une apparente inertie.
LXXIII – 4 – Le filet du Ciel est infini ; ses mailles sont larges, mais nul
n’en échappe.
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LIIIV – 1 – Si le peuple ne craint plus la mort, quelle efficacité peut avoir
la menace de la peine de mort ?
LXXIV – 2 – Si on parvenait à lui inspirer la crainte constante de la mort,
et que je doive faire arrêter un criminel pour le faire excuter, qui
oserait ?
LXXIV – 3 – Celui qui éternellement a le pouvoir d’enlever la vie fait mourir.
Vouloir se substituer à lui serait agir comme quelqu’un qui veut équarrir du
bois à la place du maître-charpentier; il est bien rare, certes ! qu’il ne se
blesse pas la main.
75
LXXV – - Le peuple a faim lorsque ses maîtres dévorent le produit de lourds
impôts; voilà la cause de la disette. Le peuple est difficile à gouverner
lorsque ses maîtres sont agissants; voilà d’où vient la difficulté de
gouverner. Le peuple envisage la mort avec légèreté, parce qu’il peine trop
pour vivre; voilà pourquoi il attache peu d’importance à a mort. Car, seul
celui qui n’est pas exclusivement accaparé par la lutte pour l’existence, peut
sagement apprécier la vie.
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LXXVI – 1 – Nouveau-né, l’homme est souple et frêle; mort, il est rigide et
dur. A leur naissance, les plantes et les arbres sont tendres et flexibles
morts, ils sont rigides et durs.
LXXVI – 2 – Solidité et rigidité sont les compagnes de 1a mort; souplesse et
faiblesse sont les compagne de la vie.
LVXXVI 2 – C’est pourquoi une armée devenue forte ne vaincra pas, un arbre
devenu grand sera abattu
LXXVI Ce qui est fort et grand est dans une position inférieure; ce qui est
souple et faible est dans une position élevée.
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LXXVII – 1 – La Voie du Ciel ne peut-elle être comparée à celui qui fait un
arc ? Il abaisse ce qui est en haut, il élève ce qui est en bas, il enlève ce
qui est en trop, il ajoute ce qui manque.
LXXVII – 2 – La Voie du Ciel réduit ce qui est excessif, complète ce qui est
insuffisant. La voie de l’homme est bien différente : il enlève à celui qui
n’a pas assez, pour le donner celui qui
a trop.
LXXVII – 3 – Qui est capable, ayant du superflu, de le donner au monde ?
Celui-là seul qui a le Tao.
LXXVII – 4 – C’est pourquoi le Saint-Homme agit sans rien attendre en retour;
son oeuvre méritoire mène à bien il ne s’y complaît pas et ne désire pas
faire montre de sagesse.
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LXXVIII 1 – Il n’est rien au monde de plus Inconsistant et de plus fîible que
l’eau; cependant, elle corrode ce qui est dur et fort; rien ne peut lui
résister ni la remplacer.
LXXVIII – 2 – La faiblesse a raison de la force; la souplesse,de la dureté.
Tout le monde le sait, mais personne n’y conforme sa conduite.
LXXVIII – 3 – C’est pourquoi le Saint-Homme dit: » Prendre sur soi les
souillures du royaume, c’est être le maître du génie des moissons; prendre
sur soi les malheurs de la nation, c’est être le roi du monde. » Paroles
profondément vraie, sous une apparence paradoxale,
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LXXIX – 1 – Même après la réconciliation, un grave désaccord laisse toujours
subsister quelque ressentiment. Que peut-on faire, alors, pour agir selon le
Bien ? Comme le Saint-Homme, qui garde la part la plus désavantageuse dans les
contrats sans rien exiger des hommes.
LXXIX – 2 – Qui possède la Vertu est l’artisan de la concorde; qui n’a pas la
Vertu est l’artisan de La discorde.
LXXIX – 3 – Le Tao du Ciel est sans affections; il coopère toujours avec
l’homme de bien.
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LXXX – 1 – Si j’avais un petit royaume. d’une faible population et comptant
une dizaine ou une centaine d’homme habiles, je m’abstiendrais de les
employer. Je veillerais à ce que le peuple comprît la gravité de la mort et
n’émigrât pas au loin. Bien qu’ayant des barques et des chars,il n’en userait
pas; possédant des armes et des cuirasses, il ne s’en servirait pas.
LXXX – 2 – Je ferais en sorte qu’il revienne à l’usage des cordelettes nouées.
Il trouverait sa nourriture savoureuse, beaux ses vêtements, paisibles
ses demeures, pleines de charme ses coutumes.
LXXX – 3 – Quand bien même les habitants d’un hameau frontalier et ceux du
pays voisin pourraient se voir, entendre les chants de leurs coqs et les
aboiements de leurs chiens, ils atteindraient la vieillesse, puis la mort,
sans qu’ils n’ait eu de visites réciproques.
81
LXXXI – 1 – Les paroles sincères ne sont pas recherchées, les paroles
recherchées ne sont pas sincères. L’homme de bien ne discute pa, celui qui
discute n’est pas bon. Celui qui sait n’est pas
érudit, celui qui est érudit ne sait pas.
LXXXI – 2 – Le Saint-Homme ne thésaurise rien; tout ce qu’il a, il s’en sert
pour aider les autres. Ayant tout épuisé il reçoit davantage et donne tout.
Quand il a tout donné, il possède encore plus.
LXXXI – 3 – Le Tao du Ciel est aigu, mais ne blesse pas; la voie du
Saint-Homme est d’agir sans lutter.
Historique du rite ancien et primitif de Memphis – Misraïm 21 juillet, 2021
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireHistorique du rite ancien et primitif de Memphis – Misraïm
15 Février 2016 , Rédigé par RAPMM
La Franc-maçonnerie est une institution pluri centenaire, car les premières révélations historiques remontent au XIIIème siècle. Cette association de métier, à l’origine dite opérative…, au caractère corporatiste autant que moral et spirituel, devient, dès le Carrefour de 1723, un « centre d’union » où se retrouvent, en toute fraternité, des hommes qui, sans elle, ne se seraient pas reconnus… Adopter une vision tranchée et univoque de la Franc-maçonnerie moderne, dite spéculative.., semble difficile, car celle-ci, selon les temps et les lieux, a revendiqué des origines et des finalités bien différentes, bien qu’elle s’inscrive dans le courant judéo-chrétien. En outre, sa philosophie ne s’exprime que par le truchement des symboles : or leur sens dépend de la tradition initiatique à laquelle se rattache chaque Rite, qui représente l’Esprit de chaque Ordre existant Ainsi, les différentes Obédiences françaises couvrent un large spectre, allant du social au spirituel, de l’athéisme au déisme ; elles ont toutes cependant en commun leur essence initiatique et leurs trois premiers degrés représentent un centre adogmatique de perfectionnement individuel, intellectuel, moral et de travail sur soi. Ce n’est que par la suite que l’empreinte du Rite, propre à chaque Obédience se manifeste dans toute son amplitude : il donne à ses cérémonies une qualité, une densité, une stabilité, une impulsion et une prégnance à nulle autre pareille. De telle sorte que cette juxtaposition de mille et une nuances dans l’Art Royal entrouvre l’accès à une voie adaptée à la nature du Cherchant et à ses exigences, dans le respect le plus strict de sa liberté absolue de conscience. La Franc-maçonnerie du Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm possède ses spécificités propres, qui font d’elle une Maçonnerie peu connue, mais d’une grande richesse à la fois rituelle et historique. Parmi celles-ci, se distinguent entre autres :
Son orientation spiritualiste et déiste dans le cadre de la Voie Initiatique.
Sa volonté de donner l’accès à la Connaissance Essentielle par l’alliance de l’intelligence du cœur à celle du mental ;
Sa représentation en tant que gardien des traditions de l’ancienne Egypte, berceau de toute initiation. Sa vocation de conserver et de développer une Tradition intacte (comprise comme la Tradition Primordiale transmise dans les courants hermétiques, gnosticistes, kabbalistes, templiers et rosicruciens), propre à libérer l’homme de ses chaînes matérielles, au travers de son évolution spirituelle. Cette Tradition se veut dépositaire des antiques initiations de la vallée du Nil, perpétuées au travers de divers mouvements, parmi lesquels se retrouvent les pythagoriciens (qui détiennent l’héritage d’une Géométrie d’essence sacrée), les Hermétistes Alexandrins (dont les ouvrages de référence sont le Corpus Hermeticum et La Table d’émeraude attribués à Hermès Trismégiste), les Néo-platoniciens, les Sabéens de Harrân, les Ismaéliens, les descendants d’Abraham, les Templiers et les Rose Croix. Pour une Obédience spiritualiste comme celle du Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm, le Rituel est donc l’occasion d’une régénération spirituelle, d’une réintégration métaphysique, de la personne qui y participe et joue le rôle de catalyseur sur le sentier de l’évolution intérieure. Mais en même temps, il reste attaché à son héritage humaniste, profondément engagé au côté des valeurs de la dignité, du droit, et de la défense de l’opprimé. C’est là sa grande force, son côté insolite, et la raison pour laquelle, peut-être, il attire autant qu’il intrigue…
LE RITE DE MISRAÏM
Il faut ici commencer à mi-chemin entre l’histoire et la légende… Peut-être par « il était une fois »…en présentant l’énigmatique personnage que fut Alexandre Cagliostro, de son vrai nom Joseph Balsamo, aigrefin de renom un peu souteneur et un peu espion pour les uns, Grand Initié sans attache, magicien et enchanteur pour les autres…en tout cas acteur occulte de la Révolution Française pour l’ensemble -, et certainement un être moralement indéfinissable, tant ce Rite attire des caractères trempés dans une eau qui n’a pas grand-chose à voir avec l’eau plate. Notre homme, très proche du Grand Maître de l’Ordre des Chevaliers de Malte Manuel Pinto de Fonseca avec lequel il aurait effectué des expériences alchimiques…, fonde en 1784 le « Rite de la Haute-Maçonnerie Egyptienne »… Bien que celui-ci n’ait eu que trois degrés (Apprenti, Compagnon et Maître Egyptien), le Rite de Misraïm semble lui être directement relié. On sait encore mal, aujourd’hui, où Cagliostro fut réellement initié (sans doute à Malte) et comment il bâtit son Rite : selon Gastone Ventura, il reçoit entre 1767 et 1775 du Chevalier Luigi d’Aquino, frère du Grand Maître National de la maçonnerie napolitaine, les Arcana Arcanorum, trois très hauts degrés hermétiques, venus en droite ligne des secrets d’immortalité de l’Ancienne Egypte, afin qu’il les dépose dans un Rite maçonnique d’inspiration magique, kabbalistique et divinatoire. Ce qu’il semble avoir fait en 1788, non loin de Venise, en y établissant une Loge où il opère le transfert des Arcana Arcanorum dans le Rite de Misraïm. Ce Rite, à demi-centenaire lorsque Cagliostro en fait le dépositaire du Secret des Secrets, est un écrin idéal pour le joyau qu’il reçoit, nourri de références alchimiques et occultistes, il attire alors de nombreux Adeptes. Il se réclame de plus d’une antique tradition égyptienne, le terme « Misraïm » signifiant ou « les Egyptiens » ou « Egypte » en hébreu…et possède 90 degrés… Dans l’état actuel des recherches, il apparaît surtout que les sources du Rite de Misraïm se situent dans la République de Venise et dans les Loges Franco-italiennes du Royaume de Naples de Joachim Murat, et qu’il a subi douloureusement à la fin du siècle l’occupation autrichienne qui en interdit la pratique. Les trois frères Bédarride, dont les plus marquants, Marc et Michel, auraient été initiés dans le Rite de Misraïm en 1803, l’introduisent en France à Paris en 1814 et 1815, à l’époque où les Ordres maçonniques sont interdits en Italie. Le Rite recrute aussi bien de hautes personnalités aristocratiques, que des bonapartistes et des républicains, parfois des révolutionnaires, Carbonari, comme Pierre Joseph Briot, – membre de la société secrète républicaine des Philadelphes…, ou bien encore Charles Teste, frère cadet du baron François Teste, lieutenant de Philippe Buonarrotti, le célèbre conspirateur qui utilisa la Charbonnerie pour servir la cause de son pré communisme, et qui fut, avec Babeuf, le coauteur du Manifeste des Egaux. Or, dès 1817, le Grand Orient, qui n’apprécie guère le système des Hauts Degrés, devient un vigoureux opposant au Rite de Misraïm. Ainsi, en 1822, alors que les affaires semblent florissantes, le Grand Orient, à cette époque monarchiste et catholique, profite de l’affaire des Quatre Sergents de La Rochelle et de l’inquiétude suscitée par les Carbonari pour dénoncer aux ordres de police, l’Ordre de Misraïm comme un repaire de séditieux « antimonarchiques et antireligieux » prêts pour l’insurrection armée. L’essor de ce nouveau Rite plein de promesses est ainsi stoppé net. En tant que Rite interdit, il devient tout naturellement un espace de rencontre pour tous les opposants au régime. Mais déjà il commence à péricliter. Vers 1890, les derniers Maçons du Rite attachés à leurs principes déistes et spiritualistes, se retrouvent bientôt dans une seule Loge, la fameuse Loge Arc-en-Ciel… Le Rite de Misraïm reviendra presqu’un siècle plus tard, lorsque Robert Ambelain, ancien Grand Maître ad vitam, démissionnaire du Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm, le ravive en 1992, malgré ses engagements pris de ne jamais le ranimer. (cf. les correspondances Robert Ambelain / Gérard Klopp el)
LE RITE DE MEMPHIS
Le Rite de Memphis est une variante du Rite de Misraïm, constitué par Jacques-Etienne Marconis de Nègre en 1838. Pour autant, s’il reprend la mythologie égypto-alchimique du Rire, il la fortifie d’emprunts templiers et chevaleresques…les références à la légende d’Ormuz et à la Chevalerie de Palestine sont là-dessus très significatives…Robert Ambelain estime pour sa part, …mais l’information demande encore sa confirmation définitive…que ce Rite serait né de la fusion de divers rites ésotériques d’origine occitane, notamment le Rite Hermétique d’Avignon, le Rite Primitif de Narbonne, le Rite des Architectes Africains de Bordeaux, et un Rite Gnostique d’origine Egyptienne… Là où Misraïm est le Rite des Adeptes entre Ciel et Terre, des révolutionnaires insaisissables, et des comploteurs libertaires…selon ce qu’en disent les documents de police de l’époque Memphis durcit la ligne des références mythiques, et veut conquérir des hommes de force, à l’idéal chevaleresque. Le Rite connaît un succès certain, justement du côté des Loges militaires, tant et si bien qu’en 1841, les frères Bédarride le dénoncent à leur tour aux autorités, et le Rite de Memphis est contraint de se mettre en sommeil… Il faudra attendre 1848 et la destitution de Louis-Philippe pour que le Rite de Memphis reprenne une vigueur toute relative, luttant pour ne pas péricliter… Mais c’est plutôt Outre-manche, que le Rite perdure… A partir des années 1850, des Loges anglaises, travaillant en français au Rite de Memphis, se multiplient. Elles sont restées célèbres pour avoir été essentiellement composées d’ardents républicains ayant fui la France après le coup d’Etat du 2 décembre 1851. On y retrouve Louis Blanc, Alfred Talandier, Charles Longuet le gendre de Karl Marx, et Joseph Garibaldi membre d’honneur dont nous reparlerons par la suite. En 1871, l’écrasement de la Commune attire en Grande-Bretagne de nouveaux réfugiés… Ceux-ci contribuent à la vivification du Rite, mais toutes ces Loges s’éteignent en 1880, lorsque le nouveau gouvernement républicain déclare l’amnistie. Parallèlement, le Rite de Memphis semble avoir connu un important développement en Egypte à partir de 1873, sous l’impulsion du Frère Solutore Avventore Zola, nommé Grand Hièrophante… Jusqu’à l’époque du roi Farouk, il ne cesse de se développer, en tant que continuateur des anciens Mystères Egyptiens, à telle enseigne que les frères de Memphis sont unanimement appréciés et respectés. Le Rite de Memphis s’implante également aux Etats-Unis vers 1856-57, lors du voyage à New-York de Marconis de Nègre… Il connaît un certain essor, notamment sous la grande maîtrise de Seymour en 1861, et sera reconnu, un temps, par le Grand Orient de France.
LE RITE DE MEMPHIS – MISRAÏM
Survient en fin décembre 1870 un événement, apparemment anodin, mais qui aura de grandes conséquences : le 28 décembre, quatre Maçons menés par Robert Wentworth Little, qui avait crée quatre ans auparavant la S.R.I.A. (Societas Rosicruciana In Anglia)…invoquent une prétendue consécration pour établir en Angleterre, auprès de Yarker, un « Suprême Conseil Général 90ème du Rite de Misraïm », Yarker associe donc au Rite de Memphis qui lui fut transmis par Seymour en 1872, le Rite de Misraïm introduit par Little puis légitimé par la Charte de Pessina en 1881… Et pour affermir cette alliance de Memphis et de Misraïm, il place à la tête du Rite la figure emblématique du chef des Camissia Rossa, Garibaldi, premier Grand Hiérophante des deux Rites en 1881, qui, trop âgé, ne put exercer ses fonctions et mourût peu après en 1882… …La réunification de la maçonnerie de Rite Egyptien fût brève, et des dissensions successives éclatèrent quant à la succession au titre de Grand Hiérophante entre les Souverains Sanctuaires des différents pays, principalement l’Egypte… Finalement, Yarker devient le Grand Hiérophante de Memphis-Misraïm pour tous les pays d’Europe seulement, de 1903 à 1913, date de son trépas. La fusion définitive des deux Rites ne devait réellement se faire, en fait, qu’en 1989…
LE RITE DE MEMPHIS-MISRAÏM en France
Il nous faut maintenant parler d’une autre figure mystérieuse et étrange, agaçante pour certain, fascinante pour d’autre, et dont le profil rappellera Cagliostro : le célèbre Docteur Gérard Encausse, alias Papus. Celui qu’Anatole France pressentait pour une chaire de Magie, si d’aventure elle se faisait, laissa un profond sillage dans cette France entre deux siècles. On suppose que Papus fut initié par des Frères dissidents de la Loge Souveraine L’Arc en Ciel avant la fin du siècle, mais on n’en a aucune preuve… En tout cas, en 1901, John Yarker lui délivre une patente, pour ouvrir son Chapitre I.N.R.I… Une Charte la transformera en « Suprême Grande Loge de France du Rite Swedenborgien » en 1906… Ce « Temple de Perfection » ne l’autorise pas cependant à initier aux trois premiers degrés… En 1906, Papus réussit à obtenir de Villarino del Villar, Grand Maître de la Grande Loge Symbolique Espagnole du Souverain Grand Conseil Ibérique, une charte du Rito National Espanol, Rite en sept degrés dérivé du Rite Italien de Memphi-Misraïm de Pessina et contesté par la Maçonnerie régulière. Celle-ci lui permet d’ouvrir une nouvelle Loge Symbolique Humanidad et d’y travailler aux trois premiers degrés du « Rite Ecossais ».Enfin, en juin 1908, Papus constitue à Paris un Suprême Grand Conseil et Grand Orient du Rite « Ancien et Primitif de la Maçonnerie», mais ce dernier n’a cependant pas le Statut de Souverain Sanctuaire et ne peut créer de Loges. Le Rite évoqué est vraisemblablement le Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm en 97 degrés créé avec l’impulsion de John Yarker lors de la fusion des Rites de Memphis et de Misraïm entre 1881 et 1889. C’est donc par les initiatives de Papus que le Rite a pu revenir en France, par l’intermédiaire de sa Loge Mère Humanidad, pour les trois premiers degrés et de son Chapitre INRI converti au Rite Ancien et Primitif des Hauts-Degrés. Jean Bricaud, successeur de Papus, prend en main les affaires de l’Ordre, en 1919, et cherche à faire gagner à son Obédience une respectabilité maçonnique qu’elle négligeait un peu pendant les années d’avant-guerre. Il enrichit les Rituels, avec malheureusement un mélange d’apports gnostiques, ouvre le Rite vers les profanes, fait disparaître l’efflorescence des innombrables sociétés occultes atomisées du début du siècle en ouvrant l’accès à son Ordre Martiniste, à l’Ordre de la Rose Croix Kabbalistique et Gnostique, et à l’Eglise Catholique Gnostique. Quand Jean Bricaud s’éteint en 1934, Constant Chevillon est choisi pour lui succéder. Hélas, la menace de l’holocauste plane bientôt sur le monde. Le Rite, alors en pleine expansion subit de plein fouet la violence de la barbarie nazie. George Delaive, qui fut l’un des Grands Maîtres du Rite en Belgique, est emprisonné et bientôt assassiné par les nazis à la prison de Brandebourg, après avoir rejoint la Résistance en France. Raoul Fructus, qui avait de hautes responsabilités dans le Rite avant la guerre, meurt en déportation en février 1945. Otto Westphal, responsable du Rite en Allemagne, est interné en camp puis torturé, Constant Chevillon, Grand Maître National du Rite après Jean Bricaud, est abattu à quelques kilomètres de Lyon au printemps 1944, par la milice de Vichy après dénonciation…
…Le Rite de Memhis-Misraïm a donc payé un lourd tribut au fléau nazi, celui de son attachement à la Liberté. Au sortir de la guerre, c’est Henri-Charles Dupont qui prend légitimement la direction du Rite de Memphis-Misraïm pour la France. H-C Dupont nomme Pierre De Beauvais Grand Maître Général de Memphis-Misraïm, mais, comme celui-ci trop autoritaire, est mal perçu, il doit vite reprendre la Grande Maîtrise Générale par la suite. Peu avant sa mort, Henri-Charles Dupont remet le 13 août 1960 à Robert Ambelain une patente de Grand Administrateur du Rite et de successeur… Ce dernier a reçu de 1941 à 1945 tous les Hauts Degrés du Rite Ecossais Ancien Accepté, du Rite Ecossais Rectifié, en plus de ceux du Rite de Memphis-Misraïm, il détient également la transmission du Suprême Conseil du Rite Ecossais Primitif (Early Grand Scottish Rite dit Cerneau) conférée au Grand Maître Jean Bricaud, en 1920, par le Suprême Conseil des Etats-Unis. Robert Ambelain, une fois devenu Grand Maître, va tenter de rassembler, dans une même Obédience mondiale, les Ordres se réclamant du Rite de Memphis-Misraïm. Il parvient à établir des relations fraternelles avec la plupart des Grandes Obédiences Françaises. Il ne réussit pas néanmoins à unifier certains groupuscules de Memphis séparés, ni les Rites de Memphis-Misraïm d’Italie issus d’une filiation différente… Sous la Grande Maîtrise de Robert Ambelain, il est décidé que le siège de la Grand Maîtrise générale sera obligatoirement Paris et que le Grand Maître devra autant que possible être francophone… En outre, en 1963, les 33 premiers degrés de Memphis-Misraïm sont revus pour les conformer au « Rite Ecossais Ancien Accepté » et faciliter ainsi les contacts avec les autres Obédiences. Dans la nuit du 31 décembre 1984 au 1er janvier 1985, Robert Ambelain transmet sa charge de Grand Maître ad-vitam du Rite à Gérard Kloppel, alors Grand Maître Général adjoint depuis 2 ans et responsable de la pyramide jusqu’au 32ème degré. Quelques mois plus tard, en juillet, il lui transmettra également les degrés du Rite Ecossais Primitif…en 1987, Gérard Kloppel fonde le premier Souverain Sanctuaire féminin, mais ce Souverain Sanctuaire prend son indépendance en 1990 ; une nouvelle fédération féminine, devenue par la suite Grande Loge sera recréée en 1993. Depuis 1997 est mise en place la structure mixte…
En conclusion…
Le Rite de Memphis-Misraïm est un Rite de Tradition, c’est-à-dire qu’il suppose que le Rituel a une opérativité réelle pour retrouver cette Parole Perdue, qui n’est d’aucun siècle mais qui les traverse tous. Résolument spiritualiste et symbolique, il estime en outre que les Arts traditionnels, Alchimie, Kabbale, Théurgie, Gnose., sont essentiels pour quiconque veut travailler à son propre perfectionnement et à celui de la Nature et de l’Humanité toute entière… En outre, le Rite de Memphis-Misraïm s’est toujours attaché à défendre ces valeurs fondamentales que sont : la Liberté, l’Egalité et la Fraternité… Le courage n’a jamais manqué à ces « Maçons de la Terre de Memphis », lorsqu’il s’est agi de protéger l’opprimé contre le puissant…il lui en a coûté, on l’a vu, beaucoup de martyrs… Mais c’est le prix de l’intransigeance morale. Ce Rite a rayonné à chaque période de bouleversements sociaux ou politiques, lorsqu’il a fallu que des âmes fortes témoignent de leur attachement à l’humanisme et à la solidarité, tandis que s’étendait partout la plus sombre obscurité. Ainsi, fidèle à ses principes et à son identité historique le Rite demeure soucieux du monde à la fois spiritualiste, traditionnel et social : il a toujours contemplé avec le même attachement et le même Amour de la Voûte étoilée et ses Frères humains, fidèle à l’éternelle parole d’Hermès Trismégiste : « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». Car c’est là, à la croisée des Chemins, entre la contemplation des Cieux et l’engagement pour la Fraternité, les pieds ancrés dans la terre à la recherche de son être divin que se révèle et s’épanouit la Lumière du Rite de Memphis-Misraïm dans le cœur du maçon…
Source :
Hauts Grades
Qu’est-ce que la parole perdue ? 18 mai, 2021
Posté par hiram3330 dans : Contribution , ajouter un commentaireQu’est-ce que la parole perdue ?
L’expression la parole perdue apparaît dans des rituels du 3e degré, où l’on parle aussi de la perte des secrets véritable du maître maçon. Il semble toutefois que les deux expressions soient relativement interchangeables ; ainsi le document Prichard de 1743 et l’instruction au 3e degré au rite écossais de la Mère Loge Écossaise de l’Orient d’Avignon de 1774 disent-ils :
Q : pourquoi vous a-t-on fait voyager ? – R : pour chercher ce qui a été perdu.
Q : qu’est ce qui a été perdu ? – R : la parole de Maître.
Q : comment la parole fut-elle perdue ? – R : par la mort de notre respectable maître Hiram.
Un homme meurt, refusant de livrer un banal mot de passe pour se faire payer, connu de tous les maîtres, et un secret dont il était détenteur, par ailleurs, disparaît. Le secret n’est donc pas le mot de passe. Alors, est-ce un savoir que lui seul possède ? Est-ce une partie d’un mot à prononcer avec d’autres pour qu’il soit complet et efficient ? La parole d’Hiram serait-elle autre chose que celle d’un seul homme ? Que peut-être cette parole pour le franc-maçon d’aujourd’hui ? N’oublions pas que le mot Hiram porte en lui-même des mystères et parmi ses nombreuses traductions de l’hébreu, il peut aussi être lu comme HaReM qui désigne la chose cachée.
Le savoir personnel
Quel serait ce savoir ?
- Au Rite York, à la mort d’Hiram, il est dit : « Il n’y a pas de plans sur la planche à tracer pour permettre aux ouvriers de poursuivre leur travail, et le G :. M :. H :. A :. a disparu ». Sur la planche, le maître d’œuvre modifie le plan selon lequel la construction du Temple devra s’effectuer. Cette planche sert en permanence de point de repaire pour l’ouvrage qui va être réalisé au fur à mesure de l’avancée des travaux. Lorsque l’ouvrage est terminé, il doit se superposer exactement au tracé qui est sur la planche. La conception théologique de l’art de la construction peut se résumer en une recherche de médiété parfaite entre la beauté pure qui n’appartient qu’à Dieu et le miroir que doit lui offrir, par son œuvre, l’architecte afin qu’elle se révèle aux yeux des hommes. Concrètement, ce qui fut perdu serait-ce cette capacité architecturale de concevoir l’édifice et de terminer l’œuvre ?
- Mais allons plus loin. Hiram, a été envoyé par le roi de Tyr à Salomon pour ses savoirs aussi particuliers que ceux que possédait Betsaléel, le constructeur de l’Arche d’alliance du désert : il était habile pour les ouvrages en or, en argent, en airain et en fer, en pierre et en bois, en étoffes teintes en pourpre et en bleu, en étoffes de byssus et de carmin, et pour toute espèce de sculptures et d’objets d’art qu’on lui donne à exécuter (II Chroniques, 2, 13 et 14).
C’est grâce à 3 vertus que le premier temple fut construit par Betsaléel car il est écrit en Exode 31,3 : «Je [dieu] l’ai rempli de l’esprit d’Élohim en sagesse, en intelligence et en savoir», » בְּחָכְמָה וּבִתְבוּנָה וּבְדַעַת « , vertus que l’on retrouve en Hiram dans I Roi 7, 14 « rempli de sagesse, d’intelligence et de savoir » » אֶת-הַחָכְמָה וְאֶת-הַתְּבוּנָה וְאֶת-הַדַּעַת «
Ces trois vertus, concepts, attributs divins, types de forces, ou niveaux de conscience, sont les processus à l’œuvre des structures vivantes, correspondant aux 3 séphiroth : Hokhmah, la sagesse ; Tébouna, alias Binah, l’intelligence ; Daath, le savoir, la connaissance.
La somme de leurs valeurs guématriques, après réduction, est équivalente à ce qui relie les 2 colonnes Yakin et Boaz[1] qu’Hiram a fondues. La parole perdue serait-elle l’esprit d’Elohim, cette capacité de création, comme celle du maharal de Prague avec son Golem dont aurait été doté Hiram ?
John Yarker qui, dans un article sur Le rite d’York et l’ancienne maçonnerie en général, remarque qu’«en vérité, des ouvriers complotèrent illégalement pour extorquer d’Hiram Abif un secret, celui de l’animal étonnant qui avait le pouvoir de couper les pierres. Le secret qui a été perdu par les trois Grands Maîtres est celui de l’insecte shermah (shamir), qui a été employé pour donner un parfait polissage aux pierres. Considérant cette remarque de Yarker, le secret opératoire du shamir serait-il «ce qui a été perdu» ?
De même, dans la présentation du rituel Wooler, qui ressemble au texte de Yarker, on lit dans un catéchisme du troisième degré : «Après la construction du Temple, les ouvriers du plus haut degré, connus sous le nom de« Most «Excellent», ont accepté les grands secrets concernant le noble In… Sh…, qui était ce qui constituait le secret des trois Grands Maîtres et [pour] lequel HAB fut tué » ; l’utilisation d’abréviations prouvant le caractère autrefois ésotérique, ou supposé tel, de l’information.
Dans son Miscellanae Latomorum, le Dr William Wynn Westcott propose un passage d’un vieux rituel qui parle précisément du secret de l’insecte shamir et des trois Grands Maîtres. Voilà notre intérêt maçonnique éveillé.
Cette tradition maçonnique est ignorée de nos jours, mais intéressons nous à ce shamir ; essayons de trouver quelques sources à cette incroyable histoire.
Ce shamir miraculeux aurait été spécialement créée au début du monde pour cette utilisation opératoire. Selon cette légende, quand Salomon demanda aux rabbins comment construire le Temple sans utiliser d’outil de fer, pour se conformer, bien sûr, à l’injonction du Deutéronome (Exode, 20,21 ; Si toutefois tu m’ériges un autel de pierres, ne le construis pas en pierres de taille; car, en les touchant avec le fer, tu les as rendues profanes), ils attirèrent son attention sur le shamir par lequel Moïse avait gravé le Nom des tribus sur le pectoral du grand prêtre.
Voyons cela de plus près.
Ranulf Higden (1300-1363), dans son Polychronicon, cite la légende du ver de fendillement de pierre, qu’il nomme thamir.
Dans l’Encyclopédie juive on trouve cette légende qui raconte que, sur la recommandation des rabbins et afin de ne pas utiliser le fer, Salomon taillait les pierres au moyen du shamir, un animal, un ver dont le seul contact fendait la pierre. On retrouve cette légende également dans la littérature arabe et même dans le Coran.
Dans la littérature talmudique, il existe de nombreuses références à Shamir. Des qualités inhabituelles lui ont été attribuées. Par exemple, il pourrait désintégrer quoi que ce soit, même dur comme des pierres. Parmi ses possessions, Salomon la considérait comme la plus merveilleuse. Le roi Salomon était désireux de posséder le Shamir parce qu’il en avait entendu parler. La connaissance du Shamir est en fait attribuée par des sources rabbiniques à Moïse. Après avoir beaucoup cherché le Shamir de la taille d’un grain d’orge, il a été trouvé dans un pays lointain, au fond d’un puits, rapporté à Salomon, mais étrangement, il perdra ses capacités et est deviendra inactif plusieurs siècles plus tard, à peu près au moment où le Temple de Salomon a été détruit par Nabuchodonosor.
Étonnant et curieux Shamir ? Qu’est-ce donc ?
- Selon les auteurs médiévaux, Rachi, Maimonides et d’autres, Shamir était une créature vivante, un ver ; soutenant que Shamir ne pouvait pas être un minéral parce qu’il était actif. Ce ver magique était doté du pouvoir de modifier la pierre, le fer et le diamant, par son simple regard. Par ailleurs, les sources rabbiniques ont transmis la description de la gravure des noms des douze tribus sur les douze pierres précieuses de la cuirasse du grand-prêtre (le pectoral) ; Moïse le fit non pas par sculpture, mais en écrivant avec un certain fluide et en les «montrant» à Shamir, ou en les exposant à son action. De l’avis des auteurs modernes, l’expression «montré à Shamir » indique clairement que c’était le regard d’un être vivant qui a effectué la division de bois et de pierres. On admet cependant que dans les sources talmudiques et midrashiques, on ne dit jamais explicitement que le Shamir était une créature vivante. 3 Alors Shamir/ schamir/ samur, comme on en trouve l’expression, un ver de la taille d’un grain, ou autre chose, une pierre selon les différentes sources littéraires ?
- Une vieille source, La Légende de Soliman et testament de Salomon[2], ouvrage écrit en grec, probablement au début du troisième siècle de l’ère actuelle, se réfère à Shamir comme une «pierre verte», page 10 note 31 : le shamir serait une pierre de cristal vert de grande puissance. Le nom dérive probablement de samir/ épine ou tranchant. Un seul shamir est reconnu avoir existé. Il est sculpté en forme de coléoptère, scarabée de l’espèce sacer ateuchus. C’est la raison pour laquelle on a confondu le shamir avec un insecte.
Mais comment une pierre verdâtre aurait-t-elle pu couper le plus dur des diamants avec son seul regard ?
Reprenons ce que raconte Louis Guinzberg, en 1909, dans Les légendes des juifs, qui, inspiré par l’exégèse rabbinique, rapporte l’histoire de manière très fantastique : le shamir fut créé au crépuscule du sixième jour avec d’autres choses extraordinaires. Il n’était pas plus grand qu’un grain d’orge et possédait le pouvoir remarquable de tailler les diamants les plus durs. C’est pour cette raison qu’il fut utilisé pour les pierres du pectoral porté par le grand prêtre. D’abord on traça à l’encre les noms des douze tribus sur les pierres qui devaient être serties dans le pectoral ensuite le shamir fut conduit sur les lignes tracées et celles-ci furent ainsi gravées. Circonstance miraculeuse, le tracé ne porta aucune particule de pierre. On avait également utilisé le shamir pour tailler les pierres dont fut construit le Temple, car la loi interdisait d’utiliser des ustensiles de fer pour tout ouvrage destiné au Temple. Pour le conserver, il ne faut placer le shamir dans aucun réceptacle de fer, ni d’aucun métal, il le ferait éclater. On le conserve enveloppé dans une couverture de laine qui à son est tour est placée dans une corbeille de plomb remplie de son d’orge. Le shamir fut gardé au Paradis jusqu’au jour où Salomon eut besoin de lui. Il envoya l’aigle pour y chercher le ver. Lors de la destruction du Temple, le shamir disparut[3].
La manière dont Shamir était gardé en sûreté peut nous donner un indice: «Le Shamir ne peut être mis dans un vase de fer pour la garde, ni dans aucun vaisseau métallique: il éclaterait un tel récipient. Il est gardé enveloppé dans de la laine à l’intérieur d’une boîte de plomb rempli de son d’orge. Cette phrase est tirée du chapitre 48b du Talmud de Babylone et contient un indice important ; car, avec la connaissance actuelle nous pouvons facilement deviner qui ou plutôt ce qu’était Shamir : c’était une substance radioactive ; les sels de radium, par exemple, agissant sur certaines autres substances chimiques, peuvent émettre une luminescence de couleur jaune-vert.
Cela expliquerait comment le pectoral du grand-prêtre avait été gravé : les lettres étaient écrites à l’encre, et les pierres étaient exposées l’une après l’autre au «regard» ou au rayonnement du Shamir. Cette encre devait contenir du plomb en poudre ou des oxydes de plomb. Les parties des pierres qui n’étaient pas protégées par le plomb se désintégrèrent sans laisser de particules de poussière qui, selon ce Talmud, paraissaient particulièrement merveilleuses. Les parties protégées par de l’encre de plomb se dressaient en relief sur la surface des pierres précieuses[4].
La possession la plus précieuse de Salomon, son Shamir, n’a pas survécu avec le temps, il est devenu inactif. La version habituelle de l’histoire, « le Shamir disparu », ne correspond pas à la traduction exacte texte hébreu. Le mot batel utilisé pour décrire la fin, ou la disparition, de Shamir n’a qu’une seule signification : « Pour devenir inactif. ». Dans les quatre cents ans qui ont passé de la construction du premier Temple à sa destruction par Nabuchodonosor en -587, une substance radioactive aurait pu devenir inactive[5].
Le secret d’Hiram serait-il celui de l’utilisation d’une sorte de laser radioactif[6] ?
La connaissance partagée
Et si la « parole » était un ensemble d’éléments répartis entre plusieurs détenteurs dont la méconnaissance d’un seul entraînerait l’inefficacité du tout ? Un morceau de code en somme, un morceau de symbole !
Dans la légende, de fait, trois personnes forment un triangle : Salomon, le roi de Tyr et Hiram, les trois grands maîtres, chacun assigné à un rôle particulier et indispensable dans la construction du Temple. La légende dit que le Roi Salomon, Hiram Abiff, Roi de Tyr (1 Rois: 7:13), et Hiram Abi de la tribu de Dan (2 Chr.: 2:13) se sont réunis pour concevoir les plans de la construction du Temple, Salomon conçut, Hiram de Tyr fournit les moyens et Hiram réalisa l’œuvre. Nous apprenons que le grand savoir devait être gardé par ces trois personnes jusqu’au parachèvement du Temple. La parole leur aurait-elle été confiée en trois parties. Chaque membre du ternaire serait détenteur du mot sacré ou d’une fraction de celui-ci. Il fallait le concours des « trois premiers Grands-Maîtres », de sorte que l’absence ou la disparition d’un seul d’entre eux rendait cette communication impossible, et cela aussi nécessairement qu’il faut trois côtés pour former un triangle. Cela veut dire que chaque membre du triangle constitue la pointe d’une figure doté d’un centre commun. Ce centre, c’est le point de concordance des trois sensibilités magique, spirituelle et rationnelle qu’ils incarnent. Ce centre est donc l’essence de l’homme et de la nature c’est-à-dire l’essence de la vie qui se traduit concrètement en force de vie ou élan vital.
Comment se fait-il que, sachant que la parole ne pouvait être que par la réunion du 3 (le roi Salomon, le roi de Tyr et Hiram), comment se fait-il qu’aucun d’entre eux n’ait pensé à transmettre sa propre connaissance à un disciple pour que la chaîne ne se brise pas en cas de disparition? Était-ce se croire immortel ?
Les exégètes des rituels assimilent la prononciation du Tétragramme à la « parole perdue ». Elle devait être trisyllabique. La syllabe est l’élément réellement indécomposable de la parole prononcée, même si elle s’écrit naturellement en quatre lettres. En effet, quatre (4) se rapporte ici à l’aspect « substantiel » de la parole et 3 à son aspect « essentiel ». Il est d’ailleurs à remarquer que le mot substitué lui-même, dans sa prononciation rituelle, sous ses différentes formes, est toujours composé de trois syllabes qui sont énoncées séparément.
Considérant que chez les Hébreux, le grand prêtre, le Cohen Gadol, était seul détenteur de la prononciation recta dictio et totale du mot sacré qu’il vocalisait une fois par an dans le saint des saints, cela pourrait vouloir dire que la parole ne fut pas perdue et que si Salomon la substitua, c’est qu’il pensait que son Maître d’œuvre avait cédé à la pression de ses agresseurs en la dévoilant : il fallut donc changer cette parole.
Dans ce même registre, on remarquera que lors de la destruction du Temple de Jérusalem et de la dispersion du peuple juif, la véritable prononciation du Nom tétragrammatique fut perdue ; il y eut bien un nom substitué, celui d’Adonaï, mais il ne fut jamais regardé comme l’équivalent réel de celui qu’on ne savait plus prononcer. En effet, la transmission régulière de la prononciation exacte du principal nom divin, désigné comme ha-Shem ou le Nom par excellence, était essentiellement liée à la continuation du sacerdoce dont les fonctions ne pouvaient s’exercer que dans le seul Temple de Jérusalem ; serait-il le centre spirituel de la tradition qui fut perdu ?
Les mystères des sociétés initiatiques de l’Antiquité perpétuaient les premières traditions du genre humain et les nouveaux acquits des corps savants pour élever, au-dessus de leurs semblables, des initiés jugés aptes à en faire un usage utile pour tous. Cet enseignement leur était donné de bouche à oreilles après avoir pris l’engagement, par un serment menaçant, de ne le transmettre à d’autres initiés que sous les mêmes formes et conditions. Il est raconté qu’ils étaient possesseurs de secrets scientifiques redoutables et bienfaisants, dont leur haute morale imposait le respect, mais susceptibles, étant détournés de leur action bénéfique, d’être transformés dans un but malfaisant. Les initiations furent interrompues ; des initiés s’éteignirent, emportant dans la mort les secrets qui leur avaient été confiés. Les secrets des rites initiatiques pour l’intromission des pharaons, véritables mystères de la lignée royale d’Égypte, furent définitivement perdus à la mort du roi Sekenenrê Taâ qui mourut sans les avoir dévoilés à son ennemi qui voulait les lui arracher.
Dans certains cas, au lieu de la perte d’une langue, il est parlé seulement de celle d’un mot, tel qu’un nom divin par exemple, caractérisant une certaine tradition et la représentant en quelque sorte synthétiquement ; et la substitution d’un nouveau nom remplaçant celui-là marquera alors le passage d’une tradition à une autre. Quelquefois aussi, il est fait mention de « pertes » partielles s’étant produites, à certaines époques critiques, dans le cours de l’existence d’une même forme traditionnelle : lorsqu’elles furent réparées par la substitution de quelque équivalent, elles signifient qu’une réadaptation de la tradition considérée fut alors nécessitée par les circonstances ; dans le cas contraire, elles indiquent un amoindrissement plus ou moins grave de cette tradition auquel il ne peut être remédié ultérieurement[7].
Que peut-être la parole perdue pour un F:. M:. d’aujourd’hui ?
Les remarques que nous venons de faire montrent que la parole perdue serait soit un savoir, soit une prononciation, soit une connaissance spirituelle ou magique soit encore la trace du passage d’une tradition à une autre. La parole perdue du F:. M:. me paraît un peu différente. Nous ne pouvons faire l’erreur des mauvais compagnons qui croyaient que le secret du maître maçon relevait de la communication d’un savoir ; notre recherche est bien différente puisqu’elle se place sur le plan de la Connaissance, celui de l’être et du spirituel, de l’immanence et de la transcendance.
Dans l’exotérisme judaïque, le mot qui est substitué au Tétragramme qu’on ne sait plus prononcer est un autre nom divin, Adonaï, qui est formé également de quatre lettres, mais qui est considéré comme moins essentiel ; il y a là quelque chose qui implique qu’on se résigne à une perte jugée irréparable, et qu’on cherche seulement à y remédier dans la mesure où les conditions présentes le permettent encore. Dans l’initiation maçonnique, au contraire, le « mot substitué » est une question qui ouvre la possibilité de retrouver la « parole perdue », donc de restaurer l’état antérieur à cette perte.
La parole perdue met en relief la nécessité d’une nouvelle perception et d’un nouveau langage relatif à la notion d’essence et de présence au-delà de la forme. Elle n’est pas à comprendre comme uniquement une perte dans la transmission, mais comme le commencement d’un apprentissage d’autres éléments de langages.
Il nous reste à nous interroger sur comment trouver cette parole[8] ou comment lui en substituer une autre de même puissance.
À suivre…
[1] Si, comme en guématrie simple on ne donne pas une valeur particulière aux lettres finales : Yakin s’écrit
«יָכִין» yod, kaph, yod, noun et a une valeur de 10+20+10+50 = 90 ; Bo’az s’écrit « בֹּעַז» beth, eïn, zaïn et a une valeur de 2+70+7 = 79.
Entre les deux il y a une différence, une présence de 11.
Hakhmah, « חָכְמָה», la sagesse , (heith, kaph, mem, hé) soit 8+20+40+5 = 73
Tébouna, alias Binah, «תְבוּנָה »l’intelligence (tav, beith, vav, noun, hé) soit 400+2+6+50+5 = 463
Daath, « דַעַת » le savoir, la connaissance (dalethh, eïn, tav) soit 4+70+400 = 474
L’ensemble des 3 vertus : 73+463+474 = 1010 soit en réduction 11
[2] D’après les chroniques de Tabari Me d Ibn Djarir, Sabine Baring-Gould, Ahimaaz bin Tsadok, Louis Ginzberg, John D. Seymour. https://books.google.fr/books?id=-oEaEmuYFPoC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
[3] À rapprocher de l’Ourim et le Thoummim qui sont généralement considérés comme des objets ayant trait à l’art de la divination. En hébreu, le mot ourim signifie lumières, et thoummim, perfections, parfois traduit par vérité. Les érudits juifs les décrivent comme un instrument qui servait à donner la révélation et à déclarer la vérité. Ils disparurent avec la destruction du 1er Temple, le shamir, quant lui, disparut avec la destruction du second Temple. Ils sont tous en rapport avec le pectoral porté par le Grand prêtre d’Israël.
[4] La plupart des gemmes, tels que le diamant, le saphir, l’émeraude ou la topaze, sont décolorés par la radioactivité. D’autres pierres précieuses, comme l’opale, sont constituées de cristaux de silice hydratée. Le rayonnement alpha les désintègre en rompant la liaison avec l’eau ; celle-ci se volatilise sans laisser de résidu.
[5] Le radium perd environ un pour cent de sa radioactivité tous les 25 ans
[6] Pour compléter cet aspect : http://www.lamed.fr/index.php?id=1&art=1424&mode=print
[7] La mort d’Hiram et la Parole perdue de René Guénon :
https://legende-hiram.blogspot.fr/2016/05/1948-la-mort-dhiram-et-la-parole-perdue.html
[8] Rite émulation
V.- (au ler S.) Qu’est-ce donc qui est perdu ?
1er S.- Les véritables secrets des MM. MM.
V.- (au 2e S.) Comment se sont-ils perdus ?
2° S.- Par la mort prématurée de notre M. H.A.
V.- (au ler S.) Où espérez-vous les trouver ?
l er S.- Au Centre
V.- (au 2e S.) qu’est-ce que le Centre ?
2e S.- Un point à l’intérieur d’un cercle qui se trouve à une distance égale de toutes les parties de la circonférence.
V.- (au ler S.) Pourquoi au centre ?
ler S.- Parce que c’est le point où le M.M, ne peut faillir.
V.- Nous vous aiderons à réparer cette perte.
Réflexions sur le Prologue de Jean 28 mars, 2021
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaire31 octobre 2020
Réflexions sur le Prologue de Jean.
En loge, la Bible est placée sur le plateau du Vénérable, ouverte à la page du Prologue de Jean. L’équerre et le compas la recouvrent. Elle est le symbole d’une tradition immémoriale qui dicta nos règles de vie et notre morale collective.
La présence de la Bible est confirmée par les rituels les plus anciens. L’évangile de Jean est un livre capital de la spiritualité chrétienne. Le caractère ésotérique de ses écrits le distingue des évangiles dits synoptiques. Très tôt au sein de la première diaspora, les adeptes de Jean se voulaient les gardiens de la part cachée de la tradition par opposition aux tenants de l’Eglise de Pierre exotérique et dogmatique.
Si un certain nombre de loges maçonniques s’intitulent « Loges de St Jean », la raison est peut-être due à cette particularité. La F.M. se plaça sous le patronage des deux St Jean. Le baptiste est considéré comme le précurseur et l’initiateur, Jean l’évangéliste, lui, nous appelle à nous ouvrir aux mystères de la vie de l’Esprit.
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Pour ma part, je remercie la franc-maçonnerie qui me l’a fait redécouvrir, car depuis de nombreuses années, Jean l’évangéliste est devenu mon « Maître ». Je prends donc le parti d’exprimer mon ressenti de franc-maçon-chrétien. Comme un viatique, ce prologue qui lui est attribué traduit l’essentiel de ma démarche maçonnique.
Par contre c’est une tâche délicate que d’aborder ces sujets devant des Sœurs et Frères de sensibilités hétérogènes.
Le Prologue – 1/18 – « Pro-logos » (avant le discours) ; c’est avant tout un hymne au LOGOS qui condense la pensée de Jean. Il emploie un langage poétique car il n’y a pas de mot qui sache exprimer de façon adéquate sa pensée. C’est un langage allusif qui indique quelques directions, quelques indices orientés pour qui a le désir de s’y aventurer. « La poésie n’est pas un jeu mais un moyen de haute connaissance » disait Henri Bosco.
Le cadre historique
En quelques versets (1/18), Jean nous plonge dans un espace-temps qui se contracte pour nous projeter dans la fulgurance d’une rencontre qui va changer le monde : nous sommes dans ces temps instables et anxiogènes où la culture vétérotestamentaire était battue en brèche par les occupations grecques puis romaines et les nombreuses invasions qui l’ont précédée.
De ce fait, au sein de ce peuple qui souffre et s’interroge, la résurgence de l’idée d’un sauveur que l’on pourrait dire « miraculeux », un Messie roi, « fils de David » qui viendrait libérer Israël du joug de l’occupant se fait de plus en plus prégnante. Mais le profil de cet envoyé de Dieu reste flou; en effet de qui parle-t-on ? D’un messie prêtre ? D’un messie chef des armées ?
L’évangile de Jean vient interrompre ce temps d’incertitude : il fallut l’apparition de Jésus/Yeshoua sur les bords du Jourdain pour que le rideau se lève dévoilant un paysage inattendu. En effet, comme le décrit Jean, il est au-delà des schémas habituels : ce n’est pas un messie davidique au sens où on l’entend, il fuit ceux qui veulent le faire roi et proclame devant Pilate que sa royauté est d’en haut… C’est évidemment incompréhensible pour qui l’entend.
Tel que je le perçois, Jean prend le prétexte de la rencontre de Jean Baptiste et de Jésus-Yeshoua qu’il décrit comme capitale, comme un basculement : nous sommes à la croisée des chemins, au point de jonction de la Première Alliance abrahamique, l’ancien monde et l’Avènement d’une Nouvelle Alliance qui porte en elle le concept d’Amour et de Vie éternelle et cette Nouvelle alliance, Jean va clairement l’identifier à une personne : Yeshoua, l’Unique de Dieu. Le Logos divin préexistant qui se manifeste au sein du monde.
Pour Jean, le message de Yechoua/Jésus, commence véritablement ce jour-là, au bord du Jourdain. Cette histoire s’inscrit dans l’histoire universelle… comme l’image d’un grouillement improbable et une Présence, une présence « discrète et irradiante ». Jean nous convie à nous approcher de ces textes avec audace, à les scruter, à nous ouvrir à l’appréhension des mystères, il nous fait entrer, en présence d’une « Altérité que ni l’intellect ni le cœur ne peut contenir ». Ces écrits sont, pour moi, comme une épiphanie…
Ceci traduit ma quête essentielle, et tout ce vers quoi je tends. Jean me donne à entrevoir tout un contenu qui n’est pas explicitement signifié. Il m’apprend à voir « au-delà » et avec une plus juste mesure… C’est, pour moi, la mise en état de regard avec cette Présence qui rencontre mon désir de sens et m’invite à une aventure… comme Yeshoua le dit simplement à Jean et son ami André qui lui demandaient : « Où demeures-tu », ils voulaient dire « Dis-nous ta vraie nature ». Il répond simplement : « Venez et voyez… ».
Avant d’étudier ce message transmis par Jean:
Qui était-il ce Jean, ce « disciple bien-aimé » auteur du quatrième évangile ?
Un personnage historique : Johannes – homme savant du clan Cohen ? ou Jean, fils de Zébédée, l’Apôtre, frère de Jacques ? Ou une figure symbolique, l’archétype du disciple idéal ?
A-t-il été écrit en grec ou en araméen ? Les conjectures abondent et qu’importe de ne pas savoir exactement qui il était, cela nous montre d’ailleurs le degré d’humilité et de retrait qui l’habitait.
Innombrables sont les figures de Jean. L’Église chrétienne a remplacé le culte romain de Janus par celui des deux saints Jean en plaçant leurs fêtes aux dates des solstices. Jean le Baptiste ouvre la porte estivale et annonce le cycle d’obscuration. Jean l’Évangéliste ouvre la porte hivernale et annonce le cycle d’illumination. L’évangéliste rapporte lui-même dans son évangile les paroles du Baptiste « Il faut que lui grandisse et que je décroisse ». Elles croisent ces belles paroles de François Cheng : « Vraie Lumière, celle qui jaillit de la Nuit » … « Vraie Nuit, celle d’où jaillit la Lumière ».
Ces fêtes sont restées présentes dans l’univers de la franc-maçonnerie, comme lente et sage respiration que rythment nos banquets d’ordre, notre fête solsticiale et les rites de notre année maçonnique. J’aime la figure sur les tableaux des loges des deux tangentes de part et d’autre du cercle avec son point de centre : le dernier des prophètes de l’ancienne alliance et le premier des témoins de la nouvelle alliance qui touchent au plus près la « figure » du Logos.
Pour de nombreux francs-maçons (je cite Hubert Greven Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France), je cite « Jean fut un prodigieux médium, son évangile est essentiellement ésotérique… L’ésotérisme des écrits de Jean fait comprendre au mieux, en le faisant murir, le fond commun et traditionnel de toutes les religions… C’est un bâtisseur du Temple dont il présente les dimensions à l’échelle universelle, participant au Cosmos. L’Homme est comme un dieu en devenir. Son message a pour but de dégager l’homme de son état strictement humain, de rendre effective la capacité qu’il possède d’accéder aux états supérieurs. » Jean est le patron des francs-maçons et des Templiers.
Il poursuit : « Peut-on considérer que l’évangile de Jean n’est que réflexions analogiques, intuition et actions symboliques, attribuées à des personnes… on peut considérer que ces personnes ont existé, nier leur réalité historique ou les regarder comme des archétypes comportementaux, selon son intime conviction personnelle, et selon l’adage : « tout est symbole ? L’important est de s’attacher au cheminement initiatique évoqué par les textes »
Quant à René Guénon il suggère : « L’idée principale… est que l’Être a de multiples états dont l’espèce humaine ne fait qu’en occuper un, mais que de l’un à l’autre de ces états on peut s’élever par des actes volontaires de son esprit, par son activité psychique et intellectuelle jusqu’à parvenir sur ce plan à l’identité suprême… Pour cela il faut une initiation et des rites initiatiques. Dans les états mystiques au contraire, il est enseigné depuis Abraham, que l’on ne peut obtenir une certaine élévation que par la grâce de Dieu qui répond à un désir… ce qu’il appelle le mysticisme passif… ».
Mais pour un grand nombre d’exégètes, Jean était avant tout un théologien sublime à la fois gnostique et mystique. Toute son intelligence et son amour disent la manifestation de l’Être ; il s’est élevé très haut dans la contemplation de cette manifestation… son emblème est l’aigle qui, seul, s’élève, porté par le vent de l’esprit jusqu’au zénith.
La lecture que nous pouvons faire de ce prologue sera donc polysémique, elle peut être vue sous un angle ésotérique, théologique ou mystique. « Notre cerveau est un « organe de tâtonnements, ce serait lui faire injure que de lui imposer des certitudes ».
Et « Jean le Baptiste » : Qui était Iohanân ?
Il a été dit que Jean Baptiste avait été un adepte des communautés esséniennes. C’est une hypothèse plausible. Cette secte juive de stricte observance prêchait l’ascétisme et la repentance, l’immersion quotidienne et même le célibat.
Leur théologie était une gnose-dualiste et eschatologique, elle attendait et se préparait pour la fin des temps lors d’événements apocalyptiques décrits comme un gigantesque combat opposant les Fils de Lumière aux Fils de Ténèbres.
Deux Figures eschatologiques étaient donc attendues intensément par cette communauté : un Prophète qui devait annoncer la venue d’un Messie, et ce Messie à la fois sacerdotal et royal. « Mashia’h » en araméen, c’est celui qui a reçu l’onction (Samuel a consacré David). Mais en élargissant cette fonction à l’image du « Parakletos grec », c’est celui qui intercède, vient en aide ou console.
Jean le Baptiste semble s’inscrire dans cette mouvance. Il va se retirer dans le désert. Il prophétise et baptise. Il prêche le renoncement et la conversion, la redécouverte des fondamentaux de la religion… et devient Jean le Précurseur, une « figure » dans la vie religieuse et politique de ce pays, et les gens viennent à lui en grand nombre. Il est la voie qui crie : « Dans le désert déblayez, frayez les chemins du Seigneur ».
Appelé par Yeshoua « le plus grand parmi les fils de la femme », Fils de ce terreau qu’est notre humanité, il clôt le cycle des prophètes de la première Alliance. Il prêche la Téchouva… le retournement. Il est, pour nous francs-maçons, un initiateur. Cette figure est essentielle, elle nous incite au grand déblaiement de notre « moi », avant tout choix de vie pour cheminer vers la Lumière, car il s’agit bien là de traversée du désert, de dépouillement, d’abandon, de dé-sécurisation.
A ce vide nécessaire, comme la « table d’attente » en héraldique, répond, le « lâché prise », la vacuité totale d’esprit, d’âme et de corps qui nous est nécessaire pour accueillir l’Infini/ la conscience du « Soi », l’Axe de notre condition humaine.
En une longue suite de mutations Mort/résurrection/ Mort/résurrection, nous devons petit à petit nous détacher, mourir à nos attachements, accepter parfois de ne plus rien comprendre, comme notre père Abraham, mort à lui-même, devant son fils Isaac qu’il croyait devoir immoler. Longue et périlleuse est la route qui nous conduit à notre verticalisation.
Jean le baptiste est le Précurseur, témoin de la Lumière. Notre mission d’initiés est d’être nous-même des témoins de la Lumière.
Alors entrons dans le texte : nous avons parlé de Jean l’évangéliste, et nous avons évoqué sa rencontre avec Jésus / Yeschoua.
Verset 1 : Ce premier verset, on peut l’énoncer de différentes façons, issues de traducteurs, tous théologiens : « Au commencement était le verbe » , « Au commencement, le Logos, Le Logos est vers Dieu/Le Logos est Dieu », «Entête lui le Logos/ et le logos, lui pour Elohîms / et le logos, lui, Elohîms », « D’abord il y avait le Langage… », « Dans le principe, le verbe… » Enfin, « Au commencement était la Parole, la Parole était en compagnie de la Lumière, la Parole était la Lumière », cette dernière traduction de Hubert Greven pour qui « ces écrits sont essentiellement un message ésotérique qu’il faut décrypter ».
Nous pouvons en effet l’interpréter selon ce point de vue car « tout est symbole » et Jean, le poète, l’ami fidèle de Yeshoua, nous y invite, son évangile et particulièrement le prologue est, pour moi, un rougeoiement qui attend notre désir mêlé au souffle divin pour nous illuminer. Sa lecture nous demande de rester ouverts … « le vent, on ne sait d’où il vient, ni où il va… » comme une parole lancée, on ne sait pas où elle va aboutir.
Ce n’est donc pas à proprement parler de la « lecture comparée », mais plutôt une approche collégiale. C’est mon choix, mon interprétation en est une parmi d’autres. Il n’y a pas d’interprétation unique. Nous verrons que plus on approche et plus le sens se révèle infini en tant qu’il est inépuisable.
Ainsi Verset 1) : La première question qu’on ne peut éviter : « Au commencement… » Jean Yves Leloup (philosophe et théologien) nous invite à poser cette question fondamentale : « Au commencement de quoi ? et quel commencement ? Le commencement du monde, de cet espace-temps. Mais avant ce commencement ?… De rien, rien ne peut sortir ».
On se souvient du premier mot de la Genèse : Bereshit. André Chouraqui en bon exégète bibliste nous fait signe : avant le « beth » il y a « l’aleph », ce mystère qui est et qui nous dit qu’il y a quelque chose plutôt que rien.
Jean-Yves Leloup précise : « Il faut garder cette question ouverte car elle est fondamentale dans notre démarche de maçon : Connaître son origine, c’est connaître sa fin… ce pourquoi nous sommes faits. Elle me force à m’identifier : quel est le lieu d’où je viens ?… Car le commencement n’est pas à chercher hier, autrefois, mais ici et maintenant ». Qu’y a-t-il à l’origine de mes actes, à la source de mes pensées, de mes émotions, de mes sentiments ? A la source d’une pulsion, d’un cri, d’une angoisse ? ».
On rejoint la question de Jean et André : « Maître, d’où est-tu ?». On rejoint aussi, nous le verrons plus loin, l’analyse d’Annick de Souzenelle.
Si nous revenons au texte, en tout premier lieu, Jean nous invite à une réflexion : pour le premier verset, nous avons plusieurs traductions possibles.
Mais avant tout, première digression :
On parle là de Dieu, ou plutôt des noms des dieux, tous improbables …car comme le dit Sylvie Germain : « On a tous une certaine conception de Dieu, et selon le nom qu’on lui octroie, cela peut déterminer le sens d’une croyance ou d’un comportement ».
Il faut rappeler que, pour les croyants « Dieu n’existe pas, il n’est rien de ce qui existe, Il est Incréé… il n’appartient pas au règne des Etants… il n’est pas du monde. Il est « l’Incréé » d’où vient toute créature ».
Et les francs-maçons précisent que « Dieu n’a rien à voir avec les religieux, dieu est un nom qui s’applique à aucune chose en particulier, bien qu’il les concerne toutes singulièrement. Du fond de leur réalité finie, exprime leur commune appartenance à une totalité infinie. »
C’est ainsi que dans beaucoup d’ateliers il est nommé « Grand Architecte De L’Univers », (pour moi, c’est un vocable « technique ») c’est la « Sagesse divine ».
Au REP nous disons « Dieu » et parfois le « GADLU », les Juifs ne le prononcent pas, il est יהוה, ils l’appellent « Chaddaï » ou « Adonaï » ou « Eloïms ».
D’autres le nomment « l’Être », «la Lumière », « le Soi », « la Conscience ».
Les chrétiens disent « Yahvé » (c’est à mon avis une traduction hasardeuse), ou « Abbah /Père » comme l’appelle le Fils. D’autres enfin ne veulent pas nommer ce qu’ils rejettent comme irrecevable.
Quelques précisions : Quand Jean parle du « Père », c’est l’origine, le fondement…
Pour Hubert Greven, c’est le père spirituel, l’initiateur, le Maître.
Le Fils : « Être fils », c’est entretenir une relation d’intimité avec ce qui sans cesse nous fonde et nous « origine ». Pour Hubert Greven : « fils » c’est le disciple privilégié, l’Initié, le fils spirituel.
Et « l’Esprit » est la relation (pneuma / souffle) spirituelle. Relation de Présence-à-présence, présence du souffle humain au Souffle qui anime « tout ce qui vit et respire ».
Nous le voyons, autant de lectures et de sensibilités intéressantes. C’est la pluralité des lectures et leurs interprétations qui nous ouvrent à la connaissance de ce texte. Quant au LOGOS, j’ai retenu en premier lieu ce vocable pour la richesse d’interprétations qu’il offre :
« Logos », selon un helléniste italien, le professeur Morani, est un mot clé qui pourrait résumer à lui tout seul l’expérience culturelle des grecs anciens : « LOGOS signifie parole, pensée, rationalité, capacité de l’être humain de relier et développer ses propres pensées ». Il note que la signification originelle de Logos est le fait de parler, d’être en capacité de communiquer quelque chose de rationnel. Logos n’est pas simplement la parole, mais un mot qui exprime l’intelligibilité (intelligence, parole, verbe, information créatrice…).
Ainsi nous parlons du Logos qui est « Parole créatrice ». Pour les sémites, parole et évènement sont liés ; c’est la Parole (Dabar en hébreu) de Dieu qui crée. C’est le concept d’information : pour qu’une chose existe, elle a besoin d’être informée.
« Au commencement, à l’origine, » il y a donc cette Intelligence, cette « Parole créatrice » qui informe toutes choses, elle est « agir et réalisation ». Plus généralement la parole est « créatrice » au sens où elle donne du sens et crée de la relation.
Osons aller au-delà, « la Parole » engendre « l’écoute, le lien », elle donne vie à « la relation ». Dire (en 1) : « Au commencement : le Logos / Le logos est vers Dieu », c’est admettre et dire que ce qui est premier est de l’ordre de la « Relation » et qu’il y a « mouvement et orientation ». Et Jean ajoute que ce « Logos est Dieu », en nous disant cela, il nous informe que ce Logos contient tout Dieu. Et comme nous le dit Jean Grosjean : « Il contient la totalité de sa source. Il ne fait qu’un avec la lumière qu’il donne à contempler ». Il évoque là, en particulier « le mystère divin personnifié ». Je le cite : « Le Logos et le Théos sont distincts. Ils ne sont pas séparés. Ils ne sont pas confondus ou mélangés : ils sont Un… Entre l’aleph, l’inconnaissable et la création, il y a ce Logos ce « dialogue », qui pose la dualité et dans le même mouvement appelle et rend possible l’Unité… non l’unité indifférenciée ou fusionnelle, mais l’unité de relation. L’Unité n’est pas détruite par l’Altérité, l’Altérité n’est pas anéantie par l’Unité ».
Avec Jean, le regard plonge donc dans l’intime de l’Être. Nous entrons dans le mystère trinitaire.
Hubert Greven, lui parle de fusion : « La Parole était en compagnie de la Lumière, la Parole était la Lumière » Ceci revient à dire que la parole existe depuis l’origine du monde créé et accompagnait la Lumière. Tout a donc été fait par la Parole et par la Lumière… « la fusion de ces deux concepts implique un seul principe créateur qui est à la fois Parole et Lumière. » Ailleurs, il dit : La parole est dans la Lumière, et la Lumière se manifeste par la Parole, celle de la sagesse suprême, envoyée sur la terre pour y révéler les secrets de la volonté divine et c’est ce postulat, cette espérance qui fonde la quête du F.M. »
Annick de Souzenelle a une vision toute différente et passionnante que je tente de résumer : elle rejette le terme « au commencement » pour « Dans le Principe, le Verbe ». Cette traduction nous projette dans ce qu’Annick de Souzenelle appelle « le temps ontologique », qui n’est plus « le temps historique » composé du passé, présent et futur, c’est au contraire « l’instant » Hic et Nunc, qui nous relie au divin, c’est le « non temps » de l’éternité.
Dans le Principe est le Verbe qui nous habite, ici et maintenant : c’est le temps et le lieu de l’accompli et du non-accompli. Cet inaccompli qui verra son accomplissement au fur et à mesure des dimensions de conscience successives qui nous habitent et nous habiteront. C’est une réflexion fondamentale qui nous met, non pas au pied du mur, mais aux pieds de l’échelle de Jacob et des nombreux paliers qui nous attendent.
Puis Jean précise, il répète, et c’est un indice (en 2) : « Il est au commencement avec Dieu ». C’est la révélation que Jean nous livre : le dévoilement de l’Uni /Trinité de l’Être. Quand j’ai pris conscience de cela, ce fut, pour moi, libérateur, car cette unité n’a rien de statique. Tout est Mouvement / Relation et Vie...
Si l’on adopte cette révélation, il n’est plus question d’un Être solitaire et Omnipotent, mais d’une relation d’Amour. Pour Jean, l’Amour est avant tout le cœur et l’ADN de chaque chose. Il le dit plus loin (en 4) : « de tout être il est la vie… ». Lorsque rien n’existait à part l’Uni /Trinité de l’Être, il y avait donc l’Amour. Tout est contenu dans ce mot : mouvement/relation /vie.
Fidèle de Jean, j’ai donc cette intuition toute personnelle, que ma vie, ici et maintenant, est pétrie de cet Eternel qui me fait…. Il me constitue, il me structure. Il est « L’AMOUR qui tient toutes choses ensemble. Inouï et Irreprésentable ». Le Logos n’est plus un « objet de connaissance », « quelque chose à comprendre », mais le dévoilement d’une Présence qui s’offre à mon intuition, à ma liberté et m’introduit dans son mouvement « vers l’Infini / l’Altérité absolue et l’Inconnu d’où nous venons ».
(En verset 3) – « Tout existe par Lui – Sans Lui : rien ». Traduction au plus près : « Le tout, en Lui, sa genèse et rien n’a de genèse en dehors de lui ». Pour Jean-Yves Leloup : « Il importe de s’éprouver sans cesse en genèse, en voie de création. Nous ne sommes pas faits une fois pour toute. Le Logos est sans cesse à l’œuvre pour nous tenir hors du Néant ».
Et pour Jean Grosjean, je cite : « L’univers est tramé, tout le temps, par le mouvement même de la parole. Et comme on ne sait jamais où va aboutir une phrase, on ne sait pas non plus où va l’histoire du monde… » question !!
(En verset 4) – « De tout être, Il est la vie. La vie est la lumière des hommes. »
(En verset 5) - « La lumière luit dans les ténèbres, les ténèbres ne peuvent l’atteindre ».
Jean proclame que Logos est la vie de nos vies. Il contient l’univers et tous les univers possibles… tout être vivant est « demeure de l’infini/Réel ».
La lumière est par elle-même invisible, invisible au cœur même de tout ce qu’elle donne à voir ; cette Lumière incréée qui habite dans les profondeurs de l’être n’est pas accessible à l’esprit « sec », elle est d’une autre nature.
Cette gnose, ce Souffle, nous donne à voir le Logos dans tous les êtres. C’est faire l’expérience de la Transfiguration, c’est le symbole du mont Thabor. Nous devons donc tenter de percevoir le Logos qui anime toutes choses : si nous l’oublions, le monde devient profane à nos yeux, « profané », vidé de la présence qui l’habite, vidé de sa Lumière.
Pour Hubert Greven : « De même que le soleil illumine la route, de même la lumière (c’est-à-dire illumination) est ce qui éclaire le chemin divin : c’est le principe même de l’initiation. La lumière est symbole de vie aux ténèbres de la captivité (le profane prisonnier de ses passions) s’opposant à la lumière de la libération et du savoir. »
« La vie de l’Esprit fait sortir l’homme des ténèbres. La lumière de l’Esprit va lui permettre de s’ouvrir pour avoir la vision d’une autre réalité. C’est la source et le fondement de la Connaissance qui est symbole de ce qui éclaire la vie intérieure, de ce qui oriente. La véritable Lumière, c’est la Parole, l’ultime réalité qui est en « tout homme venant dans ce monde ». C’est un message qui demeure éternellement en accomplissement. »
(En verset 6) – « Paraît un homme, envoyé de Dieu – Iohanan est son nom ».
(En verset 7) – « Il vient comme Témoin pour rendre témoignage à la Lumière afin que tous y adhèrent »
(En verset 8) – « Il n’est pas la Lumière mais témoin de la lumière ».
Jean le Baptiseur est l’archétype de l’envoyé, l’apôtre, « l’Ad Verbum ». Il porte la Lumière et sa présence est pure capacité de l’Autre.
Jean le baptiste est nommé, il est l’envoyé de Dieu : être appelé par notre nom, est fondamental, au sens strict du terme. Quand Socrate nous dit : « Connais-toi toi-même », il nous invite à une introspection, soit, mais se « connaître soi-même », c’est se connaître comme individu, quand le soi est pris comme objet de connaissance ou d’investigation, on s’aperçoit qu’en vérité, on ne sait rien de soi, l’essentiel nous échappe. Mais si cette connaissance est vécue en une lente maturation, en toute humilité, par une attention toute intérieure à chacune de nos pensées, de nos silences, comme notre initiation doit être vécue et continue de l’être, on devient de plus en plus conscient de son souffle, de son axe et de ce qui nous entoure, conscient du Soi qui nous crée et constitue à chaque instant.
Car notre nom usuel n’est que nom substitué ; cette exigence d’identité demeure notre démarche fondamentale : rejoindre le tréfonds de nous-même pour nous placer dans l’axe du Très-Haut.
Exigence constante, comme l’est l’exigence de la transmission qui rejaillit à chaque étape de notre existence de Maître Maçon. A l’instar de Jean le Baptiste, notre mission d’initiés n’est-elle pas d’être nous-même des témoins de la Lumière pour que nos Frères humains soient eux-mêmes illuminés.
(En verset 9) – « Le Logos est Lumière véritable qui éclaire tout homme. »
(En verset 10) – « Il est dans le monde, le monde existe par lui, le monde ne le connaît pas. »
(En verset 11) – « Il vient chez les siens, les siens ne le reçoivent pas. »
Traduction de Hubert Greven : « La Parole était lumière, la vraie, celle à laquelle il appartient d’éclairer tout homme ; elle fit à ce moment son entrée dans le monde. »
Toute parole de vérité, quelle que soit son origine, est inspirée de l’Esprit.
Jean le baptiseur disait : « Il y a au milieu de vous quelqu’un que vous ne connaissez pas ».
Le monde est l’histoire des hommes, c’est ce que l’homme fait de l’Univers pour le meilleur et pour le pire, en harmonie avec le Logos qui l’anime ou au contraire contre Lui. Et Jean comprend qu’il n’y a pas de place pour l’Éternel dans notre temps, pas de place pour l’infini dans notre finitude.
Annick de Souzenelle nous le dit : « Le monde est comme dans un état « d’ignorance » (de non vision) qui n’est pas manque de savoir, mais oubli de l’Être, l’ignorance du Soi, à côté de ce qu’on est et de ce pour quoi on est fait vraiment, histoire purement horizontale, oublieuse de notre verticalité, de notre ouverture à la transcendance ». « Le monde extérieur est fait de compensations. Nous sommes dans l’archaïsme. Nous pratiquons un humanisme à l’horizontal avec les valeurs de l’exil. Adam se croit devenir Dieu, il se croit accompli. Il a perdu conscience de son être intérieur. Nous n’avons que notre identité biologique. » Il s’agit alors de retrouver notre dimension ontologique : « Être dans le monde, sans être du monde ».
Le LOGOS s’incarne toujours aussi difficilement. L’homme n’est jamais « forcé » de croire ou d’accepter l’amour qui le constitue et qui lui offre une absolue liberté… C’est certainement un concept des plus difficiles à accepter, difficile à y adhérer.
(En verset 12) – « A tous ceux qui le reçoivent, à ceux qui croient en son Nom, Il donne d’être Enfants de Dieu ».
(En verset 13) – « Engendrés ni du sang, ni de la chair, ni d’un vouloir d’homme mais de Dieu ».
De verset en verset, Jean nous conduits à nous ouvrir à cet exhaussement, ceux qui se font « capacité », le Logos les investit « Shema Israël… ». L’Ecoute conduit à la « fiance ». Croire en son Nom, c’est adhérer au dynamisme de vie, d’intelligence et d’Amour qu’il signifie, c’est devenir « enfant de Dieu » et ceux-là entrent dans une nouvelle dimension. Ils sont « d’ailleurs », ils sont « nés d’en haut, ainsi nait l’homme nouveau ! ».
Et comme le suggère Hubert Greven : « Lorsqu’il reçoit la lumière, l’Apprenti, mort aux séductions du monde phénoménal et des « demeures » profanes, entre dans la demeure initiatique, dans la voie de la Connaissance. De profane (hors de Temple), il devient initié (celui qui commence). Pénétrant dans le sanctuaire, il voit se dévoiler les mystères sacrés, s’ouvrir les seuils jadis interdits, éblouissants de lumière ». Nous sommes à la recherche de la Parole perdue, c’est une aventure (intérieure) spirituelle initiatique. La quête de perfectionnement ».
(En verset 14) – « Le Logos a pris chair. Il a fait sa demeure parmi nous ». Le logos a fait sa genèse dans la chair (humanité corps et âme). « Et nous avons contemplé sa gloire, la gloire de l’Unique du Père, plein de grâce et de vérité. »
Le Logos nous a rejoints dans notre « histoire » en venant nous dire Dieu dans une « vie humaine ». L’Eternel est entré dans le temps. La matière est ici sanctifiée comme demeure du Logos/ Dieu.
Ce corps humain fragile abrite la Présence Divine et l’information qu’elle contient. Comme le dit Jean Grosjean, le poète : « Il a dressé sa tente de nomade parmi nous. Il campe, il est de passage, le temps de dire et de manifester aux hommes l’Amour dont ils sont aimés dès l’Origine. Depuis Abraham l’installation n’est pas notre nature, nous sommes des passants, nous sommes tissés de temps, notre vie est un mouvement imprévisible, le mouvement même du langage qui est venu en personne partager nos déplacements incertains ».
(En verset 15) – « Iohanan lui rend témoignage. Il crie : Voici celui dont j’ai dit : lui qui vient derrière moi est passé devant moi, parce qu’avant moi, Il était ».
Nous connaissons bien cet appel en Franc-Maçonnerie : « Il faut que je décroisse pour que lui grandisse ». Qui a des oreilles, entende !
(En verset 16) – « De sa Plénitude, nous avons tout reçu, et grâce sur grâce ».
(En verset 17) – « La Thora nous a été donnée par Moshé. La Grâce et la Vérité nous sont venues par Ieschoua, le Messie. »
On peut avancer cette explication : la grâce de la création en genèse, puis la grâce de la Thora par Moïse, enfin la grâce de la filiation.
Jésus incarne la Thora, l’éclaire du dedans en la vivant comme une expression de l’Amour. Il nous révèle que nos actes n’ont de valeur que par la liberté et l’amour qu’on y introduit. C’est ce qui leur donne leur « poids » de gloire.
Leloup : (En verset 18) – « Nul n’a jamais vu Dieu. Le Fils unique qui demeure au sein du Père, Lui, nous le fait connaître ». On ne connaît Dieu que par son Logos. Personne n’a jamais vu Dieu. Le propre de Dieu est d’être inconnaissable. Le Logos est son Unique, ce Fils est le seul à connaître sa source. Cet Unique est entièrement dans le secret du Père puisqu’il en est l’expression parfaite.
Ieshoua ne dit pas : « J’ai la vérité », mais « Je suis la vérité ». Par-là, Jean affirme que Jésus est Vérité de Dieu et Vérité de l’homme, sans confusion, sans séparation. Il nous invite à changer de regard, à voir toutes choses enveloppées d’Invisible. Il nous montre que la moindre virgule d’humanité contient en secret le Nom Divin, fait à la fois d’intériorité et d’extériorité. Il nous oriente avec Lui sur le chemin de l’existence vers « le Père ».
Voilà, avec Jean, je vous ai dit mon angle de lecture. Je suis sur le chemin… un chemin initiatique que je découvre à chaque instant. Tout l’évangile de Jean dira que l’œuvre du Logos dans le monde sera de rendre à l’homme Son Esprit (pneuma), son BON sens, tourné vers le Père/Origine et le restituer dans sa dimension de Fils. Ce sera en soi une invitation au retour dans cette intimité, qui est participation à la vie Trinitaire, à la vie intérieure de Dieu.
« Présence de l’infini dans les corps et le souffle fragile que nous sommes ».
« Que demandez-vous, mon frère ? La Lumière ! »
M.°.L.°. - R.°.L.°. « Le Chardon Ecossais » à l’O.°. de Besançon.
Auteurs cités :
Hubert GREVEN – Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France.
ORDO AB CHAO : Réflexions dur l’enseignement de St Jean.
Allocations faites en qualité de Ministre d’Etat, Grand Orateur du Suprême Conseil de France à l’occasion de la St Jean d’hiver de décembre 1989.
Jean-Yves LELOUP : Ecrivain, psychologue et philosophe, théologien orthodoxe. Fondateur de l’Institut pour la rencontre et l’étude des civilisations et du Collège international des thérapeutes. Il a donné des traductions et des interprétations innovantes de l’évangile, des Épitres et de l’apocalypse de Jean, ainsi que des évangiles considérés comme apocryphes (Philippe, Marie, Thomas).
André CHOURAQUI : (1917 en Algérie /+ 2007 à Jérusalem) Ecrivain, penseur, homme politique, traducteur et commentateur de la Bible, (hébraïque et évangiles).
Jean GROJEAN (1912 / +2006) Ecrivain, poète, philosophe et exégète . Traducteur et commentateur de la Bible, de l’évangile et de l’Apocalypse de Jean et du Coran.
Ami de Malraux, Jean Grosjean participa à l’aventure NRF (éditions et revue) en tant que lecteur et éditeur, aux côtés de Claude Gallimard, Raymond Queneau et J.M.G. Le Clézio notamment.
Annick de SOUZENELLE : née le 4 Novembre 1922. Infirmière anesthésiste pendant 15 ans, elle a suivi une formation Jungienne de psychothérapeute puis fait des études de théologie chrétienne orthodoxe et d’Hébreu biblique. Depuis 40 ans elle est écrivain et conférencière. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages de spiritualité. Sa recherche s’inspire de la spiritualité cabaliste. Citons « Le symbolisme du corps humain ».
SOURCE : https://ecossaisdesaintjean.over-blog.com/
DONNER UN SENS A CE QUI SEMBLE DEVOIR ETRE LA QUETE DU FM 24 mars, 2020
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireLa question des Lumières, disait le philosophe Michel Foucault, c’est celle de l’appartenance à un certain « nous ». Quand vous dites « nous, les enfants des Lumières » (voire FF de Lumière, qu’est-ce que cela signifie ?
Cela veut dire tout le monde. Un des apports des Lumières est d’avoir fait entrer dans l’humanité des catégories « de seconde zone » !! Regardons Condorcet …. Il a réintroduit les femmes, les Noirs et les juifs dans l’humanité tout entière. Les Lumières, c’est la révélation que tous les humains sont égaux, se rappelant en cela notre principe républicaine comme l’art 1 des constitutions du GODF, et c’est cette idée que je ne cesse de répéter : voyons ce qui nous unit avant ce qui nous distingue.
Ce travail de réintégration passe dans ce cas cité préalablement par la littérature et dans tous les cas par l’Art en général.
A la question de savoir dans quel but voyagent les FM, l’instruction mac nous apporte, dans ses tous derniers mots, une réponse complète et sibylline :
« Rechercher ce qui a été perdu. Rassembler ce qui est épars et répandre partout LA LUMIÈRE» et si tout est dit dans cette ultime réponse il reste au FM à donner un sens à ce qui semble devoir être la quête de tout FM , cet idéal dont la réalisation ne sera peut-être jamais achevée .. un peu comme « Aduc stat ».
C’est aussi dans les Constitutions d’Anderson que l’on trouve cette phrase: « La Franc-Maçonnerie est destinée à rassembler ceux qui, sans elle, ne se seraient jamais rencontrés ». Qu’entendre alors par « Rassembler ce qui est épars », au delà de cette vocation première de la FM quel que soit le rite pratiqué ?
On peut y voir trois aspects complémentaires et indissociables symbolisant les trois forces créatrices d’une utopie fondatrice.
« Rassembler ce qui est épars » est à la fois une valeur, un moyen et une finalité une fois établi le principe de choix volontaire en même temps soumis au sens d’accepté du FM.
Commençons par la valeur. Issus d’une souche unique que les scientifiques s’accordent à situer en Afrique, les premiers Hommes ont migré pour finalement occuper la presque totalité de cet espace restreint qu’est notre planète Terre… pour les Hébreux c’est la sequinah loi de l’Eternel visant à répandre les Elus sur toute la surface de la terre.
Les conditions climatiques et géographiques ayant entrainé des adaptations morphologiques et culturelles importantes, l’Homme a créé des langues, des coutumes et cultures spécifiques et différentes. … car ce qui est épars, en premier lieu, c’est l’espèce humaine et c’est cette particularité qui a créé les différences…qui font toute la différence alors qu’aujourd’hui et nous le savons par la Génétique, nous sommes issus de la même chaine ADN, homme femme, blanc ,noir comme d’ailleurs la drosophile … la mouche car seule la modification d1 élément … proton ou neutron ou autre permet d’arriver à une autre structure, de se transformer en fait … un autre être un peu comme s’il était passé dans un athanor et que l’on se mette à revivre après la mort de sa corporéité, renaissant sous 1 autre aspect plus pur que le précèdent, rectifié et apuré d 1 partie de ses peurs, de ses vices, de ses préjugés voire de ses superstitions. La FM est aussi un réceptacle de diverses voies et influences spirituelles se rattachant à LA Tradition primordiale dans une totale liberté de con_science. En effet, Toutes les voies spirituelles conditionnées par le lieu ou l’époque où elles interviennent se rattachent à Une Tradition Primordiale par son es_sence et dont toutes les autres découlent … Elles sont chacune un morceau brisé d’un même miroir, de la même « source ». Et j’aime bien énoncer ce concept que les FM s’appellent tous FF ou SS car issus du même Père.! Le GADLU bien entendu
C’est, par ailleurs, au nom de ces différences que l’Homme nain cad petit au sens du savoir, mal instruit et aveugle à ses de_voirs envers les autres et l’Humanité se déchire et se bat et souvent contre lui-même depuis la nuit des temps. Parfois pour l’imposer et vaincre, d’autres fois pour mourir sans la sauvegarder.
Mission, projet ou utopie, qu’importe le mot, la FM via le symbole mac :. est une clé d’accès à l’Eveil qui engendre l’Action, le Travail volontaire et une non inertie qui nous permettra d’atteindre pour tous, croyants ou croyants l’Unité dont nous sommes tous issus et de se relever debout et grand les pieds en terre et la tête dans les Etoiles.
Certains pourraient voir, dans cette volonté de rassembler, une contradiction entre la liberté de penser qui nous garde de tout dogmatisme et la réunion des diversités. Mais c’est sans compter sur la Fraternité, cette valeur humaniste qui nous anime et nous permet de nous réunir dans le respect de la différence, la tolérance de la diversité et nous encourage à construire l’œuvre autour d’un axe commun.
Il nous vient alors à l’esprit cette maxime de Saint Exupéry si souvent reprise sur nos colonnes:
« Si tu es différent de moi, loin de me léser, tu m’enrichis ».
Il nous faut donc rassembler et non assembler, car la pensée unique serait destructrice d’une démarche qui consiste à respecter chacun dans sa différence et à construire ensemble dans une dynamique où les esprits s’additionnent plus qu’ils ne s’opposent.
Ce qui est épars c’est la diversité de l’Homme, cette diversité qui fait de chacun de nous un Être à part, unique et complexe.
La démarche M :. doit donc permettre à chacun de travailler, de construire et de s’élever marche après marche, vers l’Unité en s’enrichissant de la complexité de l’Autre. Et qu’importe que le « français « descende dans son cœur pour s’affronter ou mourir en s’abreuvant à la source de l’Origine, qu’importe que l »’Ecossais ancien et accepté « venge le meurtre du Maitre en désobéissant au titre d’une justice mal comprise, que le « régime rectifié » fidèle à la religion chrétienne modifient sa structure géographique issue jusqu’alors de la Stricte observance templière en décidant de l’ abandon de toute filiation avec l’héritage templier et intégrant notamment des éléments de l’Ordre des Élus Cohëns, que le chevalier de l’aigle rouge enfourche son cheval et soit le cabbalier qui combatte pour transmettre savoir et connaissance … seule la Fraternité et le langage symbolique nous réunit tous et toutes, démarche qui, soulignons-le, tend à l’universalité dans l’unité sans jamais tomber dans l’uniformité.
Alors tous ensembles nos chaines d’Union peuvent devenir une chaine de Fraternité qui nous invite à progresser ensemble vers notre idéal en associant la verticalité et l’horizontalité que sont la pensée et l’action.
« Rassembler ce qui est épars » est donc également un moyen, et seul le symbolisme qui nous en donne la mesure, rapprochant les deux morceaux d’un même objet par des individus différents afin de leur permettre de se rejoindre et de se reconnaître. « Faire symbole » c’est déjà poser un acte pour retrouver l’Unité. Ce qui présuppose que cette unité a existé, à été perdue, qu’elle est reconstructible et qu’il existe une démarche pour la retrouver.
Le symbolisme maçonnique est un moyen, une démarche unificatrice qui permet l’échange au-delà des différences de cultures, d’origines de religions ou d’opinions.
Il nous conduit à ce que Jung appelait l’inconscient collectif et nous reconnecte au sens le plus secret des représentations archétypales auxquelles nous pouvons nous accéder par l’intermédiaire du symbole.
C’est la voie royale de la connaissance mais également un puissant moyen de réconciliation avec soi-même et par conséquent avec les autres.
N’est-ce pas là une matérialisation du verbe « rassembler » ?
C’est la démarche symbolique, en tant que moyen, qui nous conduit à l’Unité de l’Être en tant que finalité. Car elle nous plonge dans l’univers de la conscience en transcendant celui de notre mental et de notre moi.
Ainsi l’Être et le Moi se trouvent rassemblés au plus intime de nous-mêmes.
Le symbolisme est la voie qui permet l’émergence de l’Être et le silence de l’égo par les représentations intimes qu’il créé et l’espace sacré intemporel dans lequel il nous immerge.
« Rassembler » est donc en troisième lieu, une finalité. Comme dans le mythe d’Osiris dans lequel Isis l’épouse et veuve fidèle rassemble les morceaux épars de son mari puis insuffle une étincelle de vie pour être fécondée, nous avons, en tout premier lieu, perdu de façon volontaire et symbolique notre matérialité pour entrer dans le Temple … le Saint, l’Ame instruite et guidé par l’Esprit pour contribuer à la réalisation de l’idéal maçonnique, à rassembler, en nous, ce qui est épars et construire son temple intérieur, son corps de Gloire.
Notre mental semble être comme un prisme qui décompose la réalité en plusieurs fragments de couleurs. Ce qui pourrait sembler être un chaos intérieur est en fait le résultat d’une pensée multiple due à des structures psychiques différentes et parfois opposées. Ordo ab Chao
Selon la tradition biblique, le monde naît d’un chaos originel par séparation. La Parole organise, in-forme l’univers, c’est à dire lui donne forme.
Selon la tradition ésotérique, l’esprit se dissout en se multipliant dans la matière, puis se recentre, se conscientise, en refaisant son unité dans la « divinité – Un ». C’est du centre que tout émane et c’est dans le centre que tout se recrée. Ce double mouvement est celui du solve et coagula des alchimistes.
La réconciliation de ces différentes structures est un premier objectif que le symbolisme peut nous permettre d’atteindre et exige une connaissance approfondie du « soi » dont on ne peut faire l’économie.
Pour Unifier notre Temple intérieur et contribuer à la création du Temple extérieur nous devons faire nôtre la maxime socratique :
« Connais toi toi-même et tu connaitras l’Univers et les Dieux ».
Bien que tiraillés et confrontés à des choix qui sont faits de renoncements et de sacrifices nous devons Vivre en harmonie avec soi-même, vaste entreprise de développement de soi, de conscientisation et de travail intérieur continuel, nous conduisant alors à distinguer l’Esprit de l’égo et de les unifier.
« Rassembler ce qui est épars » revient à passer du multiple à l’Unité, c’est atteindre la Sagesse par la Connaissance, la Tolérance et l’Amour Fraternel. C’est atteindre le centre de nous-mêmes où brille cette Lumière que nous pourrons alors répandre autour de nous et transmettre.
Dans un monde où la pensée scientifique semble régler en maitre, le profane en vient à croire qu’il est un grain de sable noyé dans un Univers dont on ne connaît pas les limites. Le FM sur le chemin de son initiation accède a la connaissance de l’Univers tout entier qui est contenu au plus profond de lui car ce qui est épars n’est peut-être pas ce qui est perdu mais simplement ce qui est enfoui en lui-même et qu’il ne voit pas, n’entend pas mais que son Âme porte avec souffrance.
Pour Mircea Eliade, c’est par une vision symbolique du monde que l’homme a de tout temps cherché à se relier. L’homme en quête de sens reconnaît un point fixe qui devient symboliquement Centre de l’univers, et autour duquel s’ordonne l’espace selon les deux directions cardinales. Ce centre est l’Axis Mundi, porte des cieux, liaison symbolique avec une réalité supérieure. A l’espace matériel fait d’une infinité éparse de lieux neutres, se superpose ainsi un espace sacré symboliquement ordonné….
La voie maçonnique est bien une voie qui ouvre la réalité à la dimension de l’esprit. Elle nous amène à concevoir le divin, le GADLU, l’Unité primordiale (appelons cela comme bon nous semble), par le travail sur les symboles, à perfectionner sa vision de soi et du monde, à vaincre cet ego aveuglant, à se détacher de la matière afin de s’élever en esprit pour mieux intervenir dans le réel et dans la société. C’est bien le but de toute quête spirituelle pour tous les FM : développer une vision de la réalité dans le domaine de l’esprit afin de favoriser l’humanisation de l’homme. Ainsi le développement spirituel en liberté de l’individu n’est pas sans intérêt pour l’humanité, il est la base de la liberté de conscience.
La lumière naissant d’elle-même, chacun d’entre nous l’a en soi, mais l’a simplement oubliée !!! Dans certains rites au prologue de l’évangile selon St Jean où sont posés le compas et l’équerre il est dit : « Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu »
L’éveil spirituel Mac :. ou plus tôt le « réveil » de la lumière en chacun de nous FM vise donc à se remettre dans l’état d’origine tel l’homme primordial, l’Adam avant la chute afin, comme il est dit dans l’invocation pendant la chaîne d’union, que puisse se faire « le retour de nos Âmes en Ta Lumière ».
SOURCE : http://anck131.over-blog.com/
L’Etoile selon HERGE 12 mars, 2020
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireD’un symbolisme aérien, l’étoile évoque la lumière dans la nuit. Symbole de reconnaissance et d’esprit, elle affirme la fin des conflits, l’espoir puissant du phare qui guide le navire dans la nuit.
Image du Messie, l’étoile affirme l’esprit renouvelé.
Appelées fenêtres du monde, les étoiles sont des points dans la nuit, points de lumière prouvant que l’obscurité n’est jamais totale.
On les imagine aussi comme lieu de repos des âmes, portant aussi le double
de toute personne vivant sur terre. Les mythes, les contes et les légendes sur les étoiles sont nombreux.
Astres de la nuit, compagnes nocturnes des premiers hommes, elles ont été assimilées à des déités et à la mythologie avec les constellations zodiacales.
Elles furent les seuls repères pour les premiers marins, l’étoile polaire, étoile fixe, désignant toujours le nord.
On parle aussi de l’étoile du berger, la planète VENUS en réalité, souvent la première à briller au crépuscule. On raconte qu’elle aurait guidé les gardiens de troupeaux à l’endroit de la naissance du Christ.
L’ETOILE POLAIRE est souvent l’étoile qui oriente, servant ainsi de repère dans la nuit. De ce fait elle sert d’axe. D’ailleurs pour nos ancêtres l’étoile polaire était pour eux un centre remarquable dans l’univers.
En effet du point de vue d’une personne sur terre regardant le firmament, les étoiles et l’univers entier semble tourner comme une roue autour de cette étoile fixe, elle est comme l’axe du monde.
Ce symbolisme est puissant car il représente un point inaccessible, moteur de l’univers, nous ramenant a l’image du grand architecte de l’univers avec une dimension qui est la hauteur ou verticalité.
Notre état primaire était horizontal, en 2 dimensions comme le symbole d’une croix plate, mais l’élévation spirituelle ne peut se représenter qu’en ajoutant une 3ème dimension symbolique: … La VERTICALE.
Cela me fais revenir aux outils de la loge; La perpendiculaire et le niveau, outils indispensables pour visualiser l’axe immuable qui ordonne toutes choses et permet de passer de la matérialité à l’Esprit représentée par la position du Compas et de l’Equerre au centre du Naos.
Ainsi le centre du monde est souvent figuré par une élévation : montagne, colline, arbre, clocher d’église pierre levée comme les menhirs, tel le DJED .
C’est au centre du monde que se rencontre le ciel et la terre qui, en langage symbolique l’on nomme« AXIS MUNDI », ou AXE DU MONDE.
L’étoile polaire va unir le centre du monde terrestre au centre du ciel.
Celui qui atteint le centre pourra s’élever vers les états supérieurs par le long de cet axe.
Observons maintenant l’intérieur de notre loge et levons la tête pour y découvrir une nouvelle fois des étoiles, c’est : La VOÛTE ETOILEE de couleur bleu et parsemé d’étoiles, absence théorique de plafond permettant le passage de l’axe du monde et nous invitant à comprendre que notre progrès ne s’arrête à la seule connaissance de soi mais aussi permettre d’atteindre un état de perfection supérieur ou autrement dit de supra-conscience.
Il n’y a donc pas de nuit au dessus de nos têtes, mais des étoiles rendues visibles de midi à minuit par la lumière de la loge.
Notre temple est donc à ciel ouvert, serait-elle donc interminable notre construction ?
Il est dis dans notre langage, « apporter sa pierre à l’édifice » donc pour aider à construire un temple inachevé ( l’Aduc Stat du RER ).
Inachevé parce que le travail initiatique est interminable, mais aussi, là où il n’y a pas de toit il n’ya pas de dogme, mais seulement la voûte céleste avec ses étoiles visibles en plein jour.
La loge travail donc à ciel ouvert, forme de liberté où l’ont ne sent pas écraser par le poids morts des mondes finis.
Cela nous permet de nous mettre en cadence et en harmonie avec les constellations de la voûte étoilée, comme pour nous rappeler que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut.(extrait de la table d’Hermès Trismégiste ).
Ces 5 minutes de symbolisme m’ont conduit sur une symbolique cryptée qui est : L’étoile dans l’œuvre d’Hergé
Hergé créateur des ouvrages d’aventures connus de tous, « Tintin et Milou »!
On compte exactement 22 albums d’Hergé en couleurs,
22 comme les 22 Lames majeurs du tarot;
22 comme les 22 sentiers de l’Arbre Kabbalistique.
Je ne pouvais manquer de vous présenter, en faisant cette planche sur l’étoile, cette formidable analogie symbolique des œuvres d’Hergé et de la maçonnerie,
cet ensemble d’ouvrages formant à mon avis un parcours initiatique a travers les 22 lames du tarot.
Qui de nous, un jour de sa vie n’ai pas ouvert un des albums de Tintin ?
Jamais dans ma recherche je n’aurais pensé que derrière ces formidables aventures, se cachaient une seconde lecture nous menant vers ce code crypté de la Connaissance…..J’ai trouvé cela merveilleux !
D’autres grands auteurs ont travaillé de cette façon derrière ces aventures que nous lisions étant enfant (je prendrai ici un autre auteur pour exemple… « Jules Verne »;
Ces œuvres sont riches de clefs initiatiques d’une immense valeur nous permettant d’approcher la Gnose, la Connaissance et ses mystères.
N’oublions pas que la connaissance dans le langage des oiseaux, «c’est connaître en naissant. »
Mais revenons a Hergé et aux aventures de Tintin.
Dans celle-ci nous y rencontrons différents personnages, des sages, des fous, des pharaons qui nous amène en Egypte.
« Les cigares du pharaons », où nous trouvons aussi des symboles connus de nos loges et notamment une bague de cigare très spéciale qui ressemble à s’y méprendre à la symbolique du Ying et du Yang ;
la lune, dans « Ont a marché sur la lune ou objectif lune »
le soleil dans « Le temple du Soleil »
et bien sur l’étoile, dans « l’Etoile mystérieuse » .
Ne voyez-vous cette analogie avec les symboles maçonniques ?
Nous y trouvons aussi des temples, « Le temple du soleil ».
Chaque personnage revêt différents habits dans ces aventures.
Le professeur Tournesol que allons découvrir vêtu de la robe que porte l’Hermite, 9ème lame du tarot.
Le capitaine Hadock se cachant dans les habits du Pape qui est aussi la 5ème lame du tarot.
Mais je suis sur en cherchant bien nous pourrions rencontrer de multitudes similitudes, des liens secrets qui par exemple :
- unissent le Diable « 15ème lame du tarot » au Yéti et à Rakam le rouge,
- les fameux Dupont aux jumeaux (principe de dualité) que nous trouvons sur le haut de la 19ème lame Le Soleil,
- et bien sur tintin représentant le fou ou le mat (arcane de valeur 0), marchant sur le chemin qui le conduit a travers le trésor de l’amitié de la Fraternité, le regard tourné vers le haut fixant … la mystérieuse Etoile…
Tout ce récit concernant Hergé me permet d’arriver à l’aventure qui nous concerne. « L’Etoile Mystérieuse ».
Cet astre mystérieux, c’est la 8ème étoile de la grande ourse, cette constellation que les Celtes nommaient le « Chariot d’Arthur »…..
Mais pour Tintin une étoile de plus dans la grande ourse était un mystère.
Cette 8ème étoile nous le retrouvons dans tout son éclat dans la 17ème lame du tarot « L’Etoile ».
Cet astre, à 16 branches dans la lame du tarot se trouve autour de 7 petites sœurs. Observons bien cette lame chargée d’un symbolisme puissant.
Nous y trouvons, éclairée par l’Etoile, une jeune femme nue, qui, agenouillée au bord d’un étang y déverse de la main droite le contenu d’une cruche d’Or, d’où s’écoule de celle-ci une eau chaude se déversant dans ce plan d’eau, nous y voyons bien dans l’image de la lame les vapeurs qu’elle dégage.
Dans l’autre main, elle tient une seconde cruche celle-ci d’argent.
Rappelons que l’or est un lien avec l’activité, l’énergie, le solaire et que l’argent représente la réceptivité, la féminité, le lunaire.
Une nouvelle fois cette correspondance avec nos symboles……
Cet arrosage entretient la végétation, plus particulièrement représenté par un rameau d’Acacia symbole d’espoir en l’immortalité et une rose épanouie.
Dans la légende d’Hiram, cette plante fait découvrir le tombeau du maitre, détenteur de la tradition et de la parole perdue.
La rose de cette même lame est celle des chevaliers de l’esprit, fleur qui sera posée sur la croix dont l’Acacia fournit le bois.
Mais la Connaissance réservée aux initiés n’est pas encore sortie des ténèbres. Car cette lame représente la Croissance, croissance qu’il ne faut pas confondre avec construction, celle-ci avance par sauts et par bonds, tandis que la croissance est continue répandant sa sève transformatrice.
Le principe féminin représenté par la femme symbole de fécondité, principe maternel, entre la constellation de l’espérance représentée par l’étoile se trouvant au dessus d’elle et du fleuve, symbole de continuité, au dessous d’elle.
C’est pourquoi l’étoile est croissance Vénus étoile du matin correspond à la grande étoile de l’arcane XVII. Projetant des feux verts à travers ces huit rayons d’or, il se dégage une pureté, une clarté qui renforce la beauté de cette lame du tarot. Ce qui est intéressant a savoir, c’est que l’Etoile est la 1ère carte céleste dans le tarot précédant la LUNE XVIIIème arcane et le SOLEIL XIX arcane.
Nous trouvons, comme je l’ai souligné auparavant, une grande partie de notre symbolique.
Tintin commence ici a lever les yeux vers le ciel pour entamer son travail intérieur lié par une perpendiculaire au Cosmique et arriver jusqu’à la Connaissance. Car il est dit que celui qui est capable de voir le soleil à minuit et aussi apte à découvrir la réalité des grands mystères cachés au cœur des ténèbres.
Il y a un énorme travail à faire pour comprendre toute la valeur initiatique de ces fabuleuses aventures. Il n’y a pas d’autres explications plus nettes pour comprendre qu’il s’agit de notre propre cheminement en tant que Franc-maçon. Mais je n’ai fait qu’ébaucher ce travail avec l’étoile mystérieuse en correspondance avec la lame du tarot.
Je vais maintenant juste vous laisser entrevoir la nombrologie de la lame XVII, « l’Etoile ».
Le nombre XVII correspond au symbolisme de l’Etoile. Ce nombre brille intensivement parce qu’il est le plus cosmique. 17 = 1 + 7, l’unité qui représente l’émanation et sept la création,
1= le monde supérieur
7= le monde inférieur. Ainsi s’exprime la Kabbale.
Le XVII c’est aussi l’union du ciel et de la terre.
Ce nombre recouvre tous les chapitres des 4 évangiles ; Mathieu 28 – Marc 16 -
Luc 24 – et Jean 21, total 89 l’addition théosophique nous donnes donc
8 + 9 =17, donc 17 = 1 + 7 = 8.
Huit symbolise la justice « lame VIII du tarot la Justice ».
Si nous plaçons ce nombre à l’horizontal OO nous obtenons le symbole de l’infini.
L’arcane XVII est le plus cosmique des arcanes clefs. A travers l’arcane 17, on élimine toutes nos passions, nos folies, nos défauts pour aller vers l’Etoile de … l’Espérance.
La route est éclairée par les étoiles qui nous guident pour accomplir notre mission.
L’arcane XVII est chargé de mystères, de toutes les histoires et traditions que les hommes ont véhiculées au sujet des étoiles.
Aujourd’hui encore, ne fait-on pas un vœu au passage d’une étoile filante ?
Elles apportent messages d’espoir, de paix, d’harmonie.
VM :. Que ceux qui ont des oreilles entendent, que leurs yeux voient et que leur Âme comprenne.
J’ai dit
Cagliostro et la franc-maçonnerie lyonnaise 9 décembre, 2019
Posté par hiram3330 dans : Recherches & Reflexions , ajouter un commentaireCagliostro et la franc-maçonnerie lyonnaise 1
Article publié par EzoOccult le Webzine d’Hermès et mis à jour le : 4 décembre 2019
Cagliostro et la franc-maçonnerie lyonnaise 1 – première partie, par Jean Bricaud.
Étrange personnage, que les uns ont pris pour un homme de génie et les autres pour un banal escroc, traversa la fin du XVIIIe siècle, remplissant le monde du bruit de ses prodiges : Joseph Balsamo, plus connu sous le nom de comte de Cagliostro. Il s’entourait volontairement de mystère et dissimulait les premières années de sa jeunesse, médiocrement honorables.
Né à Palerme en 1743, il était entré à l’âge de treize ans dans un ordre de religieux gardes-malades, les Benfratelli, où il avait pris l’habit de novice. Son inconduite lui ayant attiré bientôt les réprimandes les plus sévères, il avait dû, à la suite de diverses aventures quitter le couvent et Palerme. Il commença à parcourir le monde, étudia la chimie, la médecine, les sciences occultes, et, grâce à son intelligence, conquit en Europe la réputation d’un homme extraordinaire. Il alla de Rome à Barcelone, à Madrid, à Londres, à Varsovie, à Saint-Pétersbourg, entouré d’une réputation mystérieuse. Partout la curiosité s’éveillait à son sujet : on parlait de guérisons merveilleuses, d’évocations fantastiques, de découvertes importantes, d’une puissance complète de divination.
Cette renommée le précédait lorsqu’il vint de Russie en France et arriva à Strasbourg, au commencement de 1780.
Une foule énorme s’était portée à sa rencontre, et quand il parut, une longue acclamation s’éleva ; son entrée fut un vrai triomphe.
Il guérissait toutes les maladies sans daigner accepter la moindre rétribution de ceux de ses clients qui étaient riches ; il donnait de l’argent à ceux qui étaient pauvres (Funck-Brentano, l’Affaire du Collier).
Il prétendait posséder la science des anciens prêtres de l’Égypte.
Sa conversation roulait d’ordinaire sur trois points : 1° la médecine universelle dont il connaissait les secrets ; 2° la Maçonnerie égyptienne qu’il voulait restaurer en Europe ; 3° la pierre philosophale au moyen de laquelle il transmuait tous les métaux imparfaits en or fin. Ainsi, il apportait à l’humanité par sa médecine universelle, la santé du corps ; par la Maçonnerie égyptienne santé de l’âme, et, par la pierre philosophale, des richesses infinies. C’étaient là ses grands secrets, car il en avait beaucoup d’autres, mais de moindres importances.
Sa réputation était immense, et il réussit à éclipser pour un moment toutes les célébrités contemporaines. Dans le peuple, dans la bourgeoisie, chez les grands et surtout à la Cour, l’admiration alla pour lui jusqu’au fanatisme. On ne l’appelait que le divin Cagliostro. Son portrait était partout, sur les tabatières, sur les bagues et jusque sur les éventails des femmes. On posa même sur les murailles des affiches où l’on rappelait que Louis XVI avait déclaré coupable de lèse-majesté quiconque ferait injure à Cagliostro.
Nous avons dit qu’il vint en France en 1780. Il resta trois ans à Strasbourg, où il fit la connaissance du prince cardinal de Rohan. Au milieu de 1783, il fit un voyage à Rome, Naples, Florence et Antibes. Le 1er décembre 1783, il s’installa à Bordeaux. Les guérisons qu’il fit dans cette ville passèrent pour miraculeuses. Les malades affluèrent. La police fut obligée d’organiser un service d’ordre autour de sa maison pour éviter des désordres parmi la foule qui s’y précipitait. Aux jours de consultation, 8 ou 10 soldats montaient la garde à la porte et dans l’escalier.
Après être resté dix mois à Bordeaux, il se dirigea vers Lyon où il fut reçu par les francs-maçons avec de grands honneurs.
* * *
Il arriva à Lyon le 1er novembre 1784. Il y resta six mois pendant lesquels il déclara ne pas vouloir s’occuper de médecine, mais entreprendre de réformer la franc-maçonnerie suivant le rite égyptien dont il avait, disait-il, retrouvé les éléments dans l’intérieur des Pyramides.
Depuis plusieurs années, il s’était fait, en effet, le propagandiste zélé d’une maçonnerie nouvelle, dite Maçonnerie égyptienne, dont avait trouvé l’organisation et les détails non pas dans les Pyramides, comme il le disait, mais à Londres, dans les manuscrits d’un nommé Georges Couston, que le hasard lui avait mis entre les mains. Ces manuscrits exposaient un système maçonnique mêlé de magie et de superstition. Cagliostro résolut de créer sur le plan de ce Manuscrit un nouveau rite, en écartant, disait-il, tout ce qu’il jugeait impie ou superstitieux dans la doctrine qu’ils contenaient.
Déjà il avait établi une première loge à Strasbourg, en 1780. Son but était, expliquait-il, de conduire ses disciples à la perfection par une double régénération physique et morale. Il obtenait la première, grâce à la découverte d’une matière donnant la santé et l’éternelle jeunesse ; la seconde, par l’application du pentagone ou feuille vierge « sur laquelle les anges ont gravé leurs chiffres et leurs sceaux », et qui restituait à l’homme l’innocence primitive perdue par le péché originel.
Aucune religion n’était exclue. Les seules conditions imposées aux adeptes étaient de croire en Dieu, à l’immortalité de l’âme et (pour les hommes) d’avoir été admis dans la Maçonnerie ordinaire.
Les pratiques de son rite étaient un mélange de cérémonies religieuses, de réunions mondaines, d’opérations cabalistiques et d’évocations par lesquelles il correspondait avec les esprits et les anges.
La hiérarchie comprenait trois grades : apprenti, compagnon et maître égyptien. Les maîtres égyptiens prenaient les noms des anciens prophètes et les femmes — car elles étaient admises — ceux des sibylles. Cagliostro était lui-même le Grand Maître du Rite et s’appelait le Grand Kophte, mais le duc de Luxembourg-Montmorency avait le titre de grand maître protecteur de la Maçonnerie égyptienne.
Nous avons dit que le principal but du voyage de Cagliostro à Lyon était de chercher à y implanter son Rite égyptien. Dans ce but il visita d’abord la loge du Parfait-Silence, mais n’y obtint qu’un succès de curiosité. Il en fut autrement à la loge la Sagesse, du rite de la Haute Observance, dans laquelle il fut reçu avec de grands honneurs, sous la voûte d’acier. Il monta sur le trône du Vénérable, et ayant invoqué l’assistance divine, il prononça un long discours sur l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme et le respect dû aux souverains. Plusieurs membres de la Sagesse témoignèrent le désir de connaître sa doctrine d’une façon plus approfondie. À cet effet, Cagliostro leur enjoignit de préparer la loge selon son cérémonial, pour le lendemain, de choisir douze maîtres et une petite fille qu’il appelait une colombe.
Le lendemain, il inaugura la séance par un discours dans lequel il démontra que tout homme doit être un Apôtre de Dieu, prêcher le bien et fuir le mal, et que, comme les apôtres avaient toujours pratiqué cette maxime, de même, étant douze comme eux, ils devaient tenir la même conduite, être ses douze apôtres et promettre avec serment de se conformer à tout ce qu’il leur imposerait.
Il leur fit alors prêter le serment prescrit par son rite. Ensuite, « je leur prédis (ce sont ses propres paroles extraites de la Procédure) que, de même que parmi les douze Apôtres, il y en avait eu un qui avait trahi Jésus-Christ, il s’en trouverait un aussi parmi eux qui trahirait la Société : ils déclarèrent que cela ne pouvait pas arriver ; mais je leur répétai deux fois la même prédiction, ajoutant que ce traître serait puni par la main de Dieu ». Il passa ensuite aux « travaux » de la colombe, qui s’exécutèrent soit à l’aide d’une carafe dans laquelle l’enfant apercevait des anges et des scènes prophétiques, soit derrière un paravent d’où elle répondait aux questions qui lui étaient posées, questions connues de celui seul qui l’interrogeait.
Ces expériences eurent le plus grand succès ; les anges descendirent et apparurent, en témoignage de l’assistance que Dieu prêtait à au Grand Kophte. On juge de l’étonnement des maçons lyonnais à la vue de tels phénomènes ; mais leur surprise augmenta encore lorsque, le lendemain, ils constatèrent la désertion d’un des membres de la loge.
Cet homme, affirma plus tard Cagliostro, au cours de son interrogatoire, fut bientôt puni par la main de Dieu, car, quelques mois après, on lui vola tout ce qu’il possédait, et de riche qu’il était, il devint misérable.
Ceux qui étaient restés fidèles prièrent Cagliostro de fonder à Lyon une Loge Mère du Rite égyptien : « J’instituai donc, dit-il, et je fondai dans ce lieu une loge du Rite égyptien, sous le nom de Loge Mère ; elle fut appelée ainsi, parce qu’elle devait avoir la primauté sur toutes les autres loges dont elle devait être la mère et la maîtresse. » (Procédure contre Joseph Balsamo, instruite à Rome en 1790).
La Loge Mère du Rite égyptien fut appelée la Sagesse Triomphante. Elle fut installée très luxueusement, avec un local distinct pour chacun des trois grades, d’apprenti, de compagnon et de maître.
Cagliostro l’inaugura lui-même avec un pompeux cérémonial. Il délégua ensuite ses pouvoirs de grand maître à deux vénérables à laissa l’original de son Rituel de la Maçonnerie égyptienne muni, au commencement et à la fin, de son sceau représentant un serpent percé d’une flèche.
Ces délégués reçurent également de lui la patente d’institution suivante que nous reproduisons in extenso :
« GLOIRE, UNION, SAGESSE, BIENFAISANCE, PROSPÉRITÉ.
Nous, Grand Kophte, fondateur et grand maître de la Haute Maçonnerie égyptienne dans toutes les parties orientales et occidentales du globe, faisons savoir à tous ceux qui verront ces présentes que, dans le séjour que nous avons fait à Lyon, beaucoup de membres de cet Orient, suivant le rite ordinaire et qui porte le titre de SAGESSE, nous ayant manifesté l’ardent désir qu’ils avaient de se soumettre à notre Gouvernement et de recevoir de nous les lumières et les pouvoirs nécessaires pour connaître et propager la maçonnerie dans sa vraie forme et dans sa primitive pureté, nous nous sommes rendu à leurs vœux, persuadés qu’en leur donnant des signes de notre bienveillance, nous aurons la douce satisfaction d’avoir travaillé pour la gloire de l’Éternel et pour le bien de l’humanité.
Sur ces motifs, après avoir suffisamment établi et vérifié auprès du Vénérable et de beaucoup de membres de ladite loge le pouvoir et l’autorité que nous avons à cet effet, avec le secours de ces mêmes frères, nous fondons et créons, à perpétuité, à l’Orient de Lyon, la présente loge égyptienne, et nous la constituons Loge Mère par tout l’Orient et l’Occident, lui attribuant pour toujours le titre distinctif de SAGESSE TRIOMPHANTE et nommant pour ses officiers perpétuels et inamovibles :
- N. vénérable et N. pour son substitut.
- N. orateur et N. pour son substitut.
- N. garde des sceaux, archiviste et trésorier et N. pour son substitut.
- N. grand inspecteur et maître des cérémonies et N. pour son substitut.
Nous accordons, une fois pour toutes, à ces officiers le droit et le pouvoir de tenir loge égyptienne avec les frères soumis à leur direction, de faire toutes les réceptions d’apprentis, de compagnons et maîtres maçons égyptiens, d’expédier les attestations, de tenir des relations et des correspondances avec tous les maçons de notre rite et avec les loges dont ceux-ci sont membres, en quelque lieu de la terre qu’elles soient situées, et d’adopter, après l’examen et avec les formalités prescrites par nous, les loges du rite ordinaire, qui désireront embrasser notre institution ; en un mot, d’exercer généralement tous les droits qui peuvent appartenir et appartiennent à une loge égyptienne juste et parfaite, qui a le titre, les prérogatives et l’autorité de maîtresse loge.
Nous ordonnons au vénérable, aux maîtres, aux officiers membres de la loge, d’avoir un soin continuel et une attention scrupuleuse pour les travaux de la loge, afin que les réceptions et généralement toutes les autres fonctions se fassent conformément aux règlements et aux statuts que nous avons expédiés séparément et munis de notre signature et du sceau de nos armes.
Nous ordonnons encore à chacun des frères de marcher constamment dans le sentier étroit de la vertu et de montrer, par la régularité de sa conduite, qu’il aime et connaît les principes et le but de notre ordre.
Pour donner de l’authenticité aux présentes, nous les avons signées de notre main, et nous avons appliqué le grand sceau que nous avons accordé à cette Loge Mère, de même que notre sceau maçonnique et notre cachet profane :
Donné à l’Orient de Lyon. »
Cagliostro et la franc-maçonnerie lyonnaise – première partie, par Jean Bricaud.
Revue d’histoire de Lyon, 1910.
Illustration : Fondo Antiguo de la Biblioteca de la Universidad de Sevilla from Sevilla, España [CC BY 2.0], via Wikimedia Commons
Cagliostro et la franc-maçonnerie lyonnaise 2 – seconde partie, par Jean Bricaud.
En l’absence de Cagliostro, les deux vénérables devaient présider la loge et y faire des travaux avec les pupilles (jeunes garçons) et les colombes (jeunes filles). À cet effet, il leur communiqua son pouvoir qu’il avait, disait-il, reçu de Dieu, et sans lequel ils n’auraient pu réussir.
Le premier vénérable de la Sagesse Triomphante était le banquier Saint-Costard qui, déjà, à plusieurs reprises, avait été vénérable de la loge la Sagesse.
Avant son départ de Lyon, Cagliostro reçut des membres de la Sagesse Triomphante, pour lui et pour sa femme, des tabliers et autres symboles de la maçonnerie, tous richement brodés et ornés d’argent, d’or et de pierreries.
La consécration de la loge, dont le principal ornement était une statue du maître, eut lieu quelque temps après le départ de Cagliostro. Elle fut célébrée aussi solennellement que la consécration d’une église. Cagliostro envoya de Paris deux députés chargés de présider à sa place et de donner toutes les instructions nécessaires pour la cérémonie.
Elle fut très longue. Les adeptes, vêtus de blanc, un voile noir sur la tête, devaient rester en adoration, en se reposant une heure sur sept, jusqu’à ce que la colombe, enfermée dans un tabernacle, eût vu, dans une carafe, Moïse ou le Grand Kophte apparaître au milieu d’un nuage bleu et déclarer que le ciel était satisfait. À ce moment seulement, l’assistance pouvait rejeter les voiles de deuil et séparer.
L’adoration dura cinquante-quatre heures.
Voici d’ailleurs la lettre qu’un des adeptes écrivit à Cagliostro, qui se trouvait alors à Paris, pour lui donner quelques détails sur la consécration du nouveau local :
« Monsieur et Maître, rien ne peut égaler vos bienfaits, si ce n’est la félicité qu’ils nous procurent. Vos représentants se sont servis des clefs que vous leur avez confiées ; ils ont ouvert les Portes du grand temple, et nous ont donné la force nécessaire pour faire briller votre grande puissance.
L’Europe n’a jamais vu une cérémonie plus auguste et plus sainte ; mais nous osons le dire, Monsieur, elle ne pouvait avoir de témoins plus pénétrés de la grandeur du dieu des dieux, plus reconnaissants de vos sublimes bontés.
Vos maîtres ont développé leur zèle ordinaire, et ce respect religieux qu’ils portent toutes les semaines aux travaux intérieurs de notre loge. Nos compagnons ont montré une ferveur, une piété noble et soutenue, et ont fait l’édification des deux frères qui ont eu l’honneur de vous représenter. L’adoration et les travaux ont duré trois jours et, par un concours remarquable de circonstances, nous étions réunis au nombre de 27, dans le temple ; sa bénédiction a été achevée le 27, et il y a eu cinquante-quatre heures d’adoration.
Aujourd’hui notre désir est de mettre à vos pieds la trop faible expression de notre reconnaissance. Nous n’entreprendrons pas de vous faire le récit de la cérémonie divine dont vous avez daigné nous rendre l’instrument ; nous avons l’espérance de vous faire parvenir bientôt ce détail par un de nos frères, qui vous le présentera lui-même. Nous vous dirons cependant qu’au moment où nous avons demandé à l’Éternel un signe qui nous fît connaître que nos vœux et notre temple lui étaient agréables, tandis que notre maître était au milieu de l’air, a paru sans être appelé le premier Philosophe du Nouveau Testament. Il nous a bénis après s’être prosterné devant la nuée bleue dont nous avons obtenu l’apparition, élevé sur cette nuée dont notre jeune colombe n’a pu soutenir la splendeur, dès l’instant qu’elle est descendue sur la terre.
Les deux grands prophètes et le législateur d’Israël nous ont donné des signes sensibles de leur bonté et de leur obéissance à vos ordres : tout a concouru à rendre l’opération complète et parfaite autant qu’en peut juger notre faiblesse.
Vos fils seront heureux, si vous daignez les protéger toujours et les couvrir de vos ailes ; ils sont encore pénétrés des paroles que vous avez adressées du haut de l’air à la colombe qui vous implorait pour elle et pour nous : dis-leur que je les aime et les aimerai toujours.
Ils vous jurent eux-mêmes un respect, un amour, une reconnaissance éternels, et s’unissent à nous pour vous demander votre bénédiction ; qu’elle couronne les vœux de vos très soumis, très respectueux fils et disciples.
Le frère aîné : ALEXANDRE TER… »
LIRE Le Catéchisme de l’Eglise Gnostique 2Nous ne possédons pas le texte de la réponse que fit Cagliostro aux membres de la loge de Lyon ; nous savons seulement qu’il leur affirma que, s’ils l’avaient vu en cette occasion dans les nuages, après sa mort, ils le verraient de même un jour dans sa gloire.
Il nous reste maintenant à examiner le rôle joué dans la maçonnerie française par le Rite égyptien et principalement par sa Mère-Loge, la Sagesse Triomphante.
Disons d’abord que le Rite égyptien ne fut pas reconnu par tous les autres Rites pratiqués en France. C’est ainsi que, quelques mois après la fondation de la Sagesse Triomphante, la Mère-Loge du Rite écossais philosophique ou Mère-Loge écossaise de France sous le nom de de Saint-Alexandre-d’Ecosse et du Contrat-Social réunis, arrêta qu’elle ne reconnaissait pas le Rite égyptien et qu’il serait adressé une circulaire aux loges et aux chapitres du régime philosophique pour les inviter à se défier des novateurs en maçonnerie, « lesquels sont d’autant plus dangereux qu’ils éloignent les véritables maçons du but auquel doivent tendre les frères de l’Ordre ». Et comme l’un de ses membres, le frère Devismes, devrait se rendre à Paris pour rendre compte de sa conduite.
Il en fut tout autrement du rite des Elus-Coëns (rite de Martinez Pascalis) ainsi que du régime des Philalètes ou chercheurs de la vérité, nouveau rite fondé par Savalette de Langes, qui avait installé à Paris la loge des Amis réunis dans le but de grouper les hauts maçons et illuminés, disciples de Swedenborg, de Pascalis, de Saint-Martin et de Weishaupt.
Le 24 août 1784, les Philalètes avaient décidé la réunion d’un Convent fraternel où se rencontreraient des représentants de tous les rites maçonniques, et qui aurait pour but principal d’étudier l’origine et la nature de la science maçonnique, ses rapports avec les sciences connues sous le nom de Sciences occultes ou secrètes enfin, de décider lequel était des régimes actuels le meilleurs à suivre, non comme coordination générale, mais pour faire faire aux disciples de prompts et utiles progrès dans la vraie science maçonnique.
Le Convent devait avoir lieu en janvier 1786. Mais, dans la suite, le Comité d’organisation décréta qu’il serait avancé d’une année, parce que le fameux Cagliostro étant en France, on en profiterait pour lui demander de venir exposer le système de son Rite égyptien.
On le voit, les Philalètes attachaient au Rite égyptien une très grande importance, et voyaient dans Cagliostro une des plus hautes personnalités de la Franc-Maçonnerie.
La proposition de convoquer Cagliostro avait été adoptée par le Comité organisateur, le 10 février 1785. Ce fut l’élu-coën Dessales, qui fut chargé de se rendre à Lyon, afin de savoir par Saint-Costard, vénérable de la Sagesse Triomphante, les intentions de Cagliostro. Il en rapporta la promesse que Cagliostro se rendrait au Convent s’il y était invité.
Le Convent fut ouvert le 19 février 1785, et le 10 mars le Comité organisateur écrivit officiellement à Cagliostro, par l’intermédiaire de Beyerlé, pour l’inviter à venir développer sa doctrine. Mais en dépit des promesses de Saint-Costard, Cagliostro ne se rendit pas à cette convocation. Il se contenta d’envoyer un manifeste emphatique qui, daté du 1er de l’an 5555, fut expédié le 6 avril par la Sagesse Triomphante. Ce manifeste était ainsi conçu :
LIRE Aleister Crowley & la Franc-Maçonnerie« Le Grand Maître inconnu de la maçonnerie véritable a jeté les yeux sur les Philalètes.
Touché de leur piété, ému par l’aveu sincère de leurs besoins, il daigne étendre la main sur eux et consent à porter un rayon de lumière dans les ténèbres de leur temple.
Ce sera par des actes et des faits, ce sera par le témoignage des sens qu’ils connaîtront Dieu, l’homme et les intermédiaires spirituels créés entre l’un et l’autre, connaissance dont la vraie maçonnerie offre les symboles et indique la route. Que les philalètes donc embrassent les dogmes de cette maçonnerie véritable, qu’ils se soumettent au régime de son chef suprême, qu’ils en adoptent les constitutions. Mais avant tout, le sanctuaire doit être purifié ; les Philalètes doivent apprendre que la lumière peut descendre dans le temple de la foi, et non dans celui de l’incertitude. Qu’ils vouent aux flammes ce vain amas de leurs archives ! Ce n’est que sur les ruines de la tour de confusion que s’élèvera le temple de la Vérité. »
Ce manifeste fut suivi d’une lettre de la Sagesse Triomphante, insistant pour que le Convent se pliât aux exigences de Cagliostro : « Ah ! bénissez, heureux Philalètes, le jour où vous attirâtes sur vous les regards de notre Maître, où il vous adressa les paroles de joie et de consolation contenues dans l’écrit ci-joint que nous vous envoyons de sa part. »
Un peu surpris par le ton du manifeste et par le lyrisme de la lettre, le Convent écrivit sans retard (le 12 avril) aux frères de Lyon pour leur demander une réponse plus précise et plus claire.
La réponse ne se fit point attendre. Elle est datée du 13e jour du 2e mois de l’an 5555 et porte au bas la signature hiéroglyphe de Cagliostro, ainsi que les signatures véritables de Montmorency, prince de Luxembourg, grand maître protecteur ; Laborde, grand inspecteur ; Saint-James, grand chancelier ; Devismes, grand secrétaire.
Les signataires de cette lettre déclaraient :
« Nous vous avons offert la vérité. Vous l’avez dédaignée. Nous donnons et vous avez voulu nous prescrire comment et à qui nous devons donner ; vous avez voulu gouverner notre marche dans une carrière où vous n’avez pas encore fait le premier pas.
Nous retirons donc nos offres, et ainsi tombent tous les scrupules et toutes les incertitudes que vous inspiraient vos formes… »
Après avoir donné lecture de cette lettre au Convent, Savalette de Langes expliqua que Cagliostro avait demandé que le Convent adhérât à son rite et formât une loge de la Maçonnerie égyptienne. Cette demande avait été transmise à la loge des Amis réunis, centre du régime des Philalètes qui, seule, pouvait y faire droit, et la Sagesse Triomphante avait été invitée à nommer des délégués pour donner tous les éclaircissements compatibles avec ses devoirs.
Cagliostro avait alors répondu par la lettre dont Savalette de Langes venait de donner lecture, déclarant que puisque l’Assemblée cherchait à établir une distinction entre le Convent et le régime des Philalètes pour arriver par une voie détournée à sauver des archives, dont la destruction lui était demandée, toute relation devait cesser entre elle et lui.
Le Convent résolut de déléguer auprès de Cagliostro le baron de Gleichen, dans le but de lui faire observer que, formé pour un temps limité et pour une besogne spéciale de maçons de divers rites, de pays différents, le Convent ne pouvait s’ériger en loge permanente et que, d’autre part, il serait désirable que ceux qui voudraient être initiés n’eussent pas besoin, pour obtenir leurs grades de faire le voyage de Lyon.
LIRE Le Crata Repoa 2Cagliostro répondit qu’il daignait permettre aux Phialètes de conserver leurs archives, mais qu’il était indispensable qu’une délégation de trois frères allât prendre à Lyon « les constitutions avec pouvoir et puissance ».
Trois délégués du Convent partirent pour Lyon : les frères Marnezia, Raimond et de Paul. Plusieurs entrevues eurent lieu, au cours desquelles le Grand Maître du Rite égyptien exposa sa doctrine et son rite.
Dans un rapport adressé au Convent, à la suite de leur seconde entrevue, les trois délégués se déclarèrent enchantés de Cagliostro.
« Sa doctrine, dirent-ils, doit être regardée comme sublime et pure et, sans avoir parfaitement l’usage de notre langue, il l’emploie comme les prophètes s’en servaient autrefois. » Après une troisième entrevue, les délégués écrivirent de nouveau au Convent une lettre enthousiaste. Ils annoncèrent qu’ils avaient fait les premiers pas dans la carrière égyptienne, que Cagliostro leur avait communiqué, sous le sceau de la parole d’honneur, les enseignements du Rite égyptien et qu’ils avaient entrevu dans cette communication une interprétation sublime de la Maçonnerie.
Les choses semblaient donc aller pour le mieux, lorsque, convaincus sans doute qu’ils n’avaient qu’à ordonner pour être obéis, Cagliostro et la loge la Sagesse Triomphante crurent de nouveau devoir exiger la destruction des archives des Philalètes et l’adhésion du Convent au Rite égyptien.
Les mêmes objections se reproduisirent. Irrité, Cagliostro envoya, le 30 avril, au Convent cette lettre qui est une véritable excommunication :
« À la gloire du Grand Dieu,
Pourquoi le mensonge est-il toujours sur les lèvres de vos députés, tandis que le doute est constamment dans vos cœurs ? Ne vous excusez point, car, je vous l’ai déjà écrit, vous ne m’avez point offensé. Dieu seul peul décider entre vous et moi.
Tous dites que vous cherchez la vérité ; je vous la présentai et vous l’avez méprisée. Puisque vous préférez un amas de livres et d’écrits puérils au bonheur que je vous destinais et que vous deviez partager avec les élus ; puisque vous êtes sans foi dans les promesses du Grand Dieu ou de son ministre sur la terre, je vous abandonne à vous-mêmes et, je vous le dis en vérité, ma mission n’est plus de vous instruire. Malheureux Philalètes, vous semez en vain, vous ne recueillerez que de l’ivraie. »
Après lecture de cette lettre, le Convent, se jugeant suffisamment éclairé sur les véritables intentions de Cagliostro, rompit toute négociation.
Le Convent clôtura ses séances le 26 mai 1785.
Cagliostro quitta Lyon le mois suivant. Il se rendit à Paris où devait éclater, quelques mois plus tard, la fameuse affaire du Collier, affaire qui fit le plus grand tort à sa réputation et, par là même, au Rite égyptien.
Peu à peu, ses fidèles l’abandonnèrent, ses loges disparurent. En 1789, la Sagesse Triomphante était la seule loge du Rite égyptien qui existât encore. En effet, lorsque vers la fin du mois de mai de l’année 1789, Cagliostro se rendait à Rome, où il devait être arrêté par ordre de l’Inquisition, il fit en route la connaissance de jeunes Romains qui lui demandèrent de les initier dans le Rite égyptien. Il leur réclama cinquante écus pour la patente, qui devait être expédiée de Lyon.
Peu après l’arrestation de Cagliostro, son internement au château Saint-Ange et sa mort mystérieuse portèrent le dernier coup au Rite égyptien déjà bien compromis. La Sagesse Triomphante disparut. Ses membres se rallièrent aux autres rites et il ne resta plus rien de l’œuvre maçonnique de Cagliostro.
J.-B. BRICAUD.
Cagliostro et la franc-maçonnerie lyonnaise 2 – seconde partie, par Jean Bricaud. Revue d’histoire de Lyon, 1910.
La dimension mystique de la femme dans la Gnose 4 mars, 2019
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La dimension mystique de la femme dans la Gnose

Article publié par EzoOccult le Webzine d’Hermès et mis à jour le : 3 décembre 2017
Par Volute
Le Féminin occupe une place très importante dans les textes mystiques et, en particulier, dans les écrits gnostiques. Ces doctrines accordent un rôle crucial au Principe Féminin dans la cosmogonie, lors de la Chute suivie de la Libération, puis, plus tard, avec l’apparition de figures féminines jouant des rôles prophétiques ou s’illustrant comme initiées.
Les mouvements gnostiques nous sont principalement connus à travers trois types de sources. Tout d’abord, les chercheurs ont longtemps dû « se contenter » des écrits des hérésiologues chez les Pères de l’Eglise, par exemple Origène ou Clément d’Alexandrie. Puis, des textes furent retrouvés en Egypte aux XVIIIème et XIXème siècles, dont le fameux Codex de Berlin, jusqu’à ce qu’enfin, en 1947, une découverte incroyable enrichisse considérablement notre connaissance des gnostiques : plus d’une quarantaine d’écrits furent retrouvés d’un coup dans la région de Nag-Hammadi, ensevelis tout simplement dans des jarres.
Les gnostiques ne semblent pas considérer la femme comme intrinsèquement inférieure à l’homme, bien que le versant féminin de la bipolarité reste très contrasté. Par exemple, on lit parfois que le retour de l’élément féminin à sa contrepartie masculine reste une condition indispensable à l’accès à la perfection céleste. Par ailleurs, la Sophia est responsable de la chute vers la Matière…
Ainsi l’Initiée, véritable héritière des traditions sémitiques les plus anciennes, est un personnage complexe, au sein duquel se côtoient pureté et décadence. Pour saisir la dimension du féminin dans les écrits gnostiques, il faut nous attacher aux figures très similaires de Myriam de Madgala et d’Hélène, la compagne de Simon le magicien, qui toutes deux présentent le triple visage de la déchue, de l’initiée et de la rédemptrice. Nous verrons ensuite de quelle manière elles se rattachent à la Sophia des cosmogonies gnostiques.
I. Marie
L’Evangile de Marie, texte incomplet rédigé en copte vraisemblablement vers les années 150 de notre ère, est le premier traité du Codex de Berlin acquis par l’Allemagne en 1896.
Cet Evangile est attribué à Myriam de Magdala, plus communément dénommée Marie-Madeleine. Premier témoin de la Résurrection, elle peut à ce titre être considérée comme la fondatrice du christianisme. Cette place privilégiée de premier témoin peut aussi être le signe d’une initiation plus avancée. Elle serait ainsi l’apôtre des apôtres, l’Initiée, la Sagesse (Sophia) épouse du Logos. Ces aspects sont assez peu développés dans les Evangiles classiques, alors que les Evangiles dits « apocryphes » de Thomas, Philippe et bien sûr Marie y attachent plus d’importance.
L’Evangile de Marie nous présente Jésus comme un humain à part entière, accompli dans sa vie d’homme (il a un métier, il aime sa compagne Marie) ainsi que dans son esprit. De même, Marie est un personnage entier, sa chair n’est pas séparée de son esprit. Il ne s’agit donc pas de nier le corps ou la matière, mais par un détachement du Monde, de le sanctifier, de le transfigurer pour redevenir l’Anthropos, l’Humain pleinement entier en qui coïncident les contraires classiques du plan matériel : Esprit et Corps, Masculin et Féminin.
Le personnage de Marie est ambivalent, contrasté : elle est, d’une part, la pécheresse dont nous parle les évangiles canoniques, et d’autre part la compagne intime de Jésus, l’initiée qui transmet Ses enseignements les plus subtils. Il faut rappeler qu’à cette époque, les femmes n’avaient pas le droit d’étudier la Thora : elles n’avaient pas accès à la « connaissance ». La simple initiation de Marie constitue donc déjà un pêché, qui prendra ultérieurement une dimension plus charnelle.
La tradition fera de Marie un archétype du Féminin présent dans tout être humain, et dont les évolutions sont susceptibles d’éclairer le chemin de tous. Parmi ces visages, on retrouve l’amante au désir perturbé qui est sa figure la plus connue. Mais c’est un aspect réducteur, car il fait ajouter d’autres figures : la contemplative, à l’écoute du Seigneur, la compatissante, la « sage-femme », assistant l’humain dans tous ses passages, dont la mort.
01 ‘L’attachement à la matière
02 engendre une passion contre nature.
03 Le trouble naît alors dans tout le corps ;
04 c’est pourquoi je vous dis :
05 « Soyez en harmonie… »
06 Si vous êtes déréglés,
07 inspirez-vous des représentations
08 de votre vraie nature.
09 Que celui qui a des oreilles
10 pour entendre entende.”
12 Alors, Marie se leva,
13 elle les embrassa tous et dit à ses frères :
14 “Ne soyez pas dans la peine et le doute,
15 car Sa grâce vous accompagnera et vous protègera :
16 louons plutôt Sa grandeur,
17 car Il nous a préparés.
18 Il nous appelle à devenir pleinement Humains [Anthropos].”
19 Par ces paroles, Marie tourna leurs coeurs vers le Bien ;
20 Ils s’éclairèrent aux paroles de l’Enseigneur.’
(L’Evangile de Marie)
La cène, Juan de Juanes, XVIe siècle. Museo del Prado, Madrid.
II. Hélène
Dès les Actes des Apôtres (Actes VIII, 5-11), Simon le Magicien est présenté comme thaumaturge, prophète, mystagogue. Des textes ultérieurs de Justin, Irénée, Hyppolite et Clément de Rome donnent des versions légèrement divergentes du personnage, dont on peut cependant retracer le parcours. Simon étudia à Alexandrie, capitale intellectuelle de la Diaspora juive. En Samarie, il reprit en main une secte fondée par Dosithée. Simon fut baptisé et faisait baptiser ses disciples : ils se voulaient et étaient chrétiens.
Simon est accompagné d’Hélène, qui est à la fois son inspiratrice et l’associée de la double apothéose qu’il va formuler en un corps de doctrine. Celle-ci expose qu’au dessus de tout, il y a un Dieu des dieux, un Dieu inconcevable et inconnu, dont l’essence est Bonté. Le Démiurge de l’Ancien testament n’est pas un dieu de Bonté, mais un dieu de Justice : c’est un dieu méchant. L’imperfection de ce créateur ressort de son œuvre. Les âmes sont issues du Dieu supérieur, emmenées en captivité dans ce monde.
Simon est alors l’incarnation de la puissance de Dieu, Hélène celle de la Hokhma juive, c’est-à-dire la Sagesse divine. On retrouve là le très classique couple divin Dieu Père – Déesse Mère, cette dernière étant associée à la Sagesse.
Chez Justin, Hélène est présentée comme une femme ayant d’abord vécu dans un lieu de prostitution, et passant pour être devenue la Première Pensée (Ennoia) de Simon.
Irénée, dans son Adversus haereses rédigé vers les années 180, parle d’Hélène comme un avatar de la Sagesse déchue, qui passait de corps en corps. Sa chute et son adoration rappellent le souvenir des déesses cananéennes et syro-mésopotamiennes, les Prostituées Sacrées.
« C’est par elle qu’au commencement Dieu décida de créer les anges et les archanges.
Et sa volonté jaillit hors de lui, connaissant la volonté de son Père ;
Elle descendit dans les régions inférieures.
Elle engendra les anges et les dominations par lesquels ce monde a été fait.
Mais quand elle les eut engendrés elle fut retenue captive par eux.
Par jalousie.
Parce qu’ils ne voulaient par qu’on pensât d’eux qu’ils fissent engendrés.
Car le Père lui-même leur était totalement inconnu. Mais sa pensée était retenue captive par eux.
Les puissances émises par elle et les anges,
Et d’eux elle souffrit toute espèce d’outrages,
Tellement qu’elle ne pouvait remonter vers son Père,
Mais demeurait emprisonnée dans un corps humain,
Et à travers les âges, comme de vase en vase,
Elle se réincarnait en corps féminins successifs.
… Elle passait donc de corps en corps,
Subissant des tourments toujours nouveaux
Et pour finir elle devint une prostituée.
Et c’est elle la brebis perdue,
C’est pour elle qu’Il est venu,
Pour la rendre libre,
Et pour offrir aux hommes le salut
En se faisant connaître d’eux… »
Irénée, Adversus haereses (éd. W. Harvey, Cambridge 1857, p 162)
III. Sophia
Au tout début de notre ère, nous sommes au point de croisement des courants juif hétérodoxe, judéo-chrétien, chrétien orthodoxe et gnostique. Les sectes gnostiques forment un ensemble disparate d’églises qui ont commencé à se répandre un peu avant notre ère. Bien que la gnose ne soit pas exclusivement chrétienne, ces sectes furent combattues par l’Eglise, jusqu’à leur disparition vers le Vème siècle de notre ère.
Bien que le terme gnose signifie « connaissance parfaite », ce qui caractérise le mieux les mouvements gnostiques n’est pas cette prétendue connaissance, que finalement d’autres traditions affirment aussi posséder, mais plutôt un dualisme Matière – Divin qui s’accompagne d’un rejet du monde Matériel. Ainsi Plotin définissait les gnostiques comme étant « ceux qui disent que le Démiurge de ce monde est mauvais et que le Cosmos est mauvais ».
Le but principal du gnostique est la délivrance de la parcelle divine qu’il porte en lui-même. Il veut libérer cette parcelle du monde matériel corrompu qui l’aliène, et remonter vers les sphères célestes. Cette délivrance passe par la Gnose, la connaissance parfaite de la nature de l’esprit, des structures de l’univers et de son histoire passée et future.
Un premier aspect de la gnose porte sur les origines du monde matériel et de l’homme, le mal s’expliquant par la chute accidentelle d’éléments supérieurs dans un cosmos matériel, temporel, sexué, au fond duquel ils se sont disjoints, dispersés et emprisonnés (sans pour autant perdre leur pureté). Le Principe Féminin, d’une façon ou d’une autre, joue très souvent un rôle clef dans cette chute.
Un second aspect de la gnose vise la destinée de l’humanité et du cosmos, aboutissant à la dissolution finale de la Matière, la libération de l’Esprit, et au retour à l‘Unité Parfaite intemporelle dont les élus, ici-bas, gardent le souvenir.
La cosmogonie de Valentin, qui fut un des plus importants maîtres gnostiques, s’articule autour de la Sophia corrompue. Valentin naquit en Egypte et fut éduqué à Alexandrie, puis enseigna à Rome entre 135 et 160. L’Evangile de Vérité, ainsi que d’autres textes découverts à Nag Hammadi, se rattachent à son école. La Matière a une origine spirituelle, c’est un état de l’Etre Absolu, mais l’ignorance (l’aveuglement de Sophia) est la cause première de l’existence du Monde et du Mal.
Les autres traditions gnostiques ont des cosmogonies très similaires dans l’esprit à la version valentinienne, mais cette dernière illustre à merveille le rôle du Féminin.
Le Père, Premier principe absolu et transcendant, est invisible et incompréhensible. Il s’unit à sa compagne, la Pensée (Ennoia), et engendre les 15 couples des Eons, formant le Plérôme. Prise d’un désir du monde supérieur, l’élément féminin du dernier couple d’éons, Sophia, lève les yeux vers la lumière des hauteurs et provoque ainsi une crise qui entraîne l’apparition du mal et des passions. Sophia et ses créations sont rejetées et produisent une sagesse inférieure.
En haut, un nouveau couple est créé : le Christ et son partenaire féminin, le Saint-Esprit. Le Plérôme, de nouveau pur, engendre le Sauveur Jésus. En descendant dans les régions inférieures, le Sauveur mélange la matière, provenant de la sagesse inférieure, avec les éléments psychiques, ce qui engendra le Démiurge, le dieu de la Genèse, qui se croit seul Dieu.
Le Démiurge crée le monde qu’il peuple de deux catégories d’hommes, les hyliques et les psychiques. Mais des éléments venant de la Sophia supérieure s’introduisent dans le souffle du Démiurge, donnant naissance aux pneumatiques, catégorie d’hommes supérieurs qui seuls pourront retourner au sein du Divin.
Le Christ descend alors sur Terre pour révéler la connaissance libératrice. Les pneumatiques, réveillés par la gnose, remonteront petit à petit vers le Père. La rédemption du dernier pneumatique sera accompagnée par l’anéantissement du Monde, de la Matière.
L’Elenchos d’Hippolyte nous apprend que, selon la tradition des sectes naassénienne et ophite, l’initiatrice de la doctrine secrète aurait été une femme, en qui il faut probablement voir le personnage de Marie-Madeleine.
La grande Puissance, l’Esprit du Tout, est mâle et gouverne tout. La grande Pensée vient d’en bas, elle est femelle et enfante toutes choses.
« Il est, parmi tous les Eons, deux rejetons n’ayant ni commencement, ni fin, issus d’une seule et même Racine, qui est Puissance, Silence, Invisible, Incompréhensible ; l’un d’eux vient d’en haut, c’est la grande Puissance, l’Esprit du Tout qui gouverne Tout, il est mâle ; l’autre rejeton vient d’en bas, c’est la grande Pensée, elle est femelle et enfante toutes choses. Par suite, ces deux rejetons symétriques s’accouplent et font apparaître leur espace intermédiaire, l’Air insaisissable qui n’a ni commencement ni fin. Dans cet intervalle est le Père, qui porte dans ses mains et nourrit tout ce qui a commencement et fin. Celui qui se tient debout, se tenait debout, se tiendra debout ; il est une puissance mâle et femelle, qui n’a ni commencement ni fin et existe isolée, car c’est de lui qu’est sortie la Pensée qui existait isolée pour devenir deux… De même donc que le Père s’est fait sortir lui-même de lui-même, se manifestant à lui-même sa propre pensée, de même la Pensée, une fois manifestée, ne créa pas, mais elle vit le Père et cacha en elle-même le Père, c’est-à-dire la Puissance ; et il y eut une Puissance mâle-femelle et sa Pensée ; dès lors, ils se répondent symétriquement – la Puissance ne diffère en rien de la Pensée – et sont un seul être ; la Puissance dans les régions supérieures, la Pensée en bas… Ainsi, l’Esprit est dans la Pensée ; ils sont inséparables l’un de l’autre et, tout en étant un, ils se trouvent être deux. » D’après H. Leisegang, La Gnose, Paris 1951.
La Puissance infinie est assimilée au feu, l’extase est alors obtenue par un envahissement de ce feu libérateur, par un enthousiasme orgiastique. Après un rejet des conventions et de la morale, l’union sexuelle est spiritualisée par le biais de l’analogie, les adeptes participant ainsi à la commémoration de la grande parade primordiale. Cette sacralisation de l’union sexuelle rappelle le tantrisme indien.
IV. Conclusion
La découverte et la diffusion de l’agriculture avaient révolutionné le paysage religieux, faisant des Déesse-Mères des personnifications des forces de Vie et de Mort de la Nature. Les Prostituées Sacrées, telle que la déesse babylonienne de l’amour et de la guerre Ishtar, conjuguent tous les aspects de la fertilité bipolaire : reproduction, naissance, croissance, mais aussi violence et mort, avant une nouvelle naissance.
La vision de la Femme, à travers les divers mouvements gnostiques, prolonge les conceptions de ces religions antiques. Les gnostiques conservent un Féminin lié à la Nature, héritier pas si lointain du Féminin archaïque qui prenait place, juste un peu en retrait, à côté du Masculin, dans l’association de la Terre et du Ciel.
La Femme gnostique est donc liée au Monde matériel, en tant qu’hypostase de la Terre. Elle démontre un caractère et une activité sexuelle prononcés, caractéristiques de la Fertilité. Enfin, de par sa nature divine, la femme gnostique est l’Initiée. Ces trois éléments se mélangent pour lui donner le triple visage de la Déchue, de l’Initiée et de la Rédemptrice.
V. Bibliographie
Mircea Eliade, Histoire des religions, 3 tomes, bibliothèque historique Payot.
Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, bibliothèque historique Payot.
Jean-Yves Leloup, L’Evangile de Thomas, Spiritualité vivantes, Albin Michel.
Jean-Yves Leloup, L’Evangile de Marie, Spiritualité vivantes, Albin Michel.
Robert Statlender : article « Gnose et hermétisme » dans l’Encyclopédie des mystiques, tome I, Petite Bibliothèque Payot.
Jean Doresse, article « La Gnose » dans Histoire des religions II, Folio essai.
Jean Doresse, Les livres secrets de l’Egypte, Petite Bibliothèque Payot.
H.C. Puech, En quête de la Gnose, tome I : La Gnose et le Temps, bibliothèque des sciences humaines, Gallimard.
H.C. Puech, En quête de la Gnose, tome II : Sur l’évangile selon Thomas, bibliothèque des sciences humaines, Gallimard.
Volute, voir le site Syster of Night.
SOURCE :